
La piste de l'acte volontaire ayant provoqué le crash d'Air India prend de plus en plus d'épaisseur - Crédit photo : Depositphotos @atosan
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Le 12 juin dernier, après seulement 32 secondes de vol, le vol AI171 d’Air India percutait le sommet d’un immeuble à Ahmedabad.
L’accident a tué 241 personnes présentes à bord de l’appareil et 19 personnes qui se trouvaient dans le bâtiment au moment de l’impact.
Plus d’un mois après ce terrible crash - dont un survivant a miraculeusement réussi à s’extirper de l’habitacle - le Bureau indien d’enquête sur les accidents aériens (AAIB) a publié son rapport préliminaire.
Ce jour-là, il faisait 37 degrés quand le Boeing 787 s’est élancé sur la piste à 08h07. Moins d’une minute plus tard, les deux moteurs ont atteint la vitesse de décollage dite V1.
Jusque-là tout se passait normalement.
Les roues de l’appareil ont quitté le tarmac à 08h08 et 39 secondes. Trois secondes plus tard, l'appareil a atteint la vitesse de 180 nœuds (soit 333,36 km/h). Il n'a jamais dépassé cette vitesse.
Dès 08h08 et 42 secondes, puis 43 secondes, les deux commutateurs carburant sont passés de RUN (ouvert) à CUTOFF (arrêt), signifiant la coupure de l’alimentation en carburant des moteurs.
Sans kérosène, les deux turbines se sont mis à ralentir. L’avion a perdu inévitablement, et très rapidement, de la vitesse.
Que s’est-il passé ?
S'agit-il d'un acte intentionnel, d'une erreur ou d'un accident ? Une panne des commutateurs est-elle possible ?
Un commandant de bord d’un appareil similaire à celui d’Air India, ayant déjà participé à un précédent article sur le sujet, et Gérard Feldzer, ingénieur et pilote de ligne, ont analysé le rapport préliminaire, à la lumière de leur expertise.
Air India : que sont les commutateurs de carburant ?

"Pour effectuer la manœuvre - donc couper l’alimentation en carburant - vous avez une butée au milieu du dispositif. Le pilote doit donc tirer la manette vers le haut avant de la déplacer d’une position à une autre.
Ce genre d’interrupteur est conçu pour éviter les déplacements accidentels dans le cockpit, ou une manipulation intempestive.
Le passage de RUN (ouvert) à la fermeture peut être le résultat d’un problème technique ou d’un défaut des commutateurs. Sauf que, selon mes connaissances et celles de mes confrères, une panne simultanée serait un sacré coup du sort.
En effet, nous ne parlons pas de simples interrupteurs.
Je ne connais pas précisément le montage technique du tableau avec les deux commutateurs, mais par expérience, je suppose qu’il n’y a pas un contact, mais certainement deux, pour éviter tout dysfonctionnement.
Et ces deux contacts doivent donner la même information pour couper l’alimentation en carburant," nous détaille-t-il.
Privés de carburant seulement 10 secondes après avoir quitté la terre ferme, les deux moteurs ont rapidement perdu de la puissance. Les pilotes ont mis 9 secondes pour rétablir l’alimentation du premier moteur, puis 12 secondes pour le second.
Le FADEC, un système électronique gérant automatiquement le fonctionnement d’un moteur d’avion, a alors amorcé le redémarrage du moteur 1. Ce dernier a commencé à retrouver de la puissance, mais trop tard, tandis que le moteur 2 continuait de décroître.
La cause du crash, selon l’enquête du Bureau indien d’enquête sur les accidents aériens (AAIB), se situe donc dans cette action de fermeture des vannes.
Air India : peut-on fermer accidentellement les manettes de carburant ?
Sauf que le rapport est parcellaire et laisse encore quelques interrogations, notamment sur les raisons de cette coupure initiale.
Plusieurs hypothèses sont devenues totalement obsolètes depuis la publication du rapport, comme celle d’une nuée d’oiseaux ayant arrêté les moteurs, tout comme un mauvais réglage des volets ou encore une contamination du carburant.
"J’ai lu le rapport, il ne reste que trois solutions : un suicide, une action réflexe d’un pilote - il est déjà arrivé qu’un instructeur coupe et rallume les moteurs, car c’était la procédure de reset sur le simulateur - ou, dernière hypothèse, un défaut des switches, poursuit le commandant de bord d'un B787.
Mais l’action involontaire est de fait exclue par le fonctionnement même des commutateurs. En effet, il existe bien une procédure de panne moteur impliquant la manipulation des deux switches activés durant le vol d’Air India. Sauf que, dans le cas présent, les manettes ont été manipulées avant cette panne. Le fait de les fermer a entraîné la coupure des deux moteurs.
Donc, soit il y a eu le même défaut sur les deux commutateurs à moins d’une seconde d’intervalle - ce qui me laisse perplexe - soit la manœuvre est intentionnelle," nous affirme le commandant de bord.
La thèse de l’accident est malgré tout soutenue par quelques suiveurs, dont Xavier Tytelman.
Le célèbre youtubeur, accompagné d’un contrôleur aérien invité dans sa vidéo (voir ci-dessus), a évoqué plusieurs cas d’erreurs de manipulation ayant entraîné une coupure de l’arrivée de carburant.
Plusieurs hypothèses sont devenues totalement obsolètes depuis la publication du rapport, comme celle d’une nuée d’oiseaux ayant arrêté les moteurs, tout comme un mauvais réglage des volets ou encore une contamination du carburant.
"J’ai lu le rapport, il ne reste que trois solutions : un suicide, une action réflexe d’un pilote - il est déjà arrivé qu’un instructeur coupe et rallume les moteurs, car c’était la procédure de reset sur le simulateur - ou, dernière hypothèse, un défaut des switches, poursuit le commandant de bord d'un B787.
Mais l’action involontaire est de fait exclue par le fonctionnement même des commutateurs. En effet, il existe bien une procédure de panne moteur impliquant la manipulation des deux switches activés durant le vol d’Air India. Sauf que, dans le cas présent, les manettes ont été manipulées avant cette panne. Le fait de les fermer a entraîné la coupure des deux moteurs.
Donc, soit il y a eu le même défaut sur les deux commutateurs à moins d’une seconde d’intervalle - ce qui me laisse perplexe - soit la manœuvre est intentionnelle," nous affirme le commandant de bord.
La thèse de l’accident est malgré tout soutenue par quelques suiveurs, dont Xavier Tytelman.
Le célèbre youtubeur, accompagné d’un contrôleur aérien invité dans sa vidéo (voir ci-dessus), a évoqué plusieurs cas d’erreurs de manipulation ayant entraîné une coupure de l’arrivée de carburant.
Air India : "Un problème technique ? La flotte n’a pas été mise à l’arrêt"
Cette hypothèse de l’accident reste peu défendue par les pilotes ou les passionnés ayant analysé le crash et le rapport, mais elle demeure une possibilité valable en l’état actuel des connaissances.
"Nous n’avons pas de certitude concernant les deux pistes encore en vigueur. Tout reste ouvert," explique de son côté, Gérard Feldzer.
Un bulletin de service de Boeing avait été émis en 2018 concernant ce modèle d’avion, au niveau des commutateurs. Nous ne pouvons pas écarter un problème technique, mais la flotte n’a pas été mise à l’arrêt.
Nous pourrions aussi nous retrouver dans le scénario du Boeing 737 Max, avec un logiciel qui n’était pas connu des équipages."
Pour rappel, il y a maintenant sept ans, un avis de la Federal Aviation Administration (FAA) a été publié.
Celui-ci recommandait - sans aucune obligation - que les opérateurs des Boeing 787 inspectent la fonction de verrouillage des interrupteurs de coupure de carburant.
L’objectif de cette vérification était alors de s’assurer que les boutons ne pouvaient pas être déplacés accidentellement. Air India n’a pas réalisé ces inspections, mais le module de commande des manettes de gaz a été remplacé deux fois (mentionné dans le rapport) sur le Boeing 787-8 VT-ANB, en 2019 et en 2023.
"La note de la FAA était une information non contraignante. S’il y avait eu un risque, la FAA aurait alors émis un bulletin de service dont l’application est obligatoire.
Dans le cas présent, la situation n’était pas dangereuse. Néanmoins, j’en ai parlé à des mécaniciens du secteur, personne ne croit au défaut de l’avion, ajoute, pour sa part, notre pilote sous couvert d'anonymat.
De son côté, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) indienne a demandé une inspection de plusieurs types de Boeing, dont les 787. Une décision normale : ils sortent les parapluies, puis en profitent pour éliminer l’hypothèse du défaut technique" estime-t-il.
"Nous n’avons pas de certitude concernant les deux pistes encore en vigueur. Tout reste ouvert," explique de son côté, Gérard Feldzer.
Un bulletin de service de Boeing avait été émis en 2018 concernant ce modèle d’avion, au niveau des commutateurs. Nous ne pouvons pas écarter un problème technique, mais la flotte n’a pas été mise à l’arrêt.
Nous pourrions aussi nous retrouver dans le scénario du Boeing 737 Max, avec un logiciel qui n’était pas connu des équipages."
Pour rappel, il y a maintenant sept ans, un avis de la Federal Aviation Administration (FAA) a été publié.
Celui-ci recommandait - sans aucune obligation - que les opérateurs des Boeing 787 inspectent la fonction de verrouillage des interrupteurs de coupure de carburant.
L’objectif de cette vérification était alors de s’assurer que les boutons ne pouvaient pas être déplacés accidentellement. Air India n’a pas réalisé ces inspections, mais le module de commande des manettes de gaz a été remplacé deux fois (mentionné dans le rapport) sur le Boeing 787-8 VT-ANB, en 2019 et en 2023.
"La note de la FAA était une information non contraignante. S’il y avait eu un risque, la FAA aurait alors émis un bulletin de service dont l’application est obligatoire.
Dans le cas présent, la situation n’était pas dangereuse. Néanmoins, j’en ai parlé à des mécaniciens du secteur, personne ne croit au défaut de l’avion, ajoute, pour sa part, notre pilote sous couvert d'anonymat.
De son côté, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) indienne a demandé une inspection de plusieurs types de Boeing, dont les 787. Une décision normale : ils sortent les parapluies, puis en profitent pour éliminer l’hypothèse du défaut technique" estime-t-il.
Air India : tous les regards tournés vers le commandant de bord...
Autres articles
Cette hypothèse pourrait aussi expliquer la retranscription de la conversation entre les deux pilotes.
Alors que les deux commutateurs sont placés sur off à 08h08 minutes et 43 secondes, puis le deuxième une seconde plus tard, un échange est capté entre 08h08 minutes et 44 secondes et 47 secondes par l’enregistreur vocal du cockpit. On y entend l’un des pilotes demander à l’autre : "Pourquoi as-tu coupé ?".
L’autre pilote répond : "Je ne l’ai pas fait."
Les vérifications sur les systèmes de verrouillage de ces interrupteurs, menées par les ingénieurs de la DGCA, sont désormais terminées et n’ont révélé aucun problème particulier.
Si la piste d’un incident technique ou d’une erreur humaine peut quasiment être écartée - même s’il manque encore certaines données, notamment le contenu de la seconde boîte noire - la piste de l’homicide volontaire semble se préciser.
"Le fait que le constructeur (et la FAA) n’ordonne pas de vérifications complémentaires plaide en faveur d’une autre cause de l’incident.
Il n’y aurait pas mieux que la coupure des deux moteurs à ce moment précis pour envoyer l’appareil au tapis.
Cela dit, la discussion retranscrite ne va pas dans ce sens, même si le commandant de bord - le plus à même de faire ce genre de manipulation - pourrait évidemment avoir menti en disant qu’il n’avait rien touché, poursuit le pilote interrogé.
Il reste aussi la possibilité de la présence d’une troisième personne dans le cockpit, comme un observateur ou un instructeur, mais cela n’est pas mentionné dans le rapport.
Il est regrettable que nous n’ayons pas plus de détails sur les conversations. Mais c’est sans doute volontaire, tout comme le flou entretenu par le rapport. Ils veulent peut-être faire durer la chose, pour que les gens oublient et passent à autre chose," souligne le commandant de bord.
Une analyse que rejoint, avec des nuances, Gérard Feldzer. Pour l’ingénieur et pilote de ligne français, le suicide d’un des pilotes ne peut pas être la seule piste, mais elle demeure crédible.
Les dernières révélations du Wall Street Journal sème le doute sur la personnalité du commandant de bord (Sumeet Sabharwal).
Le média américain rapporte que, sur la base de l’enregistrement des échanges entre les deux PNT, c’est bien Sumeet Sabharwal qui aurait coupé l’alimentation en carburant.
Le copilote, aux commandes, se tourne vers son collègue plus âgé et lui pose la question (retranscrite plus haut : "Pourquoi as-tu coupé ?").
Il est alors surpris par la réponse, et se met à paniquer, toujours selon le Wall Street Journal, tandis que le commandant de bord reste calme.
Alors que la pression médiatique et celle du rapport semblent peser de plus en plus lourd sur la personnalité de Sumeet Sabharwal, les enquêteurs de l’AAIB appellent les médias à la retenue, affirmant qu’il est encore trop tôt pour tirer des "conclusions définitives".
Dans quelques jours ou semaines, toute la vérité devrait être levée sur ce tragique accident.
Alors que les deux commutateurs sont placés sur off à 08h08 minutes et 43 secondes, puis le deuxième une seconde plus tard, un échange est capté entre 08h08 minutes et 44 secondes et 47 secondes par l’enregistreur vocal du cockpit. On y entend l’un des pilotes demander à l’autre : "Pourquoi as-tu coupé ?".
L’autre pilote répond : "Je ne l’ai pas fait."
Les vérifications sur les systèmes de verrouillage de ces interrupteurs, menées par les ingénieurs de la DGCA, sont désormais terminées et n’ont révélé aucun problème particulier.
Si la piste d’un incident technique ou d’une erreur humaine peut quasiment être écartée - même s’il manque encore certaines données, notamment le contenu de la seconde boîte noire - la piste de l’homicide volontaire semble se préciser.
"Le fait que le constructeur (et la FAA) n’ordonne pas de vérifications complémentaires plaide en faveur d’une autre cause de l’incident.
Il n’y aurait pas mieux que la coupure des deux moteurs à ce moment précis pour envoyer l’appareil au tapis.
Cela dit, la discussion retranscrite ne va pas dans ce sens, même si le commandant de bord - le plus à même de faire ce genre de manipulation - pourrait évidemment avoir menti en disant qu’il n’avait rien touché, poursuit le pilote interrogé.
Il reste aussi la possibilité de la présence d’une troisième personne dans le cockpit, comme un observateur ou un instructeur, mais cela n’est pas mentionné dans le rapport.
Il est regrettable que nous n’ayons pas plus de détails sur les conversations. Mais c’est sans doute volontaire, tout comme le flou entretenu par le rapport. Ils veulent peut-être faire durer la chose, pour que les gens oublient et passent à autre chose," souligne le commandant de bord.
Une analyse que rejoint, avec des nuances, Gérard Feldzer. Pour l’ingénieur et pilote de ligne français, le suicide d’un des pilotes ne peut pas être la seule piste, mais elle demeure crédible.
Les dernières révélations du Wall Street Journal sème le doute sur la personnalité du commandant de bord (Sumeet Sabharwal).
Le média américain rapporte que, sur la base de l’enregistrement des échanges entre les deux PNT, c’est bien Sumeet Sabharwal qui aurait coupé l’alimentation en carburant.
Le copilote, aux commandes, se tourne vers son collègue plus âgé et lui pose la question (retranscrite plus haut : "Pourquoi as-tu coupé ?").
Il est alors surpris par la réponse, et se met à paniquer, toujours selon le Wall Street Journal, tandis que le commandant de bord reste calme.
Alors que la pression médiatique et celle du rapport semblent peser de plus en plus lourd sur la personnalité de Sumeet Sabharwal, les enquêteurs de l’AAIB appellent les médias à la retenue, affirmant qu’il est encore trop tôt pour tirer des "conclusions définitives".
Dans quelques jours ou semaines, toute la vérité devrait être levée sur ce tragique accident.