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« Touristophobie » : la double peine des résidents [ABO]

Le décryptage de Josette Sicsic (Futuroscopie)


Depuis peu, de nombreuses destinations ont compris l’intérêt d’atténuer les clivages entre résidents et visiteurs, non seulement en en limitant le nombre mais en les invitant à mieux se connaître et à partager l’usage d’un même territoire. Partage, accueil, collaboration… les politiques locales font de leur mieux. Mais, les fragmentations ont la vie dure et les clichés sont d’autant plus tenaces qu’ils sont alimentés par un tintamarre médiatique autour du surtourisme. Lequel ne fait du bien ni aux professionnels, ni aux territoires, ni aux vacanciers et, encore moins aux résidents qui ne se contentent pas de se sentir envahis par des hordes de vacanciers, mais qui se privent, de plus en plus, des nombreux atouts de leur territoire et ses équipements. Un nouvel angle permettant d’estimer les méfaits silencieux de la « haine » du touriste. Décryptage.


Rédigé par le Vendredi 18 Juillet 2025

Pourquoi un tel décalage entre les comportements des résidents et des touristes ? La réponse est complexe mais, sans doute, repose-t-elle sur le dénigrement historique dont a été victime le touriste - DepositPhotos.com, photooiasson
Pourquoi un tel décalage entre les comportements des résidents et des touristes ? La réponse est complexe mais, sans doute, repose-t-elle sur le dénigrement historique dont a été victime le touriste - DepositPhotos.com, photooiasson
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On le sait, avec 8 milliards d’habitants sur la planète - et bientôt 10 ! -, avec des classes moyennes qui se développent et des moyens de transports (notamment aériens) de plus en plus performants et nombreux, le volume de touristes internationaux (hors pandémie) ne va pas diminuer.

Quant aux touristes domestiques, ils n’ont aucune raison, autre que financière, de ne pas se déplacer quelques jours par an, dans leur pays.

Inutile donc de se faire des illusions, la planète devra partager ses territoires les plus séduisants entre population locale et touristique.

Elle devra donc inciter ses populations à s’accommoder de la présence de l’autre, sans agressivité, ni hostilité, ni manifestations de mauvaise humeur mettant en scène des habitants excédés par les nuisances provoquées par ces « étrangers » qui n’ont parfois, admettons-le, ni bonnes manières, ni respect des pays et des régions qui les accueillent.

Pistolets à eau, routes coupées, portiques, taxes, graffitis… tout le monde désormais a eu vent de ces conflits dont le touriste n’est, pourtant, pas totalement responsable.

Si Barcelone, Amsterdam, Paris, Rome… sont saturées, c’est aussi parce que des dirigeants politiques ont donné des autorisations d’ouverture à des centaines de nouvelles dessertes aériennes et ont mis longtemps à réglementer la location de particulier à particulier, laissant aux méga-plateformes et à toutes sortes de « petits malins » la possibilité de doubler l’hébergement touristique, tandis que d’autres se sont empressés de convertir des immeubles entiers en hôtellerie…


Les contradictions des médias

Quant aux médias, il faut tout de même bien reconnaitre que nombreux sont ceux qui se sont rués sur le sujet, sans même avoir réellement expérimenté une situation de surfréquentation, et ont pris un malin plaisir à dénoncer un phénomène qui, je tiens à rappeler, n’est pas nouveau.

Stations littorales et de montagne connaissent depuis les Trente Glorieuses, le surtourisme des vacances d’été ou d’hiver, qui n’est destructeur que quelques semaines par an, en des endroits limités, tandis que le reste de l’année, les plages et les pistes de ski restent relativement calmes, voire désertes.

Se réjouissant de délires apocalyptiques concernant l’avenir du tourisme, les écrits d’une grande partie d’entre eux sont heureusement compensés par les conseils « avisés » et modérés de très nombreux autres médias, cherchant à rétablir la concorde dans ce monde en ébullition qui, non content d’être déchiré par de vraies guerres et autres catastrophes, s’autorise à attiser les haines entre une humanité qui « reçoit » et une autre qui se « déplace ».

Soucieux de l’avenir d’une activité et une économie particulièrement porteuses de devises et de rêves, ils rapportent photos, vidéos et récits de territoires censés être préservés des masses de visiteurs jetant leurs papiers gras et leurs bouteilles de plastique dans les buissons…

C’est ainsi que l’on vous conseille toutes sortes de destinations supposées tranquilles : Sienne contre Florence, Paros au lieu de Mykonos, Fez au lieu de Marrakech, les Carpates à la place des Alpes !

Même le Guide Fodor’s a été l’un des premiers à publier une « Fodor’s no list » invitant à reconsidérer le tourisme dans une quinzaine de destinations et non des moindres comme Bali, Majorque, Barcelone, les Canaries… tandis que nombreux sont ceux développant des conseils pour voyager plus « éthique ».

Sauf que, d’un média à l’autre, d’un récit à l’autre, d’une image à l’autre, il est difficile de rétablir la vérité. Surtout quand les annonceurs y vont de leur budget publicitaire ou que l’on a recours à des influenceurs tout prêts à aboyer pour faire entendre et voir impunément leurs trompeuses « stories ».

En fait, comme l’indique un article du Journal espagnol El Pais, tout est fait pour culpabiliser le touriste et « en faire une partie du problème », alors qu’il est la première victime de ce lynchage permanent. Et qu’il n’hésite pas aujourd’hui à faire savoir que l’un des pires désagréments d’un voyage, c’est d’être rejeté ou mal accueilli par les locaux !

Quand un mur d’agressivité, voire de colère et de mépris se dresse entre vous et « l’autre », il est clair que la cohabitation s’annonce mal et qu’il faudra intensifier les efforts pour pacifier certaines destinations et sites.

Lire aussi : Comment la Manche réinvente la cohabitation entre les touristes et ses habitants

Quand les locaux s’excluent de la fête

Mais, les populations locales ne sont pas seulement des victimes de la surfréquentation ; bien des sites et destinations souffrent d’un autre mal tout aussi grave.

Ce sont ceux qui, bien qu’à l’écart des flux intensifs et d’invasion endémique, sont boudés, voire mise au ban par les populations résidentes, tout simplement parce qu’ils sont jugés comme appartenant à cette classe qu’ils méprisent : le touriste ! Vous suivez ?

Un exemple : sur une vedette parisienne offrant dîner au champagne et croisière sur la Seine. Le service est parfait. Le dîner et le vin excellents. L’ambiance joyeuse et le spectacle de Paris la nuit, enjôleur. Transportant plus de 200 passagers, tous étrangers, qui repartent ravis de leur soirée, le croisiériste est résigné.

« Non, les Parisiens ne s’offrent pas ce genre de distraction. Ils sont moins de 10% ». Pourtant, le tarif est compétitif et l’expérience inoubliable. D’ailleurs, deux jeunes parisiennes et un couple de provinciaux soupirent en se demandant « pourquoi ils ne sont pas venus plus tôt profiter de cette soirée ». « C’est formidable, expliquent-ils, on a passé l’une des meilleures soirées qui soit ».

Quelques dizaines de mètres plus loin, une autre Parisienne soupire en regardant la Tour Eiffel illuminée : « Et dire que je n’y suis jamais montée alors que j’habite Paris ! ». Même son de cloche pour un trentenaire : « Je suis né à Paris et mes parents ne m’ont jamais fait visiter la Tour sous prétexte que c’était pour les touristes ! ». Ce, sur quoi, un couple de Québécois témoins de la conversation rétorque : « Nous, on est là depuis 3 jours et on y a déjà été… deux fois ! »

Et ce type de remarque peut se répéter à l’infini, de la Place Saint Marc aux Ramblas, en passant par Topkapi !

Le dénigrement historique du touriste

Pourquoi un tel décalage entre les comportements des résidents et des touristes ?

La réponse est complexe mais, sans doute, repose-t-elle sur le dénigrement historique dont a été victime le touriste, dès ses premières escapades.

Jugé maladroit, ignorant, moutonnier, incapable d’initiative, en panne d’imagination, insensible à la beauté du monde, il a longtemps (et il l’est toujours) été poursuivi par un discours négatif construit par une élite (celle du Grand Tour et de ses suiveurs), prompte à revendiquer pour elle seule le droit de « visiter » et d’apprécier les trésors du monde.

Toute une littérature s’est déchaînée contre le « touriste », depuis Théophile Gautier à Paul Morand, en passant par Pierre Loti, suivie par des reporters et journalistes se disant volontiers gênés par les mauvaises manières de ces « découvreurs » pressés, passant à côté du « beau ». Et malheureusement, ce sont ces clichés qui font encore foi.

C’est ainsi que s’est bâti le stéréotype de l’ « idiot du voyage ». Celui qui bouge, fait des photos, achète quelques bricoles puis repart. Donc celui auquel on ne veut surtout pas ressembler.

Et pour éviter la ressemblance, c’est simple : on fuit les endroits qu’il fréquente sans discernement, se privant ainsi d’un florilège de visites, d’émotions esthétiques ou tout simplement de moments de joie !

Les résidents d’une destination touristique réputée subissent donc une double peine, les opérateurs touristiques également, et le touriste, visiteur d’un jour ou de plusieurs semaines, reste l’étranger qui dérange, auquel l’on ne veut surtout pas être comparé.

Conflit d’usage tout simplement ? Partage maladroit des territoires ? surpuissance des médias « exagérateurs » et de leurs clichés ?

La guerre entre populations endogènes et exogènes est loin d’être terminée. Il serait temps, pourtant, d’apaiser le débat et de couper court à toute forme de discours haineux… Ce qui rendrait service à tout le monde !

Lire aussi : L’été avant l’été ou l’appel du mois de juin

Josette Sicsic - DR
Josette Sicsic - DR
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com

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