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Iran : "Les USA vont anéantir le développement touristique du pays" selon B. Hourcade

Entretien avec Bernard Hourcade, chercheur au CNRS sur l'Iran


Le 8 mai 2018 le président américain, M. Trump annonçait le désengagement des USA de l’accord sur le nucléaire iranien, et des sanctions contre les entreprises présentes en Iran, nous avons contacté un spécialiste du pays. Bernard Hourcade est directeur de recherche émérite au CNRS dans l'équipe de recherche "Monde iranien et indien", et fut pendant 15 ans responsable de l'Institut français de recherche en Iran. Il nous donne la vision de la crise diplomatique actuelle, où la France a un rôle important à jouer.


Rédigé par Romain Pommier le Vendredi 11 Mai 2018

TourMaG.com – Pouvez-vous nous recontextualiser, cette sortie des USA de l'accord sur le nucléaire iranien ?

Bernard Hourcade :
Pour comprendre la situation actuelle, il faut remonter plusieurs décennies en arrière. Depuis la révolution islamique, l'ordre politique régional a été totalement bouleversé, nous sommes passés d'un pays laïc à religieux, d'un état en faveur des Etats-Unis à contre, etc.

Deuxième fait majeur étant l'attaque de l'Irak contre l'Iran, qui crée une unité politique dans le pays, et tout le monde se range du côté de Rouhollah Khomeini. Ce dernier va alors relancer le projet nucléaire, il a brandi cela comme un bouclier pour la sécurité des Iraniens, devenant par la même occasion un pays voyou aux yeux du monde.

La chute de Saddam Hussein en 2003, a alors propulsé l'Iran comme l'un des rares pays stables de la région, mais avec sa volonté de se doter de l'arme atomique, le pays était alors vu comme agressif.

Il ne faut pas oublier, l'attentat du 11 septembre 2001 qui a bouleversé l'ordre établi. Les terroristes contre le World Trade Center sont soutenus par l'Arabie Saoudite, ou des monarchies pétrolières, ainsi l'allier saoudien ne tient plus la route, il faut rééquilibrer les rapports de force dans la région.

TourMaG.com – D'où la volonté des USA de se rapprocher de l'Iran, et ces accords ?

Bernard Hourcade :
En résumé, cela revient à cette conclusion. Avec les attentats, et la montée de Daesh, puis les problèmes politiques, l'Arabie Saoudite a disparu de l'échiquier international tout comme l'Irak et l'Egypte, alors l'Iran a été remis en selle.

Pour rééquilibrer ses rapports de force, et remettre le pays sur la scène internationale, Barack Obama va s'évertuer à replacer l'Iran sur la carte du monde. Pour être de nouveau présentable, le passeport d'entrée était la fin du programme nucléaire. Depuis, le projet atomique a été totalement abandonné.

A partir de 2015, les accords du nucléaire ont ouvert à l'Iran les portes de la scène internationale.

TourMaG.com – Si je vous comprends bien, le nucléaire n'est pas une question d'actualité, mais le problème pour Trump étant la place croissante de l'Iran ?

Bernard Hourcade :
L'Iran est totalement absent, si je peux le dire, sur le nucléaire, il n'y a aucune arme atomique et vu le retard pris, ils ne pourront jamais en avoir d'ici plusieurs décennies.

Le problème étant le retour du pays au niveau de son influence régionale, il faut savoir que l'Iran a 40 ans d'isolement à résoudre, et pour ce faire les contacts économiques ont été noués à tour de bras avec de nombreux groupes européens et mondiaux. Sauf que Trump ne veut pas de ça, il ne veut pas d'un Iran nationale, stable, forte, et calme...

Le pays a toutes les cartes en main pour devenir la puissance dominante de la région face à l'Arabie Saoudite et Israël, mais cela inquiète.

TourMaG.com – Et donc que veut Trump avec ses sanctions ?

Bernard Hourcade :
Le conseiller à l'économie du président Américain, qu'est John Bolton, veut rayer tout simplement l'Iran de la carte d'un point de vue diplomatique et sociétale. Pour cela la solution choisie étant celle de l'effondrement économique.

Ils veulent faire comme l'Irak, c'est-à-dire une nation qui ne se réforme pas, en développant les oppositions internes, alors que dans le même temps la population se veut fortement républicaine.

Tout n'est pas parfait loin de là, mais avec un tel potentiel économique et culturel, couplé à une société aussi évoluée que celle iranienne, imaginez un peu dans quelques années ce que peut devenir le pays, dans cette zone géographique chaotique. Voilà la crainte actuellement, la seule menace que représente Téhéran est celle du leadership régional, rien de plus.

Après il n'est pas impensable que le congrès américain, même s'il est opposé à l'Iran, rejette les sanctions.

TourMaG.com – Tout comme l'Irak peut-on craindre une escalade militaire ?

Bernard Hourcade :
Je ne le pense pas, après je ne peux pas prédire l'avenir, ni rien garantir. La solution militaire est peu probable, il y aura des incidents sans doute, mais l'invasion de l'Iran n'est pas possible. Le pays est nettement plus grand et peuplé que l'Irak, quand vous voyez déjà les tensions suscitées par la guerre en Irak, dans la population américaine, il n'y a aucune chance que Trump envoie des troupes.

Toutefois, nous allons vers une déstabilisation du pouvoir de l'intérieur. Avec le fléchissement de l'économie, et les des sanctions économiques à partir du 4 novembre 2018 pour les entreprises étrangères, il n'est pas impossible de voir une montée des radicaux.

Les extrémistes existent, en soutenant les mouvement radicaux, il est possible de les manipuler et semer le trouble dans l'ensemble de la république, pour les détruire de l'intérieur. Sauf que cette vision n'est pas du tout partagée par les Européens, mon optimisme est à chercher de ce côté.

TourMaG.com – Quel peut-être le rôle de l'Europe ?

Bernard Hourcade :
La balle est actuellement dans le camp de l'Europe, de la Russie et de la Chine. La date choisie par l'administration Trump est lourde de sens, puisque le 8 mai 1945 un nouvel ordre mondial s'est instauré avec les différentes puissances, et la création de l'ONU.

73 ans plus tard, le président américain balaye tout ce travail, et annonce que dorénavant il choisira seul dans son coin, la Chine et l'Europe doivent maintenant décider et remettre les points sur les "i".

Le monde fait marche arrière, les Etats-Unis sont un empire sur le déclin, l'Union-européenne peut tout changer et s'imposer au niveau diplomatique.

TourMaG.com – Les sanctions économiques peuvent-elles bloquer l'activité touristique ou le développement du pays ?

Bernard Hourcade :
Les sanctions économiques ont toujours été présentes, la signature de l'accord n'a pas levé de facto les embargos secondaires.

Pour vous expliquer plus clairement, les sanctions nucléaires sont levées certes, mais ils restaient celles plus anciennes sur le terrorisme, donc rien ne se faisait réellement. Depuis deux ans, les entreprises américaines ou françaises avaient des projets, mais les banques internationales ne pouvaient pas réaliser de transactions avec les banques iraniennes, donc rien ne se faisaient réellement.

La règle est devenue réelle.

TourMaG.com – Quelle est la situation en Iran actuellement ?

Bernard Hourcade :
Le pays est loin d'être un paradis, j'y ai vécu pendant 15 ans, et j'ai interdiction d'y retourner, donc je suis bien placé pour le savoir.

Après l'Iran est un pays connaissant une forte croissance économique (10% en 2017), mais avec de très importantes tensions, un fort mécontentement, mais le gouvernement est très respecté.

Les touristes peuvent voyager sur le territoire, les trains partent à l'heure, et les hôtels sont ouverts. Les manifestations du début d'année 2018 n'ébranlent pas le pouvoir, et peuvent sans doute le renforcer, avec un recroquevillement de la société autour d'un pouvoir centralisé plus fort.

TourMaG.com – Avez-vous eu vent de rapprochement entre l'Europe et l'Iran ?

Bernard Hourcade :
D'après mes informations, il y a beaucoup de discussions actuellement entre les deux parties. L'enjeu principal est le voyage de Macron, qui est l'une des rares personnalités à prendre la parole au niveau européenne, et qui a annoncé sa visite à Téhéran en cas de départ des USA de l'accord.

Le problème étant que le président français se trouve pris dans une guéguerre intestine au Quai d'Orsay, avec de nombreux pro-Trump qui sabote le voyage, mais M. Macron a réaffirmé sa volonté.

D'ailleurs au moment même où nous parlons, les responsables des deux pays échangent au téléphone. Nous ne sommes pas à l'abri que le président français prennent Madame Merkel avec lui, et que tout deux se rendent en Iran pour discuter.

TourMaG.com – Et pour en venir au tourisme, des entreprises européennes peuvent être touchées par les sanctions ?

Bernard Hourcade :
Le problème actuel est que les touristes en Iran ne peuvent pas payer avec leurs cartes Visa, le pays pour s'ouvrir à cette activité doit s'intégrer dans le système.

Tant que l'Iran n'a pas intégré le Gafi, et normalisé ses relations bancaires, mais étant donné que les banques européennes ne peuvent pas commercer avec l'Iran à cause des Américains, cela bloque le développement du tourisme. Il y a deux à trois millions de touristes en Iran chaque année, ce qui est très peu, ce n'est pas comme ça qu'une politique touristique est possible.

Les USA vont anéantir le développement touristique du pays, nous sommes en pleine tempête.

TourMaG.com – Y-a-t-il des dangers sécuritaires pour les touristes ?

Bernard Hourcade :
Aucun, les Iraniens du haut en bas du pays, sont tellement contents d'accueillir des gens de l'extérieur que la réception des touristes est très bonne. Vous savez la sécurité envers les femmes est très bonne, il n'y a pas des pincements aux fesses comme dans d'autres pays, ni la même délinquance qu'à Naples.

Vous êtes dans un pays sérieux, et autoritaire, la police est très efficace, je peux malheureusement en témoigner. Il n'y a aucun problème de sécurité.


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Commentaires

1.Posté par Marion le 25/08/2018 08:57 | Alerter
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Bonjour, question peut-être bête puisqu on ne peut rien prévoir, mais pensez vous qu il soit judicieux de partir en Iran précisément en novembre (mi ou fin de mois)?
D après vous, une forte agitation voire un "soulèvement" plus important, seraient envisageables?
Merci d avance pour me donner votre sentiment...

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