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Futuroscopie - Départs en vacances : un indicateur majeur des inégalités sociales 🔑

Le décryptage de Josette Sicsic, Futuroscopie


Avec un taux de départ bloqué autour de 65%, les vacances n’en finissent pas de constituer un produit de consommation discriminant dans nos sociétés. Il l’est d’autant plus que les causes économiques ne sont pas les seuls freins au départ. Subsistent plus que jamais les inégalités culturelles. La France est loin d’échapper à la règle. Comme l’établissait le sociologue Pierre Bourdieu, le capital social et culturel pèse autant sur la trajectoire individuelle que les euros que l’on a sur son compte en banque. Mais tout de même, est-ce bien normal ?!


Rédigé par le Mardi 19 Juillet 2022

Les vacances restent bien souvent non seulement une question économique, mais une question de culture et d’extraction sociale - DR : DepositPhotos.com, anyaberkut
Les vacances restent bien souvent non seulement une question économique, mais une question de culture et d’extraction sociale - DR : DepositPhotos.com, anyaberkut
Pour le Credoc (Centre de Recherche pour l'Étude et l'Observation des Conditions de Vie), un ménage de partants consacre à ses vacances 4,6% de l’ensemble de ses dépenses de consommation annuelle.

Soit le quatrième poste de dépenses. Lequel est bien plus élevé que celui de l’habillement, de la santé ou des communications.

Et, pour les seniors, ce pourcentage s’élève à 6,1%. Indiscutablement, les plus de 60 ans dépensent plus que la moyenne des Français.

Intégrant les différentes dépenses liées au transport, à l’hébergement, aux loisirs, etc., notons encore que le budget varie évidemment selon la composition du foyer de 650 euros (pour une personne seule) à plus de 1 700 euros pour un couple avec enfants.

Et ce sont bien évidemment les budgets des CSP+ qui sont les plus élevés. Datant de 2017, cette étude n’a pas été refaite dans les mêmes termes cette année.


Les études suffisent-elles à évaluer la réalité ?

Néanmoins, si l’on prend l’étude de la Fondation Jean Jaurès, un quart seulement des Français considère que son pouvoir d’achat est suffisant pour partir en vacances mais que cela nécessitera des sacrifices pendant et après !

LIRE AUSSI : Accès aux vacances : 39% des Français ne partiront pas cet été

Enfin, le baromètre extrêmement fiable d’Europ Assistance cette année indique une moyenne de 1 806 euros pour le budget vacances des Français.

Idem pour les Européens, soit un peu plus que l’an dernier mais bien moins qu’en 2019 où il affichait 400 euros de plus pour un foyer. Et encore, il s’agit de budgets déclarés bien avant que l’inflation ne s’affole et que le prix de l’essence n’explose.

Beaucoup ? Suffisant ? Non pas vraiment !

Aussi éloquentes soient-elles, ces indications suffisent-elles à évaluer la réalité ? Pas complétement.

Plus concrètement, si l’on considère le prix d’une location sur le littoral méditerranéen pour 4 personnes, il varie autour de 1 000 euros pour une semaine. Un déplacement en voiture au tarif de l’essence et des péages s’élèvent à un minimum de 500 euros l’aller-retour.

Un chariot de supermarché et ce sont 100 euros qui s’envolent. Combien reste-t-il pour aller manger une crêpe ou une pizza dans un restaurant bon marché ? Rien.

Combien reste-t-il pour savourer une coupe de glaces à 3 euros la boule ? Rien non plus.

Et combien reste-t-il pour offrir des tours de manège à un enfant ou un billet de concert aux parents ? Rien ou si peu !

Enfin, prendre un bateau pour aller visiter une île (entre 20 et 25 euros) l’aller-retour, ce n’est tout simplement pas possible !

Moins de monde et un panier moyen à la baisse

Pour preuve, dans les commerces d’une station balnéaire de la Côte d’Azur, les commerçants ne sont pas à la fête. « Il y a moins de monde ! » constatent les uns.

« Non, corrigent les autres, il y a moins de monde chez nous ».

Concrètement, un restaurateur gérant 4 établissements (2 restaurants de plage, un restaurant gastronomique et une brasserie, dans un hôtel huppé, estime avoir perdu 15 euros sur un panier moyen qui, l’an dernier s’établissait à 40 euros.

Pour un glacier, le constat est le suivant : « on sent que les gens comptent le nombre de boules pour limiter la dépense ».

Quant aux boutiques, elles ne font pas le plein : « on vend, mais moins et l’on prend même la mauvaise habitude de marchander. On se croit dans les souks ! »

La premiumisation de l’offre touristique est en marche

Pour autant, cette situation sur laquelle les médias s’attardent avec un évident plaisir, a beau être aggravée cette année par les crises successives que nous subissons, elle n’est pas vraiment nouvelle.

Oui, le budget vacances est un budget résiduel : on s’offre des vacances quand on a tout payé. Oui, les plus aisés n’ont pas besoin de compter et partent plusieurs fois dans l’année.

Et surtout, oui, une « premiumisation » de l’offre touristique est en marche. Comme le souligne le livre de Jérôme Fourquet « La France sous nos yeux » à qui l’on doit cette expression, dans la foulée du Club Méditerranée, de nombreux opérateurs ont tendance à faire monter en gamme leurs établissements afin de toucher une clientèle aux revenus stables, ne risquant pas de faire défection en cas de crise.

Même les campings longtemps considérés comme des hébergements parfaitement adaptés à la classe moyenne, évoluent vers du haut de gamme.

Au pays des « Vacances pour tous », pour qui le tourisme social a été l’objet des principaux combats d’après-guerre, le constat est troublant. Et nous y reviendrons.

Autre constat encore plus troublant, selon l’étude de la Fondation Jean Jaurès : 64% des Français qui ne partent pas en vacances ne partaient déjà pas en vacances dans leur jeunesse !

D’où l’importance des colonies de vacances pour les enfants et des aides destinées aux familles défavorisées. D’où l’urgence de préserver et de se battre pour le droit à ces vacances dont on sait depuis longtemps les bienfaits et la nécessité.

Les vacances demeurent en partie le privilège des plus favorisés

Les vacances demeurent donc une affaire économique et culturelle.

Mais, il existe derrière des chiffres d’autres chiffres démontrant que les vacances demeurent en partie le privilège des plus favorisés, économiquement, socialement et culturellement.

Par exemple, les aides vont aux 25% des salariés les plus aisés : ce sont effectivement 25% des salariés les plus aisés - plus de 3 000 euros mensuels pour une personne seule - qui sont aidés contre 22% des bas revenus gagnant moins de 1 200 euros !

C’est donc le cas de 38% des professions intermédiaires contre moins de 29% des ouvriers.

Autre inégalité économique : la taille ou le secteur d’activité où l’on travaille sont déterminants. D’une part, dans les grandes sociétés, les salaires y sont en moyenne supérieurs.

Mais, dans les grandes entreprises comme la banque ou les assurances, on est plus aidé que dans la grande distribution par exemple, grâce aux dispositifs mis en place par les comités d’entreprises en particulier. Lesquels permettent souvent aux enfants de bénéficier de centres de vacances de qualité, à coûts très bas, alors que les adultes se voient proposer toutes sortes d’hébergements à tarifs compétitifs.

Quant aux chômeurs, ils bénéficient bien moins souvent d’un soutien pour partir en vacances que ceux qui ont un emploi : 19% contre 31%.

La maison familiale : un paradigme à la portée des plus privilégiés 

Par ailleurs, une fois partis, un autre facteur d’inégalité réside dans le mode d’hébergement.

Les plus aisés ont des résidences secondaires dont ils profitent et font profiter leurs proches. Alors que les ménages modestes doivent payer des factures élevées pour se loger.

Comme on le remarque souvent, la maison familiale compte parmi les hébergements vacanciers les plus chers aux imaginaires contemporains.

Largement véhiculé par une littérature produite par la classe de loisirs européenne, notamment britannique, ce paradigme remonte au 18e siècle et s’est considérablement affirmé aux siècles suivants, via la littérature toujours mais aussi le cinéma et la télévision.

Situées de préférence en Provence ou dans des stations balnéaires réputées, ces « maisons de vacances » jouent à merveille le jeu de la distinction sociale à laquelle tiennent la bourgeoisie et l’aristocratie.

Comme le remarquent les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot dans leur étude des beaux quartiers : « en été, on ouvre les fenêtres et les portes des châteaux pour y recevoir sa famille et ses amis, faisant de grands voyages en hiver, c’est-à-dire hors saison ! »

Le collaboratif reste la chasse gardée des plus favorisés

Mêmes observations sur l’usage des prestations collaboratives.

Certes, le covoiturage et la location d’appartements de particulier à particulier se révèlent plus économiques que des prestations traditionnelles. Mais, ce sont les propriétaires d’appartements et maisons bien situés et de qualité qui peuvent arrondir leurs revenus grâce aux plateformes collaboratives.

Même constat pour l’échange : un appartement à Sarcelles ne va pas se louer ni s’échanger aussi bien qu’une villa à Bandol !

Les réseaux affinitaires et les diasporas

Autre constat : le patrimoine social vient plus souvent au secours des populations éduquées que des autres.

Non seulement en France mais à l’étranger, où elles finissent toujours par se faire prêter un hébergement par des amis ou de la famille plus nantis.

En revanche, les membres des diasporas issues de pays émergeants, retournant passer les vacances estivales dans leur pays, se trouvent plus souvent dans la situation de devoir aider les familles restées au pays au lieu d’être aidées par celles-ci.

Les diasporas africaines et asiatiques surtout sont dans ce cas…

Les enfants vont chez les grands-parents

Enfin, autre privilège des classes favorisées : les grands-parents jouant les baby-sitters pendant les vacances scolaires.

Aisés, éduqués, bien logés, ils offrent des vacances idéales à leurs petits-enfants dont les parents se trouvent par la même occasion exemptés de dépenses de vacances pour leur progéniture.

On le voit, les vacances restent donc bien souvent non seulement une question économique mais une question de culture et d’extraction sociale.

Les plus éduqués, les mieux dotés en patrimoine social auront toujours la possibilité de prendre des vacances de qualité quand d’autres ne pourront jamais envisager qu’un pique-nique le dimanche avec leurs enfants !

Quant aux combats menés par l’UNAT et autres partenaires sociaux, ils sont plus que jamais indispensables.

Lire absolument : LES VACANCES DES FRANÇAIS : ACCÈS, POUVOIR D’ACHAT ET FINANCEMENT

Josette Sicsic - DR
Josette Sicsic - DR
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com


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