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Carte postale : un objet culte qui parle de nous et résiste [ABO]

Le décryptage de Josette Sicsic (Futuroscopie)


En cette période de forte tourmente technologique, les rituels vacanciers n’échappent pas à la toute puissance des images numériques. Une toute puissance contrariée par l’invasion des réseaux sociaux et un nouveau mal : la manipulation des clichés via toutes sortes de logiciels. Si bien que, face à ce phénomène, la bonne vieille carte postale n’a pas dit son dernier mot. Elle affiche selon les dernières données de 2023, quelque 330 millions d’achats en France !


Rédigé par le Vendredi 5 Septembre 2025

La carte postale est un moyen de confirmer une aspiration à une société de lenteur - DepositPhotos.com, ingus.kruklitis.gmail.com
La carte postale est un moyen de confirmer une aspiration à une société de lenteur - DepositPhotos.com, ingus.kruklitis.gmail.com
Commençons par le commencement, soit la naissance de la carte postale dès la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle.

Accompagnant les premiers voyageurs, le développement de la photographie et de la poste, la carte postale avait aussi d’autres vocations : familiales, amoureuses…

A tel point que l’on estime qu’entre 1905 et 1914, le nombre de cartes vendues s’est élevé à 730 millions. En France seule (sources La Poste).

Parmi les pionnières dans le secteur touristique, celles du photographe Jean Gilletta, apparues en 1898, puis celles des éditions d’art Yvon créées en 1919 par le photographe du même nom. Lesquelles ont survécu aux tourmentes, puis sont passées sous enseigne Hallmark en 2012 alors qu’elles comprenaient encore 6 000 références.


Le marché mondial de la carterie (dont les cartes postales) est estimé à 522 milliards de dollars en 2025, et pourrait atteindre 3  098 milliards de dollars d’ici 2034, avec un taux de croissance annuel moyen (CAGR) d’environ 19,5 % entre 2026 et 2034 (toutes cartes comprises).

Importants, ces chiffres se sont cependant bien réduits durant les années Covid, mais aussi par rapport aux années glorieuses où acheter une carte se faisait à travers le réseau des marchands de souvenirs, des librairies, musées, monuments, papeteries.

Et ce, autant pour être envoyées à des proches que pour rejoindre des collections personnelles. Lesquelles constituent un loisir toujours bien vivant, faisant le bonheur des brocanteurs, bouquinistes et autres vendeurs de cartes anciennes.

De l’émotion, du partage, du plaisir

Mais quel rôle jouent depuis toutes ces années les cartes postales ?

Traduisant - quand elles ont une vocation touristique - l’ambiance et la réalité du monde d’hier, celles-ci ont, il est vrai, une valeur historique aussi importante que sociétale. Elles confirment, à une époque donnée, tout autant la physionomie de villes, villages, littoraux, montagnes, que la façon de se vêtir, de circuler, de manger… Des témoignages d’une richesse irremplaçable.

De plus et surtout, elles ont la faculté de susciter plus d’émotion qu’un message sur mobile. Selon une enquête Ipsos, 70% des personnes interrogées estiment qu’une carte postale leur procure plus d’émotion qu’un SMS.

La carte est aussi un moyen de confirmer une aspiration à une société de lenteur exprimée par une avant-garde exaspérée par la société de l’urgence dans laquelle nous vivons. On la cherche, on la choisit, on l’achète, on l’écrit, on la timbre et on la poste… Une démarche longue, à la fois fastidieuse mais agréable pour celui qui l’effectue et qui envoie ainsi un fragment de sa réalité du moment via une image et un geste affectif.

L’écriture manuelle a également son mot à dire : on s’implique plus et mieux avec une plume qu’avec un clavier. On transmet donc mieux ses humeurs et sentiments.

Enfin, la carte postale en papier est pérenne donc durable. On la garde, on la regarde, on la cajole, on la transmet à ceux que l’on aime. Elle devance parfois même l’achat d’un magnet ou d’une affiche... Sans compter les petits prix qu’elle affiche et ses économies de CO2.

Une iconographie en mutation

A l’actif de la « carte », il convient également d’observer que les grands classiques de l’iconographie ont évolué. En mieux.

Après avoir été des « best of », les monuments iconiques le restent, mais ils sont traités avec originalité, élégance, humour, charme.

Les photos en noir et blanc de grands noms de la photographie deviennent aussi des cartes que l’on envoie par milliers (Doisneau) alors que celles de peintres illustres ou moins connus s’emploient à séduire un public d’esthètes.

Qui n’a pas choisi une carte nouvelle génération des îles grecques dans un style épuré ? Ou de Saint Tropez dans une version « vintage » ? Ou d’une peinture de Picasso ?

Et puis le numérique est arrivé !

Pourtant, selon un article du Monde datant de 2023 : « Fizzer peut crier cocorico ! (...) De plus en plus de vacanciers préfèrent utiliser des applications mobiles qui permettent en quelques clicks de personnaliser la photo et le texte, puis de faire envoyer cette véritable carte au destinataire par voie postale ».

A moins que l’on souhaite créer un album de vacances composé d’une vingtaine de photos. Un peu plus cher mais convaincant.

Si l’application Fizzer, considérée comme leader hexagonal dans l’envoi de cartes postales, expédie plus de 3 millions de cartes chaque année (selon les données internes de l’entreprise qui déclare souhaiter doubler ses volumes), Popcarte - son principal rival francophone avec une offre proche (cartes personnalisées, albums, etc.) - recueille une excellente satisfaction clients.

Touchnote, acteur bien implanté en Angleterre, est également souvent cité comme concurrent direct.

Mais, Youpix (service de La Poste) cité comme concurrent, avec environ 2 millions de cartes expédiées, a jeté l’éponge ! Une preuve de la fragilité d’un marché qui reste attaché à des pratiques traditionnelles.

La toute puissance des réseaux sociaux

Autres concurrents de taille : les réseaux sociaux qui déversent des milliards d’images de vacances censées à la fois délivrer un message d’amitié, mais également se mettre en valeur et éventuellement rendre jaloux les quelques cercles d’ « amis » dont on dispose.

Banalisant, voire appauvrissant le produit touristique, ces images mal prises et mal contrôlées sont heureusement contrebalancées par les images de qualité réalisées par des internautes amateurs ayant choisi de promouvoir du « beau » et leur talent de photographe ou de graphiste. Car il est aussi des dessins de grande qualité qui circulent sur les réseaux !

Une étude, citée par notre confrère de TOM, indique que 37% des personnes sondées âgées de 25 à 34 ans affirment poster constamment sur les réseaux sociaux pendant leurs vacances, les jeunes et les femmes étant les plus gros contributeurs de cette invasion d’images dominées par ces affreux selfies !

Instagram pour épater la galerie

Selon une autre enquête* menée par Census Wide en 2022, un Français sur cinq (22%) confie avoir déjà pris une photo de quelque chose qui ne l’intéressait pas, seulement pour pouvoir la poster sur les réseaux sociaux.

Autres comportements notoires : plus d’un quart (27%) des personnes sondées âgées de 25 à 34 ans disent avoir déjà pris un cliché d’un monument historique sans avoir envie d’en savoir plus, seulement pour pouvoir le publier en ligne.

1 Français sur 5 a également fait la queue afin de prendre une photo d’un lieu « instagramable ». Tandis qu’1 Français sur 3 affirme prendre des clichés de sa nourriture en vacances.

(* Enquête menée avec CensusWide auprès de 1 006 Français entre le 6 et le 8 juillet 2022).

La post-photographie défie l’IA

C’est néanmoins dans les mains de l’intelligence artificielle (IA) que se joue l’avenir de la carte postale et de l’image en général…

Alors que toutes sortes de logiciels permettent aujourd’hui de créer des images de toutes pièces ou d’en transformer d’autres, « la photographie n’est plus la trace du réel et cette pratique devient pleinement fictionnelle, déclare l’artiste Claudia Vialaret.

Elle est un moyen de manipuler des images fausses qui désormais bénéficient d’un statut hybride, soit une image dans laquelle la confusion entre réalité et fiction est difficile à dissocier. »

En fait, la post-photographie devient un art dans lequel l’artiste ne produit plus des œuvres mais des prescriptions et où le recyclage est roi.

Va-t-elle pour autant envahir les boîtes à lettre numériques et physiques et désenchanter cet objet culte qu’est la carte postale ? Oui et non.

Dans le secteur de l’image, tous les futurs sont à surveiller de près. Mais notez que, selon une enquête du Paw Research, la désinformation et le « fake » sont les menaces les plus redoutées par les populations des 25 pays enquêtés !

Pour aller plus loin : retrouvez notre série dédiée aux imaginaires touristiques

Josette Sicsic - DR
Josette Sicsic - DR
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com

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Tags : futuroscopie
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