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Air France : 5.000 à 10.000 postes supprimés si la croissance ne revient pas ?

L'interview de Jean Belotti, expert de la sécurité aérienne


Jean Belotti, expert en sécurité aérienne et ancien commandant de bord, revient pour TourMaG.com, sur le plan de rigueur annoncé par Air France, ainsi que sur sa méga-commande à Airbus (des A350) et à Boeing (des B787). Sans reprise de la croissance, un plan de suppression porterait sur 5.000 à 10.000 postes sur les 58.000 actuels.


Rédigé par le Vendredi 23 Septembre 2011

"Air France a effectivement décidé de prendre des mesures - dès maintenant et en 2012 - qui permettront de réduire les coûts et d’améliorer sa compétitivité par rapport à ses grands concurrents européens, tout en validant une importante commande d’avions." Photo DR Air FRANCE
"Air France a effectivement décidé de prendre des mesures - dès maintenant et en 2012 - qui permettront de réduire les coûts et d’améliorer sa compétitivité par rapport à ses grands concurrents européens, tout en validant une importante commande d’avions." Photo DR Air FRANCE
TourMaG.com - Le mois passé, Air France évoquant le spectre de la récession, a annoncé l’engagement d’économies et, à quelques jours près, une commande géante d’appareils. Ces deux décisions ne sont-elles pas contradictoires ?

Jean Belotti :
Air France a effectivement décidé de prendre des mesures - dès maintenant et en 2012 - qui permettront de réduire les coûts et d’améliorer sa compétitivité par rapport à ses grands concurrents européens, tout en validant une importante commande d’avions.

On peut s’étonner que ce plan de rigueur ait été mis en place alors que :

- le trafic d’Air France/KLM a progressé de 6,9% en juillet et de 7,6% en août ;
- les compagnies aériennes du monde entier - avec 2,77 millions de vols pour le mois d'août 2011- ont enregistré une augmentation de 3 % par rapport à août 2010. C'est donc le troisième mois consécutif que l'aviation mondiale enregistre ces mêmes taux de croissance ;
- qu’il est prévu pour 2012 une croissance de près de 5%.

Cela étant dit, prendre des dispositions pour d’une part pallier les effets d’un ralentissement de l’activité économique et d’autre part d’être prêt lors de la reprise, démontre qu’Air France entend assurer sa pérennité et il convient de s’en féliciter.

Il reste que cette double vision antinomique de l’avenir conduit à des décisions qui paraissent incompatibles. Or, il ne fait aucun doute qu’il existe certainement de bonnes raisons les justifiant, qui mériteraient d’être données par Air France, ce qui éviterait les interrogations de tout un chacun.

TourMaG.com - Que pensez-vous de ce plan de rigueur ?

J.B.
: Ont déjà été envisagés un plan de départ volontaire à la retraite (alors que la compagnie, en deux ans, a déjà perdu 10% de ses effectifs) et le gel des embauches.

Plus grave encore, disent les organismes représentatifs des personnels : sans reprise de la croissance, un plan de suppression porterait sur 5.000 à 10.000 postes sur les 58.000 actuels.

Il convient donc de rappeler quelques conséquences de telles décisions :

- l’annonce de contrats à durée déterminée et les contrats d'intérim est une solution qui n’est pas de nature à motiver les personnels, alors préoccupés par l’insécurité de leur emploi ;

- quant à avoir davantage recours à la sous-traitance, il n’est pas certain que cela serait moins coûteux que les propres prestations internes de la compagnie, sauf à solliciter des entreprises de bas niveau, peu coûteuses, mais peu performantes sur le plan de la fiabilité.

Depuis des décennies, lors des périodes de récession, de tels plans ont vu le jour. Or, étant donné que les phases de ralentissement de l’activité ont toujours été suivies d’une reprise, puisque le nombre de passagers transportés est en constante progression, force est de constater que dans la phase de reprise :

- la perte du savoir-faire des personnels qui ont été mis à la retraite anticipée, est préjudiciable à l’efficience de la compagnie ;
- quant aux employés restés en place, ce sont eux qui supportent la charge de travail supplémentaire, en devant travailler plus vite et mieux ;
- il est alors urgent de procéder à des embauches qui ne sont pas forcément opérationnelles dans de brefs délais.

Au sujet de l’autre source d'économie citée, celle de la diminution des capacités de la compagnie, c'est-à-dire la suppression de certains vols, indépendamment de la réaction d’une certaine clientèle pénalisée, il en résulte une part plus importante des frais fixes par rapport aux frais variables de l’exploitation.

TourMaG.com - Au sujet de la commande d’avions faite par Air France à Airbus (des A350) et à Boeing (des B787), pourquoi deux types d’avions ?

J.B. :
Pour une simple et bonne raison d’efficience consistant, en fonction des spécificités de chaque type, à faire un choix en fonction des besoins différents selon les dessertes.

D’autres considérations - trop longues à décrire ici - sont également prises en compte, dont l’objectif d’Air France de pouvoir réaliser en interne l'entretien de ses appareils, sa filiale de maintenance étant déjà agréée par le motoriste américain GE (qui équipe tous ses long-courriers, ainsi que les futurs 787), et l'agrément de Rolls Royce en cours d’instruction.


TourMaG.com - Quel est votre avis au sujet de certaines pressions de politiques faites à la suite de l’annonce de cette importante commande ?

J.B. :
L’importante commande est destinée à remplacer les flottes A340 d'Air France et MD11 de KLM. Elle représente un marché de plus de 20 milliards de dollars. Quant aux pressions politiques, elles ont été lancées par un député - soutenu par une pétition ayant recueilli plus de 140 signatures d’autres parlementaires - pour que la compagnie française privilégie Airbus face à Boeing.

Les arguments avancés dénotent un patriotisme certain (“Démarche pour défendre les intérêts de l'industrie européenne”) et citent, certes, des faits indéniables (“Aux États-Unis tout le monde fait du lobbying et ça n'émeut personne” - “pressions intenses de Boeing auprès du gouvernement américain lors de la récente affaire des avions ravitailleurs du Pentagone où Airbus a été évincé”), mais non probants.

Par ailleurs, l’annonce selon laquelle “cette commande d'une centaine d'appareils allait partir à 100 % chez Boeing si mes collègues et moi n'avions pas tiré la sonnette d'alarme”. “Nous avons déjà réussi à faire panacher la commande entre Airbus et Boeing mais ce n'est qu'un début. À terme, je souhaiterais que 100 % de la commande revienne à Airbus”, est utopique.

Tous les arguments avancés sont donc bien insuffisants pour justifier leur prise de position.

TourMaG.com - Pour quelles raisons ?

J.B. :
Pour la simple raison qu’une telle décision ne se prend pas au pied levé en fonction de quelque pression que ce soit, mais après plusieurs mois d’études qui ont été effectuées par des équipes ad hoc, à partir de critères économiques objectifs - coût d'exploitation par siège le plus faible en fonction des destinations à desservir - et en toute indépendance.

Cela est un fait indéniable.

De plus, l’annonce “100% Airbus”, signifie un retour au protectionnisme qui est inconcevable si l’on tient compte des éléments suivants :

- La moitié des avions qui volent aux Etats-Unis sont des Airbus, appareils qui, de surcroît, comptent eux-mêmes une partie importante de composants américains.
- Fin mai dernier, Airbus avait enregistré 2.800 commandes venant de compagnies américaines, et leur avait déjà livré 2.057 avions.
- American Airlines avec sa récente commande - la plus grosse commande jamais émise par un avionneur - de 260 Airbus (sur 460 appareils dont 200 B737) est également la plus importante jamais enregistrée par Airbus.

Plus qu’un « formidable succès pour l’industrie française et européenne » (dixit le ministre français de l’Industrie Eric Besson), le vrai exploit d’Airbus est d’avoir fait tomber l’une des dernières citadelles de Boeing sur son marché domestique. American Airlines était en effet la dernière des grandes compagnies américaines traditionnelles à ne pas figurer parmi les clients d’Airbus.

- Chez Boeing, une “Boeing French Team”, composée d’un ensemble d’industriels français, participe à la production du B787, dont plusieurs membres du groupe Safran, Latécoère, etc..., sociétés qui jouent, en effet, un rôle important dans la chaîne des fournisseurs de l’avionneur américain.
- La France est un Etat de droit, avec des règles européennes et mondiales qu’il doit respecter (OMC - Organisation mondiale du commerce).

TourMaG.com : Il reste qu’Air France a été convoqué par le secrétaire d'Etat au commerce extérieur ?

J.B. :
Cette exigence contribue malheureusement à laisser croire qu’Air France continue de véhiculer une image de compagnie sous influence étatique et n’est toujours pas tout à fait libre de ses mouvements.

Or, cette convocation s’inscrit dans une démarche d’interventionnisme, également non admissible, d’autant plus que l’Etat ne détient plus que 15,4 % du capital d’Air France. De surcroît, notons également que KLM serait en droit de s’étonner que l’Etat français intervienne dans les décisions internes du groupe dont elle fait partie !


TourMaG.com - Un mot de conclusion ?

J.B. :
Il n’est pas question de privilégier Boeing au détriment d’Airbus, mais de rappeler - comme l’a fait récemment le Président de la République et son Premier ministre - l’impact sur la balance des paiements de ventes d’Airbus à l’étranger.

Quant à Air France qui :
- exploite 186 Airbus pour sa flotte moyen et long courrier contre seulement 73 Boeing ;
- a aussi été la première compagnie européenne à commander et à exploiter l'A380 ;
- a une flotte moyen courrier (famille A320) composée de 100 % d’Airbus;
il ne peut lui être reprocher de favoriser Boeing.

Sa position est sans ambiguïté : L’analyse et la comparaison de chacun des programmes et leurs performances respectives feront l’objet d’une recommandation au Conseil d'administration d'Air France/KLM, souverain, seul compétent pour cette décision stratégique.

Alors, finalement, beaucoup de bruit inutile et rien d’étonnant que d’aucuns s’étonnent de constater qu’un groupe aussi important d’élus de la Nation puisse approuver une aussi affligeante démarche s’inscrivant dans un retour au protectionnisme et à l’interventionnisme !

Ancien Commandant de bord, notre chroniqueur Jean Belotti est également expert auprès des tribunaux et écrivain. Voici une fiche bibliographique de ses ouvrages.

1.- “Les accidents aériens, pour mieux comprendre”. Frédéric COUFFY Éditions - 1999.
12, rue de Nazareth 13100 Aix en Provence. Tél : 04 42 26 18 08. Fax : 04 42 26 63 26

2.- “Les Titanics du ciel”. FRANCE-EUROPE-EDITIONS - 2001
9, rue Boyer BP 4049 06301 Nice Cedex 4

3.- “Chroniques aéronautiques”. VARIO - 2003
1034, rue H.Poincaré 83340 Le Luc en Provence

4.- "Le Transport International de Marchandises". VUIBERT - 3ième édition en 2004.
www.vuibert.fr

6.- “Une passion du ciel”. NOUVELLES EDITIONS LATINES - 2005
1, rue de Palatine 75006 Paris

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Tags : belotti
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Commentaires

1.Posté par EREBRIE Christian le 27/09/2011 11:40 | Alerter
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Il est affirmé que la compagnie American Airlines « était en effet la dernière des grandes compagnies américaines traditionnelles à ne pas figurer parmi les clients d’Airbus ». Il s’agit d’une inexactitude car cette compagnie américaine a commencé à exploiter un nombre important d’Airbus A300 dés 1988, et ce pendant plus de vingt ans.

2.Posté par Pi-Paul le 27/09/2011 13:21 | Alerter
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Sans oublier non plus les ATR 72 , du meme fabricant européen EADS , exploités par la division American Eagle du meme groupe AMR (et dont un exemplaire fut implique dans une tragedie aerienne, entre Indianapolis et Chicago, durant l'hiver 1994)

3.Posté par PASCAL le 27/09/2011 16:10 | Alerter
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140 députés qui signent une pétition d'un autre age, et laissent partir, sans broncher, l'épique de France de rugby sur Emirates...... on se surprend à regretter que le riducule ne tue pas.....................................

4.Posté par Abraham le 27/09/2011 17:51 | Alerter
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AF n'a pas le même modèle Business Plan que des cies telles que EK ou EY ou QR. Pour eux en mettre plein les yeux aux clients tant au niveau du service qu'au niveau des tarifs est un let motiv. AF a plus tôt une stratégie de cout en essayant tant bien que mal de réduire la voilure. Le model plan n'est plus tourné sur le client mais sur la rentabilité voila l'origine de bon nombre de problèmes.

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