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Mer Rouge : la sûreté dans l’aérien, un subtil équilibre [ABO]

L'édito de Christophe Hardin


Air France en fait-elle trop quand elle évite, comme en ce moment, la Mer Rouge alors que les autres compagnies françaises et étrangères maintiennent leurs plans de vol dans la région ?


Rédigé par le Mardi 12 Novembre 2024

La décision d'Air France de ne plus survoler la mer Rouge est-elle justifiée ? Crédit : Depositphotos. SimpleFoto
La décision d'Air France de ne plus survoler la mer Rouge est-elle justifiée ? Crédit : Depositphotos. SimpleFoto
Qu’un avion de ligne soit touché par un missile est heureusement extrêmement rare.

N’oublions pas cependant et entre autres le vol Ukraine Airlines 752 reliant Téhéran à Kiev descendu avec un missile sol-air « par erreur » par les militaires iraniens en janvier 2020 avec 176 morts et le vol Malaysia Airlines MH17 reliant Amsterdam à Kuala Lumpur descendu en 2014, lui aussi par un missile sol-air tiré par les soudards de Poutine depuis l’Est de l’Ukraine, une région qu’ils occupaient.

298 morts dont 80 enfants.

Aujourd’hui cependant et grâce à une culture de la sécurité sérieuse, souvent contraignante pour les passagers, on peut dire que même si le risque zéro n’existe pas, les voyages aériens au départ de la plupart des pays s’effectuent dans de bonnes conditions de sécurité et de sûreté.

Des experts au service de la sûreté

En France, les autorités via la Direction générale de l’Aviation civile coordonnent la politique de sûreté du transport aérien sur le territoire français.

Ces missions sont assurées par la Direction du Transport aérien (DTA) pour la partie réglementaire et la Direction de la sécurité de l’aviation civile (DSAC) en ce qui concerne la surveillance.

Ces deux directions s’appuient, pour l’exécution de ces missions, sur l’expertise du Service technique de l’aviation civile (STAC).

Récemment la DGAC s’est dotée d’une unité dédiée, le Pôle d’Analyse du Risque de l’Aviation Civile (PARAC), chargé, en liaison avec la communauté du renseignement, de fournir aux autorités, mais également aux professionnels du transport aérien les informations les plus précises pour adapter au mieux la posture de sûreté.

Autant dire que si ces services autorisent, avec certaines précautions sur les niveaux de vols, les avions commerciaux français à survoler telle ou telle zone, les compagnies aériennes n’ont pas, à priori, de raisons de se dérouter.

Incidents à répétitions

C’est pourtant ce qu' décidé Air France en ce qui concerne la zone de la mer Rouge. A l’heure où j’écris ces lignes, la mesure est toujours en vigueur.

Certains de nos lecteurs s’en sont étonnés. « Les vols Air France vers La Réunion sont rallongés d'une heure en faisant un détour via Oman... Pendant ce temps, French Bee, Air Austral, Corsair continuent sur la route habituelle… Où est l'erreur ?

Air France pollue plus, perd de l'argent... Est-ce le syndicat des pilotes qui a dicté cette décision ?
»

Il n’y a pas d’erreur. Il y a un contexte qui peut aider à comprendre les choses.

La suspension du survol de la mer Rouge a été décidée après que l’équipage du vol Air France en route vers Nairobi, le 3 novembre dernier ait observé au dessus du Soudan un « objet lumineux » .

Des petits hommes verts en visite ? Peut-être, mais plus sérieusement cet objet a plutôt fait penser à un missile tels que ceux tirés par les Houthis depuis le Yemen tout proche.

Informé par l’équipage, le service des opérations d’Air France a ordonné le demi-tour immédiat vers Paris du vol AF814 Paris - Nairobi et AF 934 Paris – Antananarivo qui évoluait aussi dans la région.

La compagnie a également modifié les itinéraires des vols AF473 Maurice - Paris, AF648 Paris - La Réunion et AF470 Paris – Maurice.

Si cette décision radicale a été prise sans hésiter et sans attendre c’est aussi, que les responsables de la sûreté des vols avaient en tête l’incident du 1er octobre dernier.

Ce jour là, le vol AF 662 reliant Paris - CDG à Dubaï, survolait le sud de l’Irak au moment où débutait l'attaque de missiles iraniens en direction d'Israël.

Le vol était alors dans un « corridor » spécifique et officiel utilisé par toutes les compagnies aériennes. L’attaque iranienne a débuté, vers 16 h 45, heure universelle. Le vol Air France a quitté l'espace aérien du pays peu avant 17 h. L'espace aérien irakien n'a été officiellement fermé par les autorités locales qu'à 17 h 56 heure universelle selon un communiqué de la compagnie.

Le vol ne s’est donc pas dérouté et lorsque ces faits ont été connus au sein d’Air France, certains, dont le syndicat Alter ont vertement critiqué cette décision d'avoir laissé le vol dans ce corridor sans le dérouter.

Il est vrai que d’autres compagnies aériennes ayant des vols dans la région, et anticipant une attaque imminente ont, elles, dérouté leurs avions.

Le vol KLM Amsterdam - Dubaï a fait un détour par l’Égypte, et les vols Lufthansa partis de Francfort vers Dubaï, Hyderabad et Bombay ont opéré un demi-tour.

Peu de chance que ces missiles balistiques volant vers Israël à une altitude de 100 kilomètres ne touchent un avion de ligne qui croise lui à une altitude de 10 kilomètres, mais KLM et Lufthansa ont appliqué un principe de précaution.

Trop de zèle ?

Le sujet est donc sensible, sérieux et c’est vrai que les syndicats sont très vigilants. b[La décision d’Air France de maintenir la mer Rouge en "no flight zone" le temps d’une enquête interne alors que d’autres compagnies la survolent peut aussi se comprendre de par l’identité de la compagnie.]b

Corsair, Frenchbee, Air Austral sont des compagnies françaises. Air France aussi, mais c’est aussi "la France". C’est elle qui est considérée comme la compagnie nationale.

À ce titre, il n’est pas anormal d’en faire plus que les autres en matière de sûreté et d’être très vigilante, trop zélée diront certains à tort.

La compagnie nationale est plus vulnérable que les autres aux tensions géopolitiques entre la France et certains pays. Voyez ce qui se passe en Afrique et les tensions entre le Mali et la France. La Française Corsair est la bienvenue à Bamako, mais Air France ne peut plus s’y poser pour l’instant.


Ne pas jouer la sûreté au poker

Les normes, les règles et les recommandations internationales qui s’appliquent à tous en matière de sûreté permettent d’assurer un niveau satisfaisant, dans le monde. Entre l’analyse de la menace, les inquiétudes des personnels et la mission de faire voler les avions, l’équilibre est parfois difficile.

Certaines compagnies, durablement ou ponctuellement, vont au-delà de ces recommandations. Les avions d’El Al sont équipés de système antimissile, Emirates a récemment interdit à ses passagers de transporter des bipeurs et talkiewalkies après les explosions au Liban.

Et Air France s’abstient de survoler la mer Rouge, le temps d’une enquête après qu’un de ses équipages ait vu un « objet lumineux lui passer devant »

Le principe de précaution lorsqu’AirFrance l’évoque pour justifier l’augmentation de ses billets en prévision d’une éventuelle taxe, on peut parfaitement comprendre l’agacement des agences de voyages et du public. En matière de sûreté c’est autre chose.

L'expression "payer pour voir" qu’on entend souvent dans la bouche des joueurs de poker est passée dans le langage familier pour dire qu’on est prêt à prendre un risque pour vérifier la véracité de quelque chose ou pour voir comment va se dérouler une situation.

Avec la sécurité des vols, qui oserait jouer au Poker ?

Christophe Hardin Publié par Christophe Hardin Journaliste AirMaG - TourMaG.com
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