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Michel Salaün : « Mon père m’a enseigné la culture du travail » !

L'interview "je ne vous ai rien dit..." par Dominique Gobert


Personnage totalement atypique dans le paysage touristique français, Michel Salaün est un redoutable interlocuteur. Breton, que dis-je, Finistérien jusqu’au bout des ongles, il garde profondément ses attaches familiales. Pudique, pas du tout ostentatoire, c’est aussi un gentil, qui dissimule souvent sa discrétion par un humour teinté de provocation qui l’amuse. Doué d’une intelligence remarquable, cet épicurien, travailleur infatigable mais taiseux, à l’instar de son père, garde un regard lucide sur la vie…


le Lundi 22 Juillet 2019

"Je suis un chef d’entreprise et la seule solution pour développer ses affaires quand on est Finistérien, c’est de partir !" - DR : Salaün Holidays
"Je suis un chef d’entreprise et la seule solution pour développer ses affaires quand on est Finistérien, c’est de partir !" - DR : Salaün Holidays
TourMaG.com - Michel Salaün, qui êtes-vous ?

Michel Salaün :
Je suis Breton, Centre-Finistérien, né à Quimper, élevé à Pont-de-Buis et vivant à Bénodet.

Finalement, je n’ai pas trop parcouru de distances, puisque je vis à 15 kilomètres de la ville où je suis né, et travaille à environ 50 kilomètres de Bénodet. Il me faut environ 40 minutes pour me rendre de l’un à l’autre.

TourMaG.com - C’est tout ? Pas suffisant tout ça. Quel homme êtes-vous ?

M.S. :
Je suis Breton, donc forcément déterminé. Certains pourraient dire un peu têtu, mais j’ai toujours su ce que je voulais.

Je suis né dans une entreprise d’autocars, mes parents passaient leur temps à travailler, samedi, dimanche, donc j’ai pris, dès mon plus jeune âge, le goût au travail.

Quand j’étais collégien, j’allais chez mes grands-parents le week-end. A cette époque, mon père conduisait ses cars et j’aimais bien aller chez mon grand-père, ancien gendarme, qui avait toujours de superbes histoires à raconter.

J’ai fait mes études à Saint-Louis à Châteaulin, une école catholique des Frères de La Mennais. J’ai passé un Bac « D », puis je suis allé en DUT Transport-Logistique à Quimper.

Je n’étais pas vraiment passionné par les études. J’ai fait un IUT en un an, c’est-à-dire que je me suis arrêté là ! Je ne m’y plaisais pas.

"J’ai sillonné l’Europe en autocar"

"J’ai roulé comme conducteur dans l’entreprise familiale pendant 5/6 ans, en tant que chauffeur-guide. Et j’ai sillonné l’Europe en autocar" - DR : Salaün Holidays
"J’ai roulé comme conducteur dans l’entreprise familiale pendant 5/6 ans, en tant que chauffeur-guide. Et j’ai sillonné l’Europe en autocar" - DR : Salaün Holidays
En fait, 90% des élèves qui étaient là n’avaient pas été pris dans des IUT plus prestigieux.

Moi, ce qui m’importait c’était de passer mon permis « Transport en commun » et de travailler dans l’entreprise familiale.

Entre mon année d’IUT et une école que j’ai fait ensuite qui s’appelle Ecole de Direction des Transports Routiers, qui se trouvait au Tremblay-sur-Mauldre, à côté de Montfort-l'Amaury, je suis allé travailler en Allemagne, chez Setra, le constructeur d’autocars, à l’usine de montage.

Comme j’avais appris l’allemand en première langue, j’ai perfectionné cette langue et j’étais parfaitement bilingue après ces deux mois passés sur la chaîne… Un boulot très intéressant, humainement, où l’on apprend la rigueur germanique, avec des cadences de travail qui étaient soutenues !

Mais j’allais avec plaisir au travail.

J’ai donc passé mon permis de conduire Transport en Commun dix jours après avoir fêté mes 21 ans et j’ai commencé à rouler très rapidement : c’était ce que je voulais !

Dans une petite entreprise de 14 autocars, on avait davantage besoin de « tourneurs de volant », comme disait mon père, que de personnel au bureau. Mon père et moi avions largement de quoi nous occuper avec une heure de travail au bureau…

Donc, j’ai roulé comme conducteur dans l’entreprise familiale pendant 5/6 ans, en tant que chauffeur-guide. Et j’ai sillonné l’Europe en autocar.

TourMaG.com - Les cars Salaün, c’était déjà à l’époque une ouverture vers le tourisme ?

M.S. :
A mes débuts, mon père avait commencé à organiser quelques voyages en autocars. Mais Maman travaillant 17 heures par jour et 7 jours sur 7, il n’avait pas vraiment le temps de s’en occuper avec efficacité.

Il m’a donc suggéré, mon père étant quelqu’un de très réservé, que ce serait une bonne chose pour moi de m’orienter vers cette activité si cela me plaisait !

Et effectivement, en faisant voyager de plus en plus de clubs retraités, de comités d’entreprises, je me suis dit qu’en proposant beaucoup plus de voyages « clés en main », je pourrais élargir mon portefeuille et leur proposer de nombreuses destinations.

En fait, je n’ai jamais voulu ni cherché à faire autre chose que reprendre l’entreprise familiale.

Je ne veux pas dire que c’était une vocation mais ça me passionnait. J’étais passionné par les autocars, j’étais passionné par les voyages, j’étais passionné par le contact avec les clients !

Quand je m’y suis mis, j’ai édité un catalogue pour groupes constitués…

L'argent n'était pas un problème !

TourMaG.com - Toujours avec votre père ?

M.S. :
Bien sûr. A l’époque, j’avais 21 ans, je n’avais pas l’expérience, ni les conseils pour savoir ce qu’il fallait faire.

J’ai appris sur le tas et surtout, quand on voyageait à travers l’Europe et que vous côtoyez d’autres conducteurs, vous observez et étudiez ce que font les autres !

Nous, nous partions d’une feuille blanche et je me suis dit que j’allais organiser des voyages pour des groupes constitués uniquement.

Nous nous étions fait une spécialité du Tyrol autrichien. Personnellement, j’ai dû faire en 1983, huit groupes au Tyrol autrichien, soit huit allers-retours entre la Bretagne et l’Autriche comme conducteur-guide en autocar.

J’ai fêté mes 22 ans à Innsbruck avec un club de retraités du Finistère…

Ensuite, j’ai continué à développer l’entreprise, dans la mesure où nous avons rapidement connu le succès de ces voyages « clés en main ».

C’était la période de Voyages Conseil, filiale du Crédit Agricole, qui était très actif, avec le développement des clubs de retraités et des comités d’entreprise. Il faut savoir aussi qu’à l’époque, il y avait très peu de voyages en avion proposés pour cette clientèle.

Nous sommes rapidement passés de 14 cars à une bonne trentaine de cars de grand tourisme et là, j’ai dit à mon père qu’il serait intéressant de faire des opérations de croissance.

A un moment, en effet, la croissance organique a ses limites, surtout quand vous êtes Finistérien, vous êtes assez limité par vos frontières maritimes. Et nous avons commencé à racheter quelques entreprises…

TourMaG.com - Toujours en auto-financement ?

M.S. :
Non, un petit peu de financement… Vous savez, l’argent n’était ni un problème, ni un souci. On en gagnait peu dans nos activités « autocars » et les bénéfices qui étaient réalisés étaient tout de suite réinvestis dans l’achat de cars neufs. Ça a toujours été la philosophie de la maison.

En 1990, j’ai ouvert ma première agence de voyages « physique » à Brest et une seconde à Quimper, les deux plus grosses villes du Finistère.

Nous nous sommes lancés sur le voyage individuel à cette époque !

Ramener nos clients heureux de leur voyage !

"En voyant l’ouverture du marché, je me suis dit que je ne pouvais pas rester Finistérien avec quelques autocars" - DR : Salaün Holidays
"En voyant l’ouverture du marché, je me suis dit que je ne pouvais pas rester Finistérien avec quelques autocars" - DR : Salaün Holidays
TourMaG.com - Votre père était toujours à la tête de l’entreprise ?

M.S. :
Mon père partageait les décisions avec moi. Il m’a laissé faire. Quand il trouvait que j’étais un peu trop… audacieux dans les investissements, il m’en faisait la remarque, tout en me laissant me « démerder » afin de trouver les clients pour remplir nos cars !

J’ai eu la chance quand j’ai intégré l’entreprise que mon père soit âgé de 56 ans. Il était finalement content que j’intègre l’entreprise sans vraiment échanger beaucoup avec moi sur le sujet.

TourMaG.com - C’est-à-dire ?

M.S. :
C’était un taiseux. Il était heureux, fier, mais pas expansif.

TourMaG.com - Est-ce à dire que c’est un peu vous qui êtes rentré dans l’entreprise en le forçant ou bien était-il vraiment content mais il ne vous l’a jamais dit ?

M.S. :
Non, il était très heureux mais…

Un jour, mes parents m’ont dit que si je reprenais l’entreprise pour rester derrière le volant d’un car, ce n’était pas vraiment ce qu’ils attendaient. En fait, il suffisait que je manifeste l’envie d’aller plus loin.

Jusque-là, nous avions l’ambition de bien faire notre travail, pas d’avoir forcément une très grosse entreprise, mais de ramener nos clients heureux des voyages que nous leur organisions !

Il n’y avait pas une volonté de croissance externe à tout va.

Mais en voyant l’ouverture du marché, je me suis dit que je ne pouvais pas rester Finistérien avec quelques autocars. Il y avait beaucoup de demande de la part des clients, lesquels revenaient très heureux de leurs périples.

Dans ces années 90, je me suis aperçu que, pour aller plus loin, j’avais besoin de recruter. Quand on est seul, on ne peut conduire qu’un car ! Nous avions déjà des conducteurs mais au bureau, nous étions seuls, mon père et moi.

Et je me suis dit qu’il fallait embaucher des commerciaux, des forfaitistes… Pas facile dans une petite entreprise comme la nôtre où nous pensions que seul le patron savait travailler au bureau…

En fait, il n’y avait pas de staff intermédiaire entre le patron et les chauffeurs, excepté le comptable qui faisait le bilan une fois par an.

Les clients ont voulu aller « plus loin »

Quand nous avions le temps, on regardait ce bilan, on savait que c’était positif et ce n’était pas ce qui nous préoccupait le plus. Mais, en fait, il y avait le patron et les chauffeurs, c’est tout.

J’ai donc commencé à persuader mes parents qu’il fallait engager du personnel au bureau. Mais c’était tout un cérémonial : il fallait passer l’entretien à la maison, au cours d’un déjeuner… C’était un peu le cérémonial obligatoire.

C’est à cette époque que j’ai recruté Stéphane Le Pennec (l'actuel directeur général, ndDG).

Lui, il a réussi son IUT Technique de Commercialisation et il avait fait son stage chez nous.

TourMaG.com - Vous étiez amis d’enfance ?

M.S. :
Non, il est plus jeune que moi. Je l’ai connu lorsqu’il est venu me solliciter pour son stage d’IUT.

Après avoir fait son stage chez nous, je devais le recruter, mais je n’avais pas la licence d’agent de voyages. Et comme lui n’avait pas le permis Transport en Commun, j'avais du mal à persuader mon père qu’il fallait embaucher un commercial !

Stéphane est donc parti travailler chez un confrère. Mais j’ai réussi à le persuader de venir chez nous en 1992 ! Nous sommes restés constamment en contact et même s’il travaillait chez un concurrent, nous avons toujours gardé des relations amicales.

TourMaG.com - Qui subsistent encore maintenant ?b

b[M.S :
Bien sûr. Quand Stéphane est rentré dans la société, c’était l’époque charnière : je venais de me lancer dans les voyages aériens !

En effet, tous les clubs de retraités, comités d’entreprise que j’emmenais au Tyrol, en Espagne, puis en Hongrie, en Pologne ont voulu aller « plus loin », vers le Canada ou la Thaïlande par exemple.

Au départ, cela ne m’intéressait pas vraiment, parce que ça ne faisait pas rouler les cars. Et, après tout, notre modèle économique, c’était les cars ! C’est comme un producteur de légumes, si on lui dit de fabriquer des yaourts !

L’activité « autocars » n’était pas l’activité qui se développait le plus

"Je connais 98% des destinations qui sont dans notre catalogue. Je suis toujours très actif sur la production, c’est ce qui m’a toujours plu…" - DR : Salaün Holidays
"Je connais 98% des destinations qui sont dans notre catalogue. Je suis toujours très actif sur la production, c’est ce qui m’a toujours plu…" - DR : Salaün Holidays
TourMaG.com - Vous avez quand même franchi le pas ?

M.S. :
Oui. En fait, quand Stéphane est rentré dans l’entreprise, il était directeur commercial, donc un « super commercial » ! Il n’avait pas de fonction de directeur général. Il était en charge de développer la clientèle Groupes constitués essentiellement.

Quand je lui ait expliqué ce que je faisais en clientèle individuelle, ça l’a aussi intéressé et nous avons commencé à travailler vraiment ensemble. Et là, j’ai beaucoup diminué mon activité de « chauffeur » !

Entre les opérations de croissance organique et les opérations de croissance externe, j’étais quand même arrivé à 70 cars en 1990.

De 1990 à 2000, nous avons poursuivi notre développement, tant sur l’autocar que sur la partie agences de voyages. Et vers les années 2010, j’avais quelque 300 autocars, 450 chauffeurs.

TourMaG.com - C’était énorme !

M.S. :
C’était relativement important. On a eu le plus gros parc d’autocars de Grand Tourisme en France et là, j’ai commencé à me poser un certain nombre de questions : je ne pouvais pas continuer à développer toutes ces activités telles l’autocar, le tour-operating, la distribution de voyages et le service Groupes qui était quand même notre première activité de voyagiste.

Quand vous êtes né dans les autocars et que vous avez des choix « raisonnables » à faire, pas facile. Mais l’activité « autocars » n’était pas l’activité qui se développait le plus.

Le grand virage de 2007

"J’ai revendu la plupart de mes sociétés d’autocars en 2017. Il m’en reste deux actuellement, une en Belgique et une à Toulon d’une quinzaine d’autocars" - DR : Salaün Holidays
"J’ai revendu la plupart de mes sociétés d’autocars en 2017. Il m’en reste deux actuellement, une en Belgique et une à Toulon d’une quinzaine d’autocars" - DR : Salaün Holidays
Ce qui me contrariait le plus c’étaient les appels d’offres, tous les 3 ou 5 ans, sur les services conventionnés, tout ce qui concerne la délégation de service public.

C’était beaucoup de travail et si vous perdiez les marchés, vous perdiez des marchés d’une centaine de cars. Ce qui pouvait être contrariant pour l’activité autocars.

Sachant qu’à l’époque, cette activité ne représentait que 20% de notre chiffre d’affaires autocars. Et que l’autocar, dans les années 2010, ne représentait que 30% du chiffre d'affaires du groupe.

C’est pourquoi, dès 2008, j’ai décidé de me séparer ou du moins de diminuer mon activité autocars avec une stratégie sur le moyen terme.

J’ai commencé à vendre toute mon activité « Transport scolaire » et « lignes régulières » à Veolia Transdev en 2008, et je suis passé de 300 cars à 150 autocars environ.

Ensuite, j’ai revendu la plupart de mes sociétés d’autocars en 2017. Il m’en reste deux actuellement, une en Belgique et une à Toulon d’une quinzaine d’autocars.

J’ai également opéré un gros virage en 2007 avec le rachat de National Tours. Je précise quand même que la revente des activité autocars n’est pas liée à un besoin de financement de National Tours !

National Tours, c’était notre premier concurrent, une très belle entreprise bretonne qui avait été créée par un groupement d’autocaristes bretons avec qui j’avais été en concurrence.

Je me suis posé beaucoup de questions quand j’ai appris que cette société était à vendre, hésitant sur l’achat en me disant que cela ne risquait que m’apporter des ennuis supplémentaires.

En même temps, cela ne pouvait que m’apporter une ouverture supplémentaire et m’ôter le risque de scléroser à la pointe de la Bretagne !

J’ai donc fait l’opération National Tours et j’ai continué à développer le réseau de distribution ainsi que nos marques, Salaün et National Tours, qui existent toujours actuellement.

Deux belles marques, un peu comme Fram et Plein Vent… à l’époque !

"La première fois que j’ai pris l’avion, c’était en 82/83"

TourMaG.com - Petit retour en arrière : quand vous vous êtes « emparé » de l’entreprise, vous aviez déjà en tête cette activité de voyagiste vers le monde ?

M.S. :
Vous savez, ce que mon père m’a inculqué, c’est la culture du travail. Mes parents n’ont jamais eu de résidence secondaire, nous allions en vacances une semaine au ski, tous les ans, en voiture avec mon père qui conduisait (comme s’il ne conduisait pas suffisamment dans l’année !).

L’été, j’ai été Scout de France et je suis allé au Maroc, je suis allé un peu partout et tout ça m’a donné le goût du voyage.

La première fois que j’ai pris l’avion, c’était en 82/83. Mais avant, je me déplaçais beaucoup en voiture. Je suis parti durant les vacances d’été en voiture vers la Pologne. En 88, je suis allé en Roumanie en voiture et à Istanbul avec des potes.

Dès que j’avais des vacances, je prenais ma voiture et je partais. Mais je ne prenais pas beaucoup de vacances !

Quand vous êtes Finistérien, les marins ont sillonné les océans et les autocaristes ont sillonné la France…

TourMaG.com - Est-ce que vous auriez pu être marin ?

M.S. :
Non ! Parce que je n’ai jamais été passionné par la navigation. Je me rappelle que les plus mauvaises vacances que j’ai passées, j’avais 14 ans : le mois de juillet, je faisais un « camp » scout et au mois d’août, mes parents m’avaient envoyé en stage de voile. Je détestais ça !

Les vacances ? Voyager en famille !

TourMaG.com - C’est quoi les vacances pour Michel Salaün ?

M.S. :
Voyager en famille. Découvrir de nouvelles contrées, de nouveaux pays, de nouveaux habitants. Découvrir les peuples, de nouveaux modes de vie et proposer ensuite à mes clients de partir avec nous.

TourMaG.com - Oui, mais ça, vous le faites à longueur d’année. Vous voyagez combien de temps par an ?

M.S. :
Oh, je pars environ entre 150 et 200 jours, cela dépend des années.

TourMaG.com - Et comment peut-on avoir une vie de famille quand on est sans arrêt à l’autre bout du monde ?

M.S. :
J’ai toujours privilégié les vacances scolaires pour partir avec mes enfants. Depuis qu’ils sont petits, nous sommes toujours partis durant leurs vacances.

En outre, mon épouse m’accompagne de temps en temps lorsque je fais des voyages « courts ». Mais dans l’ensemble, ça a toujours été mon mode de vie et je ne me pose même pas la question.

TourMaG.com - Finalement, seriez-vous un solitaire ? Un aventurier ?

M.S. :
Non, non : je suis un chef d’entreprise. Mais la seule solution pour développer ses affaires quand on est Finistérien, c’est de partir !

S’il n’avait fallu qu’une carte routière et un guide Michelin pour construire des voyages, j’aurais choisi une autre profession.

Quand vous faites - comme je l’ai fait sur la Russie où je suis le premier tour-opérateur français en étant Finistérien, sur les Etats-Unis où nous sommes dans les trois premiers TO français, sur le Vietnam - est-ce que vous pensez que c’est en restant à mon bureau, en consultant les cartes et les guides et embauchant du personnel que j’aurais pu réussir ?

TourMaG.com - Justement, c’est assez rare…

M.S. :
Non. Je connais 98% des destinations qui sont dans notre catalogue. Je suis toujours très actif sur la production, c’est ce qui m’a toujours plu…

Mais quand vous avez commencé avec un volant entre les mains ou sur le siège d’une voiture, vous avez toujours envie de voyager. Et moi, j’ai toujours envie de voyager.

Je vous ai dit que je n’aimais pas le bateau, donc si je pars, c’est pour aller vers l’Est et pas vers l’Ouest !

Je suis quelqu'un de très gentil...

"Je n’aimais pas le bateau, donc si je pars, c’est pour aller vers l’Est et pas vers l’Ouest !" - DR : Salaün Holidays
"Je n’aimais pas le bateau, donc si je pars, c’est pour aller vers l’Est et pas vers l’Ouest !" - DR : Salaün Holidays
TourMaG.com - Justement, cet engouement pour les pays de l’Est, c’est à cause de cette contrainte de rester « sur terre « ?

M.S. :
C’est, comme vous dites, les seuls parcours terrestres que nous pouvions faire en autocar.

En 1990, nos voyages se limitaient à Vienne, à Berlin, exceptionnellement au Portugal, à l'Espagne, l'Italie. A l’époque, je me souviens être allé en Tchécoslovaquie, mais quand vous passiez 8 heures à la frontière, vous n’aviez pas envie d’y envoyer des clients en autocar !

Lorsque le mur de Berlin est tombé, que ces frontières se sont ouvertes, j’ai pensé que cela allait être un terrain de jeu extraordinaire pour les voyages en autocar.

Mais après, je n’ai pas voulu envoyer mes clients à Moscou en autocar, même si nous l’avons fait, et c’est là que j’ai décidé de le faire en avion.

J’ai toujours été fasciné par l’Europe de l’Est, cette « nouvelle Europe » comme je l’appelle, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Hongrie… J’ai sillonné tous ces pays et la Russie ensuite. C’était en 1992, c’était la jungle. On ne trouvait pas un restaurant ouvert après 21h.

Je me suis mis à organiser des voyages en Russie et j’étais un des rares à le faire. Mais comme je disposais d’un « réservoir » de groupes constitués, avides de découvrir cette destination, ça a bien fonctionné !

Il est vrai que j’ai aussi bénéficié de la déconfiture de deux concurrents, Transtour et Inexco.

TourMaG.com - Certes, mais on vous sent toujours fasciné par ces pays que je qualifierais de totalitaires…

M.S. :
(rires) Mais pourquoi dites-vous que la Russie est un pays totalitaire ?

TourMaG.com - C’est de la provoc ? A l’époque, c’était très totalitaire. L’Union Soviétique…

M.S.
: Je ne fais pas de géopolitique et pas de politique non plus. J’envoie mes clients là où ils veulent aller, je les fais voyager en toute sécurité pour qu’ils découvrent le meilleur du monde.

TourMaG.com - N’empêche qu’à travers vos propos, cela ressemble à votre personnage. Vous êtes quand même un grand provocateur...

M.S. :
Non, pas du tout !

TourMaG.com - Vous tenez souvent des propos qui ressemblent à de la provocation. Vous êtes un « gentil » ou un « dur » ?

M.S. :
Je suis quelqu’un de très gentil.

Je ne suis pas allé au Venezuela, mais j’aimerais bien y aller !

TourMaG.com - Avec des propos parfois étonnants ?

M.S. :
Je ne vois pas de quoi vous voulez parler !

TourMaG.com - Quand vous vous adressez à un de vos commerciaux, roumain, et que vous l’appelez, je cite : « viens ici, toi le voleur de poules »…

M.S. :
Mais c’est parce que je l’aime bien. C’est un véritable ami !

TourMaG.com - Reconnaissez que vous êtes un personnage atypique et que vous cultivez cette image...

M.S. :
Comme beaucoup de gens dans la profession. J’aime bien quelquefois plaisanter.

TourMaG.com - Mais pour en revenir à ces pays totalitaires…

M.S. :
Si vous pouviez utiliser un autre mot.

TourMaG.com - Ces pays un peu dirigistes, si vous préférez…

M.S. :
Je n’irai pas sur ce terrain. Je suis allé au Vietnam, en Corée du Nord, je ne suis pas allé au Venezuela, mais j’aimerais bien y aller ! Pour l’instant, on me l’a fortement déconseillé. Et je suis toujours l’avis du MAE !

TourMaG.com - Vous êtes également épris de culture germanique ?

M.S. :
Comme je vous l’ai expliqué, j’ai appris l’allemand en première langue. Et j’ai eu un prof d’allemand absolument fascinant au collège, qui nous faisait étudier les textes de Thomas Mann et Bertolt Brecht, entre autres.

Il nous disait que, si nous étions passionnés par la littérature allemande, nous apprendrions l’allemand très rapidement.

Moi, je parle allemand, j’y ai fait beaucoup de voyages, j’y ai travaillé.

Je me souviens de mon père, qui avait acheté ses premiers cars allemands en 1968, période qui restait encore marquée par une certaine réminiscence de la guerre, tout le monde n’appréciait pas que l’on puisse alimenter l’industrie germanique. Mais en France, cette qualité n’existait pas !

"Nous avons à cœur de réduire notre empreinte carbone"

TourMaG.com - Autocars, voyages en avion... Et pourtant vous vous intéressez aussi au tourisme durable. En outre, vous êtes un passionné de voitures. Est-ce que tout ceci est bien compatible ?

M.S. :
Mais bien sûr. Cela fait maintenant une dizaine d’années que j’ai commencé à travailler sur des opérations de tourisme solidaire.

On a commencé avec l’Ouzbékistan où il y a beaucoup de besoins parmi les populations locales. Puis d’autres pays, et j’ai été moi-même très sensibilisé par ce qui a été mis en place afin de stopper tous ces autocars qui « fumaient » noir ! Je trouvais déjà ça lamentable.

Nous avons investi tout de suite et systématiquement dans toutes les nouvelles technologies concernant les autocars : Euro 2, Euro 3, etc. J’ai toujours été très sensibilisé là-dessus.

En revanche, en ce qui concerne les voitures, c’est vrai, j’aime bien les belles mécaniques. J’ai toujours eu le goût des belles voitures et j’ai effectivement fait quelques années de compétition automobile.

TourMaG.com - Vous avez même une écurie automobile, non ?

M.S. :
Oh, quelques voitures, essentiellement pour faire des opérations auprès de nos clients que l’on invite sur des circuits automobiles avec des pilotes : des comités d’entreprise, des agents de voyages, des clubs de retraités, des fournisseurs, etc.

Aujourd’hui, nous avons à cœur de réduire fortement l’empreinte carbone de l’entreprise, tant sur l’empreinte administrative pure et dure qui représente 3% des consommations totales que l’empreinte carbone globale des voyages que nous vendons.

"Nous travaillons de plus en plus avec des véhicules hybrides"

TourMaG.com - Mais vous gardez vos voitures ?

M.S. :
Une voiture est plus visible qu’un bateau. Et je n’ai pas de bateau. Les voitures que j’ai sortent 10 à 15 jours par an.

TourMaG.com - Peu importe. Je préfère que vous me disiez que vous aimez ces voitures et que c’est ainsi. Que pensez-vous d’ailleurs de ces tendances qui visent à tout interdire, y compris ces ayatollahs de l'écologie politiquement corrects ?

M.S. :
Vous avez fait la question et la réponse ! Pour le reste, je garde ma réponse.

Ce que je n’apprécie pas, c’est que ces gens ne soient pas porteurs des valeurs qu’ils vantent !

Par exemple, sur le parc de l’entreprise, aujourd’hui nous travaillons de plus en plus avec des véhicules hybrides (nous avons beaucoup de commerciaux). Mais il est certain que les véhicules électriques sont encore difficilement utilisables pour des parcours quotidiens… en province !

TourMaG.com - La vie pour vous, Michel Salaün, c’est quoi ?

M.S. :
Comme vous me connaissez un petit peu, je suis avant tout un épicurien. Et j’aime bien faire plaisir aux gens qui m’entourent. Tant dans l’entreprise que familialement. Voilà !

TourMaG.com - Vous avez bien des rêves, des envies ?

M.S. :
Je suis particulièrement heureux familialement et dans mon entreprise. Ça veut dire que je suis plus que passionné par ce que je fais, exalté par mon travail, même si au quotidien, il y a beaucoup de problèmes à régler.

Je sais de quoi je parle, étant confronté directement au quotidien de l’entreprise. Mais je suis toujours optimiste et positif. A tout problème, on trouve des solutions.

"Mon fils et mes filles semblent intéressés pour intégrer l’entreprise"

"Je suis né dans une entreprise d’autocars, mes parents passaient leur temps à travailler, samedi, dimanche, donc j’ai pris, dès mon plus jeune âge, le goût au travail" - DR : Salaün Holidays
"Je suis né dans une entreprise d’autocars, mes parents passaient leur temps à travailler, samedi, dimanche, donc j’ai pris, dès mon plus jeune âge, le goût au travail" - DR : Salaün Holidays
TourMaG.com - Vous avez trois enfants, deux filles et un garçon. Réfléchissez-vous ensemble à l’avenir ?

M.S. :
Oui, bien sûr. Nous en parlons souvent, soit à bâtons rompus, soit de façon plus formelle.

Mais régulièrement et dans l’orientation de leurs études, c’est surtout ce qui m’intéresse. Je veux qu’ils fassent ce qu’ils ont envie de faire et qui les rend heureux.

Mon fils, Hugo, mes filles aussi d’ailleurs, semblent intéressés pour intégrer l’entreprise. Mais je tiens avant tout à ce qu’ils aient un parcours extérieur avant de venir dans l’entreprise.

On ne rentre pas dans une boite de 650 salariés comme je suis rentré dans la boite de mon père où il suffisait de disposer de son permis de transport en commun, de tenir bien la nuit, de se reposer quand il le fallait et de ne pas « bigorner » les cars !

Aujourd’hui, les choses sont différentes : si mes enfants intègrent l'entreprise, j’en serai très heureux si c’est ce qu’ils veulent et s’ils s’épanouissent dans la reprise de la société. Mais je souhaite qu’ils aient un beau parcours avant et qu’ils ne soient pas écrasés par le système…

TourMaG.com - Écrasés par le système, c’est-à-dire ?

M.S. :
C’est-à-dire qu’ils n’aient pas les compétences requises pour les postes qu’ils voudraient intégrer.

TourMaG.com - Donc, vous allez les pousser aux études ?

M.S. :
Non, je ne les pousse pas. Mon fils est à l’ESCAET, il a un DUT, une de mes filles est à Bordeaux, l’autre passe son bac et veut rester à la maison, avec son papa et sa maman.

Vous savez, je ne suis pas du genre à parler boulot sans arrêt à la maison, mais je réponds à leurs questions...

TourMaG.com - Le repas dominical, c’est toujours le rôti de bœuf ?

M.S. :
(rire). Maintenant, on alterne. Mais il est vrai que l’on a toujours passé le dimanche ensemble quand je n’étais pas en voyage jusqu’à ce que mes enfants partent étudier plus loin !

Ce sont des sujets qui sont abordés sans pudeur et mes filles, qui sont plus jeunes, essaient de connaitre toutes les activités de l’entreprise ! Commerce, informatique, marketing, voyages de luxe, contrats hôteliers, tout semble les intéresser !

Si c’est leur souhait d’intégrer l’entreprise, je leur faciliterai les choses !

Un regret ? Ne pas avoir assez anticipé !

TourMaG.com - Mais vous, que souhaitez-vous ?

M.S. :
Ce qu’ils voudront. J’ai malheureusement 58 ans, et c’est dur.

TourMaG.com - C’est encore jeune…

M.S. :
Vous savez, personne ne se voit vieillir. Je me vois encore à 25 ans, conduire mes cars. Et je me sens toujours jeune.

Je me dis cependant qu’il me reste quelques belles années à travailler.

Si mes enfants, j’en serai heureux et fier, ont un beau parcours dans l’entreprise… Sinon, il faudra envisager d’autres solutions.

TourMaG.com - Si vous aviez quelque chose à changer ou à refaire…

M.S. :
J’aurais anticipé la cession des autocars. Je considère que j’ai perdu beaucoup de temps et c’est mon regret.

J’ai développé des sociétés d’autocars avec passion, avec enthousiasme, parce que c’était l’entreprise familiale. Mais j’ai perdu beaucoup de temps et je n’ai pas développé comme j’aurais dû le faire avec les outils que nous avions, la passion et l’enthousiasme, la partie tour-operating.

J’a perdu énormément de temps et je suis toujours admiratif par ceux qui réussissent très bien !

J’aurais dû prendre des dispositions avant pour me spécialiser ou m’orienter davantage sur le tour-operating et le réseau de distribution.

Les autocars, cela a été un métier difficile, très lourd. Quand vous vous réveillez la nuit et que vous ne pouvez plus vous rendormir en sachant que vous avez 50 cars qui roulent, que vous attendez le téléphone en redoutant d’apprendre un accident…

Cela m’est arrivé beaucoup, mais je regrette de ne pas avoir pris la décision plus tôt. Mais personne ne pouvait le faire à ma place !

TourMaG.com - Vous considérez-vous comme un patron social ?

M.S. :
Oui. Malheureusement, on ne passe pas suffisamment de temps à discuter avec les salariés, mais oui, je crois !

Retrouvez toutes les interviews "Je ne vous ai rien dit..." par Dominique Gobert en cliquant sur ce lien.

Dominique Gobert Publié par Dominique Gobert Editorialiste - TourMaG.com
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