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#JesuisAgentdevoyages - Léa : journal de voyage aux confins du confinement...

La life de Léa, l'agent de voyages (pas si) blonde


Comme la grande majorité des Français, Léa, notre agent de voyages pas si blonde, est en confinement. Elle a entamé le journal d'un voyage intérieur qu'elle partagera avec les lecteurs chaque semaine : #jesuisagentdevoyages.


Rédigé par le Dimanche 5 Avril 2020

J’ai passé ces 8 jours à travailler sans interruption, à ne dormir que d’un œil, à répondre à 4h du matin à la fois aux clients qui se réveillent aux Caraïbes et à ceux qui vont se coucher en Thaïlande, à revalider des billets jour et nuit. - Illustration Raf
J’ai passé ces 8 jours à travailler sans interruption, à ne dormir que d’un œil, à répondre à 4h du matin à la fois aux clients qui se réveillent aux Caraïbes et à ceux qui vont se coucher en Thaïlande, à revalider des billets jour et nuit. - Illustration Raf
Si j’étais une grande écrivaine, j’aurais pu écrire un journal de confinement, comme Leïla Slimani ou Marie Darrieussecq mais :

1) j’ai davantage peur du ridicule qu’elles ;

2) je ne suis pas une grande romancière…

Même si je suis une petite bobo prétentieuse, je n’arrive pas à la cheville de Leïla Slimani ou Marie Darrieussecq !

C’est quand même dingue comme ces privilégiées ont l’impression de vivre un truc dément et ressentent le besoin d’écrire leur murmure, comme d’autres crient à la face du monde !

Je viens de m’infuser les journaux de confinement de ces deux femmes dont j’aimais le style, mais que je m’autorise désormais à mépriser avec le peu de force qu’il me reste.

Comme quoi, moi aussi, je suis capable de séparer la femme de l’œuvre.

Pauvre Marie Darrieussecq, confinée dans le Pays basque : « La mer est d'un gris de métal. Ma mère est dans un silence total. Tout est désert ».

Le journal de Marie Darrieussecq

Franchement, je serais prête à tout pour voir la mer, même si elle était d’un gris métal : confinée dans mon F2, j’ai juste vue sur l’immeuble d’en face et si je me tords le cou, j’arrive à peine à voir un bout de ciel, alors meuf… je ne vais pas te plaindre.

Elle est obligée (la pauvre) de circuler avec une vieille voiture. « Nous planquons au garage notre voiture immatriculée à Paris et prenons la vieille que nous gardons ici. Je sens qu’il n’est pas bon de rouler avec un 75 aux fesses… ».

Les gueux qui devraient la bénir d’avoir contribué à la hausse de l’immobilier en région et de leur faire honneur de dépenser ses droits d’auteurs dans leurs misérables échoppes sont vraiment des ingrats.

Ce qui est bien avec Marie Darrieussecq, c’est qu’elle n’a jamais peur des clichés. « Un grand jeune homme maigre au nom très basque, appelons-le Txori, s'installe derrière son ordinateur ».

En hommage à la Star Ac, perso, je l’aurais appelé Patxi, mais on aurait eu l’image de ce petit blond sautillant et ça aurait tout de suite été moins dramatique.

Il y a quelques jours, le beau-père de Marie Darrieussecq est mort (et même pas du covid-19). Au moment de choisir le cercueil, « j'opte pour du chêne, c'était un homme qui contemplait les chênes, je dis à ma mère que les molécules de l'arbre se mêleront aux siennes, je voudrais enlever un tout petit peu de sa douleur, la prendre au creux de ma main, souffler dessus comme une graine d'arbre, envol… »

Imaginez ces écrivaines glamour, lovées au coin du feu dans un grand pashmina pastel (pistache, rose perlé, bleu poudre ou coquille d’œuf), dans une douce lueur, regardant l’horizon l’air triste mais inspiré, réfléchissant au sens de la vie au temps du confinement…

Journal de confinement, épisode 1

C'est juste pour l'illustration, hein ? /crédit DepositPhoto
C'est juste pour l'illustration, hein ? /crédit DepositPhoto
Regardez-nous maintenant, les agents de voyages : allumez un néon parce que l’éclairage auréolé des romancières n’a aucun rapport avec nos quotidiens.

Je me suis toujours dit que mon histoire était celle de milliers d’agents de voyages. Et en ce moment, je crois qu’on se ressemble encore plus qu’à l’accoutumée.

Journal de confinement, épisode 1 : lundi 16 mars, je suis épuisée car depuis 3 mois, je ne vois pas le jour. On a encore explosé les scores de Big-Boss Voyages en décembre et on a tremblé à cause des cyclones à Maurice. Depuis Noël, j’ai l’impression qu’on va d’épreuves en catastrophes.

Hier, Macron s’est exprimé à la télé.

Alors aujourd’hui, même si je ne suis pas censée travailler, je suis venue à l’agence flanquée de deux énormes valises (vides), j’ai imprimé l’équivalent de la forêt de Fontainebleau, vidé mes tiroirs et mon placard et suis rentrée chez moi.

Dans le coffre, j'ai stocké une vieille imprimante à aiguilles, une tonne de brochures, mes blocs, tous les dossiers des clients de l’agence actuellement en voyage, et mes dossiers pour les départs jusqu’en août (on n’est jamais trop prudents) et le téléphone d’urgence de l’agence !

80% des appels qu’il reçoit viennent de pauvres hères en perdition

Episode 2 : mardi 17 mars. Big-Boss, seul à l’agence, impuissant face à l’ampleur du désastre se demande à quoi il sert.

Il semble que tous les voyageurs « indépendants » se sont donné le mot pour appeler l’agence : en fait, 80% des appels qu’il reçoit viennent de pauvres hères en perdition.

Ils sont à l’étranger et n’arrivent pas à joindre le numéro surtaxé d’Opodo, d’e-Dreams ou de je ne sais quel autre comparateur moisi dont je n’avais jamais entendu parler (qui leur a vendu leur billet) alors ils « essaient une agence de voyages pour voir » (bizarre comme ils savent te trouver, subitement, tous ceux qui passaient devant ta vitrine sans te voir...)

Big-Boss (qui se dit qu’il peut se montrer utile et que ça apportera peut-être des clients un jour à l’agence) leur demande de déchiffrer leurs billets pour leur indiquer leur numéro de vol, checke sur Amadeus, rassure, console mais explique que si un vol est encore maintenu à ce jour, la compagnie peut décider de l’annuler le lendemain (ce qui provoque des redoublements de sanglots de la part de ces touristes « abandonnés de tous »).

Il va encore rester quelques jours à l’agence, seul, jusqu’à ce qu'il se rende compte que ça ne sert pas à grand-chose de rester 9h dans un bureau vide juste pour :

1) faire la mère Térésa des voyageurs qui n’ont jamais acheté à l’agence,

2) attendre que le facteur passe

3) classer en fin de journée les souches de nos émissions de billets à distance.

Il a quand même fallu attendre que ce soit la factrice qui lui dise : « venez juste les vendredis matins, je vais garder les recommandés toute la semaine et je vous les apporterai groupés le vendredi, comme ça, vous pouvez rester chez vous » (brillant esprit que celui-ci…).

La négo avec les fournisseurs

Episode 3 : mardi 17 mars de mon côté, toutes mes forces sont mobilisées sur un seul sujet : la négo avec nos fournisseurs et clients à destination pour l’interruption des voyages en cours.

L’organisation des retours anticipés de nos clients est compliquée (à peine ai-je revalidé un billet qu’un vol est annulé ou une formalité de passage des frontières change, il faut tout refaire).

En plus, plus ou moins conscients de l’ampleur des mesures prises, nos clients n’ont pas du tout envie de rentrer « parce qu’on est très bien ici ». Certains me demandent même de prolonger leur séjour « jusqu’à la fin du confinement ». Ben voyons.

Episode 4 : mercredi 18 mars. J’arrive tant bien que mal à rationaliser le workflow (j’adore parler comme les adorateurs de la start-up-naychieunne) entre mon ordi, le téléphone d’urgence et les dossiers de nos clients, méthodiquement dispersés dans mon salon en fonction des situations (je dois attacher mon gnome qui a très envie de barbouiller ces feuilles de toutes les couleurs).

Mais mon bonheur est de courte durée : voilà que je reçois désormais des appels, messages WhatsApp et Facebook de la part du cousin du garagiste de mon oncle ou de Laura « mais si… Laura, on s’est rencontrées au mariage de Sophie et Aurélien en 2016 » (j’ai bien 3 ou 4 copines qui s’appellent Sophie, mais je ne me souviens pas que l’une d’entre elles ait pu convoler avec un Aurélien) parce que sa marraine est « je ne sais plus où en Asie » et que Laura aimerait bien que j’appelle la susdite marraine qui a peur que son vol soit annulé (ben voyons).

Je sous-traite donc depuis ce jour-là la gestion de mes messages personnels à l’Homme-de-ma-vie-et -Père-de-la-prunelle-de-mes-yeux qui indique très sèchement à tous ces fâcheux que je travaille d’arrache-pied au retour de mes clients (ceux qui laissent de l’argent à l’entreprise qui m’exploite avec mon consentement).

Et aussi que j’ai autre chose à faire que de prêter secours à des gens qu’il ne connaît même pas alors qu’il partage mon quotidien depuis 4 ans (penser à déclarer l’Homme d’utilité publique).

Depuis que je travaille c'est la première fois que je n’ai aucun client en cours de voyage

Episode 5 : lundi 23 mars. Tous les clients de Big-Boss Voyage sont rentrés. J’ai passé ces 8 jours à travailler sans interruption, à ne dormir que d’un œil, à répondre à 4h du matin à la fois aux clients qui se réveillent aux Caraïbes et à ceux qui vont se coucher en Thaïlande, à revalider des billets jour et nuit.

Je ne sais plus qui je suis, ni comment je m’appelle. Je me débarrasse du téléphone d’urgence que je confie à Big-Boss en espérant qu’il regarde le nombre de messages échangés depuis lundi dernier et qu’il s’en souvienne au moment où il s’agira de distribuer des primes.

Je vais maintenant pouvoir goûter aux joies du repos forcé. Je crois que c’est la première fois depuis que je travaille que je n’ai aucun client en voyage.

Rien ne peut plus arriver qui ferait que je sorte de la douce torpeur dans laquelle je vais désormais flotter.

Et désormais, que faire ? j’imagine commencer un journal de confinement. Ça pourrait faire un truc du style…

« Confinement, jour 8 : alanguie sur mon perron, je couve du regard mon Petit Prince et son amie imaginaire se lancer dans une course folle à l’ombre des ormes. Innocents. Insouciants. Inconscients ? La beauté de l’enfance me donne des ailes et des envies d’altruisme. Ce soir, à 20 heures (mais que veut dire l’espace-temps en ces temps de confinement ?), peut-être applaudirai-je les soignants, un verre de Chardonnay à la main, que le soleil couchant viendra iriser ».

« Confinement, jour 9 : mon petit Prince cherche à attraper un papillon qui virevolte. L’insecte tressaute, apeuré, et je réalise. Cette petite main aux tendres fossettes qui cherche à entraver la liberté du papillon est une métaphore du covid-19, et le papillon, notre insouciance, notre comme avant. Quand le papillon disparaît, je ris, je ris, éperdument, en lissant une mèche de mes cheveux.
»

Retrouvez la semaine prochaine, dans TourMaG, de nouveaux épisodes du confinement de Léa...


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Commentaires

1.Posté par landru le 06/04/2020 10:46 | Alerter
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Bravo Léa
Vous vous êtes surpassée! Merci pour les éclats de rire
J'avoue que j'ai moi aussi pensé à écrire mes mémoires de confiné
Pour l'instant j'en suis au titre, il faudrait un truc sobre du style
"Moi, ma vie, mon oeuvre et mon nombril"
Vous croyez que cela sera vendeur? peut-être puis-je espérer le Goncourt?

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