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Didier Arino (Protourisme) : "Sur juillet et août, nous avons évité bien des catastrophes"

L'interview de Didier Arino, directeur général associé de Protourisme


L'heure est au bilan après un été raccourci à deux mois : juillet et août. Pour Didier Arino, directeur associé du cabinet Protourisme, la France a su compenser en partie l'absence des clientèles étrangères par son marché intérieur. Reste que des défis sont encore à relever pour l'arrière-saison et la fin de l'année, pour lesquelles nous sommes repartis dans une spirale négative. Interview.


Rédigé par le Jeudi 10 Septembre 2020

Didier Arino (Protourisme) : "Nous avons eu une re-découverte des territoires de proximité au bénéfice surtout des prestataires d'activités, des petits sites de visite, des restaurateurs, des glaciers et des commerçants" - DR
Didier Arino (Protourisme) : "Nous avons eu une re-découverte des territoires de proximité au bénéfice surtout des prestataires d'activités, des petits sites de visite, des restaurateurs, des glaciers et des commerçants" - DR
TourMaG.com - Quel bilan dressez-vous de la saison été ?

Didier Arino :
Le bilan se concentre sur juillet-août. L'ensemble de la saison sera forcément très négative, avec la période de confinement. Mais si je devais résumer, je dirais que sur les deux mois d'été, nous avons évité bien des catastrophes.

Un certain nombre d'acteurs, notamment des petits acteurs dans les territoires ruraux, balnéaires ou de montagne ont réussi à sauver leur saison et les emplois.

Les Français sont partis en vacances : les taux de départs (vacances et courts séjours) sont équivalents à l'an passé.

Sur 7 millions de Français qui hésitaient à partir en vacances, 5 millions sont partis. Et plus de 2 millions qui n'envisageaient pas du tout au mois de mai de partir compte tenu de la situation, sont finalement partis.

C'est tout à fait miraculeux.

Les réservations de dernière minute explosent

TourMaG.com - Les réservations de dernière minute ont joué un rôle important chez un bon nombre d'opérateurs...

Didier Arino :
Oui les réservations de dernière minute ont joué un rôle considérable. Sur certains territoires, les taux d'occupation ont été en baisse dans l'hôtellerie de 30 à 35% et ont fini en juillet et août en hausse par rapport à l'an dernier.

C'est le cas de l'hôtellerie en Périgord, sur le Bassin d'Arcachon, la Rochelle... Cette dynamique de réservations de dernière minute a été d'une puissance inégalée.

Selon les opérateurs, nous sommes entre 30% et 50% de réservations de dernière minute, c'est colossal.

TourMaG.com - Autre phénomène important : le tourisme intra-régional et de proximité.

Didier Arino :
Oui c'est un autre facteur qui doit nous interroger et nous questionner.

Cette année plus de 54% des Français sont partis dans leur région d'habitation ou dans leur région de proximité, contre 40% les autres années.

Nous avons eu une re-découverte des territoires de proximité au bénéfice surtout des prestataires d'activités, des petits sites de visite, des restaurateurs, des glaciers et des commerçants.

Dans certaines zones, notamment celles qui ne dépendent pas des clientèles étrangères, la consommation touristique a été supérieure, voire inégalée par rapport à une saison classique.

Certains acteurs ont enregistré le meilleur "juillet - août" de leur vie, ou des 10, 15 dernières années. C'est extrêmement encourageant.

Un renouvellement des clientèles pour certains territoires

TourMaG.com - Qui sont justement ces territoires qui ont su tirer leur épingle du jeu ?

Didier Arino :
Alors ce sont les grands espaces : les plages landaises, le littoral aquitain, le Jura, les Vosges, l'Ardèche... toutes les destinations rurales avec une identité de "destination préservée" et de "destination active".

Sur ces territoires, la clientèle française a compensé en partie la moindre venue des clientèles étrangères. Cette dynamique a permis un renouvellement des clientèles, notamment avec des profils de visiteurs plus jeunes.

La montagne et la campagne connaissent une tendance au vieillissement de la population. Les jeunes ont davantage d'appétence pour les villes et le balnéaire.

Cette crise a permis à certaines cibles de se rendre dans des zones où elles ne seraient certainement pas allées sans les contraintes sanitaires.

Elles ont aussi sans doute entendu cette petite musique qui dit que "La France est belle" et que ça valait la peine de la découvrir ou de la re-découvrir.

Nous avons retrouvé ces clientèles dans l'explosion des réservations et de la fréquentation des prestataires d'activités : loueurs de bateaux, de canoës, de via ferrata... toutes les activités de plaisir en pleine nature.

Clientèles européennes en baisse, mais le rattrapage a été important

TourMaG.com - Nous nous doutions que les clientèles étrangères ne seraient pas au rendez-vous, mais nos voisins européens n'ont-ils pas tout de même répondu présent ?

Didier Arino :
Il y a eu un mouvement de yoyo incroyable tout au long des mois de juillet et d'août au gré des annonces gouvernementales, des peurs, des clusters...

Nous constatons un mouvement erratique avec des clientèles qui venaient et qui repartaient, à l'instar des Britanniques et des annonces de Boris Johnson (Premier Ministre du Royaume-Uni, ndlr) ; les Néerlandais qui, dans un premier temps, ne sont pas venus en France et qui dans un second temps, ont finalement franchi la frontière ; les Belges également.

Résultat : les destinations et acteurs du tourisme qui ont travaillé leur marché de proximité, y compris auprès des clientèles étrangères, les ont vues affluer. Cela a été le cas par exemple de la Métropole lilloise qui a lancé des opérations auprès des Belges et qui en a accueilli beaucoup cet été.

Il y a eu aussi la volonté de la part notamment des Allemands, Néerlandais, Belges, etc. de visiter l'Hexagone sans trop s'éloigner de la frontière pour pouvoir rentrer si nécessaire. Il y a eu un petit afflux de ces clientèles sur les zones à deux ou trois cents kilomètres des frontières respectives.

Cette fréquentation a permis à la France de passer de -60% à -70% de clientèles européennes sur juillet-août à -30% à -40% selon les nationalités. Il y a donc eu un rattrapage important.

"Il y a aussi eu un flot important d’excursionnistes"

TourMaG.com - Cette saison n'a pas été de tout repos pour les acteurs du tourisme, entre annulations et réservations de dernière minute ?

Didier Arino :
Effectivement les opérateurs ont eu une saison compliquée, à devoir gérer annulations et réservations en chaîne.

Il est aussi important de noter un contexte anxiogène : incivilités, problèmes de cohabitation entre les clientèles... Ce que l'on voit dans la société en terme de montée de l'agressivité s'est retrouvé sur les lieux de séjour.

Il y avait comme un phénomène de cocotte minute et c'est en cela une très très bonne chose que ces vacances aient pu se dérouler normalement.

TourMaG.com - Les différentes opérations portées par les institutionnels au niveau départemental et/ou régional ont-elles porté leurs fruits ?

Didier Arino : Oui. Je pense aux Landissimes, à la carte Occ'ygène en Occitanie... Il y a eu une mise en mouvement qui a permis de renforcer les réservations des clientèles indécises.

Dans les flux, il y a aussi eu un flot important d’excursionnistes. Cette augmentation de la consommation globale, hors villes (commerçants, glaciers, restaurants), nous ne l'avons pas retrouvé dans les mêmes proportions dans les hébergements marchands.

Car il y a eu de nombreux flux à la journée, de courts séjours, de résidences secondaires, de visites chez les parents et amis...

Enfin, certaines envies de départs dans les hébergements marchands au mois d'août se sont retrouvées face à l'impossibilité de trouver des disponibilités.

Les métropoles ont généré des flux importants vers des régions de proximité

TourMaG.com - Les grandes perdantes restent-elles les villes et les métropoles ?

Didier Arino :
Sur le segment hôtelier, les villes ont été très fortement impactées. Paris accuse quand même -80% de nuitées, la moitié des hôtels étaient fermés. Et bon nombre d’hôtels haut de gamme viennent de rouvrir ces derniers jours.

Je veux bien parler de taux d'occupation, mais ce sont les nuitées qui restent le véritable indicateur. Quand on évoque 40% de taux d'occupation mais que la moitié des hôtels sont fermés, ce n'est pas exactement la même vision...

Sur l'ensemble de l'hôtellerie française sur juillet-août, nous sommes à 30% de nuitées en moins. A titre de comparaison avec nos voisins européens, la France s'en sort mieux !

La plupart des pays sur les deux mois d'été accusent une baisse de -50%, l'Espagne -70%, l'Italie -60%, la Grèce -80%. Nous ne sommes que le 4e pays visité par les clientèles étrangères, même si nous crions cocorico chaque année pour dire que nous sommes la première destination touristique au monde.

Le dynamisme de notre marché intérieur est une chance pour nous.

Les Français ont permis de compenser le déficit de touristes étrangers, certes pas partout. Malgré l'absence de certaines clientèles britanniques, des territoires ont pu faire des chiffres remarquables.

Les départs en vacances du bassin parisien, qui sont les premiers émetteurs vers les destinations étrangères, ont permis de soutenir le tourisme en Normandie, en Bretagne, dans le Jura, en Dordogne... Un peu partout, elles ont en partie pris la place de ces clientèles étrangères.

Le bassin lyonnais a encore plus irrigué la Méditerranée ou l'Occitanie... Bordeaux qui a irradié le Pays Basque, le bassin d'Arcachon... Les métropoles ont généré des flux importants autour de leur région.

Arrière-saison : "Nous sommes de nouveau dans une spirale négative"

TourMaG.com - D'autres segments de l'hôtellerie s'en sont bien sortis ?

Didier Arino :
L'hôtellerie a démarré très tardivement, mais il y a eu une montée en puissance extrêmement rapide notamment pour l'hôtellerie saisonnière qui dépend vraiment de juillet et août qui s'en est très bien sortie. Certains ont même battu des records de fréquentation.

Le problème c'est que ça s'est vite arrêté.

TourMaG.com - Vous voulez parler de l'arrière-saison ?

Didier Arino :
Sur certains territoires, les annulations sont désormais plus importantes que les réservations. Nous sommes de nouveau dans une spirale négative. Certains groupes notamment de seniors, de séminaires d'entreprise et les rencontres professionnelles sont reportés, voire annulés.

Il y a un nombre non négligeable d'opérateurs, et notamment d'hôteliers, qui se demandent s'ils ne vont pas prolonger leur période de fermeture plus longtemps, compte tenu de la faible demande des réservations.

"Notre secteur est fortement dépendant de la confiance"

TourMaG.com - Quel est votre sentiment sur ce dernier trimestre ?

Didier Arino :
Nous sommes repartis dans une communication extrêmement négative. On ne parle que de virus.

D'ailleurs c'est assez bizarre, les règles ont changé. Avant on nous parlait du taux d'hospitalisation et du nombre de morts, et désormais on nous parle de cas positifs qui augmentent avec la hausse du nombre des tests.

Le port du masque généralisé dans certaines stations peut être aussi perçu comme une contrainte.

Après il faut être honnête jusqu'au bout, à partir du moment où il y a une certaine concentration de population, nous avons constaté des clusters ici et là.

Notre secteur est fortement dépendant de la confiance et cela va poser problème. On note une hypersensibilité à ce sujet. Dès qu'il y a évocation d'un cluster quelque part, ce sont des annulations en masse.


Agences et TO : "Je vois des perspectives sombres"

TourMaG.com - Quel regard portez-vous sur les spécialistes de l'outgoing : agences de voyages, tour-opérateurs ?

Didier Arino :
Je vois des perspectives sombres dans les mois qui viennent. De toutes les façons, cela restera sombre tant qu'il y aura une communication anxiogène.

Le changement passera sans doute par l'arrivée d'un traitement, d'un vaccin... Tant que nous n'aurons pas une solution pour que les gens puissent voyager de manière sereine par rapport à ce virus, nous resterons dans cette situation.

Le voyage dispose d'une part de rêve et de plaisir. Lorsqu'il y a un risque, cela complique la donne...

N'oublions pas qu'il y a toujours les clients qui ne se sont pas fait rembourser par le transporteur ou les agences de voyages. Les agences de voyages en ligne notamment ne jouent pas le jeu.

Il y a un véritable flou.

Autant vous dire que là aussi, la profession va subir cette situation. Des personnes ont des sommes importantes en jeu. Je crains que le secteur ne le paie car cela génère de la défiance envers ces professionnels.

Pour que les gens repartent il va falloir que le législateur résolve un certain nombre de problèmes : les billets d'avion non remboursés, les avoirs... Car si la situation se dégrade pour les agences, les consommateurs vont se retrouver dans un contexte compliqué ! Il faut une clarification des règles. Les consommateurs sont légitimement mécontents de la manière dont cela se passe.

Enfin les frontières sont fermées, je ne vois pas comment les professionnels de l'outgoing peuvent s'en sortir dans ces conditions.

Encore faut-il qu'ils aient de l'offre... ajoutez à cela qu'il n'y a pas demande...

Céline Eymery Publié par Céline Eymery Rédactrice en Chef - TourMaG.com
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Commentaires

1.Posté par PAT44 le 11/09/2020 15:48 | Alerter
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"Selon les opérateurs, nous sommes entre 30% et 50% de réservations de dernière minute, c'est colossal."

C'est colossal oui et non, c'est bien de remplir les campings, les résidences les hôtels, faut-il encore que cela soit rentable.

Ce qu'il faudrait étudier c'est avec quel pourcentage de réduction se font fait ces ventes.

Ce n'est pas le taux d'occupations ou le chiffre d'affaire qui comptent mais le résultat et la marge dégagée

2.Posté par Jean-Pierre BAUVE le 13/09/2020 10:13 | Alerter
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Et pourtant , on pouvait bien mieux faire , puisque plus de 40 % des français , dont 80 % des très bas revenus ne partent pas et parmi eux , combien de mères seules avec leurs enfants confinés pendant pres de 3 mois dans des logements exigus, l'effort du Gvt , avec les vacances apprenantes est bien insuffisant .
D'autant que sur ce marché intérieur , chaque euro injecté sur la demande est démultiplié par 3 ou 4 en termes de retombées économiques sur les territoires sur les mois de contrats saisonniers.

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