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FUTUROSCOPIE - Laurent Queige (Welcome City Lab) : Il faut passer de la "start-up nation" à la "champion nation"

Entretien avec Laurent Queige, directeur du Welcome City Lab


Récemment, un article du New York Times évoquait l’ensemble des pratiques nouvelles issues de start-up : loger chez l’habitant, faire du co-voiturage, sauter sur une trottinette, louer un vélo, se faire livrer un repas… Autant de pratiques qui ont émergé ces dernières années et ont connu un succès quasiment planétaire grâce à un modèle économique basé sur la gratuité ou la mise à disposition d’un service à tout petit prix, afin d’élargir au maximum le marché. Sauf que, le modèle économique proposé a eu du plomb dans l’aile et qu’il a fallu se résoudre à limiter la cible mais en augmentant les droits d’entrée des consommateurs. Un constat parmi d’autres évoquant l’avenir plus incertain que prévu de la start-up nation. En France, où des dizaines de start-up continuent d’éclore, nous avons demandé à Laurent Queige, directeur du pôle divertissement de Paris&Co et du Welcome City Lab depuis sa création il y a 8 ans, de nous donner son avis. Il vient de remettre les prix du Challenge Tourisme Innov'2021, lancés avec Atout France.


Rédigé par le Mercredi 7 Juillet 2021

Laurent Queige : "On ne peut plus se contenter d’incuber des start-up. Il faut transformer nos incubateurs en plateformes d’innovation multi-services, recherchant toujours plus de synergies entre grands groupes, entreprises de taille intermédiaire, institutionnels, territoires, investisseurs, chercheurs" - DR : Welcome City Lab
Laurent Queige : "On ne peut plus se contenter d’incuber des start-up. Il faut transformer nos incubateurs en plateformes d’innovation multi-services, recherchant toujours plus de synergies entre grands groupes, entreprises de taille intermédiaire, institutionnels, territoires, investisseurs, chercheurs" - DR : Welcome City Lab
Futuroscopie - Vous dirigez le Welcome City Lab depuis huit ans déjà, quelle première analyse pouvez-vous faire par rapport aux contenus proposés par les start-up ?
 
Laurent Queige :
De ces 8 ans, se dégagent les caractéristiques suivantes :
 
- Il ne faut pas attendre des start-up qu’elles résolvent tout et qu’elles apportent des réponses globales à plusieurs problématiques en même temps. Les jeunes pousses apportent avant tout une solution pointue sur un sujet très circonscrit (problème de gestion, relation client, service qualité, etc.), ou sur un segment de marché bien délimité (familles, jeunes, handicapés, etc.).
 
- L’essentiel des innovations, dans le domaine du tourisme, sont de nature non technologique. Par exemple BonPort.com propose des oasis paisibles, dotés de services, dans des lieux urbains très fréquentés, permettant aux voyageurs de travailler confortablement. Néanmoins, on trouve également des solutions très « tech », pouvant faire appel à l’intelligence artificielle. Par exemple, Affluences.com permet de prévoir les pics de fréquentation sur un site, ce qui permet de mieux gérer l’attente et de répartir les flux dans le temps.
 
- Les start-up créées par des personnes souvent de moins de 30 ans, permettent de détecter une solution en phase avec les attentes contemporaines de la société qui, parfois n’avaient pas été repérées. Par exemple, la start-up Troov.com propose deux solutions en une plateforme digitale de gestion des objets trouvés qui intègre toutes les étapes de la perte à la restitution à la fois pour les particuliers…
 
- Pour un professionnel ou un institutionnel, coopérer avec une start-up représente un triple intérêt : celui de gagner beaucoup de temps et de l’argent, celui de trouver une solution radicalement différente de s’attaquer à un problème qui n’aurait jamais été trouvé par un grand groupe, enfin celui de permettre une acculturation des équipes à l’innovation par l’intervention d’une entité extérieure, donc neutre.

Futuroscopie - Dans lesquelles croyez-vous vraiment en général ? Le guidage ? Les comparateurs ? La gestion des flux ?
 
Laurent Queige :
Je crois avant tout dans celles qui proposent une innovation qui s’énonce clairement, dont on comprend bien comment ça fonctionne, qui répond à un besoin bien identifié.

Voici deux illustrations, en BtoC et BtoB : Mybakup.com est une application smartphone qui met en relation les voyageurs/expatriés avec les professionnels de santé locaux, médecins, infirmiers, etc. qui parlent leur langue à l’étranger. Bak est la solution de réassurance des touristes.

Vizity.com pour sa part est une solution SaaS alternative à Google Maps pour les professionnels du tourisme, grâce à un fond de carte vierge sur lequel elle installe les données des professionnels pour créer des cartes interactives…
 
Futuroscopie - Honnêtement, ne pensez-vous pas que certaines arrivent déjà trop tard sur ce secteur hautement sinistré et « sinistrable » qu'est le tourisme ?
 
Laurent Queige :
En effet, il est stupéfiant de voir certains entrepreneurs se lancer dans un projet professionnel chronophage et coûteux, sans avoir pris le soin de réaliser en amont une étude de marché, en particulier concernant l’existence de concurrents.

Nous l’avons constaté à maintes reprises sur le thème de « la rencontre entre les habitants et les visiteurs ». Se lancer à l’aveugle sur ce marché déjà fort encombré relève aujourd’hui de l’inconscience…
 
Certes, on compte encore beaucoup de projets farfelus, théoriques, insuffisamment travaillés. Parmi les 200 candidatures qui nous parviennent du monde entier chaque année, reconnaissons que c’est la majorité. Encore trop de projets reposent sur les seules intuitions personnelles de leurs créateurs.

Par ailleurs, trop d’entrepreneurs se lancent tout seuls. Ils surestiment leurs compétences, sous-évaluent la lenteur de l’arrivée des premières recettes, ainsi que la nécessité de disposer d’une mentalité d’acier pour tenir dans la durée.

A ceux-là, nous leur recommandons vivement de rechercher des associés, pour asseoir la pérennité du projet.
 
Néanmoins, le plus frappant, c’est de constater tout de même que, même dans la période très dure, de nombreux start-upers ont su faire preuve d’imagination, de créativité et d’une incroyable agilité. Je prendrai 2 exemples : 
 
- Depuis son lancement il y a quatre ans, Tabhotel.com proposait des solutions de digitalisation pour l'accueil hôtelier avec des bornes tactiles. En raison des nouvelles contraintes liées aux gestes barrières, ils ont rendu leurs bornes non-tactiles et leur ont permis de se connecter avec le smartphone des clients situés à proximité. Mieux, ils ont diversifié leurs débouchés, car ils se sont rendus compte que d’autres établissements accueillant du public, comme les hôpitaux, pouvaient avoir besoin de leurs bornes non-tactiles !
 
- Depuis sa création il y a trois ans, Intence.tech proposait quant à elle, des solutions de gestion de flux de visiteurs pour les stations de montagne, notamment en ce qui concerne les remontées mécaniques. Avec la fermeture des remontées, cette start-up a été amenée à se diversifier vers d’autres types de destinations, comme l’urbain et le balnéaire. Par ailleurs, elle a considérablement fait évoluer sa proposition de valeur en ajoutant une solution digitale d’intelligence économique permettant désormais de monitorer l’ensemble du parcours client et de gérer la billetterie des activités de loisirs.

Futuroscopie - Parlons modèle économique maintenant. Lesquelles peuvent s'en sortir ? D'ailleurs, où en sont les financements ? Et les investisseurs rentrent-ils dans leurs frais ?
 
Laurent Queige :
Les modèles économiques ont été fortement impactés par la crise sanitaire depuis 15 mois. Fragiles, par définition, certaines start-up n’ont pas survécu à cette traversée du désert.

Un phénomène inquiétant est que de nombreux grands groupes du tourisme ont décidé de supprimer carrément leurs directions innovation et de licencier leurs responsables en 2020.

Cela en dit long sur l’appropriation toute relative que notre milieu professionnel avait faite de l’innovation... Or, c’est en période de crise que l’investissement dans l’innovation est le plus crucial.
 
Tout le monde reconnaît que les aides économiques de l’Etat ont été massives. Le rôle de BPI France dans les financements a été central. Néanmoins, j’ai dû me battre au sein du Comité Filière Tourisme pour nous assurer que les start-up pouvaient bien en bénéficier, elles qui ne relèvent pas des codes NAF classiques des professionnels du tourisme.

La reconnaissance du rôle majeur des acteurs du numérique dans le monde du tourisme reste un combat…

Beaucoup de start-up BtoB ont pivoté en passant d’un modèle de recettes à la commission à un modèle d’abonnement, ce qui leur permet de garantir un minimum de revenus en période de vaches maigres.
 
Quant aux investisseurs privés, certains ont retiré leurs billes très rapidement de toute activité touristique sans aucun état d’âme.

D’autres ont prolongé la durée de leur contrat d’investissement dans le temps, afin de permettre aux plus belles pépites de retrouver l’énergie nécessaire pour honorer leurs échéances. Nous leur en savons gré.
 
Futuroscopie - J'ai l'impression que le modèle s'use. Ne croyez-vous pas pour votre part que ces incubateurs en place partout désormais ne devraient pas évoluer ? Si oui, vers quoi ?
 
Laurent Queige :
Tout à fait ! Tout d’abord, réjouissons-nous de trois choses :
 
- La France est devenue le seul pays au monde à compter autant d’incubateurs / accélérateurs au service de l’innovation touristique ;

- L’efficacité de ces structures est réelle, puisque le taux de survie d’une start-up incubée est de 80% au bout de 5 ans, contre moins de 40% pour une non-incubée ;

- L’aide et les conseils du Welcome City Lab sont très souvent sollicités.

Mais maintenant, il faut faire un saut qualitatif et aider nos plus belles pépites à devenir des championnes.

Tout l’investissement collectif que nous avons mis dans ces jeunes pousses doit enfin se traduire par des créations massives d’emplois en France !

Il faut passer de la « start-up nation » à la « champion nation ». Tous les acteurs majeurs doivent être mobilisés : les 3 Ministères en charge du tourisme (Affaires Etrangères, Economie, Numérique), La Caisse des Dépôts, BPI France, Business France, la French Tech, Atout France, le réseau France Tourisme Lab, mais également les groupes privés et les réseaux d’entrepreneurs.

Mieux : il faut s’inspirer de Segittur.es, entité créée par l’Etat espagnol pour booster tout son écosystème de l’innovation touristique. 

Autre enjeu : il faut renforcer notre capacité d’expertise sur les grandes tendances de l’innovation. Dans un monde toujours plus difficile à déchiffrer, nous devons donner du sens et de la hauteur de vue à nos partenaires.

On ne peut plus se contenter d’incuber des start-up. Il faut transformer nos incubateurs en plateformes d’innovation multi-services, recherchant toujours plus de synergies entre grands groupes, entreprises de taille intermédiaire, institutionnels, territoires, investisseurs, chercheurs.

Il faut revoir notre modèle économique et rechercher davantage de passerelles entre le tourisme et les secteurs d’activité cousins, comme la culture, les loisirs, l’évènementiel, l’univers des jeux vidéo.

L’idée est de multiplier les opportunités de business entre ces secteurs très proches et de trouver de nouvelles marges de croissance.

C’est d’ailleurs l’évolution en cours au Welcome City Lab, qui vient d’être regroupé avec 4 autres incubateurs (French Event Booster, Lab des Industries Culturelles & Créatives, Labo de l’Edition, Level 256), au sein de Paris&Co, dans le « pôle divertissement », que je dirige désormais.
 
Enfin, il faut impérativement s’internationaliser, développer des partenariats stratégiques avec des acteurs de l’innovation dans des zones géographiques en forte croissance, valoriser notre savoir-faire et exporter de l’ingénierie en innovation touristique.

Futuroscopie - Quelles leçons tirez-vous des mois terribles que nous venons de vivre ?
 
Laurent Queige :
Les derniers mois nous ont fait prendre conscience de notre fragilité et de la nécessité de changer nos façons de travailler et de pratiquer nos métiers. Cela fut une terrible épreuve.

Mais, nous avons eu une chance incroyable : la création du Comité de Filière Tourisme deux mois avant le début de la pandémie qui doit être pérennisé et même renforcé pour nous aider à passer à l’étape supérieure : la signature d’un Contrat de Filière Tourisme pluriannuel, afin de préparer l’avenir.
 
L’enjeu numéro un aujourd’hui reste le soutien à l’investissement, afin de reconstituer notre appareil productif, mis à mal par 15 mois de sous-activité économique. 

D’un point de vue plus macro, la principale leçon à tirer de cette crise est, à mes yeux, l’urgence absolue de reconstituer la souveraineté économique et industrielle de l’Europe, face aux menaces géopolitiques grandissantes dans un monde devenu dangereux.

Cela ne peut que passer par un approfondissement politique de la construction européenne, qui souffre terriblement de son caractère inachevé.
 
 
Entretien réalisé par Josette Sicsic / Futuroscopie

Josette Sicsic - DR
Josette Sicsic - DR
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail :
touriscopie@gmail.com

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