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Voyages en zone "rouge" et "orange" : la décharge de responsabilité n’est pas légale

L'interview de Me Emmanuelle Llop du cabinet Equinoxe Avocats


Quelle est la responsabilité d'un professionnel du tourisme qui ferait voyager ses clients dans une zone identifiée « rouge » ou « orange » par le Quai d'Orsay ? Quelles sont les procédures à suivre ? Le point avec Emmanuelle Llop, avocat à la cour, pour le cabinet Equinoxe Avocats.


Rédigé par le Lundi 13 Mai 2019

Carte mondiale des zones de vigilance publiée par le Quai d'Orsay - DR MEAE
Carte mondiale des zones de vigilance publiée par le Quai d'Orsay - DR MEAE
TourMaG.com - Que risque une agence qui enverrait ses clients dans une zone identifiée « rouge » ou « orange » par le Quai d'Orsay en cas de problème ?

Emmanuelle Llop :
Dans tous les cas, lorsqu’un professionnel (agence ou TO) vend un forfait touristique, il engage sa responsabilité de plein droit, qui évite au voyageur d’avoir à prouver la faute du professionnel.

Il doit seulement établir un préjudice lié à la mauvaise exécution de son contrat de voyage.

Dans un cas de voyages en zone « orange » ou « rouge », la responsabilité est la même en théorie mais je ne doute pas un instant que dans l’esprit d’un juge par exemple, cela constitue une « circonstance aggravante » de la part d’un professionnel car, malgré toutes les précautions, le risque zéro n’existe pas.

Et il n’est pas juridiquement possible de faire signer au voyageur une décharge de responsabilité.

Il n’existe pas de possibilité d’interdire purement et simplement une zone : elles ne sont que déconseillées, formellement ou sauf impératif professionnel par exemple.

TourMaG.com - Y a-t-il déjà eu des précédents, tel le cas d' Ultramarina ?

Emmanuelle Llop :
Dans le dossier Ultramarina, la zone exacte où les touristes avaient été enlevés n’était pas formellement déconseillée mais la « région » (zones voisines) était connue pour être dangereuse et infestée de pirates.

C’est ce qui a conduit à la condamnation du TO qui aurait dû en informer ses clients. C’est dire l’importance des avis du MEAE, y compris pour les régions proches.

Emmanuelle Llop - DR
Emmanuelle Llop - DR
TourMaG.com - Que conseillez-vous ?

Emmanuelle Llop :
Je conseille comme toujours d’œuvrer avec professionnalisme : si un professionnel estime qu’il peut envoyer ses clients dans une zone « rouge » ou « orange », alors il doit avoir tout mis en œuvre pour assurer leur sécurité.

Les avis du MEAE et ceux du SETO sont bien entendu à prendre très au sérieux, ceux du SETO présentant l’avantage de compiler les expériences de terrain des professionnels.

TourMaG.com - Si un client insiste pour visiter une zone à risques (rouge ou orange), l’agence a-t-elle le moyen de se dédouaner ?

Emmanuelle Llop :
Comme je le précise plus haut, la décharge de responsabilité n’est pas légale, car les principes de responsabilité du Code du Tourisme sont d’ordre public.

La faute du client, qui est une cause d’exonération de la responsabilité du professionnel, est prise en compte plutôt pendant l’exécution du contrat et ne permet pas de retenir ce que l’on nomme « l’acceptation du risque » par le voyageur au moment de son achat.

Cependant, je conseille dans ces cas de préparer une note d’information très précise à faire signer ou accepter par le client AVANT qu’il achète son forfait : au moins l’obligation d’information du professionnel sur les caractéristiques essentielles du forfait aura été respectée (c’était le reproche fait au TO dans l’affaire Ultramarina) et, peut-être, cela pourrait influencer un juge en cas de litige.

TourMaG.com - Lorsqu'il y a un changement brutal des conseils aux voyageurs, que peuvent faire les pros ? Sont-ils informés ?

Emmanuelle Llop :
Il appartient aux professionnels de s’informer et encore une fois, les avis du MEAE ne sont pas contraignants.

En cas de changement, ils peuvent alors informer à leur tour leurs clients et invoquer - tout comme le client peut le faire - des circonstances exceptionnelles et inévitables à destination qui les empêchent de respecter le contrat : il y a alors proposition d’annulation sans frais et remboursement, ou report du forfait.

On peut rapprocher la situation avec celle du Sri Lanka après les récents attentats, puisque désormais tout le pays est classé orange (déconseillé sauf raison impérative) par le MEAE ; les TO ont réagi en ce sens.

TourMaG.com - Si un client passe en direct avec un réceptif local, le voyageur ne bénéficie pas de la même protection ?

Emmanuelle Llop :
La question des voyageurs qui organisent eux-mêmes leurs déplacements et leurs séjours, ce qui a peut-être été le cas des deux touristes au Bénin, est totalement différente en droit.

Dans ce cas en effet, la protection accordée aux voyageurs par le Code du Tourisme et la Directive européenne en général ne s’applique pas généralement à un réceptif étranger.

Les voyageurs ne pourraient donc mettre en cause que leur réceptif étranger, avec les difficultés que cela suppose en termes de poursuites judiciaires par exemple.

Concernant les touristes du drame au Bénin, la question se pose lors - sur un tout autre sujet - de leur propre responsabilité : il a fallu aller les secourir et deux militaires sont morts pour cela.

Même si le métier des Commandos implique de risquer sa vie, les familles de ces derniers pourraient penser à mettre en cause la responsabilité des touristes (leur inconscience ?) car elles sont victimes « par ricochet » d’une mise en danger délibérée de la vie d’autrui par exemple…

Je ne pense pas que cela ait été déjà jugé mais on peut tout imaginer à ce propos.

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Commentaires

1.Posté par Romain le 14/05/2019 09:00 | Alerter
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Bonjour,
Alors je suis à la fois d'accord mais qu'en est-il du tourisme d'affaires? Nous avons des clients qui voyagent en Afrique ou dans certains pays du Moyen-Orient qui sont des pays à risques. Si une décharge de responsabilité n'est pas reconnue, comment devons nous faire pour "nous protéger"?
Il serait bien d'avoir un document officiel, accessible à tous afin d'avoir un modèle type à remettre et faire signer aux clients.
De plus, concernant les possibilités d'annulations et/ou report sans frais, quand un événement arrive après la signature du client. Effectivement cela est possible mais si le client séjour à une distance de X km autour de la zone touchée, cela n'est pas forcément possible...

2.Posté par mille sabords le 14/05/2019 10:41 | Alerter
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CETTE AFFAIRE nationale et internationale présente une opportunité à nos instances officielles pour poser officiellement la question à notre cher Ministre B. LE MAIRE qui a renforcé dernièrement contre toute attente contrairement à Bruxelles , la pleine responsabilité des agences de voyages sans aucune distinction du degré d'exposition des voyageurs au risque terroriste ( sur les conseil de l'ex B Griveaux....) .
En effet dans le cadre de la sécurité des citoyens français ( déplacements touristiques ou affaires) le Ministère des Affaires Etrangères avec le Ministre B LE MAIRE ( économie) devraient pondre une circulaire exonérant les professionnels qui auraient pris la peine d' informer les voyageurs à partir des informations officielles de la la MAE et particulières du Quai d'Orsay.
Il faut savoir qu'en matière juridique seules les preuves comptent ainsi que l'application les textes du code du tourisme.( donc la pleine responsabilité)
Cela revient à dire que toutes les agences de voyages et TO français sont exposés à une assignation en responsabilité par tout voyageur ( ou famille de voyageur) voyageant dans une zone à risque ou limitrophe qui aurait de fait les textes juridiques en sa faveur.
Il faut s'en souvenir .

3.Posté par Emmanuelle LLOP le 14/05/2019 12:37 | Alerter
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Bonjour,
Je me permets de répondre à Romain : je mesure toutes les difficultés liés au "tourisme d'affaires" bien qu'à mon sens le terme soit impropre. Gardez présent à l'esprit que depuis le 1er juillet 2018, le "business travel" (pas mieux mais plus clair) est sorti du Code et de la responsabilité de plein droit s'il existe une convention-cadre avec la société-cliente de l'agence. Le voyage retombe alors dans le droit commun de la responsabilité, d'où l'intérêt de border vos contrats et d'y prévoir ces cas extrêmes, selon les destinations.
Et à MYL : juridiquement, je doute qu'il soit possible via une simple circulaire d'exonérer de leurs responsabilité les professionnels qui auraient informé les voyageurs loisirs ou affaires des risques à destination, car cela irait à l'encontre des principes adoptés par le Directive de 2015 et créerait un nouveau principe d'acceptation des risques par le voyageur. Mais à mon sens, les juges pourraient infléchir l'intransigeance des principes, dans une certaine mesure. Nous avons encore du travail sur le sujet et les syndicats et association professionnels EdV, SETO et APST ne faiblissent pas, croyez-le !
Bon courage à tous

4.Posté par Romain le 16/05/2019 08:55 | Alerter
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Bonjour, Emmanuelle,

Merci pour votre commentaire. Bon concernant le terme ce n'est pas le sujet :) A revoir alors, mais cela éclaircit un peu plus les choses
Bonne journée,

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