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Garantie financière : sans réassurance publique, Groupama pourrait-il se retirer du marché ? 🔑

Entretien avec Jean-Michel Pérès, directeur général de Groupama Assurance-crédit & Caution


Avec 2 125 opérateurs en garantie, Groupama est le second garant financier tourisme en France, après l'APST. Voilà presque trois ans que l'assureur soutient le marché, impacté par la pandémie de Covid, et un an qu'il attend de pouvoir bénéficier de la réassurance publique proposée par l'Etat français. Mais alors que ce projet n'est toujours pas validé par la Commission européenne, la direction de Groupama s'interroge sur le comportement de Bruxelles vis-à-vis de ce dossier... Le point avec Jean-Michel Pérès, directeur général de Groupama Assurance-crédit & Caution.


Rédigé par le Mercredi 21 Décembre 2022

J.-M. Pérès : "Nous avons fourni beaucoup d'éléments mais la Commission européenne a toujours des interrogations sur le bien-fondé de la réassurance publique" - DR
J.-M. Pérès : "Nous avons fourni beaucoup d'éléments mais la Commission européenne a toujours des interrogations sur le bien-fondé de la réassurance publique" - DR
TourMaG - La réforme du système d'insolvabilité en Belgique a été, selon le syndicat UPAV, validée par l'Europe et les garants financiers belges devraient pouvoir en bénéficier d'ici peu. En France, le projet de fonds de garantie des opérateurs de voyages et de séjours (FGOVS) géré par la Caisse Centrale de Réassurance (CCR) qui aurait dû être mis en application au 1er janvier dernier attend toujours la validation de Bruxelles. Avez-vous des informations à ce sujet ?

Jean-Michel Pérès :
Cela fait 350 jours environ que nous attendons l'accord de l'Union européenne qui a validé dans d'autres pays des schémas d'intervention publique largement plus importants qu'en France.

Je ne vous cache pas que nous avons beaucoup de mal à comprendre les interrogations et les questionnements de la Commission européenne, qui demande qu'on lui prouve aujourd'hui que demain nous aurons potentiellement beaucoup de dépôts de bilan dans le secteur du tourisme.

Malheureusement, les garants financiers français, tout comme le Ministère de l'Economie, n'ont pas acheté de boule de cristal pour savoir exactement ce qu'il va se passer demain. Et je doute que le Père Noël nous apporte cette réassurance cette année...

Nous sommes aujourd'hui dans une forme d'incompréhension complète entre les demandes de la Commission européenne et ce que les opérateurs touristiques français et l'Etat peuvent fournir.

Nous avons fourni beaucoup d'éléments mais nous avons toujours, au sein de la Commission européenne, des interrogations sur le bien-fondé de la réassurance publique.

Pourtant, le dispositif français du FGOVS prévoit un réel partage de sort entre le réassureur étatique et les garants, ce qui est beaucoup plus sain qu’une prise en charge complète par l’Etat. Par ailleurs, la durée du FGOVS est limitée alors que d’autres interventions étatiques ont une durée de 5 ou 6 ans.


TourMaG - Si le dossier français traîne en longueur, le blocage ne vient donc pas des autorités françaises ?

Jean-Michel Pérès :
En France, c'est la direction générale du Trésor qui porte la demande de réassurance publique. Elle est totalement en phase et soutient pleinement la demande des garants financiers.

La problématique n'est donc pas à Paris, mais bien à Bruxelles. Aujourd'hui, la conséquence de cette indécision de l'Europe est que l'on risque de se retrouver dans un marché français qui pourrait évoluer comme le marché belge, c'est-à-dire que les garants, faute de visibilité sur la réassurance, risquent d'arrêter de souscrire de nouvelles garanties.


TourMaG - Cela est déjà le cas pour Atradius...

Jean-Michel Pérès :
Et cela pourrait le devenir pour Groupama si jamais nous n'obtenons pas d'avancées rapides.

Nous sommes aujourd’hui sollicités par beaucoup d’opérateurs du tourisme qui apprécient notre compréhension du secteur et la solidité financière de notre groupe. Mais pour prendre des risques, il faut avoir de la visibilité sur le modèle économique. Et la réassurance est un élément-clé de l’assurance, notamment pour garantir la solvabilité des assureurs vis-à-vis des clients.

Je ne vous cache pas ma plus profonde incompréhension face à l'attitude de la Commission européenne qui pose sempiternellement les mêmes questions auxquelles nous fournissons les mêmes réponses et avec laquelle l'échange est totalement impossible.

Ce qui est d'autant plus surprenant, c'est que le dossier est traité par la direction générale de la concurrence (DG COMP pour "Directorate-General for Competition" en anglais, ndlr) au sein de l'Union européenne.

On pourrait donc penser qu'il s'agit d'une direction qui connait la vie des entreprises et le fonctionnement des secteurs économiques, alors que là, nous avons l'impression de nous heurter à un mur, sans prise en compte des spécificités de notre secteur et des enjeux de moyen terme, à savoir maintenir une capacité assurancielle pour les opérateurs de voyages et de séjours (OVS). C'est extrêmement perturbant et décevant.

D'autant plus que la direction de la concurrence, qui se fait le chantre de lutter contre les oligopoles et de protéger les consommateurs en favorisant la concurrence et l’émulation entre les opérateurs, risque par son indécision d’entrainer la sortie du champ concurrentiel d’opérateurs expérimentés et de favoriser l'émergence d'opérateurs exotiques dont on peut douter de la solvabilité et de la capacité à gérer des sinistres de masse, ce qui est un des savoir-faire clés des garants dans le tourisme.


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TourMaG - Sans la validation de cette réassurance publique, avez-vous pour l'heure un autre réassureur ?

Jean-Michel Pérès :
Notre réassureur en 2022 est l'Etat français, via la convention FGOVS signée en décembre 2021 avec la CCR.

En contrepartie de cette réassurance publique, les garants ont pris plusieurs engagements et notamment celui de renouveler toutes les garanties émises en 2021. Nous les avons toutes intégralement maintenues en 2022.

Les assureurs ont rempli entièrement les obligations contenues dans la Convention de réassurance. Il serait donc inconcevable juridiquement que l’Etat français ne puisse remplir ses obligations (alors même qu’il en a la volonté) à cause de l'indécision de la Commission européenne.


TourMaG - La réassurance publique est-elle absolument nécessaire en 2023 ?

Jean-Michel Pérès :
Tous les garants en ont besoin, car nous avons besoin de stabilité et de visibilité.

Les garants sont aujourd’hui confrontés à deux dangers : tout d'abord, qu'un "gros" opérateur dépose le bilan, de l'ordre d'un Thomas Cook bis.

Et puis, que l'on se trouve face à une surfréquence de dépôts de bilan sur des petits ou moyens réseaux d'agences de voyages, qui est le segment de clientèle peut-être le plus fragilisé.

Ces risques-là pourraient mettre en difficulté certains garants, ou à tout le moins entrainer une évolution de la politique de souscription d'autres garants qui décideraient de sortir complètement du marché.

Et dans ce cas-là, il n'y aura pas d'alternative car aucun garant n’a la capacité à reprendre des centaines, voire des milliers de garanties. C’est un point qu’il convient de rappeler.

Tout comme il ne suffit pas de mettre un panneau sur une vitrine pour devenir un agent de voyages, il ne suffit pas de se proclamer garant pour émettre des garanties et gérer des sinistres. Cela demande un réel savoir-faire, des process et des outils.

TourMaG - 2023 est-elle une année plus "risquée" que 2021 ou 2022 pour les opérateurs touristiques, avec le remboursement des prêts garantis par l'État (PGE) et plus aucune d'aide d'Etat ?

Jean-Michel Pérès :
Je dirais qu'il y a deux types d'opérateurs en difficulté :

- d'une part, des opérateurs traditionnels qui étaient là avant la crise mais pour lesquels cette crise a eu un impact financier très défavorable notamment en 2020, où les aides ont été moins importantes. Pour la plupart, ces entreprises n'ont pas encore retrouvé le niveau d'activité d'avant-crise. Si elles sont affaiblies et doivent rembourser leur PGE, cela devient compliqué.

- d'autre part, des entreprises plus récentes, qui se sont lancées en 2018 ou 2019, sur des modèles économiques alternatifs et qui n'arrivent pas aujourd'hui à trouver leur équilibre parce qu'elles ont été affaiblies par la crise et qu'elles laissent tomber.

Nous avons des entreprises de ce type-là qui ne sont pas en capacité de poursuivre leur activité parce qu'au bout de trois ans elles n'arrivent pas à trouver l'équilibre financier qu'elles visaient et elles renoncent. Et quand elles renoncent, cela se fait souvent au travers d'une procédure collective.

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Ces deux typologies d'entreprises sont fragilisées et le phénomène ne peut que s'accélérer et s'il prend trop d'ampleur, cela pourrait mettre en péril certains garants.

Nous le voyons en cette fin d'année, il y a un certain nombre d'entreprises qui lâchent. Groupama a enregistré quelques sinistres - avec de faibles montants - d'opérateurs qui arrêtent.


TourMaG - En 2023, vos clients doivent-ils s'attendre à une hausse des cotisations ?

Jean-Michel Pérès :
Non, nous continuerons à appliquer notre modèle tarifaire sur la base du risque estimé.

Il n'y aura pas de hausse, si ce n'est pour les opérateurs dont l'activité est en progression et qui, de fait, encaissent des sommes plus importantes. Nous n'avons pas changé de modèle pendant la crise et nous ne changerons pas.


TourMaG - Depuis la crise liée à la pandémie de Covid-19, avez-vous renforcé l'accompagnement proposé à vos clients ?

Jean-Michel Pérès :
Nous avons exercé un suivi des entreprises un peu plus rapproché, notamment celles qui ont connu le plus de difficultés.

Maintenant, la meilleure aide que nous pouvons apporter aux entreprises, c'est de maintenir leur garantie financière.

Nous avons également accordé des garanties à de nouvelles entreprises, donc je pense que, pour notre part, nous avons joué pleinement notre rôle de soutien des entreprises du secteur touristique.

Anaïs Borios Publié par Anaïs Borios Journaliste - TourMaG.com
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