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Air France : des suppressions d'emplois, oui... mais pas n'importe où !

L'interview de Jean Belotti, expert aérien


Jean Belotti expert aérien et ancien commandant de bord revient sur la mise en place du plan de départ volontaire lancé par Air France : Transform 2015. Il reste à savoir si oui ou non, les personnels restant en place supporteront des charges de travail de plus en plus importantes, "avec des conditions de travail dégradées et, souvent, une diminution de la qualité des prestations dues à la clientèle..."


Rédigé par Jean BELOTTI le Lundi 9 Décembre 2013

Alors que tous les plans dits de “restructuration” mis en place, depuis des décennies, ont comporté des coupes importantes dans les effectifs, le trafic aérien a été, quant à lui, en constante augmentation - Photo Air France Virginie Valdois
Alors que tous les plans dits de “restructuration” mis en place, depuis des décennies, ont comporté des coupes importantes dans les effectifs, le trafic aérien a été, quant à lui, en constante augmentation - Photo Air France Virginie Valdois
TourMaG.com - Dans le contexte actuel de concurrence à couteau tiré, notre compagnie Air France a-t-elle le vent en poupe ou du plomb dans l’aile ?

Jean Belotti :
"Vous faites probablement allusion au plan “Transform 2015” ?"

TourMaG.com - Effectivement, s’agissant d’une vaste restructuration annoncée en vue de redresser le groupe franco néerlandais Air France/KLM à l'horizon 2015.

J.B.
: "Il convient tout d’abord d’en rappeler les prodromes.

En 2011, Air France déplorait de lourdes pertes dues essentiellement à la hausse du prix du carburant ; à la moindre croissance économique ; à la concurrence, non seulement des “low-cost”, mais également des compagnies du Golfe ou asiatiques, pour celles qui assurent une activité long-courrier.

C’est alors que, dans ce contexte inquiétant, la compagnie a réagi : en signant d’importants accords de coopération montrant, ainsi, qu’elle s’intégrait dans la mutation du marché mondial ; en lançant le projet "Best" - portant sur qualité de services B777 par la mise en place d'un siège plus confortable et d'une configuration des sièges moins dense entre 2014 et 2016.

Mais aussi en engageant une stratégie de développement sur la Chine, pour faire de Paris le point privilégié des Chinois en Europe et d’attirer les hommes d’affaires européens sur ses avions, offrant un excellent produit comparable à celui de la concurrence et en créant “HOP”, regroupant des filiales régionales Britair, Regional et Airlinair."

TourMaG.com - Toutes ces décisions ne pouvaient être que de bon augure pour la pérennité d’AF/KLM ?

J.B. :
"Effectivement, car l’enjeu est d’importance puisque l’issue de ce plan conditionnera le devenir de la compagnie."

TourMaG.com - Alors, malgré la complexité de la situation par le nombre des variables à prendre en compte et les difficultés majeures à surmonter avant d’atteindre les objectifs fixés, Air France est-elle sur la bonne voie ?

J.B. :
"En février 2013, j’écrivais qu’il s’agissait d’une innovation prometteuse, dès lors quelle serait acceptée par tous les personnels."

TourMaG.com - Alors, précisément, qu’en est-il en cette fin d’année ?

J.B. :
"La bonne nouvelle est l’accord majoritaire des syndicats pour le plan de départ volontaire d’environ 1.800 personnels au sol dans le cadre de la deuxième étape de “Transform 2015”, alors que plus de 5.000 départs ont déjà été enregistrés, entre 2012 et 2013."

TourMaG.com - Mais quid des conséquences sur le fonctionnement de l’entreprise après de telles amputations ?

J.B. :
"Etant donné qu’une moitié de ces personnels est affectée au “hub” de Roissy Charles de Gaulle et l’autre dans des escales de province, force est de constater la situation paradoxale suivante.

Alors que tous les plans dits de “restructuration” mis en place, depuis des décennies, ont comporté des coupes importantes dans les effectifs, le trafic aérien a été, quant à lui, en constante augmentation.

Cela signifie que, soit les successifs personnels qui ont quitté l'entreprise ou mis en retraite anticipée, étaient vraiment très peu productifs - puisque que l’entreprise a continué et continuera à fonctionner sans eux - ce qui est une éventualité qui reste à démontrer.

Soit les personnels restant en place ont supporté et supporteront des charges de travail de plus en plus importantes, entraînant, de facto, des conditions de travail dégradées et, souvent, une diminution de la qualité des prestations dues à la clientèle, ce qui est une éventualité logiquement plausible."

TourMaG.com - Et pourtant un sureffectif latent a longtemps été mis en exergue ?

J.B. :
"Il remonte à des décennies, à l’époque où il n’y avait pas un Président de la République et un ministre des transports qui ne fasse embaucher des dizaines de personnes, à des postes fictifs, dans les services fonctionnels et administratifs.

Je me souviens d’un inspecteur - issu de l’éducation nationale - qui disposait d’un bureau, d’un téléphone et d’une carte de crédit, sans fournir le moindre travail pour la compagnie, à part celui de délivrer des billets gratuits.

Une enquête diligentée par une commission avait révélé que des dizaines de ces personnes n’avaient jamais “pointé” à Air France, sans que personne ne s’en inquiète !

À cette époque, lors d’une conférence annuelle réunissant les membres de l’encadrement, le président de la compagnie avait déclaré qu’il fallait cesser de produire du papier et porter ses efforts sur l’opérationnel, en procédant à des mutations, voire en instaurant des doubles qualifications, l’objectif étant d’améliorer la flexibilité. Mais cela est de l’histoire ancienne.

En effet, après les départs à la retraite de ces parachutés et les plans successifs de compression de personnels, il n’y a pas de sureffectif, dans le sens propre du terme, c’est à dire trop important par rapport aux tâches à accomplir.

Se séparer - d’une façon ou d’une autre - d’une partie de son personnel en cas récession, de baisse de la demande ou pour diminuer les coûts en demandant plus d’efforts à ceux en place, est une autre affaire."

TourMaG.com - Mais le processus est déclenché !

J.B. :
"Ayant, à plusieurs reprises montré les effets pervers de ces mesures de redressement, il reste à espérer que ne seront pas touchés les postes touchant la sécurité des vols, tels que la formation, les conditions de travail, la maintenance, tout en déplorant la perte du “savoir-faire” de personnels qui, de toute façon, à plus ou moins long terme, seront remplacés par des nouveaux embauchés, moins expérimentés."

TourMaG.com - Effets pervers, certes, mais n’y a-t-il pas des points positifs ?

J.B. :
"Un bon point à signaler est l’amélioration des conditions de départ dans une conjoncture de stagnation économique en France.

Elle concerne le report de la dernière date de départ possible au 31 mars 2015, au lieu du 31 décembre 2014 ; l’augmentation de l’allocation temporaire dégressive pour les volontaires au départ, sur une durée étendue à 36 mois, au lieu de 24. Notez que cette allocation s'ajoute aux indemnités de départ.

Ainsi, tout en déplorant l’existence de tels plans, le traitement social choisi par Air France est moins drastique que celui adopté par d’autres compagnies et il convient donc de s’en féliciter."

TourMaG.com - Un autre exemple ?

J.B. :
"L’ouverture de ligne Paris/Panama montre qu’Air France a saisi toutes les opportunités, même pour une ligne qui, desservant ce petit pays latino-américain, ne pourra être porteuse que d’une centaine de milliers de passagers.

De surcroît, l’Etat panaméen a pris à sa charge une partie du risque attaché à l’ouverture d’une nouvelle ligne, en allouant 4,5 millions US$ à Air France pour couvrir une partie de ses frais promotionnels, ce qui est toujours bon à prendre dans cette période de disette de recettes et d’augmentation des coûts.

Ajoutons que l'an prochain, deux autres grandes destinations sont également prévues vers Brasilia et Jakarta."

TourMaG.com - Nous n’avons pas encore parlé des équipages ?

J.B. :
S'agissant des personnels navigants, il a été annoncé que la compagnie a chiffré le sureffectif à 350 pour les pilotes et à 700 pour les hôtesses et stewards.

TourMaG.com - Puisque la compagnie ouvre des lignes, cela signifie que les pilotes qui resteront en place devront être plus productifs ?

J.B. :
"C’est là que le bât blesse ! En effet, améliorer la productivité en augmentant le temps de travail des navigants et en réduisant la composition de l'équipage à un personnel navigant commercial pour 45 passagers, soit un de moins sur long-courrier, n’est pas anodin."

TourMaG.com - À savoir ?

J.B. :
"Plusieurs syndicats - non seulement français, mais également européens - se sont opposés aux nouvelles conditions de travail élaborées par l'AESA, “Agence européenne de la sécurité aérienne”, au sujet des limitations de temps de vol.

Si ces représentants des pilotes - qui ne sont pas les seuls, mais les derniers responsables dans la chaîne de responsabilité du déroulement des vols, et les premiers concernés en cas d’accident - réagissent, c’est qu’il y a forcément de bonnes raisons.

Et les commentaires suivants sont inquiétants :

- L’AESA “défend un texte au service des contingences économiques des compagnies aériennes et au détriment de la sécurité des passagers”.

- L’AESA va autoriser : “des temps cumulés d’éveil extrêmement longs de plus de 22 heures, au moment de l’atterrissage, à l’issue de longues périodes d’astreinte et de longs temps de vol ; des vols de nuit à la durée portée à 12 heures, alors que les études scientifiques ont fixé la limite à 10 heures ; la possibilité de contourner des règles strictes sur les horaires de service, en contradiction avec les rythmes circadiens, à l’image des enchaînements de départs très matinaux ; des équipages d’astreinte sans limitation de durée, avec impossibilité de planifier leur sommeil pendant de nombreux jours”.

- Cette réglementation “met clairement en danger la sécurité des vols, et en conséquence celle des passagers dans le ciel européen”."

TourMaG.com - Alors, comment supporter cet excès de pilotes qui alourdi les coûts ?

J.B. :
"Pour réduire l’inadéquation qui a toujours existé entre offre et demande de pilotes, il existe plusieurs façons de procéder qui ont été présentées dans mes écrits et qui ne peuvent être résumées dans votre interview. Elles figurent, dans mon récent ouvrage “mieux comprendre…"

Le transport aérien”. cépaduès éditions. Cliquer sur : cepadues.com/

TourMaG.com - Une conclusion ?

J.B. :
"Il n’y a pas à conclure, car nous sommes en pleine conjecture. Disons simplement que depuis des décennies, lors des périodes de récession, de tels plans ont vu le jour.

Or, étant donné que les phases de ralentissement de l’activité ont toujours été suivies d’une reprise, puisque le nombre de passagers transportés est en constante progression, force est de constater que dans la phase de reprise :

- la perte du savoir-faire des personnels qui ont été mis à la retraite anticipée est préjudiciable à l’efficience de la compagnie ;

- il est alors urgent de procéder à des embauches qui ne sont pas forcément opérationnelles dans de brefs délais ;

- quant aux employés restés en place, ce sont eux qui - comme déjà dit - supportent la charge de travail supplémentaire, en devant travailler plus vite et mieux.

Bien sûr, on ne peut pas imaginer qu’Air France ne soit pas au courant de toutes les données à prendre en compte. Alors, il reste à espérer que les efforts engagés par la compagnie permettront d’assurer sa pérennité.

Gageons donc que les dirigeants actuels en la personne d’Alexandre de Juniac, président d’Air France/KLM, de Frédéric Gagey, PDG d'Air France, de Bruno Matheu, directeur général long courrier et de Patrick Alexandre, directeur général commercial, - équipe dont les compétences sont reconnues - réussiront avec la participation de tous les personnels, à relever le défi de remettre le groupe sur les rails."

*Ancien Commandant de bord, notre chroniqueur Jean Belotti est également expert auprès des tribunaux et écrivain. Voici une fiche bibliographique de ses ouvrages.

“mieux comprendre… Le transport aérien”
Editions VARIO - Préface de Gérard FELDZER.
(500 pages, dont un glossaire ; 729 renvois en fin d’ouvrage)
http://www.cepadues.com

"Les accidents aériens, pour mieux comprendre". Frédéric COUFFY Éditions - 1999.
12, rue de Nazareth 13100 Aix en Provence. Tél : 04 42 26 18 08. Fax : 04 42 26 63 26

"Les Titanics du ciel". FRANCE-EUROPE-EDITIONS - 2001
9, rue Boyer BP 4049 06301 Nice Cedex 4

"Chroniques aéronautiques". VARIO - 2003
1034, rue H.Poincaré 83340 Le Luc en Provence

"Le Transport International de Marchandises". VUIBERT - 3ième édition en 2004.
www.vuibert.fr

"Une passion du ciel". NOUVELLES EDITIONS LATINES - 2005
1, rue de Palatine 75006 Paris

"Pour mieux comprendre… Le transport aérien", Editions VARIO. Préface de Gérard FELDZER, 2012

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