Les jeunes Chinois redécouvrent leurs traditions [ABO]

A Paris, sur un bateau de croisière offrant le merveilleux spectacle des bords de Seine et un dîner arrosé de quelques coupes de champagne, une délicieuse jeune Chinoise n’attend personne.

Voyageant seule en Europe, parlant quelques mots laborieux d’anglais, la jeune fille loge dans un quatre étoiles et fait du shopping rue du Faubourg Saint-Honoré. Une aubaine durant les soldes dont elle profitera d’autant plus que son budget ne connaît pas de limites !

Issue d’une famille très aisée, cette jeune femme, que tous les passagers de la croisière voudraient courtiser, n’a rien à voir avec d’autres jeunes de sa génération restés en Chine.

En effet, au « One As All », l’un des désormais nombreux bars de « fortune tellers » (ou voyants en français) que l’on trouve dans les grandes villes chinoises comme Pékin, Shanghai et tant d’autres moins connues, la génération Z s’offre une autre expérience.

Niché dans les hauteurs d’un immeuble commercial, leur bar préféré accomplit tout d’abord ses fonctions de bar, à savoir un service de boisson dont le prix est fixé à 88 yuans, afin de porter d’emblée bonheur à leurs clients. Car, le chiffre 8 est un chiffre portant chance de ce côté de la terre !

Autre caractéristique non négligeable de l’établissement, le « One As All » offre une vue inimitable sur les skylines de Shanghai. Mais, il propose surtout une toute autre spécialité en train de devenir de plus en plus populaire.

Là, on consulte des diseurs de bonne aventure spécialisés en qiuqian. Un art connu en anglais comme « the chinese lottery sticks », soit un style très ancien de divination, utilisant pas moins d’une centaine de baguettes différentes pour prédire l’avenir.

Reçus dans une pièce privée où brûle un encens, les jeunes clients de ce genre d’activités divinatoires se retrouvent face à face avec le chef d’orchestre de ces rendez-vous spéciaux : un étudiant du même âge, qui observe le tirage de baguettes incrustées de motifs de jade et ornées de toutes sortes de chiffres et lettres, et qu'il décrypte ensuite.

Frappé par une crise de mysticisme durant son plus jeune âge, ce dernier est sûr de lui : « on lui pose une question et il ne tarde pas à trouver la réponse qui se révélera exacte. Donc, on lui fait confiance », relate un journaliste britannique ayant assisté à une séance.

On lui fait d’autant plus confiance que son pragmatisme l’incite à fournir des solutions très contemporaines pour apaiser certaines souffrances notamment mentales, d’ordre amoureux ou professionnel.

Pourquoi une telle différence entre deux « petits Z » chinois ?

Il faut dire que la situation économique de la Chine n’est plus exactement ce qu’elle était, ni ce qu’elle promettait d’être.

Anxieuse, la grande majorité des jeunes se soucient de leur avenir professionnel ; par la même occasion, ils se soucient de leur avenir matériel et ils sont de plus en plus nombreux dans ce cas, après avoir été une poignée il y a quelques années.

Cherchant de la réassurance dans leur culture familière, ils sont donc de plus en plus nombreux à se tourner vers les pratiques divinatoires, mais aussi vers le xuanxue, une sorte d’ésotérisme mêlé de mysticisme et de philosophie qui a l’avantage d’intégrer des éléments issus du Taoïsme et du Confucianisme.

Autant de pensées, croyances et thérapies qui compensent l’absence de religion à laquelle le peuple de Mao Tse Toung a été obligé de se conformer pendant et après la Révolution culturelle.

D’autres aussi se tournent aussi vers l’astrologie et fréquentent des applications qui sont consultées des millions de fois. De quoi doubler le chiffre d’affaires de ce que l’on nomme « l’économie spirituelle ». Une économie qui, il y a quelques années encore, restait complément marginale alors qu’aujourd’hui, de toute évidence, elle se répand parmi les jeunes mais aussi leurs parents et enfants.

Autant d’individus qui ont besoin de donner libre cours à leurs émotions et de tenter par leurs croyances en ces mystiques ancestrales d’apaiser leurs inquiétudes. Tout en buvant un verre. Car pour le propriétaire de l’ établissement vedette, le vin fait du bien. Surtout à une époque où la crise économique empêche pas mal de gens de voyager à l’étranger.

L’analyste Yaling Jiang estime que l’intérêt croissant des Chinois - jeunes et moins jeunes - pour le « fortune telling » doit être connecté à la montée en puissance d’une confiance plus affirmée dans la culture nationale sous toutes ses coutures.

Après avoir voulu faire table rase de son passé et de son histoire, une avant-garde repart à la recherche de ses traditions et de sa culture et tend à délaisser les enseignes de consommation globale, en particulier occidentales, pour adopter des produits nationaux, tant sur le plan de la mode que de la culture.

Pour preuve, un film d’animation comme Ne Zha 2, inspiré par la mythologie chinoise, bat des records au box-office.

Mettant en scène un démon élevé par des humains, il recherche un élixir capable de soigner son ami, un dragon dont le corps a brûlé dans un éclair. Et il y parvient.

En fait, le Qiuqian constitue l’une des méthodes divinatoires parmi d’autres qui, au fur et à mesure, sont extraites du passé et redécouvertes.

Certes, les jeunes s’intéressent aussi au tarot et à l’astrologie, mais comme l’indique une jeune femme, « le Tarot ne fait pas partie de ma culture. Je lui préfère les méthodes et thérapies issues de la tradition taoïste et bouddhiste ».

Avec un bémol : le pouvoir communiste considère toujours ces pratiques comme un retour à la superstition dont il a voulu débarrasser la société chinoise. Il n’hésite donc pas, avec ses armes de contrôles massives, à réprimer les excès dans ce domaine.

A tel point que le One As All facture les boissons mais pas les prestations divinatoires ! Ou bien, il facture une réponse sur le futur du client, par boisson achetée. A moins que des gadgets ne leur soient aussi vendus.

En fait, le business n’est jamais loin dans cet Empire du Milieu qui se prend à douter de lui et de sa stratégie de développement économique et social et qui se demande si son histoire ne porte pas de réponses adaptées aux angoisses de sa population. Angoisses qu’il faut avoir en tête quand vous recevrez des touristes chinois, surtout les plus jeunes, qui ne seront plus les richissimes clients dont on s’arrachait les faveurs financières…

Un retour de bâton inattendu mais, somme toute, naturel. Trop de matérialisme tue le matérialisme et gagne la partie dans des sociétés qui sont aussi de grandes civilisations ayant d’ores et déjà propagé leur soft power à travers le monde…

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Nés entre 1995 et 2009, les jeunes de la génération Z représentent 19% de la population nationale. Soit 265 millions d’individus, formant le deuxième marché le plus puissant du monde.

Âgés de 14 à 28 ans, ils sont majoritairement urbains et sont censés disposer de diplômes et de revenus plus élevés que les autres groupes démographiques. Notamment ceux des habitants des campagnes.

De plus, contrairement à leurs ascendants, n’ayant pas connu les années de collectivisme, ils ont une propension à l’individualisme, voire à l’égoïsme et se révèlent par conséquent particulièrement narcissiques. Une caractéristique visible dans leur usage d’Internet et des réseaux sociaux qu’ils consomment massivement.

En revanche, ils font preuve d’une plus grande ouverture d’esprit et de cosmopolitisme que leurs parents, grâce à la contribution d’Internet mais aussi grâce aux voyages qu’ils commencent à pratiquer dès qu’ils en ont les moyens.

Frappés de plein fouet par les crises climatiques, ils sont plus sensibles à la protection de la nature et adoptent des attitudes éthiques dans leurs comportements. Plus éduqués, plus informés, ils doivent cependant affronter une crise économique, un déclassement professionnel ou un chômage qu’ils n’avaient pas prévu.

Très inquiets par rapport à l’avenir, certains retournent vivre chez leurs parents tandis qu’une partie d’entre eux se résout à accepter des « jobs » sous-payés.

La crainte que l’IA prenne leurs emplois est de plus en plus présente.

Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

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