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Le Business et le Transport ne font pas bon ménage...

Sécurité et rentabilité dans le Transport Aérien


Henri Marnet-Cornus, "Pilote de Ligne sans Ligne" et Président de l’Association SAFETY FIRST


Rédigé par le Lundi 6 Décembre 2004

Postulat 1 : la sécurité des passagers est l’objectif n°1 du Transport Aérien

Le mot ‘’sécurité’’ est, en effet, présent dans tous les documents de référence tels que la Réglementation du Transport Aérien, le Code de l’Aviation Civile, les Manuels d’Exploitation…etc.

Par exemple, pour l’obtention et le renouvellement du Certificat de Transporteur Aérien (CTA), l’Autorité impose aux compagnies aériennes de disposer d’une structure d’encadrement éprouvée et efficace lui permettant d’assurer la sécurité des opérations aériennes, d’établir un Système Qualité pour assurer la sécurité de l’exploitation, d’adopter un programme de prévention des accidents et de sécurité des vols.

La partie A du Manuel d’Exploitation des compagnies aériennes définit les responsabilités et les tâches de l’encadrement ; ainsi le Directeur des Opérations en Vol doit-il garantir le maintien d’un haut niveau de sécurité, le Directeur des Opérations et Services chercher à atteindre le plus haut degré possible de sécurité, le Responsable Sécurité des Vols améliorer la sécurité aérienne…etc, jusqu’au Président Directeur Général de la compagnie qui est invité à s’engager par écrit sur la politique qualité : La sécurité est la première des attentes de nos passagers.

Nous devons tout mettre en œuvre pour garantir la sécurité des vols… Quant aux Commandants de Bord, en application du Code de l’Aviation Civile, ils sont responsables de la sécurité de l’avion, des passagers, de l’équipage et du fret.

i[[Remarque : les Commandants de Bord sont les seuls à être responsables de la sécurité. L’encadrement a des obligations de sécurité, la nuance est importante.]]i

La sécurité dans le Transport Aérien est un objectif planétaire. Récemment, l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) l’a une nouvelle fois rappelé par l’intermédiaire de son Secrétaire Général, Monsieur Renato Claudio Costa Pereira.

Lors d’une interview ( www.icao.int, à la question : “The safety record for 1996 and 1997 seems to indicate that we are not succeeding in further reducing the accident rate?”, il répond :

“Yes, this is a major concern. Appropriate measures must be taken to further reduce the accident rate. To me, safety is the most important part of our mandate because there is nothing more precious than human life. We must do everything we can to help governments and the air transport industry to improve safety.”

En fonction de cette exigence, postulat 1, les compagnies aériennes doivent tout mettre en œuvre pour satisfaire cet objectif. Selon le Règlement du Transport Aérien, le Dirigeant Responsable d’une compagnie, le PDG, doit s’assurer que toutes les opérations et toutes les activités d’entretien peuvent être financées et mises en œuvre au niveau exigé par l’Autorité.

Postulat 2 : la rentabilité est l’objectif n°1 de toute entreprise

Incohérence : Le niveau de sécurité exigé par la réglementation n’est pas un niveau minimum, il requiert des moyens importants, la sécurité a un coût. Or, depuis plusieurs années, on ne cesse de répéter que ce secteur d’activité, le Transport Aérien, doit « diminuer ses coûts » et « augmenter sa productivité » pour devenir « rentable ».

Sait-on seulement ce que cela signifie ? Peut-on avoir ce genre de discours lorsqu’il s’agit de transporter des passagers ? Peut-on satisfaire aux exigences de sécurité décrites ci-dessus en réduisant tous les coûts ? Peut-on satisfaire aux exigences de sécurité décrites ci-dessus avec des objectifs d’entreprise ? Une compagnie aérienne est-elle une entreprise sans spécificités particulières ?

Avoir une activité maximale avec un minimum de moyens, voilà ce que les décideurs proposent, un minimum de sécurité pour les passagers et membres d’équipage prenant place à bord des avions. Certains vont jusqu’à affirmer : « faire de la sécurité l’objectif n°1 c’est être moins compétitif car cela augmente les coûts »…

La logique et le bon sens ne peuvent que réfuter ce genre d’arguments. Pourtant il semble que cette tendance se généralise dans ce secteur d’activité à tel point que l’avènement du ‘’low cost’’ semble inéluctable. C’est une lourde erreur. La Marine Marchande en a fait l’expérience il y a quelques années et, depuis, nous en subissons régulièrement les conséquences.

A cause d’une logique mercantile, des pétroliers polluent régulièrement nos côtes, la rentabilité étant privilégiée au détriment de la sécurité. J’avais publié en septembre 2000 une ‘’ Lettre ouverte d’un Pilote de Ligne aux Pilotes de Ligne’’. Elle est toujours d’actualité.

Comme pour la Marine Marchande et les Marins il y a quelques années, aujourd’hui, l’Aviation n’appartient plus aux Aviateurs : pour une grande partie du système dit de ‘’Transport Public de Passagers », seuls comptent la productivité, la diminution des coûts, le profit, termes issus du langage de ceux qui ont envahi notre profession, les banquiers, les financiers.

Les règles de sécurité sont bafouées pour, selon l’expression consacrée, ‘’faire passer le programme des vols’’. Afin d’assurer la disponibilité des avions, on donne de fausses informations aux équipages quant à leur état. Afin d’assurer un maximum de productivité, on limite les effectifs, les moyens, les temps de repos. Le climat social est instable, le personnel est fatigué, démotivé.

Une telle politique ne peut générer que des conflits, des affrontements entre ceux qui tentent de respecter les règles de la Sécurité des Vols et ceux qui les ignorent.
L’avenir est déjà écrit car nous sommes dans une situation favorable à l’accident.
Des compagnies pétrolières en ont fait l’expérience avec le naufrage de l’Erika.

Pour avoir trop longtemps ignoré les règles de sécurité, elles ont inondé de pétrole nos plages de l’Atlantique, massacrant au passage des milliers de poissons et d’animaux marins.
En Aviation ce sont les passagers qui risquent de payer de leur vie les erreurs commises, sans parler des équipages qui sont, déjà, les responsables désignés. Le Capitaine du pétrolier qui a sombré au large de nos côtes sait bien ce qui l’attend…

Aujourd’hui, une grande partie du Transport Public de Passagers est dans une situation ‘’pré-Erika’’, il n’y a plus qu’à attendre, MURPHY est prêt à intervenir.
Les Pilotes de Ligne doivent rapidement briser la chaîne de l’erreur en affirmant leur attachement aux règles de la Sécurité des Vols. Demain, comme pour l’Erika, il sera peut-être trop tard.

i[[ MURPHY est bien connu des Aviateurs. Il a ‘’inventé’’ un certain nombre de règles dont la plus connue est : « If you allow somthing bad to happen, it will » ]]i

Diminuer les coûts, augmenter la productivité sont donc des objectifs d'entreprise difficilement applicables dans une compagnie aérienne. Avoir une activité maximale avec un minimum de moyens n’est pas compatible avec le transport de passagers, il faut le répéter, car cela induit un minimum de sécurité pour ceux qui prennent place à bord des avions.

Ce genre de politique d’entreprise est un acte générateur de risque que l’on peut écarter en choisissant d’engager une réflexion saine pour fixer le cadre rigide à ne pas dépasser. Ce cadre existe, ce sont les règles de la Sécurité des Vols. Elles sont issues de la logique et du bon sens…

La Sécurité des Vols, prévention des accidents, impose une réflexion permanente. Si, en Aviation, le risque zéro n’existe pas, l’objectif d’une Compagnie Aérienne doit être de le faire tendre vers zéro. La Sécurité des Vols doit servir de lien transversal entre tous les services impliqués dans la réalisation des vols.

Mais la logique et le bon sens peuvent-ils cohabiter avec la rentabilité ? Avoir l’obsession de la rentabilité dans le Transport Aérien impose des effectifs réduits, peu ou pas de matériels, peu ou pas de pièces de rechange, des repos mini, des conditions de travail précaires, etc...

Les avions sont en mauvais état, le climat social est instable car les conflits se multiplient, on fait des impasses techniques, on bidouille avec la réglementation, les services s'isolent peu à peu les uns des autres, la compagnie se fragilise, le personnel est fatigué, démotivé... c'est un milieu favorable à l'accident.

Un accident aérien n’est jamais la conséquence d’une seule erreur mais toujours la dramatique conclusion d’une série d’évènements limitant tour à tour les choix de l’équipage. C’est ce que l’on appelle « la chaîne de l’erreur ». En cherchant avec acharnement à diminuer les coûts et à augmenter la productivité pour assurer la rentabilité, les décideurs prennent place dans la chaîne de l’erreur.

On ne peut, en Aviation, limiter les moyens, les effectifs, les temps de repos sans réfléchir aux conséquences. C’est pourtant dans cette voie, qu’ils avancent, résolument… Jusqu’à quand ?

Car c’est évidemment LA question qu’il faut dès maintenant leur poser :

  • « les coûts, quand cesse t’on de les réduire ? »
  • « On les réduit au maximum ! », répondront les businessmen…
  • « Mais on sort du cadre rigide !!!, répliqueront les aviateurs
  • « Y’a pas d’mais, circulez… »

    Le business et le Transport ne font pas bon ménage : pour avoir privilégié la rentabilité au détriment de la sécurité, des compagnies pétrolières ont provoqué des catastrophes écologiques, les administrateurs du tunnel du Mont Blanc ont provoqué la mort de 39 personnes… Le transport ferroviaire anglais n’a jamais été aussi meurtrier que depuis qu’il a été privatisé…

    Coûts minimum = minimum de sécurité

    Quelle solution ?

    Le Transport Aérien a besoin d’excellence. Si les dirigeants des compagnies admettent que les coûts doivent être adaptés aux objectifs de sécurité, nous ferons un pas dans cette direction, car c’est un minimum de risque que nous offrirons aux passagers et non plus un minimum de sécurité.

    Coûts adaptés = minimum de risque.

    Le niveau de sécurité d’une compagnie aérienne se mesure au discours de ses dirigeants.

    Lors d’une récente conférence organisée par la Royal Aeronautical Society, le Dr Kotaite a insisté, au nom de l’OACI, sur l’importance des choix du management. Au cours de son intervention (http://www.icao.int/) organisée sur le thème “Human error a warning flag for regulators and managers”, il a notamment déclaré devant les représentants de nombreux gouvernements, constructeurs et compagnies aériennes :

    Innovative technology as well as human factors endeavours have already contributed significantly to the aviation safety record, but the most important safety strategy today centres on the relationship between management and safety.
    Managers play a fundamental role in defining and sustaining the safety culture of their organizations.

    Regulators and airline management define the environment within which operational personnel conduct their tasks : it is they who determine the policies and procedures, allocate the resources, investigate failures of the system and take remedial action.
    Human error should become a warning flag for regulators and managers, a possible symptom that individual workers have been unable to achieve the system goals because of difficult working environments, flaws in policies and procedures, inadequate allocation of resources, or other deficiencies in the architecture of the system.

    L’OACI invite donc tous ceux qui participent à la gestion du Transport Aérien à réaliser qu’en fonction des options qu’ils choisissent, ils créent un environnement plus ou moins favorable à la Sécurité des Vols.

    Minimum de risque ou minimum de sécurité, qu’en pensent les passagers ? Est-il nécessaire de poser la question ?…


    Henri Marnet-Cornus
    Pilote de Ligne sans Ligne
    Président de l’Association SAFETY FIRST
    (03.03.03)


    PS : on peut également adapter ce raisonnement à ces compagnies aériennes qui n’ont pas la capacité financière nécessaire et imposée par la réglementation pour assurer l’exploitation d’avions destinés au transport de passagers.
    Ces ‘’compagnies poubelles’’, par analogie aux ‘’bateaux poubelles’’, sont des agrégats de services et d’individus isolés les uns des autres tentant, avec le peu de moyens mis à leur disposition, de ‘’faire passer’’ le programme des vols dans un environnement favorable à l’accident.

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Commentaires

1.Posté par Weiss Patrice le 08/12/2004 12:10 | Alerter
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Merci pour cette intéressante analyse qui mériterait d'être "méditée" par bien des "managements" et faire l'objet de "brain storming" quelque peu directifs. A cette démonstration j'ajouterais volontier un autre exemple très actuel, il s'agit de la prolifération récente des collisions maritimes entre navires de pêche et gros batiments de transports. Comme il est dit à propos de la productivité, il fût un temps ou l'on parlait de "rentabilité" ou encore de ce vocable qui sonne de façon si inélégante de "profitabilité" mais le "politiquement correcte" a éliminé ces écarts de language avec aussi le personnel de veille à bord, tant à la machine qu'à la passerelle ne comptant plus que sur l'électronique pour parer tous les dangers... Et sans malveillance aucune on envoi parfois par le fond un petit marin pêcheur, ou un voilier dont personne n'entendra jamais parler.
On se gargarise volontié de mots, et c'est le seul investissement qui ne coûte pas grand chose mais est suceptible de provoquer tant de maux...
Amicalement

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