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Covid-19 : peut-on vendre si la destination n'a pas encore rouvert ?

Entretien avec Me Emmanuelle Llop (Equinoxe Avocats)


Entre les destinations fermées du fait de la pandémie de Covid-19 et celles qui pourraient l'être en cas de nouvelle vague épidémique, comment un voyagiste ou une agence de voyages peuvent-ils proposer à la vente des produits qui ne sont pas encore accessibles ou qui pourraient ne pas l'être le jour du départ ? Où se situe la légalité dans de telles situations ? Nous avons posé la question à Me Emmanuelle Llop, du cabinet Equinoxe Avocats. Interview.


Rédigé par le Jeudi 7 Avril 2022

Si le professionnel fait une offre, il doit pouvoir l'honorer. Des clauses du type « sous réserve de disponibilité » ou « sous réserve de confirmation » sont illicites - DR : DepositPhotos.com, VitalikRadko
Si le professionnel fait une offre, il doit pouvoir l'honorer. Des clauses du type « sous réserve de disponibilité » ou « sous réserve de confirmation » sont illicites - DR : DepositPhotos.com, VitalikRadko
TourMaG.com - La pandémie de Covid-19 a entraîné la fermeture des frontières et, si de nombreuses destinations rouvrent progressivement, ce n’est encore le cas partout. De même, nous ne sommes pas à l'abri de voir certaines destinations se refermer. Ainsi, comment un voyagiste ou une agence de voyages peuvent-ils proposer à la vente, dans leurs brochures par exemple, des destinations qui ne sont pas encore accessibles à leurs clients ou qui pourraient ne pas l'être le jour du départ ?

Me Emmanuelle Llop :
En droit du tourisme, le principe général reste que lorsqu'un professionnel propose quelque chose à la vente, il doit l'avoir en disponibilité, car il est tenu par une obligation d'information précontractuelle.

Celle-ci impose au professionnel d'informer ses clients sur les caractéristiques essentielles du produit : transport, hébergement, prix, dates, etc. Il s'agit là d'éléments très concrets, ce qui veut aussi dire que si le professionnel fait une offre, il doit pouvoir l'honorer.

Cela signifie également que des clauses du type « sous réserve de disponibilité » ou « sous réserve de confirmation » sont illicites, car soit on offre, soit on n'offre pas à la vente, on ne se réserve pas la possibilité de changer les options.

TourMaG.com - Pourtant, un voyage ne peut pas être comparé à un objet ou un vêtement. A tout moment, des éléments extérieurs peuvent venir modifier l'offre initiale...

Me E. Llop :
Effectivement, et c'est compte tenu de la spécificité de ces produits-là que le Code du Tourisme existe et qu'il contient de nombreuses dispositions consacrées à la modification du contenu du contrat.

C'est très rare en droit et c'est pour cela que le Code du tourisme est qualifié de « droit spécial » et qu'il passe par exemple devant le Code Civil, à partir du moment où il gère beaucoup de situations.

Ainsi, le Code du Tourisme donne la possibilité de modifier deux choses :

- l'information précontractuelle, dont nous avons déjà parlé, à condition de l'avoir écrit dans les conditions de vente et de signaler au client que des éléments vont pouvoir bouger entre le moment où l'offre est postée sur le site Internet ou imprimée dans une brochure par exemple, et le moment où le client va contacter le professionnel.

Je précise que dans le Code du Tourisme, certains points précis pouvant être modifiés sont déjà cités dans l'article L211-9. Il s'agit par exemple des caractéristiques principales du voyage (la destination, les transports, les horaires, les hébergements, les visites, la taille du groupe, des informations sur les personnes à mobilité réduite, etc.). Les modifications peuvent également porter sur le prix, les modalités de paiement, le nombre de personnes dans le groupe et les information administratives.

- et les éléments du contrat lui-même avant le départ. Le Code du Tourisme va ainsi autoriser le professionnel du tourisme, comme le client, à modifier unilatéralement les clauses du contrat selon l'article L211-13 dans deux cas : lorsqu'il s'agit de modifications mineures (prévues dans le contrat et que le client en est clairement informé avant le départ et donc qu'il ne pourra pas refuser) ou bien de modifications d'un ou des éléments essentiels du contrat.

Dans ce 2e cas de figue, le professionnel se retrouve avec une contrainte, un événement extérieur qui s'impose à lui mais qui va toucher à un élément essentiel du contrat. Par exemple, l'hôtel réservé a brûlé.

Le professionnel va devoir prévenir son client le plus vite possible, mais également l'informer de son droit soit d'accepter cette modification, soit d'annuler sans frais et d'être remboursé sous 14 jours. On retrouve là le même mécanisme que pour les circonstances exceptionnelles et inévitables (CEI).

Le client, dans son intérêt, doit répondre assez vite pour éviter d'avoir à payer des frais en cas d'annulation trop tardive. Le professionnel peut d'ailleurs prévenir son client qu'il peut y avoir des conséquences s'il ne répond pas assez vite, car le silence est probant.

LIRE AUSSI : Quand les circonstances exceptionnelles et inévitables justifient-elles l’annulation d’un forfait touristique par le client ?

Me Emmanuelle Llop (Equinoxe Avocats) - DR : Equinoxe Avocats
Me Emmanuelle Llop (Equinoxe Avocats) - DR : Equinoxe Avocats
TourMaG.com - Vous décrivez là le cas de situations « normales », où une offre proposée à la vente est disponible, mais un événement mineur ou essentiel vient modifier l'offre initiale et le professionnel va en informer son client selon les conditions que vous venez de citer. Mais quid du cas où le professionnel offre un produit à la vente sans avoir la certitude que toutes les composantes vont être disponibles ? Voire en sachant qu'au moment de la vente, le produit n'est pas disponible ?

Me E. Llop :
Ce n'est pas licite puisque, comme je vous le disais, le professionnel doit offrir quelque chose qui soit disponible à la vente. C'est peut-être un « coup de poker » de sa part, mais qui pourrait être qualifié de clause abusive et de manœuvre déloyale et trompeuse pour le client. Ce sont des pratiques qui sont pénalement sanctionnées.

Mais en pratique, on s'aperçoit que dans le tourisme, tout est assez mouvant.

Les producteurs notamment préparent leurs produits longtemps à l'avance et n'ont pas toujours les plans de vols. L'expérience et le métier font qu'ils savent qu'ils les auront, mais ils n'ont pas tout sur le moment. C'est pour cela qu'ils doivent prévoir et prévenir les clients en expliquant qu'il peut y avoir une amplitude horaires par exemple. Cette pratique reste acceptable et inhérente à la manière de travailler.

En revanche, ceci est totalement différent de la pratique qui consisterait à vendre en sachant que cela n'est pas disponible. Par exemple, en pleine période Covid, des professionnels ont lancé les ventes vers les États-Unis alors que la destination n'avait pas encore rouvert. C'est une situation totalement inédite et en même temps, en vendant quelque chose en disant « sous réserve que le pays ouvre », on retombe dans l'interdiction de vendre quelque chose qui n'est pas disponible...

Notons quand même qu'il y a toujours deux moments dans le tourisme : le moment où l'on vend et le moment où le client devra partir. C'est un coup de poker pour le professionnel, car si la destination n'a pas rouvert au moment où le client part, il faut le prévenir que le produit n'est pas disponible.

Mais pour autant, peut-on considérer qu'il s'agit d'une contrainte extérieure alors qu'elle ne survient pas, qu'elle était déjà connue au moment de la vente ? Le client peut estimer avoir été trompé même si le professionnel lui propose un remboursement sans frais.

TourMaG.com - Avez-vous connaissance de telles situations ? Y'a-t-il déjà eu des jugements rendus à ce sujet ?

Me E. Llop :
Durant la pandémie, pas à ma connaissance, car le client lui-même ne peut pas ignorer qu'une destination comme les États-Unis était fermée et je pense que les professionnels ont dû prendre des précautions.

En revanche, hors Covid, il y a déjà eu des décisions rendues sur les clauses du type « sous réserve de disponibilité ». Dont une qui remonte à 2006 et qui concernait Lastminute.com. Il s’agissait de l'ancien droit, mais le principe reste le même.

LIRE AUSSI : Force majeure, circonstances exceptionnelles : quid des relations B2C et B2B à l'heure du coronavirus ?

Anaïs Borios Publié par Anaïs Borios Journaliste - TourMaG.com
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