Ces cadeaux de la nature sont ce qu’on appelle, dans notre jargon scientifique, des « services écosystémiques ».
Alors que les spécialistes documentent de plus en plus précisément « la sixième extinction de masse » en cours (voir les rapports l’IPBES sur l’effondrement de la biodiversité), les politiques se préparent à fixer, en 2020, de nouveaux objectifs et plans de conservation des écosystèmes.
Mais protéger efficacement la nature requiert une compréhension fine des processus – variés et très locaux – grâce auxquels elle profite à l’humanité.
Notre équipe – du Natural Capital Project à l’Université de Stanford – a modélisé quelques-uns de ces processus pour établir une carte interactive du monde ; il s’agit de montrer la capacité – en déclin – de la nature à fournir des pollinisateurs pour nos cultures ou protéger les populations contre les tempêtes côtières et les eaux polluées.
On estime aujourd’hui que cinq milliards de personnes pourraient être exposées à un risque accru de pollution, de tempêtes côtières ou de malnutrition (par manque de pollinisateurs) d’ici 2050. Les impacts varient selon les scénarios adoptés. S’ils sont moindres dans l’éventualité d’un changement climatique modéré, ils sont en revanche toujours inéquitablement répartis. L’Afrique et l’Asie du Sud-Est sont particulièrement impactées, notamment en termes de qualité de l’eau et de déclin des pollinisateurs.
Au niveau mondial, des centaines de millions de personnes vivant sur les littoraux deviendraient ainsi plus vulnérables aux tempêtes côtières.
En France, où l’on utilise beaucoup d’engrais – notamment dans le Nord et l’Ouest (voir la carte de gauche ci-dessous qui montre la quantité d’azote appliquée comme fertilisants) –, les sols en absorbent une majorité (c’est la « contribution de la nature »), mais le reste (voir la carte du milieu) ruisselle et viendra polluer les cours d’eau.
Selon un scénario qui dépeint un futur plutôt durable à l’échelle mondiale (carte de droite), ces polluants risquent d’augmenter à l’horizon 2050 dans la majeure partie du pays – à l’exception du Sud-Ouest.
Que racontent ces cartes ?
Où la nature est-elle la plus cruciale pour l’humanité ? Quelles sont les zones clefs à protéger ? La cartographie de processus naturels locaux réalisée à l’échelle mondiale nous permet de répondre à ces questions.
Pour identifier les zones les plus vulnérables, par exemple, on analyse à la fois les services rendus par les écosystèmes et les besoins des populations locales. Ces données spatiales sont fascinantes, incroyablement riches et complexes, voire presque indigestes.
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Les conséquences humaines du manque à gagner lié à la dégradation des services écosystémiques dépendent des besoins des populations locales ; on va alors considérer la contribution de la nature à l’humanité (nature’s contribution to people), si elle se produit là où il y a un besoin (dans ce cas, si les populations locales n’ont pas d’alternatives telles que des cultures qui ne dépendraient pas de la pollinisation).
Dans le cas de la rétention des polluants par le sol, le manque à gagner correspond à la quantité de polluants non-absorbée par le sol, ruisselant jusqu’aux cours d’eau. Dans le cas de la protection littorale, c’est l’augmentation du risque côtier dû à la perte de la protection d’un habitat (mangrove par exemple) qui sera concernée.
Innovation du big data
Ces analyses et cette cartographie ont été rendues possibles grâce à des avancées technologiques récentes, notamment les capacités de traitement de données massives, ou encore la disponibilité d’images satellites de haute résolution.
Nous avons « découpé » la planète en plus d’un milliard de carrés d’environ 300 mètres de coté (soit 9 hectares, soit à peine la taille d’un dixième du plus petit arrondissement parisien). Pour chacun de ces carrés, nous avons analysé les variables conditionnant l’efficacité de trois services écosystémiques (pollinisation des cultures, rétention des polluants par le sol et protection du littoral), et leur évolution pour divers scénarios de changements climatiques et sociétaux.
Quelques milliards de petits carrés que la magie de la data visualisation interactive nous permet d’explorer…
Quantifier les contributions de la nature, pour mieux la protéger
Depuis plus de dix ans, les politiques de gestion territoriale s’appuient sur les outils open-source que nous développons dans le cadre du Natural Capital Project pour mieux comprendre les bénéfices apportés par les biens naturels.
En 2020 seront décidées les grandes lignes des objectifs internationaux de conservation pour les prochaines décennies, notamment lors de la COP26 (à Glasgow, au Royaume-Uni) et de la Convention sur la biodiversité (à Kunming, en Chine). À l’approche de ces sommets, l’IPBES à rappellé l’urgence d’une compréhension fine des contributions de la nature à l’humanité.
Dans un monde confronté aux bouleversements climatiques, au recul du vivant et à la montée des inégalités, les responsables politiques auront besoin de cartes de plus en plus détaillées pour répondre aux défis de la conservation de la nature. Il s’agit dès lors pour nous, scientifiques et experts en données, d’être capables d’intégrer une variété toujours plus grande de services écosystémiques à nos cartes.
Charlotte Weil, Environmental Data Scientist, Stanford University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.