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Transport aérien et environnement : comment poser le problème ?

article publié par The Conversation


Nathalie Roseau, Professeure d’urbanisme, École des Ponts ParisTech (ENPC) revient dans un article publié dans The Conversation sur l'impact du transport aérien sur le climat. Selon elle, pour poser le problème dans son ensemble, trois questions paraissent cruciales : la mesure des effets du transport aérien, l’empreinte de son infrastructure et le temps de sa transition.


Rédigé par Nathalie Roseau le Mercredi 30 Novembre 2022

Déjà en 2005, pour rendre compte du trafic quotidien, un artiste s’était posté une journée à l’aéroport d’Hanovre, en Allemagne, et avait superposé les images des tous les décollages. Ho Yeol Ryu via Flickr, CC BY-NC-SA
Déjà en 2005, pour rendre compte du trafic quotidien, un artiste s’était posté une journée à l’aéroport d’Hanovre, en Allemagne, et avait superposé les images des tous les décollages. Ho Yeol Ryu via Flickr, CC BY-NC-SA

Le transport aérien nourrit nombre de controverses environnementales comme le montre l’actualité en France de ces dernières années. Il y a bien entendu eu le projet nantais d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes auquel le gouvernement a renoncé en 2018, mais aussi l’arrêt du projet de mégacentre de loisirs EuropaCity en 2019, envisagé aux abords de l’aéroport de Roissy, puis l’abandon du Terminal 4 en 2021, qui devait augmenter de 50 % sa capacité.


Entre-temps, la question de la privatisation d’Aéroports de Paris s’est invitée durant les débats sur le projet de loi Pacte. À cette occasion, près de 250 parlementaires se sont mobilisés, demandant un référendum d’initiative populaire relatif au maintien du statut public de l’autorité. Si la requête n’a pu réunir le quorum exigé par la loi, le projet de privatisation s’est vu retarder alors que la pandémie liée au coronavirus mettait à l’arrêt les aéroports.


Cible récurrente du débat public, le développement de l’aviation fait surgir d’autres questions encore : celle d’une sécession des élites qui s’affranchiraient des contingences terrestres (souvenons-nous de la polémique sur les jets privés) ou celle des crises énergétiques qui mettent à jour les obstacles techno-politiques à la sortie des énergies fossiles.


Pourtant, comme l’ont montré nos travaux, les devenirs du transport aérien ne peuvent être saisis seulement à partir de « crises » dont les « problèmes » nécessiteraient d’être « résolus ». Si des controverses ont permis d’approfondir les enjeux à l’œuvre, en offrant une arène pour le débat public, d’autres sont restées au stade de la polémique. Pour poser le problème dans son ensemble, trois questions paraissent cruciales : la mesure des effets du transport aérien, l’empreinte de son infrastructure et le temps de sa transition.


Des chiffres incomplets


Pour comprendre le rôle de la mobilité aérienne dans les désordres environnementaux, il convient d’abord d’en mesurer les effets globaux. La tâche n’est cependant pas aisée du fait du caractère mondial des données nécessaires et du mode d’élaboration des indicateurs destinés à apprécier la grandeur du problème. Que compte-t-on dans les sources, les volumes, les natures et les impacts des émissions ?


La contribution du transport aérien au changement climatique est actuellement calculée sous la forme d’un pourcentage estimé autour de 4 % selon les dernières études scientifiques de référence (Atmospheric Environment, Environmental Research, The Shift Project). Sa mesure intègre les émissions de dioxyde de carbone mais aussi celles des autres gaz à effet de serre comme les oxydes d’azote, l’ozone ou le méthane. Sont également considérés les effets des cirrus, ces nuages issus des traînées de condensation qui aggravent le forçage radiatif.


Les efforts demandés au secteur aérien pour rester dans la limite d’un réchauffement global de 1.5 °C se heurtent néanmoins à la partialité des chiffres sur lesquels sont fondés les accords internationaux climatiques. D’une part, seules les émissions de CO2 sont prises en compte et non les émissions hors CO2 qui sont significatives.


D’autre part, le trafic aérien international est exclu des objectifs fixés pour les États, qu’il s’agisse du protocole de Kyoto ou des accords de Paris. En France, la Direction générale de l’aviation civile a mis au point un outil de mesure nommé Tarmaac (pour Traitements et analyses des rejets émis dans l’atmosphère par l’aviation civile) qui ne couvre que les vols Métropole et Outre-mer, hors aviation militaire et privée. Mais le suivi s’arrête là. Pourtant, la part des émissions des vols internationaux est estimée à 80 % du total.


La réception des chiffres est quant à elle contrastée. Les uns relativisent l’importance du transport aérien au regard des secteurs de la construction ou des transports terrestres, bien plus émetteurs en volumes globaux. Mais la comparaison vaut-elle entre le déplacement dans les airs, non démocratisé car non vital, et l’habiter sur terre qui concerne tout un chacun ? D’autres au contraire soulignent l’importance de ce chiffre, privilégiant sa valeur absolue mise en regard de la question des limites planétaires.


Un autre indicateur est parfois utilisé : le taux d’émission par passager par kilomètre parcouru. Comparé au train, l’avion est très émetteur ; avec l’automobile, il est à égalité. La mesure par kilomètre pose toutefois la question de l’impact écologique de l’accélération, car on ne franchit pas les mêmes distances en automobile et en avion.


Comme le soulignent l’économiste des transports Yves Crozet et le sociologue Hartmut Rosa, l’augmentation des vitesses de transport a produit, non pas un « gain » de temps pour les usagers, mais un allongement des distances parcourues. Il serait donc plus juste de comptabiliser le facteur du temps de transport pour mesurer les effets comparés des modes de déplacement. C’est ce que propose l’économiste de l’environnement Aurélien Bigo, dont les calculs font grimper l’aviation en haut des transports les plus émetteurs.


Infrastructure, territoire et culture


Toutes ces analyses, en outre, ne tiennent compte que d’une partie du problème car elles ne mesurent que les impacts des vols stricto sensu, oubliant les infrastructures aéroportuaires et la construction aéronautique sans lesquelles les avions ne pourraient pas voler. Comment mesurer la globalité des empreintes du transport aérien, qui comprend les cycles de vie des aéronefs, l’impact des aéroports et l’environnement des vols ?


Scruter la contribution de la mobilité aérienne aux changements globaux suppose de mettre à jour ses « moteurs immobiles » comme l’énonçait Bruno Latour. Avec le transport aérien, la construction aéronautique et l’infrastructure aéroportuaire forment les piliers d’un macro-système au sein duquel opèrent des entreprises qui agissent sur la scène globale des groupes mondiaux. Désir de mouvement, globalisation des flux, accélération des vitesses, épreuves du risque ont aussi produit une longue traîne d’influences et d’expériences, façonnant une culture aérienne qui a métamorphosé nos relations aux territoires, leur espace, leur histoire, leurs échelles.


Ainsi, l’emprise de l’infrastructure aérienne est ample et diffuse. Elle ne saurait être réduite aux seules plates-formes sur lesquelles atterrissent les aéronefs. Il faut aussi compter les sites et leurs dépendances, les clôtures et leurs rives, les voies d’accès qui l’irriguent, les routes aériennes et les territoires qu’elles survolent, les institutions qui la soutiennent, les produits et les dérivés qui l’alimentent.


Dès lors, matérialiser son empreinte permet de comprendre ce qui se joue dans les divergences d’intérêt dont font l’objet les grands projets contestés, d’envisager les alternatives aussi, et les réversibilités.


Penser le temps de la transition


Si comprendre les impacts du transport aérien est difficile à mesurer, appréhender ses futurs l’est tout autant. Sa croissance mondiale s’annonce florissante, autour de 5 % par an, soit un doublement de son niveau en 15 ans. L’Organisation de l’aviation civile internationale prévoit quant à elle une multiplication par quatre des volumes d’émissions d’ici 2050.


À ces trajectoires qui divergent de l’impératif climatique, tentent de répondre les prospectives qui parient sur l’innovation technologique et énergétique. Pourtant, si nous considérons la seule question énergétique, la recherche sur des alternatives non fossiles – biocarburants et carburants de synthèse, électricité et hydrogène – soulève tout un ensemble de questions sur les possibilités d’y parvenir, sur les ressources mobilisables (eau, énergie, cultures intensives), sur l’adéquation des flottes existantes ou sur la durée des amortissements des investissements. L’actualité de la crise, en Europe et en France, montre par ailleurs la persistance d’un « mix » qui agrège les énergies fossiles et renouvelables, modifiant et renforçant en même temps les structures économiques et politiques qui les soutiennent.


Du temps est nécessaire comme le montre le cas de l’automobile dont le modèle électrique est pourtant possible sur le plan technologique. En effet, la pertinence d’une transition massive soulève bien des questions sur le plan écologique, par ailleurs en butte à maints obstacles : poids des batteries, disponibilité des métaux rares, volumes d’énergie, coûts sociaux… Ces paris incertains ne peuvent donc être exclusifs d’autres options que sont la sobriété, la réduction et la régulation.


Omniprésent et ambigu, le terme de transition est souvent entendu comme un temps linéaire et défini à l’issue duquel seraient surmontées les crises, nous projetant dans un « monde d’après » dont nous peinons peut-être à comprendre qu’il ne ressemblera à rien du monde d’avant.


Confrontés à la question de son (in)habitabilité, les citoyens de la terre gagneraient à être mieux éclairés sur notre présent, ce « plasma dans lequel baignent les phénomènes et comme le lieu de leur intelligibilité » nous disait l’historien Marc Bloch. Forte de son histoire pluriséculaire, l’économie aérienne peut-elle y parvenir ?The Conversation



Nathalie Roseau, Professeure d’urbanisme, École des Ponts ParisTech (ENPC)


Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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