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Marc Gaffajoli (Afrijet) : Sur le plan du transport aérien, l'Afrique est un continent à développer🔑

l'interview de


Voix encore discrète dans le secteur du transport aérien, Marc Gaffajoli, le PDG de la compagnie gabonaise Afrijet a des choses à dire. Environnement, décarbonation, développement du trafic aérien et du tourisme sur le continent africain : rencontre avec un homme qui nous livre une vision et une analyse sans langue de bois.


Rédigé par le Mardi 30 Août 2022

Marc Gaffajoli, PDG d'Afrijet : "Le continent africain a un besoin d’avions, de plus de transport, de plus de  connectivités. Tout le monde ici en a besoin : les gouvernants, le public, les commerçants et les hommes d’affaires". Crédit Afrijet.
Marc Gaffajoli, PDG d'Afrijet : "Le continent africain a un besoin d’avions, de plus de transport, de plus de connectivités. Tout le monde ici en a besoin : les gouvernants, le public, les commerçants et les hommes d’affaires". Crédit Afrijet.
TourMaG : Lorsque nous avons évoqué cet échange vous avez insisté sur le grand sujet qui agite le transport aérien aujourd’hui : la décarbonation. C’est un sujet qui vous tient particulièrement à cœur ?

Marc Gaffajoli : Oui c’est un sujet qui me tient à cœur.

Aujourd’hui, si l’on fait l’inventaire des discours, nous avons d’un côté, la vindicte écologiste, de l’autre, le phénomène du greenwashing, l’approche complexée des dirigeants du transport aérien vis-à-vis des questions environnementales, ou encore le marketing sur des nouvelles technologies des constructeurs aéronautiques.

J’ai l’impression que tous ces « prêt à penser » évitent de poser les véritables questions.


"Nous sommes au cœur d’un paradoxe, entre besoin de développement et de décarbonation"

b[TourMaG : Etes-vous, vous aussi, en Afrique et en tant que dirigeant de compagnie aérienne, convoqué par l’opinion publique pour un procès en pollution ou alors sur ce continent ou le « besoin d’avion » est très fort, c’est un peu plus modéré ?

Marc Gaffajoli :]b C’est une question très intéressante qui atteste du décalage entre la perception européenne et la perception africaine.

Aborder ce sujet à travers un prisme européen n’est pas suffisant. On ne fait pas assez ce travail de regarder ce que les opinions publiques, les gouvernants et acteurs du transport aérien pensent ailleurs.

Nous sommes au cœur d’un paradoxe, entre besoin de développement et de décarbonation. Il n’échappe à personne que l’Afrique est un des continents les plus touchés par les bouleversements climatiques et en particulier la question de la hausse des températures.

C’est aussi bien sûr un continent à développer. C’est en cours avec dans certaines régions des taux de croissance spectaculaires sur ces 20 dernières années mais il reste encore beaucoup à faire.

Aussi, l’Afrique, n’en déplaise à certains manuels scolaires européens de géographie, n’est pas un « petit » continent. La distance entre Casablanca et Johannesburg c’est du Paris - Hong Kong.

Voilà déjà des réalités qu’il faut prendre en compte pour analyser le sujet environnemental et le rôle du transport aérien en Afrique.

Aussi, le transport aérien africain représente à peu près 2% du trafic aérien mondial et c’est assez peu.
L’impact du transport aérien mondial sur le réchauffement climatique c’est selon les scientifiques à peu près 3%. Nous avons donc en Afrique, 2,5 % de ces 3%.

Sur ce continent, nous avons très peu de trains, peu d’autoroutes, l’avion est donc une évidence. Le continent africain a un besoin d’avions, de plus de transport, de plus de connectivités. Tout le monde ici en a besoin : les gouvernants, le public, les commerçants et les hommes d’affaires.

Notre compagnie, Afrijet est issue d’un pays qui a une véritable parole sur le sujet environnemental car le Gabon fait partie des quelques pays en Afrique sur lequel se trouve le deuxième poumon de la planète : la forêt équatoriale.

Il faut le souligner. Les gouvernants en Afrique ont préservé ce poumon qui permet au monde de respirer et l’Afrique a donc son mot a dire sur les sujets environnementaux.

Ce que je regrette, c’est ce discours "au nord" et particulièrement les choses qui sont dites par les constructeurs et reprises en cœur par les compagnies européennes et dont on sait très bien qu’elles n’auront aucune pertinence avant au moins 15 ou 20 ans.

Les technologies qui sont actuellement mises en avant n’ont aucune pertinence avant 15 ou 20 ans.

TourMaG : Vous parlez de l’hydrogène par exemple ?

Marc Gaffajoli :
Exactement. Les technologies qui sont actuellement mises en avant n’ont aucune pertinence avant 15 ou 20 ans.

Et quand bien même nous aurions ce temps, y aura-t-il des aviations civiles suffisamment téméraires pour accélérer des certifications sur des technologies totalement nouvelles, je ne le crois pas.

Ce que je veux dire c’est qu’on fait croire au public que des nouvelles technologies sont presque prêtes alors qu’elles vont mettre beaucoup de temps à arriver. Nous n’y sommes pas.

Ce qu’on « vend » aussi aux opinions publiques ce sont les biocarburants, le SAF (Sustainable Aviation Fuel).

Là aussi je ne suis pas sûr que cela soit la solution miracle. Un moteur qui utilise du SAF produit la même quantité de CO2. L’astuce consiste à dire que les rejets en CO2 du SAF élaboré à partir de déchets végétaux sont ceux que ces végétaux auraient absorbé durant leur croissance. Avant d’être vertueux sur le plan écologique, l’utilisation du SAF va prendre du temps.

Il y a aussi concernant le SAF la question des filières, de l’approvisionnement, du coût, de la production. C’est compliqué et je pense vraiment que ces solutions ne sont pas viables à moyenne échéance.


TourMaG : Le SAF n’est donc pas non plus la solution ?

Marc Gaffajoli :
Je ne veux pas être catégorique. Je dis qu’il faut faire l’analyse. C’est surement une approche possible mais elle n’est pas évidente. Il y a encore beaucoup de problèmes à lever.

L'Afrique a un potentiel fabuleux

TourMaG : Etes-vous comme cela est le cas en Europe obligé dès à présent de mettre un petit pourcentage de SAF dans le réservoir de vos avions ?

Marc Gaffajoli
: Encore une fois l'Afrique est plurielle. Dans ma région et au Gabon se prépare un dispositif législatif qui va pénaliser la production de carbone. Nous ne serons pas impactés car le secteur des transports est régi par des traités internationaux. Mais actuellement ici en Afrique personne ne parle du SAF.

TourMaG : Etes-vous en dialogue avec le gouvernement du Gabon pour défendre la cause de l’aérien, son importance dans un pays comme l’Afrique ?

Marc Gaffajoli :
Ce discours est bien sur entendu et bien reçu. Il y a dans ce pays des solutions qui existent pour limiter les émissions de carbone.

J’entendais il y a quelques jours le patron d'AerCap sur CNBC (entreprise mondiale de leasing ndlr) rappeler que l’Afrique c’est aujourd’hui 1000 avions, l’équivalent d’un grande compagnie américaine et qu’il y voit un potentiel fabuleux.

Un turbo propulseur ATR 42 . Crédit Afrijet
Un turbo propulseur ATR 42 . Crédit Afrijet
Ne pourrait-on pas sur ce continent, construire un réseau de transport aérien qui soit plus efficient ? La meilleure manière de réduire le carbone ce sont les routes directes avec des avions de la bonne taille (le « right sizing » comme disent les constructeurs).

En Europe avec la démocratisation, du transport aérien et, la victoire des low cost, le développement c’est fait de manière assez anarchique avec des prix très bas et la surutilisation des infrastructures.

Il y a un danger de réveil avec « la gueule de bois » sur ces questions car la compensation du carbone produit va forcément entrer dans le prix du billet.

En Afrique nous sommes vingt ans en arrière et nous avons encore cette possibilité de construire quelque chose de différent : se doter d’abord des avions les plus récents, privilégier les turbo propulseurs partout où cela est possible, ce que nous faisons chez Afrijet et également s’éviter des HUB qui n’ont aucun sens sur le plan du carbone.

Aujourd’hui pour aller de Douala à Kinshasa, vous passez par Lomé ! Vous volez en jet une heure et demie vers le nord, ensuite 2h et demi vers le sud alors que la liaison directe durerait que 1H35…

Les passagers passent par les Hub d’Addis Abeba, Casablanca, il y en a même qui remontent jusqu’à Paris ! Ce n’est plus acceptable ! On doit trouver des mécanismes pour l’empêcher et développer partout ou cela est possible des routes directes.

Avec les HUB, le passager a une empreinte carbone « cauchemardesque » Il faut reconstruire une Afrique du transport aérien avec des réseaux régionaux axés sur des routes directes. C’est possible.

Il y a encore beaucoup de pays en Afrique ou il n’y a pas assez de compagnies aériennes ou très petites et cela rend plausible ce type d’approche. Mon idée est celle-là : des avions bien dimensionnés avec des routes directes et non la sacro-sainte stratégie du hub coûteuse et jamais couronnée de réussite en Afrique à l’exception d’Addis.

Nous 'avons pas l’obsession de la route vers Paris.

TourMaG : Vous avez noué il y a quelques mois un partenariat avec « La Compagnie » pour des vols directs vers Paris avec l’A 321néo, un avion de moyenne capacité. De quel œil Air France a vu cette concurrence ?

Marc Gaffajoli :
Nous nous sommes positionnés au début de la saison Hiver sur la route Libreville/Paris dans un contexte de forte contrainte de l’offre, pour cause de mesures COVID (2 fréquences par semaine au lieu des 7 fréquences historiques) et d’inflation des prix.

C’était une stratégie d’opportunité dans un contexte de crise sanitaire. Sitôt que les contraintes ont été levées en février 2022, cette approche perdait de son sens. Cela a toutefois constitué un galop d’essai pour d’autres routes ou d’autres projets.


TourMaG : C’est aussi cela votre idée pour Afrijet, densifier le réseau panafricain avec des avions turbo propulseur et mettre en ligne des machines comme l’A321néo opérant vers Paris ?

Marc Gaffajoli :
Nous n’avons pas à la différence de certaines compagnies étatiques, l’obsession de la route vers Paris. Le Neo est par contre un excellent avion pour desservir les 4 coins du continent et même la péninsule arabique. L’A220 est aussi une alternative valable, prometteuse sur les coûts d’exploitation.

TourMaG : Pourriez-vous renouer des partenariats avec des compagnies aériennes qui vous permettraient des lignes intercontinentales ? Avez-vous des projets ?

Marc Gaffajoli :
Bien entendu. Partout où c’est efficace, nous privilégierons les partenariats avec d’autres compagnies. Si un partenaire a un coût de production plus faible, une base efficiente en bout de ligne et une puissance de commercialisation, pourquoi faire plutôt que faire faire ? Si les intérêts de chacun sont préservés, c’est même la meilleure approche.

Basé sur le trafic gabonais, je ne vois pas plus de 2 ou 3 « narrow bodies » en flotte à 4 ans. Nous ne nous engagerons sur ce domaine, que si nous ne trouvons pas au Nord, au Sud et à l’Est le bon partenaire stratégique.

Le Gabon se positionne dans le tourisme responsable « haut de gamme ».

TourMaG : Le secteur du tourisme africain comme partout ailleurs a été brutalement atteint par le Covid-19. Il commence, là aussi comme ailleurs à reprendre des couleurs. Des pays comme le Bénin s’ouvrent à un tourisme dans l’air du temps avec l’ouverture d’un Club Med Eco Resort (Corsair desservira bientôt Cotonou).Qu’en est-il du Gabon ? Y a-t-il une volonté de développement du tourisme et de quel type ? Dans quel mesure Afrijet pourrait y contribuer ?

Marc Gaffajoli :
Le Gabon se positionne dans le tourisme responsable « haut de gamme ». Le Fonds Stratégique souverain a lancé un programme de « Luxury Green Lodge » pour faire découvrir la forêt gabonaise, loin de tout, une forêt qui ressemble aux premiers jours du monde. »

Afrijet est résolument engagé aux côtés du Gabon pour aider à cette préservation, faire valoir les droits de cette terre qui a su résister à la folie de la déforestation et promouvoir une aviation durable.


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