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Tour du monde des réceptifs : les ballons ne résonnent plus dans les "barrios" de Buenos Aires...

Interview d'Arthur Thenot, cofondateur de Tierra Latina


Face à une situation de confinement (presque) généralisée au niveau mondial, la rédaction de TourMaG.com s'adapte. Tandis que les tour-opérateurs sont sur le pont pour faire rentrer les voyageurs et que les agences de voyages tentent de convaincre leurs clients de reporter les séjours, les réceptifs se démènent pour leur survie, loin des aides de l'Etat Français. Nous avons décidé de prendre de leurs nouvelles. Aujourd'hui, direction Buenos Aires et l'Argentine avec Arthur Thenot, cofondateur de Tierra Latina.


Rédigé par le Mardi 7 Avril 2020

Après trois semaines de confinement la population respecte toujours bien les recommandations du gouvernement, mais cela peut-il durer sans aide de l'Etat ? L'Argentine survit et espère - Crédit photo : Arthur Thenot
Après trois semaines de confinement la population respecte toujours bien les recommandations du gouvernement, mais cela peut-il durer sans aide de l'Etat ? L'Argentine survit et espère - Crédit photo : Arthur Thenot
TourMaG.com - Tierra Latina possède un bureau à Buenos Aires, dans quelle optique ?

Arthur Thenot :
Pour tout vous dire, actuellement nous sommes trois dans la capitale du pays, dont deux personnes à l'année, notamment pour accueillir nos voyageurs et s'occuper de l'opérationnel.

Nous faisons un travail de réceptif. Dernièrement, nous avons dû accompagner des clients pour rentrer en Europe, ils nous en remercient encore.

TourMaG.com - Vous aviez beaucoup de personnes sur place ?

Arthur Thenot :
C'est relatif, mais pour nous cela représente un nombre conséquent de voyageurs, puisque nous avions une vingtaine de personnes dans toute l'Argentine.

La période pendant laquelle le rapatriement s'est déroulé est charnière pour nous, car le mois de mars annonce la fin de la saison.

Nous avons eu quelques annulations en amont, mais des voyageurs étaient présents pendant la fermeture des frontières de l'Argentine, avec une mise en quarantaine de toute personne arrivant de l'étranger depuis moins de 15 jours.

Ainsi, en plein de milieu de leur séjour, nos clients ont dû être placés en quarantaine pour éviter la propagation du virus.

TourMaG.com - Donc du jour au lendemain, vous avez dû contacter tous vos clients et les confiner dans des hôtels. Comment avez-vous géré cela ?

Arthur Thenot :
Nous les avons tous contactés en les prévenant, avec des documents officiels de l'Ambassade de France, en les incitant à rester dans les hôtels avant de prendre le vol retour.

Je dois reconnaître que c'était une décision un peu délicate, surtout pour ceux qui avaient déjà fait des étapes.

Des clients ont appris la nouvelle en atterrissant à "El Calafate" à proximité du champ de glace Sud de Patagonie.

Nous avons dû leur expliquer avec un maximum de tact les enjeux, et nous avons vu avec nos hôteliers pour qu'ils les bichonnent le plus possible.

Les Français étant un peuple de gastronomes et l'Argentine étant un pays de gastronomie, nous avons offert pas mal d'apéros à nos voyageurs, pour rendre le confinement le plus agréable possible.

Le plus important était d'être présent pour eux, mais surtout qu'ils sentent que nous étions là. L'Argentine a annoncé en même temps que la fermeture des frontières, la fin des vols vers la France, le 16 mars 2020.

"Malgré l'ordonnance, je pense que c'est un peu un cache-misère"

TourMaG.com - Comment avez-vous vécu cette urgence ?

Arthur Thenot :
Il y a eu un petit moment de panique pour trouver des vols, afin de mener à bien cette mission, mais je trouve que nous avons bien géré.

J'ai été agréablement surpris par l'implication de l'Ambassade de France, l'écoute du personnel. Nous nous sommes sentis accompagnés.

Au début réticents, les voyageurs ont pris conscience qu'ils n'avaient pas trop le choix et que nous étions tous dans le même bateau.

TourMaG.com - Vous avez dû aussi trouver des hôtels lors du confinement, comment avez-vous géré cela financièrement ?

Arthur Thenot :
Nous nous sommes arrangés pour que les nuits prévues ailleurs soient remboursées, mais cela a été très compliqué. Nous avons compté sur notre relation avec nos hôteliers pour qu'ils nous accompagnent au mieux.

Ils n'ont pas fait comme les compagnies aériennes qui faisaient flamber les prix.

TourMaG.com - D'ailleurs comment s'est passée cette opération de rapatriement avec les compagnies aériennes ?

Arthur Thenot :
C'est un gros problème dans cette partie du monde, car nous sommes toujours à la merci des compagnies.

Il y a peu de transporteurs, une faible concurrence, déjà que les prix sont élevés habituellement, autant vous dire qu'elles n'ont pas joué le jeu.

Nous sommes toujours un peu otages des compagnies. Nous avons passé énormément de temps et nous continuons toujours avec elles, pour perdre le moins d'argent possible, surtout avec les reports.

Malgré que l’ordonnance soit une bonne chose, je pense que c'est un peu un cache-misère et nous pourrons évaluer l'ampleur des conséquences de cette crise dans 18 mois.

Les hébergements sont assez flexibles, en revanche les compagnies ne veulent pas rembourser, c'est plus problématique pour nous.

Dans tous les cas, nous sommes dépendants des compagnies, à l'avenir ce sera pareil, sauf si tous les pays se mettent au tourisme national, du jour au lendemain.

Et ce sera donc encore pire pour les compagnies aériennes, car elles n'auront quasiment plus aucune rentrée d'argent.

"Ici nous n'avons pas de chômage partiel et une aide minime de l'Etat"

TourMaG.com - Pour en revenir à l'Argentine, quelle est la situation ?

Arthur Thenot :
Nous sommes entrés en confinement quasiment en même temps que la France, puisqu'il a pris effet le 19 mars 2020 à minuit, jusqu'au 31 mars. Il a été ensuite prolongé jusqu'à la fin de la semaine sainte (12 avril 2020, ndlr).

Nous sommes passés sur un confinement très strict.

Pour essayer d'atténuer l'impact économique sur le peuple argentin, tous les jours fériés ont été rassemblés pendant le confinement, permettant donc aux salariés de perdre le moins possible.

Ici nous n'avons pas de chômage partiel et une aide minime de l'Etat, l'économie est beaucoup plus faible qu'en Europe.

Compte tenu de la situation, j'étais très surpris par la décision du gouvernement. L'Argentine a été parmi les premiers pays de la région à imposer le confinement.

Je pense que la décision est nécessaire, car les hôpitaux ne pourront pas absorber un taux important de malades, comme vous pouvez le connaître en Europe.

TourMaG.com - Connaissez-vous un confinement similaire à ce que nous avons ici, avec des sorties tolérées pour faire les courses et un footing d'une heure ?

Arthur Thenot :
Il est beaucoup plus strict. C'est simple, il n'y a personne dans les rues.

Nous n'avons pas le droit de sortir pour marcher ou courir. Sont seulement tolérées les sorties pour faire les courses et couvrir les besoins de première nécessité.

Toutefois, des restaurants sont encore ouverts, mais ils ne reçoivent pas de public et font seulement de la livraison.

Il a fallu que le gouvernement ménage tout le monde pour ne pas trop plomber l'économie, d'autant plus que la livraison est nettement plus développée en Argentine qu'en Europe.

TourMaG.com - Ce confinement est-il suivi ?

Arthur Thenot :
Il est très respecté tout simplement car le peuple argentin a pris conscience du risque, puis il connait ses limites.

Après nous rentrons dans la 2e quinzaine, je ne sais pas s'ils vont pouvoir tenir longtemps, surtout qu'une grande partie de la population vit au jour le jour.

Le confinement pose problème pour tous les indépendants et les auto-entrepreneurs qui n'ont plus aucune ressource.

Economie : "le gouvernement a débloqué une aide de 142 euros..."

TourMaG.com - Face à une économie de la débrouille et de l'instant présent, le gouvernement est-il intervenu pour soutenir les plus faibles ?

Arthur Thenot :
Il n'a pas les reins pour aider la population, comme en France, mais il a débloqué une aide de 10 000 pesos pour les auto-entrepreneurs qui sont extrêmement nombreux.

Cela correspond à une prime de 142 euros, pour un salaire moyen aux alentours de 500 euros. C'est une contribution à la hauteur des capacités du pays.

TourMaG.com - Donc entre le confinement, la fermeture des frontières... Les conséquences s'annoncent énormes pour la population ?

Arthur Thenot :
Je ne sais absolument pas comment le pays va s'en sortir. Si l'Argentine avait attendu, je pense que cela aurait été pire, notamment d'un point de vue sanitaire.

Il faut mettre au crédit du gouvernement sa prise de décision rapide et pas évidente. Nous sommes l'un des seuls pays d'Amérique du sud à imposer le confinement et à avoir pris le taureau par les cornes.

L'Argentine a un gros potentiel, notamment au niveau du tourisme, d'ailleurs par chance dans cette catastrophe nous rentrons en période basse.

Avant l'ouverture de la saison touristique, cela nous laisse six mois pour que l'Europe et la région aillent mieux, car de la venue des touristes, le pays s'en remettra ou pas.

TourMaG.com - L'industrie touristique en Argentine est-elle importante pour l'économie ?

Arthur Thenot :
Elle a un poids économique comparable à ce que nous connaissons en France, représentant entre 8 et 9% du PIB.

Les principaux pays émetteurs sont le Brésil et les pays nord-américains, mais il ne faut pas oublier que nous sommes la porte d'entrée pour l'Antarctique, ce qui attire beaucoup de touristes.

L'activité est d'autant plus importante qu'elle permet de faire entrer des devises étrangères qui sont nettement plus stables que le Peso argentin, une monnaie volatile.

Tourisme : "l'autre inquiétude vient du Brésil"

TourMaG.com - Y a-t-il un risque de voir le peso connaître une nouvelle dévaluation ?

Arthur Thenot :
Il a déjà connu une très grande dévaluation il y a neuf mois, juste avant le changement de Président de la République.

Actuellement, le peso est relativement stable.

TourMaG.com - Pour en revenir au tourisme, quels échos entendez-vous de la part des fournisseurs et des partenaires ?

Arthur Thenot :
Il y a beaucoup d'inquiétudes et d'interrogations, car nous ne savons pas dans combien de temps l'activité va reprendre.

En espérant que l'Europe reparte dans trois mois, nous n'avons pas les mêmes moyens et nous avons du retard dans le pic épidémiologique, donc il se peut que la relance soit longue à venir.

Puis les professionnels du tourisme ont la problématique des employés, puisqu'il n'y a pas de chômage partiel ou technique.

La semaine sainte, une grosse semaine de tourisme national et régional pour le continent, sera nulle. Les vacances de juillet me semblent hypothéquées et la population va sortir très amoindrie financièrement, donc il y aura peu de voyages intérieurs.

L'autre inquiétude vient du voisin, puisque le Brésil a pris des mesures plus que critiquables, donc nous allons connaître quelques mois compliqués.

TourMaG.com - Comment sont appréhendées les décisions du gouvernement par la population ?

Arthur Thenot :
Les Argentins sont plus contents de l'action de l'Etat, tout simplement car beaucoup de familles ont des parents en Italie ou en Espagne, ils ont eu peur que cela leur arrive.

Après nul ne peut dire comment la population vit la chose, puisque l'économie informelle est très importante.

Si dans un premier temps, les Argentins étaient rassurés, un confinement qui s'étire pourrait être mal vécu.

Les Argentins et le tourisme

TourMaG.com - Etes-vous inquiet de voir Bolsonaro, le président brésilien, prendre à la légère l'épidémie ?

Arthur Thenot :
Terriblement, même si les frontières sont fermées, le pays est très dépendant économiquement du Brésil.

Je ne sais pas si des touristes argentins sont partis en vacances là-bas, le Brésil étant un pays refuge, ils vont devoir se recentrer sur eux-mêmes.

TourMaG.com - Pour parler de politique, l'Argentine a été peu impactée par les contestations populaires, comme au Chili et d'autres pays de la région. Comment l'expliquez-vous ?

Arthur Thenot :
Des élections se sont tenues à la fin de l'année dernière, avec un président plutôt socialiste, une chose que le peuple attendait.

Entre la prise de pouvoir, en octobre 2019, les grandes vacances, il n'a pas pu vraiment prendre de grandes décisions et appliquer son programme.

Après 2019 a été une année compliquée pour l'Etat argentin, puisqu'il n'a pas pu rembourser les prêts accordés par le FMI.

TourMaG.com - Que représente le marché touristique intérieur ?

Arthur Thenot :
Il est relativement peu important, car les voyages coûtent cher pour les locaux, notamment en raison de l'aérien.

Ils ont mieux fait d'aller au Brésil ou les zones ultra-touristiques du Mexique, que de voyager dans le pays.

Après les Argentins ont tendance à contracter des crédits pour tout, puisque l'inflation est d'environ 1% par semaine, le prêt est plus avantageux.

TourMaG.com - Si ce n'est les problèmes économiques, comment qualifieriez-vous la vie en Argentine ?

Arthur Thenot :
Elle est très belle, le coût de la vie est relativement bas, le pays propose quasiment tous les paysages que nous pouvons retrouver dans le monde.

La population est très chaleureuse, la gastronomie y est développée et les vins y sont bons.

Et cette année, par chance le championnat de foot a été très disputé, ce qui entraîne une ferveur et génère une ambiance festive partout.

TourMaG.com - Quel est votre quartier préféré dans Buenos Aires ? Et pouvez-vous nous partager un lieu que vous aimez en Argentine ?

Arthur Thenot :
Tout simplement là où je vis, à Palermo (un quartier de la capitale, ndlr).

Après avoir fait un tour de la ville, j'aime bien faire découvrir la gastronomie argentine et à Parlermo nous sommes très bien servis à ce niveau.

La cuisine est un savant mélange entre les saveurs locales et les connaissances européennes.

Le quartier regorge de vie, de street-art, de restaurants et de bars.

En dehors de Buenos Aires, j'aime emmener mes amis sur "Esteros del Iberá", au nord du pays sur la route pour se rendre à Iguazu, un incontournable.

Nous nous retrouvons alors dans une lagune d'eau douce, dans une réserve naturelle, où il est possible d'admirer des cerfs, des crocodiles et de nombreux autres animaux.

C'est un lieu que j'affectionne plus particulièrement, car j'ai vécu dans la province de Corrientes pendant de nombreuses années.

Retrouvez le "Tour du monde des réceptifs" sur la carte interactive :


Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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