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FUTUROSCOPIE - Les écrivains voyageurs : 1830, Théophile Gautier, aime l’authenticité

Les tendances touristiques contemporaines décryptées par les écrivains d'hier


Depuis que le touriste existe, il affiche des pratiques et des comportements comparables à ceux d'aujourd'hui. C'est en cela qu'il est un personnage intemporel. Toutes les époques semblent avoir eu le goût de l’authenticité. Grand voyageur, Théophile Gautier n’est pas avare de considérations sur le sujet lors de son « Voyage en Espagne » publié en 1830.


Rédigé par le Mercredi 4 Août 2021

Pendant que Henry Miller, on le verra, cherche coûte que coûte à s’acoquiner avec la population locale, un siècle plus tôt, l’écrivain Théophile Gautier à qui l’on doit romans, poésie, feuilletons et journaux de voyages, est obsédé par la quête de « couleur locale » !

Ce qui n’est pas exactement la même chose : « J’ai soif de la couleur locale, écrit Reniflard, le héros de l’un de ses vaudevilles ». Tandis que Gautier lui même, à peine de l’autre côté de la frontière espagnole, au début d’un voyage de plusieurs mois dont il tirera un ouvrage incomparable, s’exclame devant une soupe au safran : « Voilà pour le coup de la couleur locale, de la soupe rouge ! ».

Plus loin, en visite à Madrid, l’écrivain consacre également de très longues lignes à décrire les femmes madrilènes, leurs mantilles et leurs inséparables éventails … Autant d’accessoires qui, selon lui, constituent l’indispensable touche de « couleur locale » sans laquelle l’Espagne ne serait pas l’Espagne.

Et que dire des interminables évocations de vêtements régionaux faits de rubans, de ceintures aux couleurs vives et d’espadrilles de corde qui donnent à ce pays la note de pittoresque dont rêve la bourgeoisie française, ou de ces évocations de la nourriture régionale ?

En fait, ce qui intéresse déjà et surtout, le Théophile Gautier du Voyage en Espagne ou de celui en Italie ou encore en Orient et dans le nord de l’Europe, ce sont les aspects typiques du pays où il voyage : la somme de petits détails pittoresques qui, dans le costume, le vêtement, la décoration, les modes de vie… font la différence avec son pays d’origine et lui permettent d’en tirer deux bénéfices : s’en étonner et les décrire.

Mais, Théophile Gautier est loin d’être le seul à revendiquer du pittoresque. Sous Louis Philippe, le concept de « couleur locale » est très répandu partout, dans la littérature, au théâtre et dans les aspirations de la majeure partie des écrivains de l’époque, donc dans celle de leurs lecteurs. Hugo, en 1827, dans la préface de sa pièce Cromwell en précise le sens.

Pour lui, comme pour les romantiques, elle est indispensable au théâtre. A plus forte raison, en voyage, ce théâtre où la réalité prend forme !

L’authenticité à tout prix !

Mieux ! Il est également clair que le voyageur du XIXe siècle, s’il est épris de pittoresque, est également déjà épris d’authenticité. Loin d’être dupe de ce qu’il voit, il est très tôt habile à dénicher l’authentique sous le folklore, le vrai sous le faux.

Capable de détecter les vrais toréadors, corridas, hidalgos, mantilles et sombreros… derrière les clichés dont son imagination et celle de ses contemporains sont encombrées, il est un combattant de la première heure de ce « romantisme superficiel et cette couleur locale de pacotille » que la vogue de l’Espagne a amplement propagés parmi ses contemporains !

Ainsi, au cours de son voyage sur la péninsule ibérique, démontrant bien qu’il sait faire la part des choses, lors de la traversée de la Mancha, la célèbre région où Don Quichotte réalisa ses exploits, il prévient avec un brin de cynisme : « nous aperçûmes deux ou trois moulins à vent qui ont la prétention d’avoir soutenu victorieusement le choc de la lance de Don Quichotte … Et la venta où nous nous arrêtâmes se glorifie aussi d’avoir hébergé l’immortel héros ! » Pas dupe Gautier !

Dans un autre ouvrage très court et précieux « Ce qu’on peut voir en six jours » consacré à un voyage en Suisse, en Allemagne et en Hollande : l’auteur se révolte également contre les rénovations abusives qui détruisent l’authenticité d’un site ou d’un monument.

A propos d’Heidelberg, il écrit : « la maison des chevaliers montre ce que savaient faire les architectes anciens et la comparaison des œuvres, il faut l’avouer, n’honore pas les architectes modernes ».

Plus loin, il fait encore allusion aux querelles soulevées par les tentatives de restauration : « si l’on relevait une seule des pierres tombées, si l’on arrachait le lierre des façades, les arbres poussés dans les chambres, si l’on remettait du nez et des bras aux statues invalides, l’on crierait de toutes parts au sacrilège »

Les risques de la mondialisation en ligne de mire

Théophile Gautier - DR
Théophile Gautier - DR
Encore plus étonnants sont les commentaires du poète concernant la nécessité de sauvegarder l’authenticité du monde afin de lutter contre les risques d’uniformisation.

En 1830, la mondialisation est déjà en marche. Dans toutes les régions qu’il traverse, Gautier –dont on sait qu’il n’était pas vraiment un révolutionnaire !– déplore entre autre, la montée en puissance du vêtement à l’européenne que, pour sa part, il juge ridicule, au détriment de l’habit local qui met si bien en valeur le tempérament, l’humeur, le génie d’une population.

« C’est un spectacle douloureux de voir les formes et les couleurs disparaître du monde… écrit-il. Et l’uniformité la plus exaspérante envahir l’univers sous je ne sais quel prétexte de progrès ».

Encore plus douloureusement et prophétiquement, ce voyageur qui a passionnément aimé les voyages au point d’ailleurs de les considérer comme de véritables rêves, prévient : « Quand tout sera pareil, les voyages deviendront complément inutiles, et c’est précisément alors, heureuse coïncidence, que les chemins de fer seront en pleine activité » !

Alors conservateur ou visionnaire Gautier ?

ui[Sources :]u Théophile Gautier. Voyage en Espagne. Editions Folio. 1830 Théophile Gautier. Ce qu’on peut voir en six jours. Editions Nicolas Chaudun. 1858

Retrouvez les autres articles de notre série "La contribution des écrivains voyageurs"

D’hier à demain

En somme, dès le dix-neuvième siècle, et même bien avant, il faut au voyageur du pittoresque pour alimenter son imagination et pimenter son voyage. Une nécessité toujours d’actualité, voire encore plus d’actualité qu’autrefois, car la mondialisation aidant, le touriste a de moins en moins de « couleur locale » et de pittoresque à se mettre sous la dent.

Mieux, on perçoit déjà dans ces observations l’éternelle querelle entre anciens et modernes qui continue aujourd’hui d’agiter les milieux culturels dès lors que l’on envisage de restaurer un site ou un monument…

Qu’en sera-t-il demain de cette aspiration à l’authenticité ? Elle ne fera bien évidemment que s’accroître. Mais attention, l’authenticité est multi facettes et surtout, elle est relative, tributaire des cultures nationales et individuelles…

Josette Sicsic
Josette Sicsic
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com

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