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Pays-Bas : un week-end chic à Delft, la ville de Vermeer

A Amsterdam se tient une rétrospective sur Vermeer en 2023


Pour bien comprendre la peinture de Johannes Vermeer, auquel le Rijkmuseum d'Amsterdam consacre, jusqu'au 4 juin 2023, une exceptionnelle rétrospective, mieux vaut commencer par une escapade à Delft, la ville du grand peintre du "Siècle d'or" hollandais. Tout y parle encore de lui ou de son époque. Même l'étonnant hôtel Arsenaal.


Rédigé par le Mardi 14 Février 2023

Delft, cité commerciale prospère

Les canaux donnent à Delft une allure follement romantique (@PB)
Les canaux donnent à Delft une allure follement romantique (@PB)
En ce début d'année 2023, difficile de ne pas avoir les yeux tournés vers les Pays-Bas, du moins si l'on est amateur de culture et de peinture !

En effet, jusqu'au 4 juin prochain, le prestigieux Rijkmuseum d'Amsterdam consacre la plus grande rétrospective jamais dédiée à Johannes Vermeer, le grand maître du "Siècle d'or" néerlandais.

LIRE AUSSI : Pays-Bas : autour de Vermeer, des expositions prestigieuses pour booster le tourisme

Cependant, pour bien comprendre la peinture de Vermeer, mieux vaut commencer par s'offrir un séjour à Delft, la ville natale du peintre.

L'escapade peut se faire, si on le souhaite (et si on veut améliorer son bilan carbone !) entièrement en train. Le Thalys conduit de Paris-Gare du Nord à Amsterdam d'où un train régional (il comprend des voitures de Première classe) conduit en 41 minutes à Delft. Et vice-versa.

Connue dans le monde entier pour ses carreaux de faïence aux décors bleus inspirés des porcelaines chinoises qui, longtemps, ont transité par son port, Delft a évidemment bien changé depuis le XVIIe siècle. Elle totalise aujourd'hui 106 000 habitants (dont 29 000 étudiants) alors qu'elle en abritait seulement 25 000 du temps de Vermeer.

Pourtant, dans son cœur historique, tout parle encore du peintre et de son époque, Alors, la belle Delft était un centre culturel et scientifique, un comptoir commercial florissant, ouvert sur le monde grâce à ses canaux et au transport fluvial.

Tant qu'à faire, pour rester dans le ton, on choisira un hôtel qui raconte aussi un pan de l'histoire de la cité. L'Arsenaal (Arsenal en français, bien sûr) s'impose sans hésiter mais, il faut le savoir, c'est un établissement non fumeur.


La sobriété savamment étudiée de l'hôtel Arsenaal

Ambiance sobre mais cosy à l'hôtel Arsenaal (@PB)
Ambiance sobre mais cosy à l'hôtel Arsenaal (@PB)
Cet hôtel très chic, ouvert depuis peu, loge dans un bâtiment imposant, classé "monument national".

Il se dresse à la pointe sud d'une presqu'île formée par les deux principaux canaux de la ville, l'Oude Delft (le Vieux canal) et le Nieuwe Delft (le Nouveau canal), Delft signifiant "canal" en ancien néerlandais.

Logiquement, les fenêtres des 63 chambres et suites de l'Arsenaal donnent sur les eaux de l'un ou de l'autre de ces canaux. Si l'on tire un brin les rideaux pour profiter de cette vue, il n'est guère besoin de faire preuve d'imagination pour se retrouver plongé dans l'ambiance de la prospère ville commerciale qu'était Delft il y a quatre siècles et sentir l'odeur des épices, du café, du thé, du coton...

De l'autre côté du canal, les armoiries de la VOC, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, ornent encore le pignon du bâtiment cossu de cette vénérable Maison.

Vermeer n'était pas encore né lorsque le bâtiment qui abrite l'hôtel Arsenaal a été construit, au tout début du XVIIe siècle. La ville avait besoin d'un lieu pour stocker les mousquets, les canons et les munitions nécessaires à sa défense. D'où le nom d'Arsenal que l'hôtel a conservé.

Ce bâtiment a longtemps conservé cette vocation militaire. Cependant, après la Seconde guerre mondiale, il a servi de prison pour les Néerlandaises coupables d'avoir collaboré avec les Nazis, avant d'être repris par le ministère de la Défense pour y installer le Musée de l'armée.

Après que ce musée a été transféré ailleurs, en janvier 2013, près de dix ans sont passés avant que le bâtiment historique de l'Arsenaal devienne l'hôtel classieux qu'il est aujourd'hui. Une sérieuse rénovation a été nécessaire. La charpente, tout comme l'ensemble des structures du bâtiment, faites d'imposantes poutres de chêne, ont été conservées.

Le parti a été pris de mettre ces poutres en valeur. Laissées apparentes, tout comme les chevrons, elles constituent un élément essentiel du décor intérieur des couloirs et des chambres. Partout, y compris dans les pièces d'accueil pourtant cosy, la hauteur sous plafond est impressionnante.

La brique est également très présente, ce qui est logique : après le grand incendie qui, en 1536, avait détruit les trois-quarts de Delft, les maisons avaient commencé à être construites en "dur" et la plupart le seront après la catastrophique explosion de la poudrière, en 1654.

Dans l'hôtel Arsenaal, le choix du mobilier, des couleurs, des tissus et des tapis, des luminaires, traduisent l'élégance et la sobriété savamment étudiées avec laquelle se déclinent souvent le chic et le luxe dans les pays du Nord de l'Europe.

Vermeer : "Le plus beau tableau du monde"

Rendue célébre par un Proust admiratif, cette vue de Delft raconte la ville au XVIIe siècle (@PB)
Rendue célébre par un Proust admiratif, cette vue de Delft raconte la ville au XVIIe siècle (@PB)
L'ancrage de l'Arsenaal dans le Vieux Delft, en fait une base idéale pour partir à la découverte de la ville : ses canaux et ses petites places lui donnent une allure terriblement romantique, qui n'est pas sans rappeler Bruges ou Amsterdam.

La visite se fera à pied. Elle serait sans difficulté, s'il n'y avait... les vélos !

A Delft, comme partout aux Pays-Bas, les habitants se déplacent ordinairement en deux-roues et parfois à une vitesse stupéfiante. Gare donc aux distraits qui oublient de regarder si la voie cyclable est libre avant de s'engager sur la chaussée !

En tous cas, sitôt la porte de l'hôtel franchie, les quais s'offrent en effet à vous. Il est aisé d'emprunter l'un des innombrables ponts qui enjambent les canaux pour passer d'une rive à l'autre.

Et, puisque 2023 donne l'occasion de mettre ses pas dans ceux de Vermeer, autant commencer par découvrir "en vrai" la vue de Delft la plus célèbre au monde. Pour cela, il faut se diriger vers le sud du centre historique, jusqu'au Run-Schiekanaal. En réalité, il faudrait même aller un peu plus loin encore.

C'est en effet d'une fenêtre, au dernier étage d'une maison juchée sur la rive opposée du quai du Kolk, que l'artiste a brossé en 1660-61, cette fameuse vue de Delft et de son port, dominée par le clocher de la Nieuwe Kerk (l'église nouvelle).

Ce tableau est un concentré de l'art de Vermeer. A cause, d'abord, du calme ambiant, du silence apparent, du temps qui paraît suspendu.

Les péniches sont immobiles, tout comme les petits personnages sur la berge. De petites touches suggèrent les reflets de l'eau et un point de lumière est posé sur les toits. Le nuage foncé qui assombrit les constructions au premier-plan permet d'attirer l'attention sur le centre-ville baigné par une forte lumière.

Au premier plan s'élève la porte de Schiedam qui, jadis, permettait d'accéder à la ville alors fortifiée. Les remparts ont été détruits dans la seconde moitié du XIXe siècle et l'artiste a pris quelques libertés avec les réalités topographiques, mais on reconnaît sans peine Delft !

En 1902, au cours d'un voyage aux Pays-Bas, Marcel Proust était tombé en admiration devant ce tableau, au Mauritshuis, un important musée de La Haye. "Depuis que j'ai vu la [Vue de Delft], j'ai su que j'avais vu le plus beau tableau du monde", avait aussitôt écrit à un ami l'auteur de La Recherche du temps perdu qui, plus tard, introduira des allusions à Vermeer dans son œuvre.

Indiscutablement, Proust a, bien après le critique William Bürger qui l'avait redécouvert en 1866, contribué à sortir Vermeer de l'oubli dans lequel il était tombé après sa mort.

Delft : toute une vie autour de la Place du Grand Marché

L'imposante Place du Grand Marché (Grote Markt) reflète encore l'importance passée du centre marchand qu'était Delft (@Paula Boyer)
L'imposante Place du Grand Marché (Grote Markt) reflète encore l'importance passée du centre marchand qu'était Delft (@Paula Boyer)
Après ce crochet au sud de la vieille ville, il sera temps de revenir vers le cœur historique de Delft, car, chose incroyable aujourd'hui, l'essentiel de la vie de Vermeer s'y est déroulée : il y est né en 1632, y a vécu et travaillé avant de mourir prématurément en 1675, à seulement 43 ans !

Les avis divergent encore sur le lieu exact de sa naissance. Les uns désignent une petite maison au bord d'un canal tout proche, les autres, une maison plus importante où est apposée une plaque, près de la Place du Grand Marché.

Tous s'accordent en revanche pour dire que Reynier Jansz, le père de Vermeer, a vu le jour en 1591, au numéro 21 de la Place du Marché aux bestiaux (Beestenmark) et sa sœur, Geertruyt, en 1620, dans une autre maison de cette même place.

La Place du Grand Marché (Grote Markt) n'en est évidemment pas très éloignée : sa taille, imposante dit encore l'important centre marchand qu'était Delft.

Et, c'est dans une rue parallèle, la rue Voldersgraft, au numéro 25/26 que le père de Vermeer tenait une taverne. Il y exposait aussi les œuvres d'artistes dont il faisait le commerce. C'est dire que le petit Johannes a baigné très tôt dans une atmosphère propice à son éveil artistique.

De l'autre côté de cette même Place du Grand Marché, au numéro 25 de la rue Oude Langendijk, se trouvait la maison de Catharina Bolnes, la belle-mère du peintre. Vermeer y a passé les quinze dernières années de sa vie (de 1660 à 1675) et peint l'essentiel de son œuvre.

C'est dans la Nieuwe Kerk (Eglise nouvelle), qui se trouve sur la Place du Grand Marché, face à l'ancien hôtel de ville Renaissance, que le petit Johannes a été baptisé le 31 octobre 1632. C'est aussi dans cette église que reposent les membres de sa famille - ses parents, sa sœur, sa femme. En revanche, lui a été inhumé, un peu plus loin, dans la Oude Kerk (Vieille église) qui s'élance au bord du Vieux canal, tout comme sa belle-mère et trois de ses 15 enfants.

Johannes Vermeer, syndic de la guilde de Saint-Luc 2

A l'emplacement de l'ancienne Guilde de Saint-Luc, un Centre dédié à Vermeer @PB)
A l'emplacement de l'ancienne Guilde de Saint-Luc, un Centre dédié à Vermeer @PB)
La visite de la Delft de Vermeer est facilitée par un dépliant édité (en anglais) par l'Office de tourisme qui mentionne sur une petite carte les divers principaux points d'intérêt.

Et, justement, ce dépliant invite aussi à faire une seconde halte rue Voldersgraft, au numéro 21, jadis le siège de la "Guilde de Saint Luc",.

Cette confrérie de métiers, très active, regroupait tous les graveurs, sculpteurs, peintres, marchands d'art, potiers, etc. de la ville. Comme son père avant lui, Johannes Vermeer en était devenu membre en 1653. Neuf ans plus tard, il en sera élu syndic. Il le sera à quatre reprises.

Un autre peintre célèbre du "Siècle d'or" hollandais, Pieter de Hooch (1629 -1694), a, lui aussi, été syndic de cette guilde.

L'actuel bâtiment en briques est une version reconstruite du siège de l'ancienne Guilde de Saint-Luc. Il abrite un Centre dédié à Vermeer et à ses contemporains.

Y sont présentées aussi bien les événements connus de la vie personnelle du peintre, ses méthodes de travail, des oeuvres de ses contemporains que la Delft du XVIIe..

Une salle entière est occupée par la reproduction, en taille réelle, des 37 peintures répertoriées comme étant de la main de Vermeer.

Delft : bières et tables étoilées

Chez Bierfabriek, une ambiance cosy au service de la boisson nationale - DR : PB
Chez Bierfabriek, une ambiance cosy au service de la boisson nationale - DR : PB
En sortant, surtout s'il fait beau, il sera agréable de musarder le long des canaux.

Les quais sont bordés par de jolies petites boutiques. Et aussi par des bars et quelques brasseries
. Prenons Bierfabriek, qui se trouve aux 45-49 Burgwall. L'atmosphère y est très sympathique, la bière excellente, qu'elle soit blonde, brune ou même... rouge.

En s'asseyant un moment dans cet établissement, on restera dans l'ambiance : les Pays-Bas sont un pays de buveurs de bière ; le père de Vermeer tenait une taverne, tout comme un autre peintre de "l'âge d'or" hollandais, Jan Steen, que sa peinture ne suffisait pas à faire vivre. Enfin, à Delft, l'industrie de la bière a eu ses heures de gloire.

"Après la prospérité apportée par le commerce du coton, Delft s'est, au début du XVIe siècle, tournée vers l'industrie de la bière. La ville abritait alors pas moins de 200 brasseries, assure Dick Stammers, guide touristique.

Cette activité périclitera", poursuit Dick Stammers, lorsque pendant et après la guerre pour arracher leur indépendance aux Espagnols, les Pays-Bas ne pourront plus exporter de la bière vers le sud des ex-provinces unies (la Belgique et le Luxembourg d'aujourd'hui) restées, elles, dans le giron espagnol.

En 1645, il restait seulement15 brasseries. "Heureusement, ajoute Dick Stammers, l'industrie de la faïence a, par la suite, pris le relais".

Ce long périple dans les rues de Delft ne manque pas d'ouvrir l'appétit. Les Pays-Bas ne sont pas forcément réputés pour leur gastronomie. Si, sur les quais, les petits restaurants ne manquent pas, les amateurs de bonnes tables seront, à coup sûr, davantage comblés par des établissements comme Van der Dussen, situé 118, Bagijnhof.

Et The Old Jan (Le Vieux Jean), au 3, Heilige Geestkerkhof (c'est à dire Cimetière du Saint-Esprit), tous deux distingués par un Bib gourmand.

Au Prinsenhof, l'homme derrière le mythe

L'exposition de Delft met en scène Vermeer et son époque (@Paula Boyer)
L'exposition de Delft met en scène Vermeer et son époque (@Paula Boyer)
Une fois restauré, il sera temps d'aller au Prinsenhof, le musée de Delft.

Il a été installé dans l'ancien monastère Sainte-Agathe : couverte par un toit en verre et fermée par d'immenses baises vitrées, l'ancienne cour de ce bâtiment en brique joliment rénové est devenue une élégante salle de réception, l'ancienne chapelle est devenue une boutique et le parcours muséal s'inscrit dans un dédale de couloirs et d'escaliers

Une exposition y est consacrée (jusqu'au 4 juin 2023) à Vermeer et à son temps.

Y sont présentés plus de 100 objets provenant de collections néerlandaises et étrangères, y compris des chefs-d'œuvre de peintres de Delft, des objets d'art appliqué, des cartes, des estampes, des dessins, des livres, des documents biographiques et d'autres documents d'archives. Un petit film fort bien fait introduit le propos.

L'ensemble permet d'en apprendre un peu plus sur "l'homme derrière le mythe", sur son entourage - sa belle-mère, Maria Thins, son collègue peintre Leonaert Bramer, le notaire de la famille Willem de Langue, les collectionneurs d'art Maria de Knuijt et son mari, Pieter van Ruijven, le maître boulanger Hendrick van Buyten, également collectionneur.

Ne nous faisons cependant pas d'illusion : même si, les recherches aidant, on en sait aujourd'hui davantage sur Vermeer, sa biographie conserve des pans obscurs qui lui ont parfois valu le surnom de "Sphynx de Delft".

La visite permet aussi d'admirer des chefs-d'œuvre des maîtres les plus importants de Delft de la période 1550-1675 : Pieter de Hooch, Jan Steen, Gerard Houckgeest, Cornelis de Man, Anthonie Palamedesz et Maria van Oosterwijck...

Marchand d'art ruiné par la guerre

Avec cette "Femme lisant une lettre devant une fenêtre ouverte", Vermeer comme les peintres hollandais de son époque, suggère l'ouverture sur le monde (@PB)
Avec cette "Femme lisant une lettre devant une fenêtre ouverte", Vermeer comme les peintres hollandais de son époque, suggère l'ouverture sur le monde (@PB)
Le Prinsenhof de Delft détaille également la vie à Delft et le contexte des Pays-Bas au milieu du XVIIe siècle : les habitants sortent alors de la "Guerre de Quatre-Vingts Ans", un soulèvement armé qui, lancé en 1568 pour obtenir la liberté religieuse pour les protestants, a tourné très vite à la guerre civile entre les sept provinces du Nord (les actuels Pays-Bas) où la "Réforme protestante" était bien ancrée, et les Pays-Bas méridionaux (actuels Belgique, Luxembourg et Nord-Pas-de-Calais), restés catholiques et fidèles à la Couronne d'Espagne.

L'affrontement s'est terminé en 1648 avec le Traité de Münster qui a consacré l'indépendance des Provinces-Unies du Nord. Dès lors, les Pays-Bas s'affirmeront comme une puissance majeure, grâce à la création d'un vaste empire colonial soutenu par l'activité commerciale de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, créée en 1602.

La paix revenue et l'indépendance acquise ont, bien entendu, favorisé la prospérité de Delft et celle de Vermeer. En effet, le peintre avait repris, avec succès, l'activité de marchand d'œuvres d'art déjà exercé par son père.

Malheureusement, une nouvelle guerre stoppera provisoirement cet essor. La "guerre de Hollande" entre la France et ses alliés d'une part et, d'autre part, la Quadruple-Alliance tissée autour des Provinces-Unies, débute en effet en 1672.

Le commerce, mais aussi le marché de l'art s'effondrent. Vermeer, totalement ruiné, en tombe malade et meurt en décembre 1675.

Au cœur de l'histoire des Pays-Bas

L'imposant mausolée de Guillaume d'Orange, dans le chœur de la Oude Kerk de Delft (@PB)
L'imposant mausolée de Guillaume d'Orange, dans le chœur de la Oude Kerk de Delft (@PB)
L'exposition du Prinsenhof insiste également sur les différences terriblement marquées entre les classes sociales, dans la Delft de Vermeer. Et aussi sur l'interdiction de pratiquer officiellement le catholicisme bien qu'environ un quart de la population confesse cette religion.

Autant dire qu'en se mariant avec une catholique d'une famille bien plus aisée, Vermeer, calviniste de naissance, fut transporté dans un milieu bien différent du sien. Il dût d'ailleurs se convertir au catholicisme pour vaincre les réticences de sa riche belle-mère Maria Thins.

Une fois découvert ces arrière-plans sociaux, religieux, historiques et géopolitiques, un tour dans les étages supérieurs du Prinsenhof permettra d'admirer la richesse des faïences bleues de Delft et aussi de nombreuses œuvres de peintres locaux.

Le Prinsenhof présente cependant un autre intérêt : il a été le théâtre d'un épisode tragique de l'histoire des Pays-Bas, l'assassinat le 10 juillet 1584, par un fondamentaliste catholique, de l'homme qui fait figure de "Père de la patrie" (vader des vaderlands), le célèbre Guillaume d'Orange. L'impact des balles est encore visible dans un mur.

Pour comprendre, il faut encore une fois en revenir à la Guerre des Quatre-Vingt ans ! Delft était alors un important centre de résistance contre les Espagnols. Et, le prince Guillaume d'Orange, initiateur de cette révolte qui conduisit bien plus tard à l'indépendance des Pays-Bas, s'était installé à Delft dans une partie de l'ancien couvent Sainte-Agathe aménagée pour lui et sa cour.

Il fut inhumé à Delft car le caveau de la famille se trouvait à Breda, une ville alors occupée par les Espagnols. Son imposant mausolée trône dans le chœur de la Nieuwe Kerke de Delft, au-dessus du caveau royal où reposent la plupart des membres de la famille d'Orange qui règne toujours sur les Pays-Bas.

Amsterdam : une exposition exceptionnelle Johannes Vermeer

Comme dans beaucoup de toiles de Vermeer, le jaune et le bleu dominent dans La jeune fille à la perle (@PB)
Comme dans beaucoup de toiles de Vermeer, le jaune et le bleu dominent dans La jeune fille à la perle (@PB)
Une fois instruit sur Vermeer et son temps grâce à ce séjour à Delft, il sera temps de filer à Amsterdam voir (enfin) l'exposition du Rijkmuseum. Evidemment, il faut réserver bien à l'avance car, avant même l'ouverture de l'exposition le 10 février, 200 000 visiteurs avaient acheté leur billet !

Ce n'est certes pas la première rétrospective consacré à Vermeer par un grand musée, mais celle-ci réunit un nombre record d'œuvres.

Le musée d'Amsterdam a profité de la fermeture de la Frick Collection à New York pour lui emprunter ses trois tableaux du maître, d'autres toiles sont venues de New-York, Tokyo, Londres, Dresde...

Au final 28 toiles, soit plus des deux-tiers des œuvres connues de Vermeer, sont déployées autour de onze thèmes dans huit salles.

La scénographie a été confiée Jean-Michel Wilmotte : l'architecte français s'est inspiré des compositions caractéristiques de Vermeer pour imaginer des murs grenat, vert canard ou bleu nuit, ponctués de hauts rideaux de velours. Devant chaque œuvre, des rambardes en demi-cercle accentuent leur mise en valeur.

C'est avec raison que Vermeer passe pour le peintre de la lumière et de l'intimité. "L'intimité de son travail est une expérience de la suspension du temps dans un monde qui est devenu celui de la vitesse", fait d'ailleurs valoir Taco Dibbits, le directeur général du Rijkmuseum.

Vermeer dépeint souvent des intérieurs dans lesquels des femmes sont les personnages principaux et s'apprêtent à accomplir des actions quotidiennes telles que verser du lait, lire une lettre, étudier, donner une leçon, jouer de la musique, accomplir une tâche, etc.

En outre, dans la plupart des tableaux - et pas seulement dans le plus célèbre d'entre eux la "Jeune fille à la perle"-, dominent deux couleurs - le jaune et le bleu.

Et si Vermeer respecte les règles strictes de la peinture flamande et hollandaise de son époque avec, par exemple, la lumière qui tombe de la gauche, il trahit parfois d'autres influences, italiennes par exemple, sans doute apportées par des peintres de passage à Delft.

S'y ajoute sa patte personnelle. Il suffit de regarder la" Jeune fille à la perle" pour comprendre comment quelques petites touches claires sur les yeux et les lèvres font ruisseler la lumière et changent tout.

Par ailleurs, les dernières recherches accréditent l'idée qu'il a bel et bien utilisé une chambre noire (en simplifiant, la camera oscura était une boite permettant de projeter l'image qui lui fait face sur le mur ou la paroi opposés, afin de pouvoir ensuite l'étudier).

Un homme en prise avec son époque

Bien qu'elle soit une scène d'intérieur, Le Géographe reflète l'intérêt pour les découvertes scientifiques et pour le monde (@PB)
Bien qu'elle soit une scène d'intérieur, Le Géographe reflète l'intérêt pour les découvertes scientifiques et pour le monde (@PB)
En dépit de ce registre plutôt intimiste, Vermeer était un homme pleinement inscrit dans son temps. Ce n'est pas un hasard si dans six des tableaux présents à Amsterdam, des femmes écrivent, reçoivent ou lisent des lettres.

Lorsqu'au XVIIe siècle, les Pays-Bas se sont lancés dans le commerce avec les contrées alors les plus reculées de l'Asie, l'échange de lettres est devenu une nécessité. Et aussi un des thèmes à la mode dans la peinture hollandaise.

De la même manière, dans la toile intitulé "Le géographe", non seulement un globe-terrestre est juché sur un placard, mais le personnage principal, un homme vêtu d'une robe d'intérieur, debout devant une table, est penché sur une feuille. Il tient un compas à la main. Cette scène souligne le lien important avec le monde extérieur et l'intérêt pour les dernières découvertes scientifiques.

Vermeer a également peint deux paysages - la fameuse "Vue de Delft" par laquelle commence l'exposition, et aussi "La petite rue", un coin de Delft où vivait une de ses tantes -, mais d'autres toiles révèlent d'autres ambitions.

Ainsi le tableau mythologique intitulé "Diane et ses nymphes". Ou, sur un tout autre registre, la scène de taverne un peu grivoise intitulée L'entremetteuse dans laquelle des hommes invitent une femme à boire. L'artiste se serait représenté sur la gauche, verre à la main. Si tel est le cas, ce serait le seul autoportrait que l'on possèderait de lui.

Enfin, Vermeer, calviniste de naissance arrivé par mariage dans un milieu catholique, a également abordé le registre biblique. Dans "L'allégorie de la foi catholique", il a introduit plusieurs symboles chrétiens, censés conduire le croyant sur le chemin des valeurs intérieures.

De même, dans la peinture "Femme tenant une balance", la dame debout devant la table avec ses précieux bijoux, tient une balance, sans doute pour déterminer leur valeur monétaire. Accrochée au mur derrière elle, une peinture du "Jugement dernier" indique clairement qu'un jour, elle aussi, sera, comme le dit la Bible, "pesée", c'est-à-dire jugée.

Faut-il s'en étonner ? Selon le Rijksmuseum, les dernières recherches montrent que l'Ordre des Jésuites de Delft et le catholicisme auraient eu une influence majeure sur Vermeer et sa famille.

Après l'exposition, il ne faut hésiter, si l'on a le temps, à s'attarder à Amsterdam. Certes, cette ville souffre parfois de surtourisme. Mais comment résister au charme de ses canaux ?

On prendra toutefois la précaution de réserver à l'avance. Amsterdam compte de très beaux hôtels. Il y a bien sûr le Sofitel et l'hôtel de l'Europe. Et aussi, tout près du Rijksmuseum, au numéro 27, de la rue Van Baerlestraat, le Conservatorium et ses 129 chambres et suites, son superbe Spa, et son restaurant Taiko dont le chef Schilo Van Coevorden excelle dans les plats d’inspiration asiatique.

Pour en savoir plus : Office de tourisme des Pays-Bas

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Bruno Courtin Publié par Paula Boyer Responsable rubrique LuxuryTravelMaG - TourMaG.com
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