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Un passager brûlé par du café en vol : la compagnie peut être responsable

La chronique de Me Emmanuelle Llop


"Un café s’il vous plaît ! (mais pas trop chaud)", entendrons-nous peut-être désormais à bord des avions. En tous cas, depuis le 19 décembre 2019, un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne indique que les brûlures causées au passager par du café bouillant à bord d'un vol sont les conséquences d’un accident dont la compagnie est responsable. Me Emmanuelle Llop revient sur cette décision de justice.


Rédigé par Me E. Llop le Lundi 13 Janvier 2020

Pour la Cour de Justice Européenne, les brûlures causées au passager par du café bouillant à bord d'un vol sont les conséquences d’un accident dont la compagnie est responsable - DR : DepositPhotos, KostyaKlimenko
Pour la Cour de Justice Européenne, les brûlures causées au passager par du café bouillant à bord d'un vol sont les conséquences d’un accident dont la compagnie est responsable - DR : DepositPhotos, KostyaKlimenko
Pour la Cour de Justice Européenne, les brûlures causées au passager par du café bouillant à bord d'un vol sont les conséquences d’un accident dont la compagnie est responsable, selon l'arrêt C-532/18 Niki Luftfahrt du 19 décembre 2019.

Il fait suite à la plainte d'une passagère qui, après avoir été brûlée par du café chaud servi à bord d’un compagnie aérienne autrichienne, a réclamé des dommages et intérêts.

Dans la plupart des cas, la responsabilité des compagnies aériennes est régie par la Convention de Montréal du 28 mai 1999.

Son article 17, consacré à la mort ou à la lésion subie par un passager, énonce que le transporteur est responsable du seul fait que l’accident qui a causé la mort ou la lésion s’est produit à bord de l’appareil (ou pendant les opérations d’embarquement/débarquement).

Concernant l’indemnisation des passagers, lorsque le dommage ne dépasse pas un certain seuil (128 821 DTS selon la dernière révision du 28 décembre 2019 - le DTS valant 1,1 ou 1,2 € selon le cours quotidien du FMI), la responsabilité du transporteur est objective en ce sens qu’il ne peut l’exclure ou la limiter.

Autrement dit, en cas d’accident ayant causé un dommage corporel à un passager dont l’indemnisation est inférieure à (environ) 154 000 €, la compagnie doit payer des dommages-intérêts du seul fait que cet accident a eu lieu à bord de l’avion ou pendant les opérations d’embarquement ou débarquement.

Dans la mesure où ce n’est qu’au-dessus de ce seuil qu’afin de préserver l’équilibre équitable des intérêts bien compris des passagers comme des transporteurs, ces derniers peuvent invoquer la faute du passager ou d’un tiers ou la force majeure pour exclure leur responsabilité, il est primordial de définir ce que recouvre cette notion d’accident.

Des interprétations divergentes de la notion d’accident

A l’occasion de la chute d’un gobelet de café brûlant sur une passagère, lui causant des brûlures au second degré, et sans qu’il ait pu être établi comment le gobelet a pu se renverser (défectuosité de la tablette, vibrations de l’avion, geste des passagers ?), des tribunaux autrichiens ont livré une interprétation divergente de la notion d’accident.

La demande était fondée sur l’article 17 de la Convention de Montréal, pour 8 500 €.

Pour le premier juge, l’accident résultait d’un risque inhérent au transport aérien, sans faute particulière de la compagnie car il est socialement adéquat et habituel de servir des boissons chaudes dans des récipients sans couvercle.

En résumé, l’avion pouvant présenter des degrés d’inclinaison variables, les objets placés sur les tablettes peuvent glisser sans qu’une manœuvre particulière soit nécessaire : la compagnie est objectivement responsable, sans faute.

Les seconds juges ont, quant à eux, estimé que la Convention de Montréal ne couvre justement que les accidents causés par des risques inhérents au transport aérien. Puisque la passagère n’a pu apporter la preuve de la réalisation de ce risque, la compagnie ne serait pas responsable.

Sur recours en révision, la CJUE se prononce sur la notion d’accident et estime que l’interprétation de l’article 17 implique une approche extensive, selon laquelle l’accident se comprend comme un événement involontaire dommageable imprévu, sans qu’il soit nécessaire de rechercher si cet accident résulte d’un risque inhérent au transport aérien : la Convention couvre toutes les situations se produisant à bord et dans lesquelles un objet est utilisé pour le service aux passagers et leur a causé une lésion.

Il est vrai qu’exiger l’inverse viderait l’article 17 de sa substance car de nombreuses situations à bord, génératrices de possibles accidents, ne sont pas réservées au seul transport aérien.

Pour la CJUE, la charge des indemnisations « automatiques » en-dessous du seuil n’est pas financièrement insurmontable pour les transporteurs, tandis qu’au-dessus de ce seuil, ils peuvent toujours (tenter de) prouver la faute d’un tiers ou du passager lui-même, ou un cas de force majeure.

Il ne s’agit donc pas d’une responsabilité « illimitée » : les équilibres sont préservés dans un système de transport aérien sûr et moderne.

Un parallèle avec la « responsabilité de plein droit »

Cette décision vient donc clarifier une situation relativement courante dans le transport aérien, lorsque le passager se plaint de dommages corporels causés pendant le vol ou les opérations d’embarquement - débarquement, avec cette distinction importante que selon que la réclamation se situe au-dessus ou en-dessous du seuil d’indemnisation, le transporteur pourra ou non invoquer des causes exonératoires.

Cet arrêt doit certainement résonner aux oreilles des agences et tour-opérateurs, puisque le principe de la responsabilité objective, dont on ne peut sortir qu’en prouvant la responsabilité du voyageur, d’un tiers ou de circonstances exceptionnelles et inévitables (nouvelle désignation de la force majeure dans le Code du Tourisme) leur est familier sous la désignation de « responsabilité de plein droit ».

Une différence notable toutefois : il n’existe pas de seuil d’indemnisation pour les opérateurs touristiques, qui les priverait des causes d’exonération de responsabilité.

Dans le cadre de la vente de forfaits incluant des prestations aériennes, ce raisonnement juridique risque certainement de donner lieu à des développements intéressants puisque, si les opérateurs ne peuvent être poursuivis que sur le fondement du Code du Tourisme (article L. 211-17-V), ce dernier précise cependant que les limitations de responsabilité édictées par des conventions internationales (comme celle de Montréal), doivent leur profiter.

Qu’en sera-t-il si un voyageur poursuit une agence à cause d’un accident pendant son vol, pour un montant inférieur au seuil de la Convention de Montréal alors qu’il peut être établi que le voyageur lui-même est à l’origine de son dommage (par exemple, un passager non-attaché qui se blesse pendant des turbulences, ou bien qui a lâché son gobelet de café chaud) ?

Le Code du Tourisme prévaudra-t-il sur la jurisprudence de la CJUE ?

Heureusement, le recours en garantie des opérateurs à l’égard de leurs prestataires - comme la compagnie aérienne - leur permet de se retourner contre cette dernière afin de ne pas supporter définitivement d’éventuelles condamnations, quand ladite compagnie ne joue pas trop avec les « astuces » procédurales comme contester la compétence du tribunal ou la forme des réclamations des passagers…

Un passager brûlé par du café en vol : la compagnie peut être responsable
Emmanuelle LLOP

Avocat au Barreau de Paris, fondatrice du cabinet spécialisé EQUINOXE AVOCATS et spécialisée depuis 25 ans dans les questions relatives aux droit du tourisme et aérien, intervient en conseil comme en contentieux au profit de tous les professionnels du secteur : agences, tour-opérateurs, réseaux, compagnies aériennes institutionnels, start-ups etc.

www.equinoxe-avocats.fr

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