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Jean Belotti : faut-il craindre la disparition d'Air France ?

L'interview de J. Belotti, expert aérien et ancien commandant de bord



Rédigé par Jean BELOTTI le Mardi 19 Février 2013

TourMaG.com - Il y a quelques mois, Air France ayant enregistré de lourdes pertes, était au plus mal, et sa survie avait même été mise en doute ?

Jean Belotti :
"Effectivement, après avoir annoncé de lourdes pertes en 2011, les analystes avaient prévu un doublement des pertes en 2012 pour Air France/KLM.

Raisons de ces pertes : notamment, la hausse du prix du carburant ; la moindre croissance économique ; la concurrence des “low-cost” (dont Ryanair, avec sa flotte de plus de 280 appareils et plus de 8 millions de passagers par mois ; EasyJet qui, dans les 12 derniers mois, a transporté plus de 55 millions de passagers).

Alors, la crainte de voir disparaître Air France est-elle fondée ?

Il est vrai que des compagnies de tout premier rang - telles Swissair et Sabena en Europe - ont disparu de l’échiquier, depuis plusieurs années. Tout récemment, après l'espagnole Spanair, la compagnie hongroise Malev a cessé ses opérations, faute de liquidités suffisantes.

Ces deux cessations d’activité traduisent les grandes difficultés des compagnies régulières européennes face non seulement aux “low-cost”, mais également aux compagnies du Golfe ou asiatiques, pour celles qui assurent une activité long-courrier.

Cela étant dit :

- Air France a signé d’importants accords de coopération qui montrent qu’elle s’intègre dans la mutation du marché mondial. C’est ainsi que l’alliance Sky Team, devenue une des meilleures alliances mondiales à rattrapé son retard sur Star Alliance, par le nombre de points desservis dans le monde, les fréquences, les avantages clients et le nombre de partenaires.

- Le projet "Best" - de montée en gamme sur le long-courrier, pour devenir l'une des meilleures compagnies du monde, en termes de qualité de services B777 (par la mise en place d'un siège plus confortable et d'une configuration des sièges moins dense entre 2014 et 2016) - va concerner 44 Boeing.

- Très bien pensée également, la stratégie de développement sur la Chine, pour faire de Paris le point privilégié des Chinois en Europe et d’attirer les hommes d’affaires européens sur ses avions, offrant un excellent produit comparable à celui de la concurrence.

- La création de HOP, regroupement des filiales régionales Britair, Regional et Airlinair (98 avions de 48 à 100 sièges assurant près de 500 vols par jour, vers plus de 130 destinations françaises et européennes), gagnera en autonomie de gestion.

Mais, bien que n’étant pas une vraie low-cost, ce regroupement bénéficiera de certains avantages de la maison mère (programme de fidélité Flying Blue, probablement quelques vols en partage de codes, etc...).

Tout cela ne peut être que de bon augure pour sa pérennité d’AF/KLM.

Pour terminer avec le titre “la fin programmée d’Air France”, la prise en compte des données actuelles conduit à considérer que le risque est faible, ce qui a été confirmé par son président : “En termes juridiques, une OPA lancée par des intérêts non européens est impossible, car ils ne pourraient pas prendre plus de 50% du capital”.

En revanche, notre ex-compagnie nationale ne disparaîtra pas dans le sens qu’elle aura cessé d’exister, mais sera de plus en plus intégrée dans des ensembles, de plus en plus importants, voire supranationaux, qui fera que nous ne reconnaîtrons plus notre compagnie nationale, avec son glorieux passé, celui que nous avons connu."

(*) Commentaires sur la suppression des poste de Transform 2015

1.- Il a été indiqué la suppression d’environ 5.000 postes de personnels au sol, de l’ordre de 1.000 postes PNC et de 500 postes pilotes, sera essentiellement traitée par des plans de départ volontaires (pré-retraite et retraite), soit 10% des 60.000 employés d’Air France.

Sur l’économie prévue de 900 millions d’€, il convient de déduire environ 300 millions qui seront consacrés la réorganisation de l’activité et des processus de travail signés par les organisations professionnelles, ce qui permettra de travailler mieux avec moins d’effectif, comme c’est également le cas dans d’autres compagnies, sous la pression de la concurrence.

2.- Alors que l’économie réalisée, estimée à environ 300 millions d’€ par an, sera effective à partir de 2013/2014, il convient de préciser que pour la première année, cette économie sera équivalente au coût des départs volontaires. Cela laisse présager que les années suivantes seront donc bénéficiaires.

3.- Au sujet des réductions d’effectifs, force est de constater la situation paradoxale suivante : alors que tous les plans dits de “restructuration” mis en place, depuis des décennies, ont comporté des coupes importantes dans les effectifs, le trafic aérien a été, quant à lui, en constante augmentation. Cela signifie que :

- soit les premiers et successifs personnels qui ont été licenciés, ou mis en retraite anticipée, étaient vraiment très peu productifs (puisque que l’entreprise a continué à fonctionner sans eux), ce qui est une éventualité non fondée ;

- soit les personnels restant en place ont supporté des charges de travail de plus en plus importantes, entraînant, de facto, des conditions de travail dégradées et, souvent, une diminution de la qualité des prestations dues à la clientèle, ce qui est une éventualité quasi-certaine.

Ayant, à plusieurs reprises, montré les effets pervers de ces mesures de redressement, il reste à espérer que ne seront pas touchés les postes touchant la sécurité des vols (formation, conditions de travail, maintenance,...), tout en déplorant la perte du “savoir-faire” de personnels qui, de toute façon, à plus ou moins long terme, seront remplacés par des nouveaux, moins expérimentés.

4.- Le gel des salaires - alors que le panier de la ménagère coûte de plus en plus cher ; que tous les autres coûts augmentent (gaz, électricité, essence,…) - ne peut conduire qu’à la démotivation des personnels qui, de surcroît, ne recevront plus les primes liées à la productivité et aux promotions.

De plus, l’annonce de contrats à durée déterminée et de contrats d'intérim est une solution qui n’est pas de nature à motiver les personnels, alors préoccupés par l’insécurité de leur emploi.

Quant à avoir davantage recours à la sous-traitance, il n’est pas certain que cela serait moins coûteux que les propres prestations internes de la compagnie, sauf à solliciter des entreprises de bas niveau, peu coûteuses, mais peu performantes sur le plan de la fiabilité, voire de la sécurité.

5.- Augmenter la productivité en augmentant le temps de travail des navigants en passant de 530 à 655 heures de vol par an, sur moyen-courrier et à 730 heures sur long-courrier et en réduisant la composition de l'équipage à un personnel navigant commercial (PNC) pour 45 passagers, soit un de moins sur long-courrier, appelle quelques commentaires.

Ces dispositions ont été acceptées par les pilotes - pas encore par le PNC - alors que non seulement leurs syndicats français, mais également européens, viennent de s’opposer aux nouvelles conditions de travail élaborées par l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), au sujet des limitations de temps de vol (Flight Time Limitations - FTL).

Si ces représentants des pilotes - qui ne sont pas les seuls, mais les derniers responsables dans la chaîne de responsabilité du déroulement des vols, et les premiers concernés en cas d’accident - réagissent, c’est qu’il y a forcément de bonnes raisons.

Et il est inquiétant de lire que l’AESA “défend un texte au service des contingences économiques des compagnies aériennes et au détriment de la sécurité des passagers” ; qu’il “met clairement en danger la sécurité des vols, et en conséquence celle des passagers dans le ciel européen”, qu’il va autoriser :

- des temps cumulés d’éveil extrêmement longs (plus de 22 heures !) au moment de l’atterrissage, à l’issue de longues périodes d’astreinte et de longs temps de vol ;

- des vols de nuit à la durée portée à 12 heures, alors que les études scientifiques ont fixé la limite à 10 heures ;

- la possibilité de contourner des règles strictes sur les horaires de service, en contradiction avec les rythmes circadiens, à l’image des enchaînements de départs très matinaux ;

- des équipages d’astreinte sans limitation de durée, avec impossibilité de planifier leur sommeil pendant de nombreux jours".

6.- Supprimer plusieurs lignes non rentables ou réduire la fréquence de desserte, voire la suppression de certains vols, indépendamment de la réaction d’une certaine clientèle pénalisée, entraîne une part plus importante des frais généraux sur chaque heure de vol.

On ne peut s’empêcher de penser à l’époque où était pratiquée la “péréquation", consistant à faire une ponction sur les lignes bénéficiaires, afin d’indemniser celles déficitaires, ce qui permettait d’irriguer l’ensemble du territoire national.

7.- Tout en déplorant l’existence de tels plans, le traitement social choisi par Air France semble moins drastique que celui d’autres compagnies, également contraintes de procéder à d’importantes réductions de leurs coûts (comme British AW, Ibéria, ElAl, et tout récemment les compagnies des pays nordiques).

--- *** ---

Depuis des décennies, lors des périodes de récession, de tels plans ont vu le jour. Or, étant donné que les phases de ralentissement de l’activité ont toujours été suivies d’une reprise, puisque le nombre de passagers transportés est en constante progression, force est de constater que dans la phase de reprise :

- la perte du savoir-faire des personnels qui ont été mis à la retraite anticipée est préjudiciable à l’efficience de la compagnie ;

- il est alors urgent de procéder à des embauches qui ne sont pas forcément opérationnelles dans de brefs délais ;

- quant aux employés restés en place, ce sont eux qui - comme déjà dit - supportent la charge de travail supplémentaire, en devant travailler plus vite et mieux.

Bien sûr, on ne peut pas imaginer qu’Air France ne soit pas au courant de toutes les données à prendre en compte. Alors, il reste à espérer que les efforts engagés par la compagnie permettront d’assurer sa pérennité."

*Ancien Commandant de bord, notre chroniqueur Jean Belotti est également expert auprès des tribunaux et écrivain. Voici une fiche bibliographique de ses ouvrages.

"Les accidents aériens, pour mieux comprendre". Frédéric COUFFY Éditions - 1999.
12, rue de Nazareth 13100 Aix en Provence. Tél : 04 42 26 18 08. Fax : 04 42 26 63 26

"Les Titanics du ciel". FRANCE-EUROPE-EDITIONS - 2001
9, rue Boyer BP 4049 06301 Nice Cedex 4

"Chroniques aéronautiques". VARIO - 2003
1034, rue H.Poincaré 83340 Le Luc en Provence

"Le Transport International de Marchandises". VUIBERT - 3ième édition en 2004.
www.vuibert.fr

"Une passion du ciel". NOUVELLES EDITIONS LATINES - 2005
1, rue de Palatine 75006 Paris

"Pour mieux comprendre… Le transport aérien", Editions VARIO. Préface de Gérard FELDZER, 2012

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Tags : belotti
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Commentaires

1.Posté par pascal le 19/02/2013 14:31 | Alerter
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Quand c'est bien, il faut le dire aussi. Très bon article, objectif et bien documenté.

2.Posté par phil le 16/03/2013 09:15 | Alerter
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contrairement a ce que vous dites Monsieur, Germanwings est plus que jamais le bars armé de la luft sur le court / moyen courrier allemand...

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