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Intempéries : ''Les aéroports canadiens pas meilleurs mais... mieux équipés !"

l'interview de Jean Belotti


Jean Belotti, ancien commandant de bord d'Air France et spécialiste de la sécurité dans le secteur aérien, revient sur les incidents de la semaine dernière. Des incidents qui ont paralysé le 1er et le 4e aéroport français. Pouvait-on éviter la paralysie, fait-on mieux ailleurs ? Les réponses de notre expert.


Rédigé par Jean DA LUZ le Mardi 13 Janvier 2009

TourMaG.com. - Pendant 48 heures, de très mauvaises conditions météorologiques exceptionnelles ont créé, la semaine passée, d’importantes perturbations sur les aéroports de Roissy Charles de Gaulle et de Marseille. Qu’en pensez-vous ?

Jean Belotti
. - Seule la possession de toutes les informations liées aux causes des perturbations permet de donner un avis fondé.

Actuellement entre les mains des représentants des aéroports concernés, elles seront communiquées à la Direction Générale de l’Aviation Civile, qui a été chargée - par le secrétaire d'Etat aux Transports - de diligenter “une enquête administrative immédiate sur les dysfonctionnements inacceptables ayant affecté les passagers aériens...”.

Donc, il est sage d’attendre les résultats de ladite enquête..."

T.M. - Cette intervention de l’administration de tutelle, sous forme d’une enquête administrative est-elle opportune ?

J.B.
- La réponse est oui. En revanche, l’objectif assigné signifie qu’il y a déjà conviction de la part des autorités - à tout le moins une forte présomption - de l’existence de dysfonctionnements.

Même si l’on peut penser que les enquêteurs prendront en compte toutes les réponses qui seront apportées, il n’en reste pas moins que la mission est d’enquêter à charge et non pas à décharge.

Il eût été plus normal d’annoncer “une enquête administrative immédiate sur les importantes perturbations ayant affecté les passagers aériens...”.

T.M. - Ce type de conditions météorologiques pénalisant le transport est-il fréquent ?

J.B.
- "La réponse se trouve dans la consultation des statistiques des services météorologiques ou des aéroports.

Personnellement, en trente cinq ans de carrière, le nombre de fois où j’ai dû passer sous le système de dégivrage, sur les aéroports de Roissy et d’Orly, se compte sur les doigts d’une seule main."

T.M. - Pouvez-vous nous dire deux mots sur cette impérieuse nécessité de dégivrer les avions ?

J.B.
- "La neige qui se dépose et la glace qui se forme sur les ailes et la cellule de l’avion peuvent alourdir la masse d’un avion de plusieurs tonnes et modifier les performances aérodynamiques pendant le décollage.

Décoller avec une masse dépassant de plusieurs tonnes la masse maximum autorisée au décollage avec, de surcroît, des performances aérodynamiques dégradées n’est pas envisageable. Quelques exemples de telles tentatives de décollages ont conduit à une catastrophe."

T.M. - C’est donc la raison pour laquelle les avions se présentent sous des baies de dégivrage, mais alors, pourquoi, cette opération ayant été faite, le trafic est aussi ralenti ?

J.B.
- Lorsque que l’aéroport est enneigé et les pistes verglacées, le trafic est ralenti pour plusieurs raisons, entre-autres : tous les chemins de roulement donnant accès à la piste de décollage n’ont pas forcément été dégagés par les chasse-neige ; des avions n’ayant pas pu quitter leur aire de stationnement à l’heure prévue sont très souvent obligés d’attendre une nouvelle autorisation du contrôle aérien ; etc...

Mais également, et surtout, dès que l’avion a été dégivré il doit pouvoir se présenter le plus rapidement possible pour le décollage, sinon il y a formation d’un nouveau dépôt de glace.

Il en résulte donc que la gestion habituelle du trafic au sol permettant aux avions de se présenter à la queue leu leu et de décoller à quelques minutes d’intervalle, n’est plus praticable.

T.M. - N’y a-t-il pas insuffisance des moyens mis en place ?

J.B.
- Votre question est au cœur du sujet. Tout d’abord il convient de savoir qu’un aéroport est composé de nombreux sous-ensembles (pistes, taxiways, pompiers, alimentation en carburant, parcs de stationnement, salles d’embarquement et de débarquement, etc ...) qui impliquent des investissements dont les montants sont extrêmement élevés.

Donc, nécessité de rechercher le niveau permettant une utilisation et une rentabilité optimales. À cet égard, il n’est pas envisageable qu’un entrepreneur - par vocation, rationnel - s’organise pour absorber le trafic des quelques jours de pointe annuelle et le gérer dans les meilleures conditions possibles de sécurité, efficacité, confort et fluidité.

En effet, tout le reste du temps l’aéroport serait sur-équipé et les coûteux investissements, révélés inutiles, pénaliseraient lourdement la rentabilité.

Bien sûr, il n’est pas question, non plus, d’un investissement minimum se référant à la période creuse, car l’aéroport aurait, en quasi-permanence, des capacités d’accueil insuffisantes.

En fait, le niveau des investissements est calculé en fonction de très nombreuses paramètres et variables conjecturelles. Or, étant donné que le temps s’écoulant entre la prise de décision et la mise en exploitation effective des installations se calcule en mois, voire en années, on imagine aisément que le niveau choisi initialement ne soit pas tout à fait le mieux adapté...

D’où, d’ailleurs - dans la phase de croissance du trafic aérien depuis plusieurs années - les quasi-permanents agrandissements constatés sur la plupart des aéroports. C’est ce qui explique qu’un aéroport est presque toujours soit sous-exploité, soit sur-exploité.

Les passagers constateront, effectivement, qu’en fonction des périodes de l’année et des heures, les aéroports sont encombrés avec toutes les conséquences qui en résultent, ou alors ils sont quasiment vides...

En conclusion, puisque le système n’est pas en mesure d’assurer en permanence un service de qualité, même dans les conditions normales d’exploitation, il ne faut pas s’étonner que dans des situations tout à fait exceptionnelles, une importante dégradation des prestations puisse être constatée."

T.M. - Mais les aéroports américains ne sont-ils pas plus performants dans de telles situation ?

J.B
. - La réponse est non. Mêmes contraintes, mêmes causes, donc mêmes effets. Chef-pilote du réseau Amérique du Nord, pendant de nombreuses années, j’ai constaté le même type de perturbations.

Je me souviens, il y a une quinzaine d’années, de la rapide arrivée d’une dépression accompagnée de très denses chutes de neige sur New York, où régna une formidable pagaille, pendant 48 heures. Idem à Washington.

T.M. - Et pourtant, il est dit que les performances des aéroports canadiens sont des meilleures ?

J.B.
- C’est exact, mais pour la simple et bonne raison qu’étant donné la fréquence plus élevée des tempêtes de neige, ils se sont armés d’équipements de déneigement plus importants.

Il n’en reste pas moins que certains phénomènes ne peuvent pas être maîtrisés, comme celui où l’ensemble des taxiways et aires de stationnement se transforment quasi-instantanément en une vraie patinoire.

Ce jour là, réacteurs en marche et roulant à très faible vitesse, je n’ai pu rester sur le taxiway que par l’utilisation asymétrique des “reverses”.

T.M. - J’allais oublier de parler de Marseille ?

J.B
.- Sans informations complémentaires, les mêmes arguments sont, a priori, également valables pour Marseille... Il est vrai que de la neige à Marseille est un phénomène tellement rare que la mise en place d’un système de dégivrage paraît bien inutile..."

T.M. - Finalement, faut-il admettre qu’il n’y a rien à faire pour pallier les perturbations météorologiques d’hiver ?

J.B
. - "En ce qui concerne les équipements, l’aéroport de Roissy est équipé de plusieurs baies de dégivrage. Les quatre pistes auraient été traitées préventivement par plus d’une centaine d’agents depuis dimanche minuit au moyen d'engins de déneigement. Est-ce suffisant ? Se reporter à l’optimisation des investissements".

T.M. - Et aussi, faut-il admettre qu’il n’y a rien à faire pour éviter les désagréments subis par des milliers de passagers ?

J.B.
- Il faut commencer par dire ce qui a été fait. On ne peut pas passer sous silence l’exemple d’Air France qui, ayant annulé plus de 100 vols, a prévu des couchages d’appoint pour plusieurs centaines de passagers bloqués dans l’aéroport, la réservation de centaines de chambres d’hôtels et distribué des milliers de bons de restaurant et plusieurs centaines de bon de taxis.

T.M. - Est-ce suffisant ?

J.B
. - "Tout d’abord, il convient de noter que les compagnies d’aviation ne sont pour rien dans la dégradation des conditions météorologiques, lesquelles pourraient être considérées comme des cas de “force majeure” dégageant la responsabilité des compagnies.

À ce stade, il est difficile de dire si les dispositions prises sont suffisantes ou pas. Ce qui est important de noter c’est qu’elles ont été déclenchées."

T.M. - Je voulais dire, n’y a-t-il pas d’autres dispositions à prendre pour minimiser les désagréments subis par les passagers ?

J.B.
- L’effort principal doit porter sur l’information du risque. Cette information est d’ailleurs habituellement diffusée par les médias : en cas de tempête (rester chez soi) ; de routes verglacées (ne pas se déplacer en voiture) ; de cyclone (rester chez soi et se barricader); etc...

En ce qui concerne les passagers, en plus de la radio et de la télévision, ils peuvent être contactés par téléphone et courriels, lorsque leurs coordonnées ont été enregistrées par la compagnie.

La ferme recommandation à faire admettre est de ne pas se rendre à l’aéroport. Ce message est essentiel. En effet, l’objectif à atteindre est d’éviter l’encombrement de l’aéroport qui devient effectif dès que quelques vols sont retardés, voire annulés.

Dès lors que l’aéroport continue à se remplir, la situation devient catastrophique et s’aggrave d’heure en heure. Il convient donc de tout mettre en œuvre pour éviter d’en arriver là."

T.M. - Une conclusion ?

J.B
. - "Patience en attendant le résultat de l’enquête administrative qui, indépendamment de la mise en exergue d’éventuelles responsabilités ne manquera probablement pas de faire des recommandations tant en ce qui concerne la lutte contre le givrage des avions qu’en ce qui concerne le service dû aux passagers."

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