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Investir dans les destinations touristiques, ce n’est pas seulement construire des infrastructures !

Chronique de Brice Duthion, Manager filière tourisme, Campus Sud des Métiers, CCI Nice Côte d’Azur


Jean Castex, le Premier Ministre a présenté le Plan de reconquête pour le secteur du tourisme. La formation et les enjeux RH est un des piliers de ce plan qui vise à valoriser les métiers et à recruter de nouveaux talents. Mais pour Brice Duthion, Manager filière tourisme, Campus Sud des Métiers (CCI Nice Côte d’Azur), ces annonces qui montrent une volonté politique pourraient être insuffisantes... Analyse.


Rédigé par le Mercredi 24 Novembre 2021

Plan de reconquête : Si les annonces sont intéressantes et traduisent une volonté politique que les prochaines semaines confirmeront ou pas dans leurs lancements effectifs et leurs premières applications, on peut facilement penser qu’elles seront notoirement et rapidement insatisfaisantes - Depositphotos.com Auteur IgorVetushko
Plan de reconquête : Si les annonces sont intéressantes et traduisent une volonté politique que les prochaines semaines confirmeront ou pas dans leurs lancements effectifs et leurs premières applications, on peut facilement penser qu’elles seront notoirement et rapidement insatisfaisantes - Depositphotos.com Auteur IgorVetushko
Durant les dernières semaines, à l’occasion de quelques déplacements dans différentes régions françaises, j’ai rencontré de nombreux professionnels du tourisme, tous secteurs confondus, et d’échanger avec eux sur les conditions de la reprise du tourisme en France.

Ou plus précisément sur les conditions des reprises en France, tant les situations territoriales et par secteurs d’activités semblent être multiples et spécifiques.

Il apparaît que les déclarations ou projections du printemps 2020 à l’époque du premier confinement n’étaient, au mieux, qu’imparfaites. Le « monde d’après » ressemble dans ses grandes lignes à celui du « monde d’avant », parfois en mieux, mais souvent en moins bien.

Parce qu’il génère de profondes insatisfactions, inquiétudes et frustrations. A la fois par les ambitions affichées en matière de taux de croissance, de flux de visiteurs ou de remboursements du PGE qui arriveront dans quelques semaines. Plusieurs éléments semblent cependant correspondre aux prédictions partagées notamment lors cette période inédite durant laquelle les flux de voyageurs s’étaient arrêtés d’un coup dans le monde, plongeant alors chacune et chacun d’entre nous dans la contemplation de son horizon d’immédiate proximité : la reprise plus lente du trafic aérien notamment pour les long-courriers, le retour tardif et encore incertain des clientèles lointaines.

Et affirment une ambition commune, noble, est affichée, celle de verser dans un monde touristique d’après-crise soucieux de la préservation de la planète.

Une étude de l’ADEME publiée en avril de cette année a d’ailleurs quantifié pour la première fois précisément la part prise par le tourisme dans l’émission de gaz à effet de serre : 11%, dont les trois-quarts sont dûs aux mobilités. La sensibilité des citoyens et des entreprises aux questions environnementales s’affirme chaque jour.

Ces éléments sont partagés et sont considérés désormais comme l’alpha et l’omega de toute stratégie. Les dernières rencontres « Convergences » organisées à la Grande-Motte les 9 et 10 novembre ont eu par exemple pour objectif d’anticiper les futures tendances et de réduire l’empreinte carbone du tourisme régional d’Occitanie.

La toute récente présentation du Plan de reconquête et de transformation du tourisme, le 20 novembre dernier, sur les rives de la Loire au Clos Lucé, a spécifié les ambitions en la matière.

Le Plan Tourisme Durable va être abondé de 70 millions d’euros pour engager des actions sur l’ensemble du territoire et théoriquement pour toutes les activités touristiques, en métropole et outre-mer (infrastructures de loisirs et de transports, renouvellement des classements des hébergements touristiques, etc.).

Le triomphe posthume d’une « vieille lune politique » qui annonce

Le sujet que personne n’avait identifié lors des premières semaines du confinement du printemps 2020 et qui prend chaque semaine un peu plus d’ampleur, malgré les annonces de négociations entre partenaires sociaux, porte sur la fin du monde du travail d’avant… Lors de la reprise de l’activité durant l’été 2020, de nombreux professionnels manifestaient leurs premières craintes et posaient une question toute simple : comment remettre au travail des gens qui ont vécu un autre monde, un autre rythme, une autre réalité ?

Un restaurateur rencontré au Pays basque en août 2020 affirma même, sous le sceau de la plaisanterie, que cette situation traduisait « le triomphe posthume » du programme présidentiel de Benoit Hamon en 2017 et son projet de « revenu universel ». La société est-elle désormais mûre pour cette expérimentation économique et sociale ? Est-ce cela le monde d’après du travail dans le tourisme ?

La question lancinante dont la presse généraliste s’est fait l’écho depuis l’été dernier, celle de la crise des vocations et des recrutements qui touche le secteur dans son ensemble, a inspiré le premier axe du Plan de reconquête et de transformation « Conquérir et reconquérir les talents ».

Ce dernier a pour ambition de « valoriser les formations, les métiers et carrières du secteur touristique » et de « structurer une filière d’excellence du tourisme ».

Cet axe est décliné en trois mesures, à hauteur de 18 millions d’€ : lancer une grande campagne nationale de communication et instituer une semaine des métiers du tourisme pour valoriser les métiers et carrières du secteur, notamment auprès des jeunes (mesure 1), déployer des guichets d’accueil et d’orientation des saisonniers dans les territoires touristiques (mesure 2), créer un réseau d’excellence des écoles et formations du tourisme chargé de renforcer et de rendre attractives et visibles les formations du tourisme, permettant la création de 400 places d’étudiants entre 2022 et 2024 (mesure 3).

Si les annonces sont intéressantes et traduisent une volonté politique que les prochaines semaines confirmeront ou pas dans leurs lancements effectifs et leurs premières applications, on peut facilement penser qu’elles seront notoirement et rapidement insatisfaisantes.

Les créations annoncées dès 2022 d’une campagne de communication de niveau national et d’une semaine des métiers du tourisme sont attendues et proposées depuis longtemps (pour un budget de 10 millions € sur deux ans), l’amélioration des conditions d’embauche et de fidélisation des saisonniers semblent justifiées.

La création d’un réseau d’excellence d’écoles et de formations du tourisme semble revisiter des ambitions déjà éprouvées, notamment lors du lancement de la CFET il y a déjà quelques années. S’appuyer sur des réseaux existants, les Campus des métiers et qualifications (CMQ), qui éprouvent dans bien des cas des difficultés à vivre et développer des projets collectifs, ne constitue sans doute pas l’idée du siècle.

Car ce n’est pas uniquement en renforçant ce qui ne fonctionne pas réellement, voire est impossible à mettre en œuvre, que l’on arrivera à « faire monter en qualité » comme il est espéré.

Cela permettra seulement à « faire monter en quantité », comme on peut le craindre, l’offre de formations. Ce qui, dans le fond, est le contraire de ce qui était escompté. En fait, les propositions du plan semblent bien imparfaites et incomplètes au regard des enjeux RH du tourisme en France.

Abandonner les logiques de filières pour appréhender la réalité des destinations

S’il est permis de d’apporter une contribution spontanée au débat, un récent échange tenu à Clermont-Ferrand la semaine dernière lors des Rencontres métropolitaines du tourisme a permis de délimiter quelques enjeux propres aux questions humaines et d’emplois à l’échelle d’une destination touristique.

- Le premier enjeu repose sur l’idée même d’une destination touristique. Comment se fait-il que les formations, et que les établissements qui les délivrent, ne soient pas constitués ou associés selon une logique partenariale à l’échelle d’une destination ? Cette idée simple mériterait de repenser l’organisation des dispositifs de formation, en y associant les collectivités, les entreprises, les organismes de compétences, les établissements de formation, mais aussi Pôle emploi ou l’APEC. Et dépasserait les rivalités de clochers, transgresserait les limites administratives souvent éculées.

- En parallèle de cette logique à l’échelle d’une destination, le deuxième enjeu doit porter sur une refonte complète du système éducatif. Dans de nombreux pays, les entreprises sont associées en amont au processus. Qu’est-ce que cela peut-il signifier ? Une compréhension prospective des besoins des entreprises, des évolutions des métiers et des compétences professionnelles, une pédagogie fondée sur la mise en situation mais surtout une construction collective de l’offre de formations, sans privilégier le diplôme au détriment du métier. Le système de formation doit illustrer les potentialités du territoire et ne pas dépendre principalement des relations des établissements et des égos des formateurs.

- Le troisième enjeu doit envisager d’abandonner l’approche traditionnelle des métiers du tourisme par filières, cloisonnées. Les parcours professionnels sont aujourd’hui mobiles et le seront encore plus demain. La base de tout projet de destination doit s’appuyer sur les compétences et les savoir-être. Le tourisme n’est pas une science, ses métiers ne font pas partie de ceux, sauf exception, à fort besoin de technologie. La vision des métiers doit être globale à l’échelle de toute destination. On a l’impression que le plan ne pourra déboucher au mieux que sur une ènième réformette…

- Enfin, les souffrances exprimées par les salariés depuis un an, leurs désaffections du secteur, leurs revendications n’apparaissent nullement dans le projet éducatif esquissé par le Plan. Ce n’est pas en augmentant le nombre d’étudiants qu’on résoudra collectivement leur problème d’insertion et de parcours professionnel. Ce n’est pas en créant 400 places d’étudiants en plus ou de postes d’enseignants-chercheurs que la situation va s’améliorer. Surtout quand on connait les processus de recrutement de ces derniers. Il faut revenir aux fondamentaux, à savoir l’humain et les problématiques RH à l’échelle de toute destination. Les besoins ne seront certainement pas les mêmes selon les régions ou les métropoles, à Paris et sur la Côte d’Azur, dans les Hauts de France et à Lyon, en Alsace ou dans la Creuse ! Cela doit passer par une décision à l’échelle des territoires et des destinations, en mettant en lumière les besoins particuliers, nécessitant un temps de formation court et une réactivité rapide.

Investir dans les destinations touristiques, ce n’est pas seulement construire des infrastructures ! « L’investissement d’aujourd’hui créé l’offre de demain » comme le rappelle souvent Christian Mantei, président d’Atout France. Cela est vrai pour les infrastructures, cela doit le devenir pour les métiers, donc l’avenir des futurs salariés. Investir dans un nouveau projet éducatif à l’échelle des destinations françaises s’avère indispensable.

Sans préjugé, sans dogme, sans prosélytisme. Avec le seul mot d’ordre que les emplois de demain s’imaginent aujourd’hui. Selon un modèle à inventer. Le Plan annoncé pourra certainement contribuer à reconquérir une partie des emplois perdus, mais certainement pas en l’état à transformer, malgré son titre, et conquérir de nouveaux talents si les recettes proposées demeurent celles du monde d’avant…

Brice Duthion - DR
Brice Duthion - DR
Brice Duthion est manager du projet Campus sud des métiers tourisme de la CCI Nice Côte d'Azur. Il est également consultant et expert indépendant en tourisme, culture et développement territorial. Il intervient auprès de nombreux acteurs publics et privés, est expert auprès de l'Open Tourisme Lab, du CNFPT et de l'INSET de Dunkerque et fait partie de l'équipe des blogueurs du site etourisme.info.

Il a été auparavant maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers (Le Cnam), enseignant et tuteur à l'Ecole Urbaine de Sciences Po Paris, vice-président de la Conférence des formations d’excellence en tourisme (CFET) et membre fondateur de l'Institut Français du Tourisme (IFT).

Brice Duthion est l'auteur de nombreux ouvrages et articles spécialisés en tourisme. Il a assuré la direction de la collection "tourisme" aux éditions de Boeck supérieur. Il est, enfin, l'auteur de plusieurs MOOC mis en ligne sur France Université Numérique (FUN).

brice.duthion@cote-azur.cci.fr

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