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Black List : "Les systèmes actuels ne peuvent éliminer les ''avions poubelles''!

l'interview de Jean Belotti, expert aéronautique


Le crash d'Yemenia a mis en exergue l’inutilité de la “black list” européenne qui ne concerne pas les avions "poubelle" mis en bout de ligne, même si à ce jour rien ne permet d'affirmer avec certitude qu'il s'agissait du cas de l'Airbus A310 de la Cie. Mais la "black list" mondiale n'est-elle pas une utopie en l'état actuel ?


Rédigé par Jean DA LUZ le Vendredi 3 Juillet 2009

Siem Reap Airlines, une compagnie thaïlandaise de bout de ligne black listée par l'Union européenne
Siem Reap Airlines, une compagnie thaïlandaise de bout de ligne black listée par l'Union européenne
TourMaG.com – Le crash de la compagnie Yemenia met-il en exergue l’inutilité de la “black list” européenne et les avions "poubelle" mis en bout de ligne par certaines compagnies peu scrupuleuses ?

Jean Belotti :
J’ai déjà longuement développé les difficultés qui résulteraient de la mise en place d’une telle liste noire dans de précédentes chroniques.

Elles peuvent être consultées dans mon récent ouvrage “Chroniques aéronautiques” dont vous faites actuellement la présentation sur votre site. Cela étant dit, permettez-moi tout d’abord de vous faire remarquer, comme à l’accoutumée, la précipitation générale quant aux hypothèses des causes de cet accident.

En effet, quelques heures à peine après le crash - alors qu’aucune information pertinente sur la cause de sa survenance n’est encore connue - toutes les réactions qui ont été transmises par les médias mettent en cause de l’avion, écartant ainsi toutes les autres causes.

Quel standard de sécurité choisir ?

TourMaG.com : Effectivement, entre autres, Dominique Bussereau a mis en avant la nécessité d’une “black list” mondiale. Est-ce la solution selon vous ?

J.B. :
Indépendamment des causes encore inconnues de cet accident, il ne fait aucun doute de la bonne intention ayant présidé à cette proposition.

En effet, il est logique d’estimer que les normes à respecter ne peuvent pas être uniquement régionales, nationales, européennes, américaines, mais mondiales.

C’est d’ailleurs sur ce postulat que l’OACI (Organisation Internationale de l’Aviation Civile) a été créée et publie des recommandations (facultatives) et des normes (obligatoires).


TourMaG.com : Mais comment décerner un label de portée internationale ?

J.B. :
Il ne peut être délivré que par une institution mondiale à créer qui devra, en premier lieu, définir les critères sur lesquels elle s’appuiera pour attribuer son Label : les standards internationaux de l’OACI, organisme international qui existe depuis 1944 et dont les normes sont inférieures à celles américaines (chapitre 121 des règlements FAR pour les avions de 60 passagers et plus, et FAR 135 pour les avions de30 passagers ou moins), lesquelles sont inférieures à celles européennes (JAR) qui correspondent à des standards de sécurité plus élevés (contraintes opérationnelles, maintenance, sûreté, formation et entraînement des équipages, etc...) ?

IOSA : près de 1000 points de contrôle

TourMaG.com : La liste « blanche » IOSA n’est-elle déjà pas suffisante pour pallier aux lacunes en la matière ?

J.B. :
Vos lecteurs ne connaissant pas tous la signification de IOSA (“IATA Operational Safety Audit”), alors quelques précisions. Il s’agit du premier audit utilisé globalement et utilisant des standards internationaux harmonisés.

Le label est délivré par l’IATA (Association internationale des compagnies aériennes) après vérification du respect des exigences d'un référentiel de sécurité, en considération des certifications reconnues en référence à des normes européennes et/ou internationales incontestables.

Ce programme est actuellement considéré et reconnu comme un programme d’évaluation et de certification standard en matière de sécurité et de qualité opérationnelle des compagnies aériennes.

Il comporte près de 1000 points de contrôle permettant d’évaluer la compagnie aérienne dans plusieurs domaines : organisation et système de management, opérations de vols, contrôle opérationnel, maintenance et engineering, opérations à bord, opérations au sol, gestion du fret et sécurité des opérations.

Plus de 200 compagnies aériennes sont certifiées IOSA, dont environ 120 font partie de l’IATA.

Vérifier les conditions de travail des équipages

TourMaG.com : Donc cela va dans le bon sens . De plus, il y a les contrôles SAFA sur les aéroports ?

J.B. :
Les contrôles SAFA (“Safety Asssesment of Foreign Aircrafts” pour “Evaluation de la sécurité des aéronefs étrangers”) ont été initialisés en 1996, par la CEAC (Conférence Européenne de l’Aviation Civile).

Les médias s’en sont fait l’écho à la suite de l’accident de CharmelCheikh. Indépendamment du fait d’être peu fréquents (donc à efficacité réduite).

Il est bon de rappeler qu’ils se font actuellement au niveau des règles internationales de l’OACI et non pas au niveau des propres règles du pays où est effectué le contrôle, sachant - comme je vous l’ai dit - que les règles européennes (JAA) et américaines (FAR) sont au dessus du standard OACI.

Dès lors que l’on évoque une règle mondiale, il convient de savoir si ces types de contrôles seront faits dans tous les pays ?


TourMaG.com : Même si ces contrôles ne sont pas nombreux, ils peuvent être à l’origine d’un meilleur entretien des avions par “la peur du gendarme” ?

J.B. :
Vous avez raison de le signaler, mais ils ne permettent pas de vérifier les conditions de travail des équipages.

C’est ainsi que dans une compagnie américaine, volant pour le compte d’une compagnie de transport de fret européenne, les pilotes américains n’ayant aucune couverture sociale, volaient même en étant malades, car s’ils ne volaient pas, ils n’étaient pas payés. On imagine aisément les conséquences sur la sécurité des vols de la constitution d’un tel équipage !


TourMaG.com : Ces contrôles SAFA n’étant pas assez nombreux, s’agirait-il d’une question de moyens ?

J.B. :
Effectivement. Quand on sait que depuis des décennies, l’Organisme de Contrôle en Vol (OCV) est très nettement sous-équipé pour être en mesure d’assurer sa mission de contrôle des équipages, comment l’Administration de tutelle peut-elle réussir à mettre en place un corps plus dense d’auditeurs en tenant compte de leur provenance, de leurs différentes qualifications, du nombre à recruter et des coûts ?

De plus, et cela est essentiel à retenir, quel que soit le contenu et le nombre de contrôles, ils ne pourront porter que sur l'aspect “documentaire", à savoir : des vérifications “visuelles” de l’avion (état des pneumatiques, des gilets de sauvetage, des équipement de bord, etc... ) et des documents officiels de bord. Il n'est pas question d'audit technique, encore moins d'audit social.

Equipages : carences dans la formation ?

TourMaG.com : Alors, au lieu de ces contrôles inopinés, partiellement efficaces, n’est-il pas envisageable de faire des contrôles plus approfondis ?

J.B. :
Sachant que les voyagistes utilisent les services de quelques 250 compagnies et qu'un audit sérieux ne peut se faire en moins d’une semaine par compagnie, il est déjà plausible d’émettre des doutes quant à la possibilité d’engager à court terme une telle vérification générale de tous les avions composant les flottes des compagnies internationales.

TourMaG.com : Pourrait-on le faire, la sécurité des vols en serait-elle améliorée ?

J.B. :
Probablement sur les lignes internationales. Mais, débarquant d’un vol international, vous pouvez très bien continuer votre voyage sur des avions de compagnies locales, dont l’autorisation de vol et les contrôles ne dépendent que de l’Etat d’immatriculation de l’aéronef.

TourMaG.com : N’existe-t-il pas d’autres moyens de vérifier si une compagnie est “sûre” ou pas ?

J.B. :
Vous pensez peut-être au nombre d’accidents, d’incidents, de vols retardés, etc... Mais tant qu’il n’a pas été formellement démontré que la compagnie était responsable, il est impossible de conclure.

TourMaG.com : Mais il y a quand même des signes précurseurs, tel l’accident de l’avion d’Air France à Toronto ?

J.B. :
Effectivement, à la suite de cet accident, une information a circulé concernant un rapport interne concluant à des carences dans la formation des équipages.

Mais est-ce suffisant pour mettre Air France sur une “liste noire” ? Et comment pourrait-on envisager que ces grandes compagnies que sont Air France/KLM, Luftbasa, British Aw, Quantas, etc .. soient, un jour, mises sur une liste noire ?

Impact sur l’image de marque de la compagnie

TourMaG.com : Pouvez-vous nous dire deux mots sur les conséquences d’apparaître sur une liste noire ?

J.B. :
La première conséquence est l’impact sur l’image de marque de la compagnie qui lui restera attachée pendant des années. Rappelez-vous le slogan lancé par les américains, il y a bien longtemps : “Air France Take a Chance !”.

On imagine la difficulté pour une compagnie figurant sur une liste noire, de se débarrasser de cette réputation, même après avoir remontré patte blanche, quand on sait le temps qu’il faut pour créer une image de marque et celui qu’il faut pour la restructurer quand elle a été détruite !

Tenir compte également qu’à la suite des anomalies ayant justifié la sanction d’être sur une liste noire, des mesures correctives on pu être rapidement engagées, alors quand la sanction sera-t-elle levée ?


TourMaG.com : Mais il est quand même urgent de sanctionner ces “avions poubelles”?

J.B. :
Effectivement. Le territoire européen est aussi desservi par plusieurs compagnies étrangères, au sujet desquelles, malheureusement, il existe une méconnaissance de leurs conditions d’exploitation.

Ce n’est qu’à l’issue des rapports d’accidents ou incidents que sont mis en exergue des dysfonctionnements, anomalies, insuffisances, tous facteurs accidentogènes, dont plusieurs échappent aux audits sur documents.


TourMaG.com : Finalement, au lieu de promulguer des textes dont l’efficacité apparaît comme étant douteuse et touchant toute l’industrie, dès lors qu’un audit n’est pas concluant, ne serait-il pas plus simple et efficace d’interdire les compagnies qui ne sont pas en conformité avec les règlements européens (JAR) ?

Ainsi, toute compagnie susceptible de se poser sur le sol français ou européen devrait alors être une compagnie connue et reconnue, ayant répondu de façon satisfaisante et continue à des critères techniques et non pas à un audit documentaire et purement administratif ?

J.B. :
Cela écarterait les avions américains qui sont soumis aux normes américaines (FAR). Et comment refuser une compagnie qui respecte les normes OACI ?

En fait, la principale difficulté quasi- insurmontable, est que les aspects relevant du domaine technique (maintenance, contrôles de qualité, impasses, etc...) et du domaine social (formation, contrôles en sol et sur simulateur, constitution des équipages, temps de travail, dumping social, ...) dépendent uniquement du pays d’immatriculation de l’aéronef.


TourMaG.com : Cet appareil d’Yemenia avait déjà fait l’objet de remarques techniques importantes de la part de la DGAG. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné dans la chaîne des responsabilités ?

J.B. :
Ne connaissant pas les détails de ces remarques, je ne suis donc pas en mesure de répondre.

Classements web : pas représentatifs

TourMaG.com : En l’absence des boîtes noires devrons-nous, une fois encore, nous contenter d’un gros point d’interrogation concernant les causes de l’accident ?

J.B. :
Comme vous le savez, il y a deux principales boîtes noires. L’une enregistre les sons et bruits perçus et émis dans le cockpit. L’autre enregistre de très nombreux paramètres de vol (vitesses, températures, accélérations, caps, altitudes, etc... etc...).

Elles fournissent les informations indispensables à la connaissance de la cause de la survenance de l’accident et comment cela s’est déroulé dans le temps.

Sans elles, il ne reste malheureusement que certains constats (sur les débris, les corps des victimes, ...) qui peuvent, quelques fois, permettre d’écarter certaines hypothèses, mais rarement d’en valider une.

Tel est le cas de l’accident du vol AF447 où le BEA (Bureau Enquêtes et Analyses) vient d’annoncer que l’analyse des débris a permis d’écarter l’hypothèse d’une explosion en vol.


TourMaG.com : On voit fleurir sur Internet toutes sortes de sites qui prétendent classer les compagnies aériennes en fonction de leur "dangerosité". Qu'en pensez-vous ?

J.B. :
Ces classements, même s’ils se fondent sur certains faits connus et données statistiques ne sont en rien représentatifs de la dangerosité des compagnies.

Pour mesurer cette dangerosité, il faudrait - comme je vous l’ai dit - avoir accès aux domaines technique et social des compagnies et aux conditions de travail des centaines d’ateliers agréés des Etats les plus laxistes en la matière.

De plus, une compagnie peut être dangereuse un jour et ne plus l’être le lendemain. Inversement, une compagnie peut être “sûre ” un jour et ne plus l’être le lendemain.

Une compagnie peut avoir eu plusieurs accidents dans lesquels elle n’a aucune responsabilité, ayant respecté strictement tous les textes en vigueur et avoir, cependant, mauvaise presse.

Inversement une compagnie peut avoir le vent en poupe, donc être “blanche” alors que de très nombreux incidents et anomalies existent, et ne seront révélés qu’à la suite d’un grave accident. Les exemples sont nombreux.


TourMag : Une conclusion ?

J.B. :
Etant donné les difficultés d’établir des critères vraiment représentatifs du degré de sérieux des compagnies, l’établissement de listes - qu’elles soient noires ou blanches - ne fait pas l’unanimité quant à leur importance dans l’amélioration de la sécurité. En revanche, l’institution d’un organisme de contrôle à vocation international serait probablement plus efficace.

Mais deux principales questions se posent. Comment mettre en place une telle structure (lieu du siège, nombre et nationalité des contrôleurs, financement, sous l’autorité de quel organisme, etc... ) ?

Comment réagiront les États souverains face à une intervention externe dans des domaines qui relèvent de leur propre administration de tutelle, intervention qui pourra être qualifiée d’ingérence ?

Finalement, retenons que malgré les nombreux progrès qui ont été faits, force est de constater que les systèmes actuellement en place ne sont pas en mesure d’éliminer les “avions poubelles” de nombreux Etats, bien connus, dont le niveau de sécurité est très nettement inférieur à la moyenne mondiale.

Pour aller plus loin : "Chroniques Aériennes" de Jean Belotti

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Alors que le contexte sécuritaire n'a jamais été aussi sensible en matière de transport aérien, notre chroniqueur Jean Belotti dont les lecteurs apprécient particulièrement les analyses et les contributions pertinentes, vient d'éditer ses "Chroniques Aéronautiques - de 2003 à 2008".

Ce 2e tome rassemble 47 chroniques particulièrement bien documentées et qui s'étalent sur 5 ans.

Une somme pour tous les professionnels concernés, de près ou de loin, par le vaste domaine du transport aérien.

Jean Belotti, ancien élève de l’ENAC (Ecole Nationale de l’Aviation Civile) et du Centre National de Saint-Yan, a mené une carrière de pilote à Air France : instructeur, chef pilote et chargé des relations extérieures de la Direction des Opérations Aériennes.

Président fondateur du CRETEL (Centre de Recherche en Economie des Transport et Etude de la Logistique). Docteur d’Etat es-sciences économiques, diplômé du Centre français de Management, il a été responsable d’enseignement à l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne.

(Voir article complet)

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Commentaires

1.Posté par Gilles Gompertz // Avico le 06/07/2009 09:37 | Alerter
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Bonjour,

la liste noire européenne est de création récente, elle reste donc à améliorer/amplifier. Il faut cependant noter qu'elle est d'une réelle efficacité, tant pour écarter les compagnies qui ne mettent pas tout en oeuvre pour atteindre un bon niveau de sécurité que pour faire pression sur celles qui sont encore d'un niveau inférieur aux standards attendus.

Il me semble donc important de soutenir cette démarche, imparfaite, pour l'améliorer, avant de l'enfoncer, et même si cela n'empêche pas de la compléter par d'autres biais.

Cordialement,

Gilles Gompertz

2.Posté par serge Prevot le 06/07/2009 13:14 | Alerter
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Aurons nous le courage de mettre sur la liste noire, une Cie qui se propose d'acheter 50 Airbus, J'en doute !

3.Posté par Voyageur057 le 07/07/2009 12:56 | Alerter
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Exemple intéressant: photo de Siem Reap Air, black listée en EU, mais filiale à 100% de Bangkok Airways. Siam Reap a cessé ses activités mais quid de la sécurité sur Bangkok Airways?

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