Réinventons la montagne : si le ski a permis de développer une économie rentable, le dérèglement climatique a remis en question le modèle d’hier - DepositPhotos.com, .shock
Futuroscopie - Globalement, pouvez-vous me préciser l’idée majeure que vous développez dans votre ouvrage « Réinventons la montagne : Alpes 2030 : un autre imaginaire est possible » ?
Fiona Mille : Je pense que l’on est sur une période de bascule et qu’il est indispensable de se tourner vers l’avenir en changeant de modèle économique. Surtout en moyenne montagne.
Le ski a permis, c’est vrai, de développer une économie rentable. Et tant que cela a marché, on a continué à modèle constant. Mais, le dérèglement climatique est passé par là et a remis en question le modèle d’hier.
On assiste donc souvent à une vraie prise de conscience de la part des acteurs du tourisme en montagne qui s’interrogent sur la possibilité de sauvegarder ce territoire en rompant avec le tout ski, et en tentant de mettre en place des stratégies inspirantes, en harmonie avec la personnalité de leur région.
Selon moi, il faut donner à un territoire un sens. C’est indispensable. Et surtout éviter de parodier des démarches standardisées adoptées par d’autres stations.
Pour cela, on travaille avec les habitants et l’on essaie ensemble de révéler, puis de mettre en scène une vision commune de ce que devrait être la montagne en 2050.
Ainsi, Tignes a lancé un plan « Tignes 2050 » et cherche à se positionner sur le sport, été et hiver et sur tous les sports d’une façon générale. D’autres stations comme Saint-Pierre de Chartreuse tournent désormais le dos au ski et développent leurs atouts nature, paysage, randonnée.
Quant à Super Devoluy (que l’on peut voir sur son site, en temps réel grâce à des webcams : ledevoluy.com), elle joue la carte de la ludification. Pourquoi pas ? Mais à condition que toutes les stations ne fassent pas la même chose et optent pour une différenciation légitime.
Vous avez pour votre part évoqué le climatisme. Je suis d’accord. La montagne a une offre à qualifier sur ce créneau car les canicules ne sont sans doute pas prêtes de cesser.
D’une façon générale, le bien-être et le tourisme qui lui est lié ont une très belle opportunité de développement. Mais, à condition de ne pas se limiter à quelques spas dans des hôtels 5 étoiles. Lesquels n’ont pas de lien direct avec le territoire.
La montagne a également une carte à jouer en matière de pratiques physiques et mentales, voire spirituelles. Elle propose un territoire de ressourcement incomparable surtout pour les urbains qui vivent toute l’année dans des univers pollués. Un phénomène loin d’être enrayé.
Lire aussi : Pourra-t-on encore skier en Europe dans un monde à +2°C ?
Fiona Mille : Je pense que l’on est sur une période de bascule et qu’il est indispensable de se tourner vers l’avenir en changeant de modèle économique. Surtout en moyenne montagne.
Le ski a permis, c’est vrai, de développer une économie rentable. Et tant que cela a marché, on a continué à modèle constant. Mais, le dérèglement climatique est passé par là et a remis en question le modèle d’hier.
On assiste donc souvent à une vraie prise de conscience de la part des acteurs du tourisme en montagne qui s’interrogent sur la possibilité de sauvegarder ce territoire en rompant avec le tout ski, et en tentant de mettre en place des stratégies inspirantes, en harmonie avec la personnalité de leur région.
Selon moi, il faut donner à un territoire un sens. C’est indispensable. Et surtout éviter de parodier des démarches standardisées adoptées par d’autres stations.
Pour cela, on travaille avec les habitants et l’on essaie ensemble de révéler, puis de mettre en scène une vision commune de ce que devrait être la montagne en 2050.
Ainsi, Tignes a lancé un plan « Tignes 2050 » et cherche à se positionner sur le sport, été et hiver et sur tous les sports d’une façon générale. D’autres stations comme Saint-Pierre de Chartreuse tournent désormais le dos au ski et développent leurs atouts nature, paysage, randonnée.
Quant à Super Devoluy (que l’on peut voir sur son site, en temps réel grâce à des webcams : ledevoluy.com), elle joue la carte de la ludification. Pourquoi pas ? Mais à condition que toutes les stations ne fassent pas la même chose et optent pour une différenciation légitime.
Vous avez pour votre part évoqué le climatisme. Je suis d’accord. La montagne a une offre à qualifier sur ce créneau car les canicules ne sont sans doute pas prêtes de cesser.
D’une façon générale, le bien-être et le tourisme qui lui est lié ont une très belle opportunité de développement. Mais, à condition de ne pas se limiter à quelques spas dans des hôtels 5 étoiles. Lesquels n’ont pas de lien direct avec le territoire.
La montagne a également une carte à jouer en matière de pratiques physiques et mentales, voire spirituelles. Elle propose un territoire de ressourcement incomparable surtout pour les urbains qui vivent toute l’année dans des univers pollués. Un phénomène loin d’être enrayé.
Lire aussi : Pourra-t-on encore skier en Europe dans un monde à +2°C ?
"La montagne a des richesses à offrir toute l’année"
Futuroscopie - Mais ne faut-il pas que les populations locales soient consultées ?
Fiona Mille : C’est indispensable. Elles le sont un peu plus et en profitent pour se mobiliser contre des chantiers aberrants, détruisant des espaces naturels au profit d’intérêts privés.
Des projets comme à La Grave dans les Alpes de Haute-Provence ou à l’Alpe-d’Huez ou à Montgenèvre sont combattus avec vigueur par des associations locales, qui se battent également contre l’épuisement des ressources généré par les touristes et par la mise à mal de la biodiversité.
Sur les agoras citoyennes, les places publiques, les cafés… les langues se délient et on s’invite à rêver d’autre chose.
Futuroscopie - Cette question des imaginaires semble beaucoup vous préoccuper. A raison. Pouvez-vous nous en parler ?
Fiona Mille : Tout le monde en est d’accord, l’univers du ski et autres sports de glisse coûteux et athlétiques, nécessitant des chantiers parfois énormes ont dénaturé l’univers de la montagne.
Au fil des années, malgré une iconographie tournant autour des feux de cheminée et des raclettes, c’est le ski et l’hiver qui l’ont emporté.
Or, la montagne est belle et a des richesses à offrir toute l’année, y compris en automne. On doit donc mettre en valeur ces visages de la montagne et attirer des populations qui ne demandent qu’à vivre d’autres expériences que celles du 100% glisses.
Chaque territoire devant être capable de réfléchir à ses spécificités et mettre en avant un tourisme correspondant à sa personnalité, pourra au fur et à mesure proposer de nouvelles représentations en adéquation avec les attentes contemporaines.
De plus, il faut réfléchir sur d’autres éléments que la seule activité touristique. Il faut aborder la mobilité, l’alimentation, l’environnement, l’humain. Et il faut repenser à accueillir des colonies de vacances afin de sensibiliser les enfants aux richesses animales et végétales de la montagne et pas seulement au ski.
Fiona Mille : C’est indispensable. Elles le sont un peu plus et en profitent pour se mobiliser contre des chantiers aberrants, détruisant des espaces naturels au profit d’intérêts privés.
Des projets comme à La Grave dans les Alpes de Haute-Provence ou à l’Alpe-d’Huez ou à Montgenèvre sont combattus avec vigueur par des associations locales, qui se battent également contre l’épuisement des ressources généré par les touristes et par la mise à mal de la biodiversité.
Sur les agoras citoyennes, les places publiques, les cafés… les langues se délient et on s’invite à rêver d’autre chose.
Futuroscopie - Cette question des imaginaires semble beaucoup vous préoccuper. A raison. Pouvez-vous nous en parler ?
Fiona Mille : Tout le monde en est d’accord, l’univers du ski et autres sports de glisse coûteux et athlétiques, nécessitant des chantiers parfois énormes ont dénaturé l’univers de la montagne.
Au fil des années, malgré une iconographie tournant autour des feux de cheminée et des raclettes, c’est le ski et l’hiver qui l’ont emporté.
Or, la montagne est belle et a des richesses à offrir toute l’année, y compris en automne. On doit donc mettre en valeur ces visages de la montagne et attirer des populations qui ne demandent qu’à vivre d’autres expériences que celles du 100% glisses.
Chaque territoire devant être capable de réfléchir à ses spécificités et mettre en avant un tourisme correspondant à sa personnalité, pourra au fur et à mesure proposer de nouvelles représentations en adéquation avec les attentes contemporaines.
De plus, il faut réfléchir sur d’autres éléments que la seule activité touristique. Il faut aborder la mobilité, l’alimentation, l’environnement, l’humain. Et il faut repenser à accueillir des colonies de vacances afin de sensibiliser les enfants aux richesses animales et végétales de la montagne et pas seulement au ski.
Des populations résidentes indispensables pour le secteur touristique
Futuroscopie - On commence à réaliser l’importance et la valeur ajoutée des populations résidentes dans le secteur touristique. Qu’en pensez-vous ?
Fiona Mille : Celles-ci sont indispensables à l’amélioration de l’accueil des populations exogènes. De plus, ce sont elles qui font fonctionner l’économie durant l’année en proposant des activités originales très ancrées dans le local.
Ce sont aussi elles qui permettent de maintenir des services publics indispensables à la vie quotidienne comme les postes, les banques, les écoles, les commerces.
Les stations ont donc une carte à jouer pour conserver leur population locale mais également pour la développer. Une station proche d’un bassin d’activité peut accueillir des résidents à l’année. Cela se voit de plus en plus et c’est une bonne chose. Mais ce n’est pas possible partout.
Cela dit, les stations ne doivent pas être les seuls espaces à focaliser le tourisme. En dehors d’elles, les territoires sont importants tant pour la population endogène que touristique.
C’est elle qui peut contribuer à faire vivre la montagne à l’année. Bien que je sois contre le concept de tourisme des quatre saisons. Ce concept amène à créer des aménagements superflus dans une montagne déjà trop aménagée et trop carbonée.
Fiona Mille : Celles-ci sont indispensables à l’amélioration de l’accueil des populations exogènes. De plus, ce sont elles qui font fonctionner l’économie durant l’année en proposant des activités originales très ancrées dans le local.
Ce sont aussi elles qui permettent de maintenir des services publics indispensables à la vie quotidienne comme les postes, les banques, les écoles, les commerces.
Les stations ont donc une carte à jouer pour conserver leur population locale mais également pour la développer. Une station proche d’un bassin d’activité peut accueillir des résidents à l’année. Cela se voit de plus en plus et c’est une bonne chose. Mais ce n’est pas possible partout.
Cela dit, les stations ne doivent pas être les seuls espaces à focaliser le tourisme. En dehors d’elles, les territoires sont importants tant pour la population endogène que touristique.
C’est elle qui peut contribuer à faire vivre la montagne à l’année. Bien que je sois contre le concept de tourisme des quatre saisons. Ce concept amène à créer des aménagements superflus dans une montagne déjà trop aménagée et trop carbonée.
Des JO sans consultation de la population locale...
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Futuroscopie - Parlons maintenant des Jeux Olympiques. Est-ce qu’ils auront lieu et comment voyez-vous les choses ?
Fiona Mille : J’ai élaboré trois scenarios. Le premier prévoit que les Jeux auront bel et bien lieu au prix de destructions catastrophiques.
Le deuxième scenario prévoit que les épreuves seront annulées en dernière minute face aux urgences climatiques, sociales et politiques.
Enfin, le troisième, un scenario optimiste, envisage une année de festivités mais aussi d’engagement créant un élan collectif au service de la transition indispensable à l’avenir.
Pour le moment, il est clair pour moi que l’on ne va pas annuler ces jeux. Mais, la décision a été prise par le haut, sans consultation de la population locale concernée. Ce qui est déjà un handicap. On n’est plus à l’époque de Grenoble et d’Albertville.
Lire aussi : JO d'Hiver 2030 : "Un mauvais signal envoyé à la montagne française"
J’observe que cette perspective ne déclenche donc pour le moment aucun enthousiasme. Au contraire. On y voit encore de l’argent public partir en fumée sur un événement qui aura plutôt des impacts négatifs que positifs. D’autant que nous ne savons pas si nous aurons ou pas de la neige.
Le message des pouvoirs publics est donc incohérent. D’une part, il faut économiser et préserver et l’on indique déjà que l’on fera dans la sobriété. Mais, de l’autre on dépensera des millions pour un spectacle qui n’aura aucun impact autre que négatif.
Sur la mobilité par exemple, selon Anne Lassmann Trappier, présidente de France Nature Environnement Savoie, les Jeux seront délétères, pour l’environnement, pour les routes et pour l’eau et ne permettront pas d’avoir plus de trains dans les gares des Alpes.
Quant au contournement routier comme celui de Gap, il favorisera la voiture, ce qui n’est pas le but attendu. Les J.O risquent aussi d’attirer de nouvelles constructions à l’heure où il s’agit de cesser d’artificialiser les sols des parkings et autres hébergements ainsi comme à La Plagne d’un lifiting des remontées mécaniques d’hier.
Certes, on pourra impressionner le monde, mais ce spectacle sera réservé aux hauts revenus qui ne seront peut-être même pas attirés par l’événement.
En somme, on va manquer de courage et une nouvelle fois dépenser de l’argent sur un projet d’avenir à très court terme alors qu’il faut repenser la destinée de tous les massifs. Et il faut probablement chercher l’inspiration parmi les petits massifs comme les Vosges ou les Pyrénées qui ont anticipé les changements et ont pris un tournant adapté à la situation d’un monde où vous le savez, on n’hésite pas à confier l’organisation des Jeux d’hiver asiatiques à un pays comme l’Arabie saoudite.
Lequel est prêt à engager des dépenses colossales en neige artificielle, ski indoor, climatisation… Indifférent aux aléas climatiques !
Propos recueillis par Josette Sicsic
Lire : « Réinventons la montagne : Alpes 2030 : un autre imaginaire est possible ». Fiona Mille. Editions du faubourg. 14 euros - www.editionsdufaubourg.fr
Fiona Mille : J’ai élaboré trois scenarios. Le premier prévoit que les Jeux auront bel et bien lieu au prix de destructions catastrophiques.
Le deuxième scenario prévoit que les épreuves seront annulées en dernière minute face aux urgences climatiques, sociales et politiques.
Enfin, le troisième, un scenario optimiste, envisage une année de festivités mais aussi d’engagement créant un élan collectif au service de la transition indispensable à l’avenir.
Pour le moment, il est clair pour moi que l’on ne va pas annuler ces jeux. Mais, la décision a été prise par le haut, sans consultation de la population locale concernée. Ce qui est déjà un handicap. On n’est plus à l’époque de Grenoble et d’Albertville.
Lire aussi : JO d'Hiver 2030 : "Un mauvais signal envoyé à la montagne française"
J’observe que cette perspective ne déclenche donc pour le moment aucun enthousiasme. Au contraire. On y voit encore de l’argent public partir en fumée sur un événement qui aura plutôt des impacts négatifs que positifs. D’autant que nous ne savons pas si nous aurons ou pas de la neige.
Le message des pouvoirs publics est donc incohérent. D’une part, il faut économiser et préserver et l’on indique déjà que l’on fera dans la sobriété. Mais, de l’autre on dépensera des millions pour un spectacle qui n’aura aucun impact autre que négatif.
Sur la mobilité par exemple, selon Anne Lassmann Trappier, présidente de France Nature Environnement Savoie, les Jeux seront délétères, pour l’environnement, pour les routes et pour l’eau et ne permettront pas d’avoir plus de trains dans les gares des Alpes.
Quant au contournement routier comme celui de Gap, il favorisera la voiture, ce qui n’est pas le but attendu. Les J.O risquent aussi d’attirer de nouvelles constructions à l’heure où il s’agit de cesser d’artificialiser les sols des parkings et autres hébergements ainsi comme à La Plagne d’un lifiting des remontées mécaniques d’hier.
Certes, on pourra impressionner le monde, mais ce spectacle sera réservé aux hauts revenus qui ne seront peut-être même pas attirés par l’événement.
En somme, on va manquer de courage et une nouvelle fois dépenser de l’argent sur un projet d’avenir à très court terme alors qu’il faut repenser la destinée de tous les massifs. Et il faut probablement chercher l’inspiration parmi les petits massifs comme les Vosges ou les Pyrénées qui ont anticipé les changements et ont pris un tournant adapté à la situation d’un monde où vous le savez, on n’hésite pas à confier l’organisation des Jeux d’hiver asiatiques à un pays comme l’Arabie saoudite.
Lequel est prêt à engager des dépenses colossales en neige artificielle, ski indoor, climatisation… Indifférent aux aléas climatiques !
Propos recueillis par Josette Sicsic
Lire : « Réinventons la montagne : Alpes 2030 : un autre imaginaire est possible ». Fiona Mille. Editions du faubourg. 14 euros - www.editionsdufaubourg.fr
Josette Sicsic - DR
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.
Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.
Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com
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