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"Le tourisme est un projet totalitaire" selon RĂ©my Knafou 🔑

Interview de Rémy Knafou, géographe et professeur émérite de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne


Remy Knafou fait partie des penseurs de l'industrie touristique en France. Le professeur Ă©mĂ©rite de l'UniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on-Sorbonne est l'auteur d'un livre intitulĂ© "le titre "RĂ©inventer le tourisme, sauver nos vacances sans dĂ©truire le monde". Dans ce recueil qui fait la part belle au tourisme durable, le gĂ©ographe n'hĂ©site pas Ă  Ă©gratigner l'industrie la qualifiant de "projet totalitaire" et pour qui la bouĂ©e de sauvetage devrait ĂȘtre le tourisme rĂ©flexif. Voici la 2e partie de l'interview de RĂ©my Knafou qui appelle le monde Ă  sanctuariser touristiquement l’Antarctique.


Rédigé par le Lundi 8 Novembre 2021

"Le tourisme est totalitaire, lorsque nous cherchons Ă  rendre touristique tous les espaces de la planĂšte, y compris les plus reculĂ©s des marchĂ©s Ă©metteurs, mĂȘme ceux sans sociĂ©tĂ© d’accueil" selon RĂ©my Knafou - CrĂ©dit photo : Depositphotos @doethion
"Le tourisme est totalitaire, lorsque nous cherchons Ă  rendre touristique tous les espaces de la planĂšte, y compris les plus reculĂ©s des marchĂ©s Ă©metteurs, mĂȘme ceux sans sociĂ©tĂ© d’accueil" selon RĂ©my Knafou - CrĂ©dit photo : Depositphotos @doethion
TourMaG.com – Vous parliez (dans la 1Ăšre partie de l'interview) de vouloir rĂ©guler le tourisme. Ce dernier a pris un poids considĂ©rable dans l’économie mondiale. N’est-il pas rĂ©gulĂ© du fait de la grande dĂ©pendance qu’il exerce sur l’économie ?

RĂ©my Knafou :
Exactement, il y a une forme d’addiction au tourisme.

Il a tellement rĂ©ussi qu’il a peu de contre-pouvoir en face de lui. Il ne faut pas casser la machine, mais l’encadrer et la rĂ©guler.

Le fait de mettre des jauges est une suite logique, pour les lieux surchargĂ©s ou/et menacĂ©s. AprĂšs cela ne remet pas en cause notre libertĂ© d’aller ailleurs.

AprĂšs la sĂ©lection par l’argent, je n’y suis pas personnellement favorable, mais cela fonctionne depuis toujours.

Prenez les cas des croisiĂšres en Antarctique ou d’autres destinations reculĂ©es.


"N’oublions pas que c’est par le tourisme que Venise a retrouvĂ© de l’activitĂ©"


TourMaG.com – Le tourisme a-t-il encore des effets positifs ?

RĂ©my Knafou :
Bien Ă©videmment, d’ailleurs il apporte tellement qu’il a rencontrĂ© un tel succĂšs.

Les retombĂ©es Ă©conomiques sont indĂ©niables. Vous voyez bien que dĂšs que le flux s’arrĂȘte, cela pose problĂšme, notamment pour des destinations prospĂšres, comme Venise.

Il y a eu des reportages naïfs au début de la pandémie, mais nous avons aussi vite oublié les conséquences néfastes sur la cité.

Pour y ĂȘtre allĂ© en juin dernier, j’ai pu constater que des commerces fermĂ©s, des hĂŽtels qui fonctionnaient avec 15 ou 20% d’occupation, des restaurants vides.

D’ailleurs, je voudrais prĂ©ciser que Venise sans la foule, ça n’a jamais existĂ©.

Actuellement, il y a 55 000 VĂ©nitiens, ils Ă©taient 250 000 au moyen Ăąge ! C’était une ville qui grouillait de monde, Ă  l’image de ce que vit la ville Ă  son plein rĂ©gime touristique.

DĂšs le 16e siĂšcle, le modĂšle Ă©conomique de la citĂ© Ă©tait sur le dĂ©clin. N’oublions pas que c’est par le tourisme que Venise a retrouvĂ© de l’activitĂ© et de l’enrichissement.

Sans l’argent des touristes, le patrimoine de la ville ne serait pas aussi bien conservĂ©.

L’argument social ne me parait pas moins important. Les flux entre les populations de cultures diffĂ©rentes font circuler des idĂ©es et des maniĂšres autres de voir le monde.

L’aprĂšs-franquisme a Ă©tĂ© prĂ©parĂ© par la venue des vacanciers europĂ©ens, dans un pays totalement cadenassĂ© et fermĂ©.

Les pratiques des touristes à partir des années 50 sur les plages espagnoles, elles ont préparé le terrain de la révolution culturelle, puis politique.

Dubaï : "c’est un non-sens et une catastrophe"

"Pour envoyer un message fort Ă  l’industrie touristique, je propose de sanctuariser touristiquement l’Antarctique" selon RĂ©my Knafou - CrĂ©dit photo : PR
"Pour envoyer un message fort Ă  l’industrie touristique, je propose de sanctuariser touristiquement l’Antarctique" selon RĂ©my Knafou - CrĂ©dit photo : PR
TourMaG.com – Des phĂ©nomĂšnes bien connus, mais est-ce tout ?

RĂ©my Knafou :
Le tourisme est aussi un facteur de rencontre avec l’autre. Je ne parle pas nĂ©cessairement de la population locale, mais aussi avec les touristes.

Si vous allez dans certaines grandes stations balnéaires, vous avez assez peu de chances de rencontres des autochtones.

MalgrĂ© tout, il est possible de rencontrer des EuropĂ©ens ou des populations plus lointaines, c’est tout l’intĂ©rĂȘt de la vie.

Le tourisme multiplie donc les chances de nous enrichir, grĂące aux rencontres.

TourMaG.com – A contrario, lorsque les touristes europĂ©ens se rendent Ă  DubaĂŻ, ils ne rencontrent pas de DubaĂŻotes. En Arabie Saoudite, ce ne sera sans doute le cas. Donc le tourisme a-t-il encore ce pouvoir ?

RĂ©my Knafou :
Nous sommes dans des espaces de l’artificialisation tous azimuts, que ce soit environnemental et social.

Les plages sont en partie artificielles, les populations vivent Ă  l’intĂ©rieur de lieux climatisĂ©s, c’est le paradis de l’artificialisation.

Sur le plan environnemental, c’est un non-sens et une catastrophe.

Socialement, nous parlons de territoires qui sont des enclaves touristiques internationales, pas faites pour la rencontre avec la population locale.

C’est l’apogĂ©e d’une forme de tourisme hors sol, dont il ne me semble pas intĂ©ressant d’accĂ©lĂ©rer son dĂ©veloppement.


S’il y a une performance dans sa crĂ©ation, c’est un modĂšle qui n’est pas durable.

A lire : Saskia Cousin (Sociologue) : "Ce n’est pas parce qu’il y a moins de tourisme international qu’il y aura moins de voyage"

Qu'est-ce que le tourisme réflexif ?

TourMaG.com – Dans votre livre vous parlez d’un tourisme rĂ©flexif. Quel est-il et en quoi il peut changer la donne ?

RĂ©my Knafou :
C’est la capacitĂ© que l’ensemble des acteurs de l’écosystĂšme a de questionner les pratiques touristiques.

C’est-Ă -dire s’interroger sur le bien-fondĂ©, l’utilitĂ© personnelle, sociale, Ă©conomique, etc.

Donc exercer son esprit critique le plus possible pour ne pas uniquement adopter les pratiques qui sont véhiculées par la communication touristique.


Ce qui garantit davantage l’appropriation de l’information par le tourisme, c’est de solliciter sa capacitĂ© de curiositĂ©. Il est possible d’éveiller la capacitĂ© du touriste, ce sont des leviers de rĂ©flexivitĂ©s.

En Allemagne, des pavĂ©s de laiton ont Ă©tĂ© placĂ©s au sol, devant les domiciles de personnes qui ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es par les nazis et transportĂ©es dans des camps d’extermination.

Il est possible de totalement passer Ă  cĂŽtĂ©, mais pour ceux qui regardent et se posent une question, alors c’est le dĂ©but de processus mental pour l’appropriation et donc la personne n’oublie plus.

C’est un champ ouvert pour les chercheurs, les artistes et les opĂ©rateurs touristiques.

"Je propose de sanctuariser touristiquement l’Antarctique"

TourMaG.com – Vous parlez aussi d’un projet totalitaire, quand vous parlez du tourisme, pourquoi ?

RĂ©my Knafou :
C’est dans le sens de vouloir englober, tous les Ă©lĂ©ments d’un systĂšme.

Il est totalitaire, lorsque nous cherchons Ă  rendre touristiques tous les espaces de la planĂšte, y compris les plus reculĂ©s des marchĂ©s Ă©metteurs, mĂȘme ceux sans sociĂ©tĂ© d’accueil.

Je pense Ă  l’Antarctique qui est seulement habitĂ© par des scientifiques, donc il n’y a aucune retombĂ©e Ă©conomique pour les populations, puisqu’il n’y en a pas.

Pour envoyer un message fort à l’industrie, je propose de sanctuariser touristiquement l’Antarctique.

Ce serait un geste trùs fort pour montrer que nous changeons d’ùre de pratique touristique
.

Je ne suis pas hostile au tourisme, car c’est essentiel pour former l’individu, s’ouvrir aux autres, mais cela ne doit pas se faire à n’importe quel prix.

TourMaG.com – Pourquoi le tourisme est toujours Ă  la recherche d’une nouvelle terre jamais commercialisĂ©e ? L’industrie ne sait plus comment communiquer, ni faire rĂȘver.

RĂ©my Knafou :
Vous parlez lĂ  d’un marchĂ© de niche, vieux comme le tourisme lui-mĂȘme.

Aller en Antarctique n’est pas Ă  la portĂ©e de toutes les bourses.

A ces personnes, nous vendons ce que recherchent certains touristes, c’est-Ă -dire aller plus loin pour Ă©viter les lieux trop frĂ©quentĂ©s. C’est un tourisme de recherche de distinction, sauf que nous avons atteint la limite.

Si nous voulons parler de tourisme responsable, la premiĂšre des responsabilitĂ©s, c’est de songer Ă  la prochaine gĂ©nĂ©ration.

Nous devons lui laisser quelques territoires sur lesquelles elles puissent prendre des décisions.

Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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