
Personne ne peut imaginer que des grandes compagnies qui détiennent un monopole, ou un quasi-monopole, puissent ne pas recevoir ledit label...
TourMaG.com - Le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) s’oppose à ce label Bleu, qui selon lui purement commercial dans la mesure où les compagnies sont déjà soumises aux règlements de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI). Etes-vous du même avis ?
Jean Belotti : "Je n’ai pas vocation à m’opposer à quoi que ce soit, mais simplement à apporter quelques éléments de réflexion, en complément de ma chronique de juillet 2004, intitulée "La labelisation des charters". Certes, il convient d’admettre qu’à la suite de graves événements, il appartient aux autorités de prendre des dispositions afin d’éviter leur renouvellement.
Cela étant dit, l’affectation d’un label aux compagnies aériennes, pour garantir une meilleure qualité et sécurité du transport aérien, assortie de l’obligation faite aux voyagistes d'informer, par avance, leur clientèle de la compagnie sur laquelle elle voyagerait, est-elle une bonne initiative ?
Si l’intention ayant présidé à cette décision est fort probablement noble, il reste que son efficacité prévisible appelle quelques commentaires restrictifs.
1.- Commençons par la nature de cette initiative. il s’agit, de toute évidence, d’une ingérence dans le domaine de la qualité du service, de l’image de marque, donc action directe dans le domaine commercial, susceptible, d’ailleurs, d’introduire un biais dans la concurrence entre les différents intervenants sur le marché de l’aérien.
En effet, les compagnies n’ayant pas été qualifiées "bleues" seront, de facto, considérées comme étant hors normes, ce qui, d’une façon plus ou moins directe, leur portera, de toute façon, un grave préjudice.
Quant au voyagiste, après avoir expliqué à son client la signification du "label bleu", il hésitera à lui proposer une compagnie ne figurant pas sur cette liste ! Conséquence directe : la mort de toutes les compagnies n’y figurant pas !
2.- En instituant une liste bleue, l’Autorité de tutelle sort de sa mission initiale qui est de délivrer les autorisations d’exploitation ; de vérifier et valider les documents de référence des compagnies ; d’exploiter tous les rapports d’incidents et d’accidents survenus en exploitation et de prendre toutes sanctions éventuelles contre ceux qui sont en infraction avec les textes en vigueur.
Or, étant donné qu’il est bien connu que ses moyens d’investigations sont limités, pour améliorer la sécurité, l’effort devrait, en priorité, porter sur le renfort des moyens existants : OCV (l’Organisme de Contrôle en Vol) pour le contrôle des équipages, et l’augmentation du nombre des techniciens chargés de réaliser les audits.
3.- Quand à l’obligation faite aux voyagistes d’indiquer aux passagers potentiels la compagnie qui les transportera, son efficacité est bien douteuse, étant donné que la quasi-totalité des passagers ne dispose pas des informations lui permettant d’accepter ou de refuser l’offre de voyage qui leur est faite.
C’est aussi reporter sur eux la responsabilité du choix de la compagnie, alors qu’ils ne possèdent pas les éléments d’une juste appréciation.
Quant aux aléas de l’exploitation, de même que dans une compagnie aérienne, en cas de panne d’un système interdisant l’avion de décoller, il est procédé à un changement de type d’avion au sein de sa propre flotte ou même de celle d’une autre compagnie, le voyagiste doit également, lui aussi, en cas de défaillance de la compagnie initialement choisie, en rechercher une autre. L’ayant trouvée, comment imaginer qu’il puisse recontacter tous les passagers du vol programmé pour leur demander s’ils acceptent ou non de partir avec la nouvelle compagnie !
4.- Mais il y a un point plus important à mettre en exergue, c’est celui de savoir comment est délivré le label ? Quel que soit le contenu des audits, ils ne pourront porter que sur l'aspect documentaire, à savoir des vérifications du respect des normes et textes habituels, bien connus des professionnels. Il n'est pas question d'audit technique, encore moins d'audit sur le social.
Bien sûr, rien n’est dit sur la prise en compte du nombre d’accidents ou d’incidents ; sur le nombre et l’importance des retards : sur le nombre de jours de grèves des personnels ; etc.... simplement parce que si, a priori, cela peut refléter le niveau de sérieux d’une compagnie, il est difficile, sans analyse préalable des raisons des anomalies constatées, de les prendre en compte pour justicier ou non la délivrance d’un label.
C’est ainsi que, par exemple, personne ne peut imaginer que des grandes compagnies qui détiennent un monopole, ou un quasi-monopole, puissent ne pas recevoir ledit label !
5.- J’ajouterai qu’une compagnie ayant été labélisée pourrait très bien - pendant sa période de validité - profiter de cette reconnaissance qui lui a été faite officiellement, alors que, par exemple, à la suite d’un changement de politique de la compagnie, de graves dysfonctionnements internes (formation et conditions de travail des équipages, maintenance, ..) resteraient inconnus, à tout le moins pendant un certain temps.
6.- Quid des compagnies qui n’ont pas reçu le label bleu et qui ne sont pas, pour tout autant, des compagnies dangereuses ?
7.- Enfin, il convient de signaler que, pour les passagers, l’existence d’un label signifie tout naturellement que la compagnie est "sûre", ce qui est une conclusion fallacieuse.
8.- Dans votre question, vous avez cité les règlements de l’OACI. Il convient, ici, d’indiquer qu’il existe également des règlements européens correspondant à des standards de sécurité plus élevés.
T.M.com - Si les compagnies doivent subir des audits ne peuvent-elles s’y préparer à l’avance ?
Jean Belotti: "Toute épreuve de la vie est nécessairement précédée d’une préparation. Il est donc tout à fait normal qu’une compagnie, sachant qu’elle allait faire l’objet d’un audit, procède à certaines régularisations, ce qui, en fait, va dans le sens d’une amélioration.
Malheureusement, si les anomalies (nombre d’impasses, insuffisances,...) sont trop nombreuses pour y porter remède avant l’audit, le risque est qu’elles soient partiellement occultés. Il résulte de cela que la meilleure efficacité se trouve dans la réalisation d’audits inopinés".
T.M.com - On dit aussi qu’en cas d’accident, le label Bleu ne permettra pas d’établir des responsabilités techniques ou pénales. Pourquoi ?
Jean Belotti : "L’existence ou non d’un label bleu est un critère qui n’est pas pris en compte - aussi bien par les enquêteurs techniques que par les experts judiciaires - dans la recherche des causes de l’accident et des éléments techniques de responsabilités éventuelles".
T.M.com - Puisqu’une Liste Noire européenne existe désormais, à quoi servira selon vous ce « Label Bleu » ?
Jean Belotti : "Ici, également, la même problématique que pour le label bleu est posée, à savoir, quels sont les critères retenus pour placer une compagnie dans une liste noire ? En effet, on imagine la difficulté pour une compagnie qui aurait figurée sur une liste noire, de se débarrasser de cette sangsue, même après avoir remontré patte blanche, quand on sait le temps qu’il faut pour créer une image de marque et celui qu’il faut pour la restructurer quand elle a été détruite !
Finalement, si l’on admet que l’existence d’une liste noire écarte donc du réseau les compagnies considérées comme étant dangereuses - ce qui est essentiel pour les passagers - alors il paraît inutile d’établir simultanément une liste bleue.
En effet, les compagnies sur la liste noire étant exclues, il y aurait donc à choisir entre des compagnies qui seront sur la liste bleue et d'autres qui ne le seront pas.
Mais alors, dans quelle mesure le voyagiste précisera-t-il à ses clients que la compagnie proposée ne figure pas sur la liste bleue ? Quelle réponse apportera-t-il à la question de son client lui ayant demandé qu’elles en sont les conséquences ? Quelle sera la responsabilité d’un voyagiste à la suite d’un accident survenu à une compagnie non "bleue" qu’il aurait retenue ?".
T.M.com - Avez-vous une conclusion ?
Jean Belotti : "Pour améliorer la sécurité, ne serait-il pas plus efficace d’établir simplement un relevé des compagnies interdites sur le territoire de l’Espace Européen - actualisé à chaque modification - et communiqué uniquement aux organismes et intervenants concernés (Aéroports, Gendarmerie du Transport Aérien, Voyagistes,...), sans lui donner de qualificatif et sans étendre, inutilement, sa diffusion au grand public, pour les raisons brièvement rappelées ci-dessus".
Jean Belotti : "Je n’ai pas vocation à m’opposer à quoi que ce soit, mais simplement à apporter quelques éléments de réflexion, en complément de ma chronique de juillet 2004, intitulée "La labelisation des charters". Certes, il convient d’admettre qu’à la suite de graves événements, il appartient aux autorités de prendre des dispositions afin d’éviter leur renouvellement.
Cela étant dit, l’affectation d’un label aux compagnies aériennes, pour garantir une meilleure qualité et sécurité du transport aérien, assortie de l’obligation faite aux voyagistes d'informer, par avance, leur clientèle de la compagnie sur laquelle elle voyagerait, est-elle une bonne initiative ?
Si l’intention ayant présidé à cette décision est fort probablement noble, il reste que son efficacité prévisible appelle quelques commentaires restrictifs.
1.- Commençons par la nature de cette initiative. il s’agit, de toute évidence, d’une ingérence dans le domaine de la qualité du service, de l’image de marque, donc action directe dans le domaine commercial, susceptible, d’ailleurs, d’introduire un biais dans la concurrence entre les différents intervenants sur le marché de l’aérien.
En effet, les compagnies n’ayant pas été qualifiées "bleues" seront, de facto, considérées comme étant hors normes, ce qui, d’une façon plus ou moins directe, leur portera, de toute façon, un grave préjudice.
Quant au voyagiste, après avoir expliqué à son client la signification du "label bleu", il hésitera à lui proposer une compagnie ne figurant pas sur cette liste ! Conséquence directe : la mort de toutes les compagnies n’y figurant pas !
2.- En instituant une liste bleue, l’Autorité de tutelle sort de sa mission initiale qui est de délivrer les autorisations d’exploitation ; de vérifier et valider les documents de référence des compagnies ; d’exploiter tous les rapports d’incidents et d’accidents survenus en exploitation et de prendre toutes sanctions éventuelles contre ceux qui sont en infraction avec les textes en vigueur.
Or, étant donné qu’il est bien connu que ses moyens d’investigations sont limités, pour améliorer la sécurité, l’effort devrait, en priorité, porter sur le renfort des moyens existants : OCV (l’Organisme de Contrôle en Vol) pour le contrôle des équipages, et l’augmentation du nombre des techniciens chargés de réaliser les audits.
3.- Quand à l’obligation faite aux voyagistes d’indiquer aux passagers potentiels la compagnie qui les transportera, son efficacité est bien douteuse, étant donné que la quasi-totalité des passagers ne dispose pas des informations lui permettant d’accepter ou de refuser l’offre de voyage qui leur est faite.
C’est aussi reporter sur eux la responsabilité du choix de la compagnie, alors qu’ils ne possèdent pas les éléments d’une juste appréciation.
Quant aux aléas de l’exploitation, de même que dans une compagnie aérienne, en cas de panne d’un système interdisant l’avion de décoller, il est procédé à un changement de type d’avion au sein de sa propre flotte ou même de celle d’une autre compagnie, le voyagiste doit également, lui aussi, en cas de défaillance de la compagnie initialement choisie, en rechercher une autre. L’ayant trouvée, comment imaginer qu’il puisse recontacter tous les passagers du vol programmé pour leur demander s’ils acceptent ou non de partir avec la nouvelle compagnie !
4.- Mais il y a un point plus important à mettre en exergue, c’est celui de savoir comment est délivré le label ? Quel que soit le contenu des audits, ils ne pourront porter que sur l'aspect documentaire, à savoir des vérifications du respect des normes et textes habituels, bien connus des professionnels. Il n'est pas question d'audit technique, encore moins d'audit sur le social.
Bien sûr, rien n’est dit sur la prise en compte du nombre d’accidents ou d’incidents ; sur le nombre et l’importance des retards : sur le nombre de jours de grèves des personnels ; etc.... simplement parce que si, a priori, cela peut refléter le niveau de sérieux d’une compagnie, il est difficile, sans analyse préalable des raisons des anomalies constatées, de les prendre en compte pour justicier ou non la délivrance d’un label.
C’est ainsi que, par exemple, personne ne peut imaginer que des grandes compagnies qui détiennent un monopole, ou un quasi-monopole, puissent ne pas recevoir ledit label !
5.- J’ajouterai qu’une compagnie ayant été labélisée pourrait très bien - pendant sa période de validité - profiter de cette reconnaissance qui lui a été faite officiellement, alors que, par exemple, à la suite d’un changement de politique de la compagnie, de graves dysfonctionnements internes (formation et conditions de travail des équipages, maintenance, ..) resteraient inconnus, à tout le moins pendant un certain temps.
6.- Quid des compagnies qui n’ont pas reçu le label bleu et qui ne sont pas, pour tout autant, des compagnies dangereuses ?
7.- Enfin, il convient de signaler que, pour les passagers, l’existence d’un label signifie tout naturellement que la compagnie est "sûre", ce qui est une conclusion fallacieuse.
8.- Dans votre question, vous avez cité les règlements de l’OACI. Il convient, ici, d’indiquer qu’il existe également des règlements européens correspondant à des standards de sécurité plus élevés.
T.M.com - Si les compagnies doivent subir des audits ne peuvent-elles s’y préparer à l’avance ?
Jean Belotti: "Toute épreuve de la vie est nécessairement précédée d’une préparation. Il est donc tout à fait normal qu’une compagnie, sachant qu’elle allait faire l’objet d’un audit, procède à certaines régularisations, ce qui, en fait, va dans le sens d’une amélioration.
Malheureusement, si les anomalies (nombre d’impasses, insuffisances,...) sont trop nombreuses pour y porter remède avant l’audit, le risque est qu’elles soient partiellement occultés. Il résulte de cela que la meilleure efficacité se trouve dans la réalisation d’audits inopinés".
T.M.com - On dit aussi qu’en cas d’accident, le label Bleu ne permettra pas d’établir des responsabilités techniques ou pénales. Pourquoi ?
Jean Belotti : "L’existence ou non d’un label bleu est un critère qui n’est pas pris en compte - aussi bien par les enquêteurs techniques que par les experts judiciaires - dans la recherche des causes de l’accident et des éléments techniques de responsabilités éventuelles".
T.M.com - Puisqu’une Liste Noire européenne existe désormais, à quoi servira selon vous ce « Label Bleu » ?
Jean Belotti : "Ici, également, la même problématique que pour le label bleu est posée, à savoir, quels sont les critères retenus pour placer une compagnie dans une liste noire ? En effet, on imagine la difficulté pour une compagnie qui aurait figurée sur une liste noire, de se débarrasser de cette sangsue, même après avoir remontré patte blanche, quand on sait le temps qu’il faut pour créer une image de marque et celui qu’il faut pour la restructurer quand elle a été détruite !
Finalement, si l’on admet que l’existence d’une liste noire écarte donc du réseau les compagnies considérées comme étant dangereuses - ce qui est essentiel pour les passagers - alors il paraît inutile d’établir simultanément une liste bleue.
En effet, les compagnies sur la liste noire étant exclues, il y aurait donc à choisir entre des compagnies qui seront sur la liste bleue et d'autres qui ne le seront pas.
Mais alors, dans quelle mesure le voyagiste précisera-t-il à ses clients que la compagnie proposée ne figure pas sur la liste bleue ? Quelle réponse apportera-t-il à la question de son client lui ayant demandé qu’elles en sont les conséquences ? Quelle sera la responsabilité d’un voyagiste à la suite d’un accident survenu à une compagnie non "bleue" qu’il aurait retenue ?".
T.M.com - Avez-vous une conclusion ?
Jean Belotti : "Pour améliorer la sécurité, ne serait-il pas plus efficace d’établir simplement un relevé des compagnies interdites sur le territoire de l’Espace Européen - actualisé à chaque modification - et communiqué uniquement aux organismes et intervenants concernés (Aéroports, Gendarmerie du Transport Aérien, Voyagistes,...), sans lui donner de qualificatif et sans étendre, inutilement, sa diffusion au grand public, pour les raisons brièvement rappelées ci-dessus".
Ancien Commandant de bord, notre chroniqueur Jean Belotti est également expert auprès des tribunaux et écrivain. Voici une fiche bibliographique de ses ouvrages.
1.- “Les accidents aériens, pour mieux comprendre”. Frédéric COUFFY Éditions - 1999.
12, rue de Nazareth 13100 Aix en Provence. Tél : 04 42 26 18 08. Fax : 04 42 26 63 26
2.- “Les Titanics du ciel”. FRANCE-EUROPE-EDITIONS - 2001
9, rue Boyer BP 4049 06301 Nice Cedex 4
3.- “Chroniques aéronautiques”. VARIO - 2003
1034, rue H.Poincaré 83340 Le Luc en Provence
4.- "Le Transport International de Marchandises". VUIBERT - 3ième édition en 2004.
www.vuibert.fr
6.- “Une passion du ciel”. NOUVELLES EDITIONS LATINES - 2005
1, rue de Palatine 75006 Paris
1.- “Les accidents aériens, pour mieux comprendre”. Frédéric COUFFY Éditions - 1999.
12, rue de Nazareth 13100 Aix en Provence. Tél : 04 42 26 18 08. Fax : 04 42 26 63 26
2.- “Les Titanics du ciel”. FRANCE-EUROPE-EDITIONS - 2001
9, rue Boyer BP 4049 06301 Nice Cedex 4
3.- “Chroniques aéronautiques”. VARIO - 2003
1034, rue H.Poincaré 83340 Le Luc en Provence
4.- "Le Transport International de Marchandises". VUIBERT - 3ième édition en 2004.
www.vuibert.fr
6.- “Une passion du ciel”. NOUVELLES EDITIONS LATINES - 2005
1, rue de Palatine 75006 Paris