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Licenciement : comment le gouvernement veut réduire les droits des salariés 🔑

Interview d'Elise Fabing, avocate associée chez Alkemist avocats


Après le barème Macron, l'ubérisation de la société, l'augmentation de l'âge de la retraite, la baisse de la durée de l'indemnisation chômage... voici que Bruno Le Maire continue sa "casse sociale". Le ministre de l'Economie se montre favorable à une baisse du délai de contestation des salariés en cas de licenciement. Une idée qui a fait bondir Elise Fabing, avocate associée chez Alkemist avocats. La spécialiste en droit du travail craint que les entreprises ne portent plus la responsabilité sociale de leurs agissements.


Rédigé par le Mardi 5 Décembre 2023

Délai de contestation : "Les salariés vont être gagnés par un sentiment d'insécurité" - Depositphotos @jtanki03
Délai de contestation : "Les salariés vont être gagnés par un sentiment d'insécurité" - Depositphotos @jtanki03
TourMaG.com - Vous semblez contrariée par un projet de loi qui prévoit de réduire le délai de contestation des licenciements de 12 mois à 2 mois. Pourquoi ?

Elise Fabing :
Nous parlons du projet de loi Pacte II qui sera applicable en début d'année 2024.

Le Gouvernement a tranché et Bruno Le Maire pris la parole dans le Parisien, pour annoncer la chose. Pour lui le délai de contestation des salariés est trop long. Dans les autres pays développés, il n'est que de deux mois.

Cet argument est relativement pauvre. Je n'ai pas la même lecture que lui et je trouve que ce n'est jamais une bonne idée de s'attaquer aux droits de la défense. Pour tout vous dire, j'ai même cru que c'était une blague.

Limiter à deux mois le délai de recours d'un salarié licencié, ça me semble absurde, ça équivaut à supprimer la voie de recours et le conseil des prud'hommes.


"Les entreprises ne portent plus la responsabilité sociale de leurs agissements"

TourMaG.com - Selon vous, le gouvernement veut réduire le droit de recours des salariés en cas de licenciement ?

Elise Fabing :
Oui. Imaginez qu'il n'y a plus d'indemnisation du préjudice dans sa globalité avec le barème Macron, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Puis nous avons complexifié la procédure prud'homale. Maintenant, le gouvernement veut réduire le délai de prescription d'un an à 2 mois, alors que selon moi, c'était déjà trop court.

A lire : Rémunérations, conditions de travail... peut mieux faire !

Je trouve ça incroyable !


TourMaG.com - Pourquoi selon vous, cette baisse de la durée de recours est quasiment intenable ?

Elise Fabing :
Un salarié licencié est généralement un peu sonné, c'est une épreuve violente et dure.

En outre, il y a bien souvent un préavis, donc il fait toujours partie des effectifs durant 3 mois. Pas mal de salariés, encore en poste, ayant peur que la fin du contrat se passe mal, n'oseront pas contester leurs licenciements avec ce délai de deux mois.

Puis un salarié a toujours besoin de temps pour se remettre de l'annonce, la procédure prud'homale étant compliquée. Il a besoin d'un avocat, cela prend du temps, ce n'est pas évident.

Le délai est donc extrêmement court.

"Les employeurs seront totalement décomplexés..."

TourMaG.com - Selon vous, le Gouvernement ne veut-il pas rendre le licenciement plus facile ?

Elise Fabing :
Oui et c'est dans la continuité de l'instauration du barème Macron en 2017.

Maintenant, il est possible de provisionner les sommes liées à un licenciement abusif. Virer un salarié qui est en place depuis un an ne coûtera quasiment rien. Au mieux 2 mois de salaire et seulement si l'employeur n'a pas fait la procédure dans les règles.

Nous parlons là de l'indemnisation d'un préjudice.

C'est un vrai problème, les entreprises ne portent plus la responsabilité sociale de leurs mauvais agissements.

Imaginez, une quinquagénaire qui se fait virer dans de mauvaises conditions, après seulement un an d'ancienneté, le préjudice peut être énorme. A mon sens, l'entreprise doit supporter cette responsabilité sociale, lorsqu'il y a des licenciements abusifs.


TourMaG.com - Avec cette responsabilité sociale altérée, allons-nous vers un clivage plus grand entre les directions et les salariés ?

Elise Fabing :
Vous avez raison, puis les employeurs seront totalement décomplexés face aux faibles indemnisations en cas de mauvais comportements.

La condamnation moyenne, pour un harcèlement moral, c'est 7 100 euros en 2019. Cette somme est extrêmement faible. Sur le harcèlement sexuel, une entreprise a été dernièrement condamnée à... 20 000 euros. Ce n'est rien du tout, au regard du préjudice subi.

Il y a aussi la prescription : une salariée qui dénonce des faits de harcèlement et qui est licenciée, aura deux mois pour contester son éviction.

Ce genre de cas est fréquent, vous avez des personnes en dépression. Ce sont des situations de précarité, puis vous ajoutez une indemnisation de plus en plus faible de la part de Pôle emploi, un départ à la retraite qui a augmenté... que fait-on des salariés virés comme des malpropres ?

Nous allons être dans un pays, sans aucune justice sociale, pour de nombreuses entreprises.


De plus en plus, être salarié devient très peu sécurisant. On comprend mieux que beaucoup de Français deviennent indépendants, au sein même des entreprises.

Délai de contestation : "Les salariés vont être gagnés par un sentiment d'insécurité"

TourMaG.com - Est-ce que cela ne va tendre les relations ?

Elise Fabing :
Cela va décomplexer complètement toutes les strates de l'entreprise.

Les salariés vont être gagnés par une sorte de peur, du moins un sentiment d'insécurité dans le rapport de force qui les oppose à l'employeur. Dans notre cabinet, les licenciements se soldent à 80% par un accord à l'amiable.

Avec ce projet, nous allons non seulement engorger le conseil de prud'hommes qui est déjà sous l'eau et en souffrance. Dès que je vais recevoir un délai, je serai dans l'obligation de le saisir dans la semaine, sans même passer par l'entreprise.

A lire : Chômage, règlement intérieur, licenciement : les dernières actus en droit social

Cela va durcir les échanges.


TourMaG.com - Bruno Le Maire a aussi avancé l'idée de réduire le temps d'indemnisation chômage des seniors...

Elise Fabing :
D'autant que licencier un sénior ne coûte presque plus rien aux entreprises.

La situation devient-elle de plus en plus dure dans le monde du travail.


TourMaG.com - Cette dérégularisation du marché du travail à marche forcée, a-t-elle pour but d'attirer des entreprises internationales ?

Elise Fabing :
Je ne suis pas certaine que ce genre de manœuvre attire des entreprises.

Si les entreprises se comportent bien, cela ne change rien. Les coûts de licenciement ne sont pas plus élevés qu'ailleurs. Je ne comprends pas vraiment la visée.

S'attaquer aux droits de la défense, c'est vraiment se moquer des salariés victimes d'employeurs ayant d'épouvantables comportements.

La procédure prud'homale est de base assez complexe et le gouvernement Macron en a rajouté une couche, pour rendre cela encore plus compliqué. Par le passé nous avions un délai de 2 ans qui a été réduit à 1 an, avec la subtilité que cette période débute à la réception de la première lettre de licenciement.

Beaucoup de salariés se plantent sur cette date de démarrage, puis avec la réduction à deux mois, cela signifie que des salariés seront toujours en poste.

"Il y a de plus en plus de souffrances au travail"

TourMaG.com - Vous avez posté un message sur Linkedin, quel le but ?

Elise Fabing :
Suite au post publié sur LinkedIn, de nombreux confrères ont réagi et commenté, c'est incroyable. N'importe quel avocat peut être d'accord avec le fait que le délai de deux mois est insuffisant.

J'ai l'impression que Bruno Le Maire n'a jamais vu quelqu'un se faire licencier, ce n'est pas rien. Il n'y a aucun délai de prescription aussi court, alors pourquoi dans le droit du travail ?

En l'espace de 10 ans, les requêtes devant le conseil des prud'hommes ont baissé de 50%. La juridiction dysfonctionne, les salariés y vont de moins en moins. Le phénomène est inquiétant pour une juridiction qui se veut à la base proche des salariés.

Il y a de plus en plus de souffrances au travail, d'ailleurs il suffit de regarder les statistiques. Près de 30% des femmes estiment avoir été victimes d'agissements sexistes au travail, la dynamique sur les discriminations à la maternité n'est pas positive, tout comme le harcèlement moral.

Globalement, le monde du travail ne va pas très bien et ce n'est pas en limitant les moyens de défense des salariés, qu'il se portera mieux. La presse est très discrète sur ce sujet-là, j'espère juste qu'il va remonter dans les médias.

Même si l'indignation ne marche pas très bien avec ce gouvernement, j'ose espérer qu'il y aura une agitation médiatique un peu plus grande.


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