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D’un tourisme réparateur à un tourisme de réinvention et de repérage

Décryptage de Josette Sicsic (Touriscopie. Mai 2016)


La règle des 3 D « Détente, divertissement, dépaysement » établie dans les années soixante par Joffre Dumazedier peut-elle encore s’appliquer aux vacances d’aujourd’hui ? Ou bien est-elle d’ores et déjà périmée et inadaptée aux aspirations des vacanciers du vingt-et-unième siècle ? Huit décennies après la loi de 1936 sur les congés payés, la question peut et doit se poser ?


Rédigé par le Lundi 30 Août 2021

Le farniente dominant

Il est vrai qu’aujourd’hui, la richesse et la variété de l’offre de loisirs constitue une tentation permanente de s’adonner à une longue liste d’apprentissages allant de l’apprentissage d’une langue, à celui d’une pratique sportive, de la cuisine à l’œnologie, en passant par le tir à l’arc. - Image par Free-Photos de Pixabay
Il est vrai qu’aujourd’hui, la richesse et la variété de l’offre de loisirs constitue une tentation permanente de s’adonner à une longue liste d’apprentissages allant de l’apprentissage d’une langue, à celui d’une pratique sportive, de la cuisine à l’œnologie, en passant par le tir à l’arc. - Image par Free-Photos de Pixabay
Premier point : malgré les quantités de tentatives pour mettre les vacanciers en mouvement et les centaines d’offres d’activités diverses qui existent sur le marché, force est de remarquer que l’imagerie des vacances restent plutôt orientée vers la détente, le zéro contrainte, le « rien faire ».

Traduites aujourd’hui par cette expression à tout faire qu’est le « lâcher prise », les images utilisées massivement dans les catalogues et campagnes publicitaires touristiques ne font que répondre à l’aspiration généralisée, largement majoritaire de profiter de son temps libre pour rompre avec un quotidien stressant.

D’ailleurs, une récente étude de CSA pour le Club Med indique que 72% des interviewés éprouvent plusieurs fois par mois le besoin impératif de « lâcher prise ». On s’en doutait. Voilà qui est confirmé.

La vie intense : une histoire de consommation

A l’inverse, maître argument de tout discours publicitaire, l’intensité est le leitmotive de la vie contemporaine. Quand cette valeur est-elle apparue et pourquoi ?

« Avec le chemin de fer, l’industrie, la médecine, le confort domestique, l’intensité est devenue un concept savant de philosophie et un idéal ordinaire de l’homme... » explique le philosophe Tristan Garcia dans son ouvrage « La vie intense ».

En fait, rien de bien nouveau, puisque le philosophe fait avec des termes différents un constat déjà ancien. Ainsi, Pascal Bruckner, parmi tant d’autres, évoquait dès 2001, la course au bonheur à laquelle nous nous livrons dans son ouvrage « L’euphorie perpétuelle ». De quoi ouvrir un boulevard au tourisme dit « expérientiel » !

Les vacances expérience

Comptant sans doute parmi les mots les plus utilisés dans le langage touristique, ce terme de « marketing » n’a pourtant rien inventé. Il ne fait qu’amplifier la quête de sensations formulées par une minorité de vacanciers et justifier le matraquage publicitaire autour de la multi activité.

Proposant en effet une somme considérable d’occupations travesties en expériences dites exceptionnelles susceptibles de faire vibrer petits et grands, le tourisme dit expérientiel va également proposer de faire le plein de sensations parmi tous les moments de la vie touristique : les repas, les sorties, les rencontres.

On est en plein lieu commun. Et, bien qu’ une majorité de vacanciers opte pour la modération et se contente de picorer des espaces temporels ou géographiques « modestes », la mécanique manipulatrice est bien rodée. La demande touristique reste emprisonnée dans un cadre sémantique consensuel, peu importe si celui-ci est en partie trompeur et surtout déconnecté des préoccupations réelles de nombreux vacanciers.

Les vacances apprentissage

Moins « expérientiel » mais plus porteur de sens, les vacances à caractère « initiatique » n’ont beau être consommées que par une marge, elles n’en sont pas moins médiatisées à l’extrême comme s’il s’agissait d’une tendance avant gardiste.

Il est vrai qu’aujourd’hui, la richesse et la variété de l’offre de loisirs constitue une tentation permanente de s’adonner à une longue liste d’apprentissages allant de l’apprentissage d’une langue, à celui d’une pratique sportive, de la cuisine à l’œnologie, en passant par le tir à l’arc. Comme les enfants en colonies de vacances, l’adulte est de plus en plus tenté d’utiliser son temps libre « pour ne pas bronzer idiot ».

Mais, la vocation du tourisme social n’était-elle pas dés ses premières heures, de conjuguer vacances et connaissances ? On est encore dans le consensus, la généralisation et la non vérification !

Les vacances marqueur social

Globalement, il est cependant une tendance dont on ne parle guère mais qui résiste. Elle provient de l’insistance avec laquelle des individus peu satisfaits de leur vie professionnelle, passent une grande partie de leur temps à organiser leurs congés.

Mais, ce soin indispensable à la bonne préparation de leurs vacances se double d’une tendance à l’ostentation. Les plus frustrés dans leur vie active sont les plus exhibitionnistes quand il s’agit de projeter, de vivre et de raconter leurs temps de vacances. Les vacances réparent indéniablement des insatisfactions liées à un quotidien terne.

De plus, on les expose d’autant plus volontiers qu’elles ont belle allure. Une destination lointaine, une activité originale, un mode de transport inédit...permettent à ces individus de sublimer leur existence et surtout leur image, au sein de leur groupe social. Ces vacances là expriment un idéal auquel ils aspirent secrètement. Elles disent ce qu’ils voudraient être et jouent à ce titre un rôle réparateur.

Les vacances « expérimentation » : le vrai changement !

Le temps de vacances est cependant en train de vivre une nouvelle mutation, dont les premiers signes sont surtout perceptibles parmi une avant garde d’individus présentant plusieurs caractéristiques sociologiques propres à notre époque :

➤ D’une part et surtout, ces individus disposent des moyens matériels et culturels de prendre des risques en changeant de vie. Ils exercent surtout un métier « nomade », praticable à distance.

➤ Deuxièmement, ils sont suffisamment en révolte contre le contexte ambiant pour aspirer à le déconstruire ou à le fuir.

➤ Parallèlement, ces individus sont également suffisamment émancipés des normes sociales ambiantes pour envisager d’adhérer à un autre système de normes construites sur une histoire et un vécu personnel. Mentalement libérés, ces individus peuvent dés lors envisager de réinventer leur existence.

➤ En même temps, cette population, via un ensemble de pratiques tenant à la fois de la psychanalyse, du développement personnel et autre travail d’exploration de soi, est parvenue à détecter la nature profonde de ses aspirations, ses goûts, ses penchants. Au clair avec eux mêmes, ces individus ont atteint un niveau de lucidité par rapport à leur projet de vie suffisamment précis pour qu’ils puissent envisager de le concrétiser.

De quoi s’agit-il ? En fait, il s’agit de consacrer son temps de vacances à faire l’essai d’une nouvelle vie, dans un cadre, une compagnie et des occupations radicalement différentes. On passe du fantasme à l’expérimentation. On passe du rêve à une tentative de mise au point d’une nouvelle réalité. Ainsi, on peut tester une ville, une nouvelle forme d’habitat, une vie à la campagne, sur mer, à l’étranger, un autre type d’activité, pourquoi pas un nouveau conjoint ! Comme dans un laboratoire, on fait des tests grandeur nature, quitte à renoncer par la suite.

De plus en plus nombreux, ces candidats au changement font souvent marche arrière. Mais, au moins, auront-ils tenté le coup !

Touriscopie. Mai 2016

Disparaître : une tentation nord américaine

Les Français ne sont pas très portés au changement de vie radical, encore moins à la disparition pure et simple. De celle qui permet de totalement s’évaporer dans la nature pour renaître ailleurs, sous une autre identité. Or, de l’autre côté de l’Atlantique, force est de remarquer qu’après avoir évolué autour du mythe de la route, la littérature américaine contemporaine fourmille de personnages faisant le choix de disparaître purement et simplement afin de changer de vie.

Du jour au lendemain, ces personnages quittent tout, le matériel comme l’affectif, pour se réinventer dans un ailleurs souvent inconfortable, voire misérable, mais où ils profitent d’un total anonymat. Ils refont surface et s’adonnent à une existence ayant au moins le mérite d’être différente de leur vie passée.

On retrouve ces personnages aussi bien dans la littérature de Douglas Kennedy que de Richard Ford ou de Cunningham ou de Joyce Maynard... Nouvelles icônes d’une nation caractérisée par sa mobilité et sa pratique des grands espaces, ces personnages qui osent passer à l’action traduisent un penchant quasi universel mais irréalisable dans d’autres pays. Certes, leur aventure n’a rien de touristique, mais elle contribue à façonner des imaginaires de voyages dans lesquels le déplacement et le changement ont toute leur place.

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Tags : archive, sicsic
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