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''Commission zéro : il n’y a pas que la France concernée...''

intervention effectuée lors du dernier congrès de l’UPAV


Le journaliste belge Patrick Anspach, est considéré comme l’un des meilleurs observateurs européen de l’industrie aérienne. Lors du dernier congrès de l’UPAV à Tozeur, a fait le point sur la situation. Suite à notre demande, il a accepté la publication par nos soins de l'intégralité de son exposé.


le Jeudi 21 Octobre 2004

Sous le titre « Les menus sont prêts; ne manque que la décoration! », il a fait le tour complet de la problématique de la commission zéro. (ndlr : les sous- titres sont de la rédaction)

"Quand les responsables de votre association me demandent de prendre la parole, c'est généralement pour aller fouiller dans les coffres-forts des compagnies aériennes, vous parler de leurs intentions à votre égard et aussi pour vous mettre en garde.

Je me suis déjà frotté à cet exercice à deux reprises et je dois admettre - malheureusement, penseront certains - que mes prédictions se sont vérifiées.

Au congrès d’Amman, le 17 novembre 1997, je vous avais dit que "les compagnies jouent leur jeu" et que "vous êtes de trop", que la volonté des agences de voyages américaines de boycotter Delta, suite à sa décision de créer une commission unique de 25 $ quel que soit le vol, ne servirait à rien, que ce n'était qu'un début et qu'internet pourrait être un solide outil des transporteurs pour vendre en direct.

(…)

A celui qui a eu lieu à Saly (Sénégal), le 25 novembre 2002, j'évoquais la diminution de la commission de 9% à 7% en vous indiquant qu'on se dirigeait tout naturellement vers la commission zéro (même de la part de SN Brussels Airlines), que la restructuration était nécessaire, tout comme l'importance des frais de dossier.

Quelques petites précautions oratoires

- D'abord, je ne suis pas le représentant d'une compagnie aérienne. Ne me demandez pas non plus si j'estime leur politique juste ou non. Je ne vous dirai que ce que je vois. Et peut-être que cette vision n'est pas non plus le reflet de la réalité.

- Lors de la réunion préparatoire, il m'a été dit de ne pas faire de catastrophisme.

La nécessité absolue de comprimer les coûts

Cela fait plusieurs années que les compagnies cherchent à comprimer leurs coûts de production. Elles sont obligées de le faire depuis la déréglementation du transport aérien dans les années quatre-vingts et le début des guerres tarifaires; elles le sont encore davantage depuis l'apparition des compagnies low-costs. Low-cost signifiant d'abord compagnies "à bas coûts de production" et pas "à tarification basse" ("low-fares"), mais c'est évidemment lié.

Pour préparer mon intervention, j'ai voulu savoir quelle était la proportion que prennent les frais de distribution dans une compagnie comme SN Brussels. Je n'ai pas pu les obtenir; il paraît que c'est confidentiel. Je suis allé voir dans les statistiques de l'AEA. Les derniers chiffres disponibles sont ceux de toutes les compagnies membres en 2002 sur leurs services réguliers internationaux. On constate que sur un poste dépenses de 216 € par billet vendu, la distribution représente 34 €, soit environ 15,74%. N'oublions pas que la marge bénéficiaire - quand il y en a - ne dépasse rarement que les 6% . C'est le poste le plus faible de tous les acteurs du secteur, toujours selon l'AEA.

Face à des coûts incontrôlables, comme le pétrole, certains postes sont plus maléables (comme les frais en personnel) et les frais de distribution en est un et non des moindres. Toutefois, il y a là, pour les compagnies, un jeu difficile à jouer, dans la mesure où interviennent des intermédiaires. Supprimer leurs rémunérations présente des risques. Par exemple, si on agit seul, on risque fort que ceux-ci s'adressent à la concurrence. Il faut donc que la politique menée soit unanime.

Toute les compagnies sont favorables à la commission zéro

Selon le principe qui veut qu'il n'y ait pas d'ententes entre compagnies, celles-ci attendent toujours un "signal". Il vient généralement du transporteur le plus puissant sur un marché. Après, tout le monde - ou presque, comme on va le voir - suit le mouvement. Car il faut bien se dire que toutes les compagnies sont favorables à la commission zéro, où que ce soit dans le monde et que, progressivement, le système sera généralisé car toutes ont intérêt à ce système.

Le seul écueil peut résider dans des périodes intermédiaires d'adaptation de la clientèle - je veux parler des passagers - aux nouveaux principes de distribution. C'est pourquoi, les transporteurs caressent encore les agents de voyages dans le sens du poil, ne fût-ce que pour se garantir la clientèle qui ne peut se passer de ces intermédiaires. C'est donc cette période d'adaptation qui rend la situation actuelle assez confuse.

On l'a très bien vu avec les lettres envoyées pour annoncer le passage à la commission zéro. La première, venant de Lufthansa a été envoyée aux AGV belges le 22 juin. Elle a été suivie par SAS le 23, LOT, le 24, SNBA le 28, Air France le 30, etc. Sont venues s'ajouter Iberia, Alitalia, KLM, Finnair, Austrian (mais pour le 1er février); British Midland le 17 août et, plus récemment American Airlines pour une commission zéro en avril. On sait aussi que Virgin et VLM garderont 7%, quoique pour Virgin, il faudra voir ce que SNBA en pensera.

Le point sur les compagnies opérant en Belgique

Le 7 octobre, la situation était la suivante:

- Compagnies à 0% dès le 1er janvier:
AF, AY (Finnair), AZ, BD, CO, IB, KL, LA (Lan Chile), LH, LO, LX, MA (Malev), NH (ANA), OK, SN, UA.

- Compagnie à 1% le 1er janvier:
EI

- Compagnies à 0% le 1er février:
OS, SK

- Compagnie à 0%, le 1er mars:
TP

- Compagnies à 0% le 1er avril:
AA, SQ, TG (Thai)

Les compagnies factureront-elles des frais ?

Ce désordre est dû au fait que la notion de "délai raisonnable" n'est pas spécifiée. Il y a d'autres incertitudes à caractère légal, comme la notion d'agent commercial, de prestataire de services, de mandataire ou que sais-je, mais je ne m'aventurerai pas ici sur des questions dont pourront débattre les éminents juristes qui sont dans cette salle.

D'autres incertitudes subsistent encore et je songe aux frais de dossier ou "transaction fees" que les compagnies envisagent elles-mêmes d'appliquer. Là aussi, il me semble que chacun épie l'autre pour voir quelle sera l'attitude à adopter. C'est ennuyeux aussi pour les intermédiaires de voyages car ils n'ont toujours pas la certitude que les compagnies aériennes ne leur feront pas une concurrence directe en vendant leurs propres produits moins chers.

Le fournisseur qui fait concurrence à son distributeur

Je crois néanmoins que la seule attitude à adopter sera de faire comme si les transporteurs veulent vous faire une concurrence directe. Elles gagneront sur l'absence de commissions à payer, mais aussi sur leurs propres frais de dossier. Il faut quand même partir du principe que les compagnies veulent économiser et donc vous payer moins. Ce sera donc à vous à récupérer les sommes perdues d'une autre manière.

On m'a dit, lors de la préparation de ce dossier que ce serait le seul secteur où le fournisseur ferait concurrence au distributeur. Je ne crois pas. La vente en usine existe. La notion "du producteur au consommateur" n'est pas nouvelle. Et après tout, si vous vous abonnez à un journal, il vous coûte moins cher qu'en l'achetant chez le libraire. On me rétorquera que l'abonnement est une notion différente, mais soit. Malgré cela, je crois que les compagnies - même si elles ont encore besoin de vous - veulent vous faire concurrence.

Et pour ce faire, les idées ne manquent pas. J'ai encore en mémoire les "jours de tarifs fous" d'Air France avec "réservation et achat uniquement sur www.airfrance.be jusqu'au 9 septembre".

D'ailleurs, quand je parle d'intermédiaires, je ne pense pas qu'aux agents de voyages, je songe aux GDS, mais aussi aux actions menées par les compagnies pour limiter les envies des voyageurs de s'adresser à leurs propres call-centers (qui coûtent cher) et même à leurs propres comptoirs de vente. Leur vision, à l'heure actuelle en tout cas, est la plus grande proportion de vente par internet, avec réservation électronique, e-ticketing, etc.

Regardez, à ce titre, les récentes décisions d'America West, Northwest, American, Continental, United et US Airways de faire payer des réservations par téléphone ou aux comptoirs des aéroports.

Un phénomène mondial

Il ne faut pas croire que la Belgique (ndlr ou la France), pour on ne sait trop quelle raison, serait innovatrice en la matière et que, par conséquent, il faudrait combattre l'initiative par tous les moyens et "rendre par la même service au Monde"!

En Scandinavie (Norvège, Danemark, Suède), la commission zéro est effective depuis janvier 2003.

En Finlande, la commission zéro a été introduite en septembre 2003 (mais les compagnies ont gardé une rémunération de 1 € par segment de vol, m'a-t-on dit).

En France, la commission zéro est attendue pour avril 2005. Il y a eu un accord en ce sens entre le SNAV et Air France, mais à ce que j'ai lu, il est combattu à l'intérieur-même du SNAV.

En Allemagne, la commission zéro a débuté en septembre 2004 et les service fees varient entre 30 et 45 € pour les vols LH (selon BTO) et entre 40 et 60 € (selon TM qui ajoute qu'elle est de 10 à 30 € pour les low-costs).

Au Royaume-Uni, la commission est de 1% depuis décembre 2003 et BA demande 15 € par réservation internet, les agences étant libres de facturer ce qu'elles veulent.

En Autriche, la commission a été réduite jusqu'à 5% seulement, aux dernières nouvelles.

Quels ont été les effets de ces différentes mesures ?

- D'abord, on a constaté que toutes les compagnies ont instauré le principe des "service fees" réduisant en quelque sorte la concurrence. Ce qui n'exclut pas des actions ponctuelles.

- Ensuite, les agences "bonnes vendeuses" se sont vu offrir par les compagnies des espèces de super-commissions en fonction du volume traité. Evidemment, ici tout dépend de la force des négociateurs. Et dans le cas des agences de voyages, il est évident que lorsque certaines compagnies ne jouent pas le jeu, elles constituent des alliés de poids, même involontaires, dans les discussions.

- Troisième constatation assez intéressante: dans les pays concernés, ce sont surtout les agences intermédiaires qui ont souffert. Pas les grandes chaînes d'agences, pas non plus les agences de niches, spécialisées dans l'un ou l'autre domaine et connues pour ça ou celles, comme me l'expliquait un interlocuteur, de "Monsieur et Madame qui ont bâti leur agence dans leur garage". Celles qui ont le plus perdu seraient donc les "mini-chaînes", mais pas dans de grandes proportions.

Maintenant, il ne faut pas voir la vie en rose non plus. Une oratrice du dernier congrès a dit que, depuis fin 2001, il y avait environ 30.000 agences qui avaient disparu aux Etats-Unis. Evidemment, cela n'est pas dû à la commission zéro, mais plus aux conséquences des attentats de septembre 2001.

Elle a dit aussi que celles qui se sont maintenues gagnent plus qu'avant. Ce qui est intéressant - mais vous me contredirez peut-être, est qu'en Belgique, le secteur a plus ou moins bien marqué le coup après 2001. Il n'y a pas eu beaucoup de fermetures. Le passage à la commission zéro, annoncé depuis un an au moins, va-t-il s'avérer plus mortel? Personnellement, je ne le crois pas.

Ce qui me paraît certain, en revanche, est que cela va devenir de plus en plus difficile. Oh, je ne dis pas qu'un jour vous ne gagnerez pas plus qu'un journaliste - cela me paraît impossible -, mais il est vrai que si vous ne réalisez votre chiffre que sur les commissions de billets d'avions, il faudra trouver des remèdes. Je suppose - j'espère! - que vous vous y êtes déjà tous attelés. Car une fois de plus, je voudrais vous dire que ce n'est qu'un début.

Quels sont les dangers ?

Je crois, d'une manière générale, que toutes les actions entreprises pour contrer la commission zéro, si elles ne sont pas nécessairement vouées à l'échec, ne pourraient au mieux que retarder un processus inéluctable. La seule chose qui pourrait faire revenir des commissions - peut-être occultes -, ce sera lorsque les grandes compagnies, voire les alliances internationales comprendront que la concurrence se joue aussi entre les hubs des compagnies.

Vous savez tous que pour aller de Belgique vers l'Asie, il faut forcément passer par un autre grand aéroport européen: Londres, Francfort, Copenhague, Vienne, Helsinki, etc. On peut fort bien imaginer que Oneworld instaurera des commissions pour les vols vers Londres (BA) ou Helsinki (Finnair), Star Alliance vers Vienne (AUA), Francfort (LH) ou Copenhague (SK), SkyTeam sur Schiphol (KL) ou Paris (AF), etc. J'ai déjà entendu ces réflexions, mais n'y comptons pas de si tôt.

Comment faire passer le message au consommateur ?

Si le principe est acquis, la question que tous vous devez avoir en tête, c'est comment faire passer le message au voyageur? Le danger est évidemment que des clients viennent chez vous, posent de multiples questions et puis se décident à aller faire leur réservation sur internet. Il faut réagir! Trois possibilités:

Le système de l'avocat
- Pour 20 €, vous avez droit à trois questions.
- Combien?
- 20 €!
- C'est pas un peu cher?
- C'est comme ça! Il vous reste une question.

Le système de l'horloger
Autant de questions qu'on veut, le temps que s'écoule un sablier.

Le système collégial

Si le client vous pompe l'air avec ses questions, vous pouvez lui confier:
- Écoutez, j'en ai marre de vous renseigner, mais si vous voulez me rendre service, allez faire le même cinéma chez mon concurrent d'en face.
Évidemment, il y a 50% de chance qu'il vous réponde:
- Mais c'est lui qui m'a envoyé ici!

Évidemment, on pourrait imaginer que l'UPAV - ou mieux, l'ensemble des organisations de voyages - détermine(nt) les mêmes fourchettes de "transaction fee", mais je crois qu'il faut être très prudent car on risque fort de frôler les limites des ententes illicites.
En tout cas, cette notion ou même celle de "Business Model" devraient faire l'examen de vos juristes.

A l'inverse, si rien n'est fait, les agences professionnelles risquent de faire les frais d'agences incompétentes. Je m'explique. Vous savez que vos recettes proviennent aujourd'hui à 25% des commissions des compagnies aériennes. Vous calculez au plus juste vos frais de fonctionnement et vous divisez le montant par les heures consacrées au service à la clientèle (je simplifie). Vous calculez vos frais de dossier selon un Business Model et l'appliquez.

Pendant le même temps, votre concurrent qui n'a pas fait les mêmes calculs va appliquer des transaction fees plus bas pour les mêmes services. Logiquement, il ne devrait pas s'en tirer, mais le temps qu'il s'en aperçoive, il vous aura sûrement causé déjà beaucoup de tort. Franchement, je ne sais pas s'il y a de réponse à ce danger. A méditer tout de même.

Une qualité de service que le client accepte de payer

Quoi qu'il en soit, il me semble que l'agent de voyage doit créer un service que le client se sent prêt à payer. Là, il y a indéniablement un effort de communication à réaliser et je laisse cela aux spécialistes. Mais on peut partir du principe que le Belge est connu pour accepter de payer s'il semble que le service lui a été apporté.

Une crainte et une note positive

La crainte est qu'il n'est pas impossible que s'installe dans l'esprit des tour-opérateurs le sentiment qu'avec la commission zéro, c'est à eux seuls que reviendra le financement des billets d'avions. Peut-on imaginer qu'à leur tour, ils revoient le principe des commissions.

Il me paraît important de percevoir qu'il faut se méfier de ceux qui se disent vos amis. Mais au moins, dans cette éventualité, l'expérience de la commission zéro avec les compagnies aériennes vous aura préparés à la riposte. C'est positif, ça, non?

La note positive est qu'à mon sens, les compagnies aériennes vont continuer à avoir besoin de vous.
- Certes, je crois que les compagnies aériennes vont continuer à passer au-dessus de vos têtes, en innovant toujours davantage pour favoriser la vente directe.
- Certes, le passager va toujours se laisser guider par l'"occasion" et le billet le moins cher et ne s'adaptera peut-être pas tout de suite aux frais de dossier.

Mais je crois que passés quelques mois, voire quelques années, le principe de la vente directe aura clairement montré ses limites. Le site internet d'une compagnie n'est jamais que le reflet d'un produit et ce que souhaite le client, c'est la comparaison et même une comparaison réalisée par un professionnel, sinon il aura l'impression - peut-être même erronée - de passer à côté de la bonne affaire qu'il n'aura pas découverte. Plus le secteur du voyage va se compliquer (ou se "complexifier"), plus il aura le coeur à se rabattre sur une personne de confiance.

Patrick Anspach - redaction@tourmag.com

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