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Tourisme : le secteur confronté à une déferlante de sites générés par l'IA ! [ABO]

Des dizaines de faux sites dont le contenu est généré par l'IA envahissent le web


Après des mois de recherche, il est temps de tirer la sonnette d'alarme. La prolifération de sites utilisant l'intelligence artificielle pour générer aussi bien du contenu en masse que des visuels totalement déconnectés de la réalité des lieux, devient endémique. Alors qu'ils n'étaient que quelques-uns l'année passée, ils sont désormais plusieurs dizaines. Quel avenir pour les créateurs de contenu, les blogs ou les sites d'informations dédiés au tourisme ? Eléments de réponse avec François Bellot, Anastasia Legendre et Jean D'Alessandro.


Rédigé par le Vendredi 16 Mai 2025

Des dizaines de faux sites dont le contenu est généré par l'IA, envahissent le web - Photo créée par l'IA
Des dizaines de faux sites dont le contenu est généré par l'IA, envahissent le web - Photo créée par l'IA
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L'intelligence artificielle chamboule actuellement le tourisme, mais pas comme vous l'imaginez.

Sauzon rebaptisée le "Saint-Tropez breton", aux allures de village abandonné, avec ses barques posées au bord d'un chemin de cailloux ; Trouville illustrée par une photographie de Portofino ; Barfleur affublée de maisons à colombages ; le village de Marseillan bordant un lagon à l'eau cristalline ou encore la Plage Saint Guirec transformée en véritable calanque marseillaise... sans oublier le célèbre château surplombant le port du Croisic !

La "révolution" de l'IA, omniprésente dans les discussions, fait littéralement émerger de nouvelles destinations sur Google !

Une "aubaine" pour désengorger des lieux bondés diront certains, mais surtout une expérience voyageur profondément déceptive.

Car tous ces visuels ont plusieurs points communs : générés par l'IA, ils sont plus ou moins réalistes, très souvent beaux... et tous faux.

"Des personnes ont demandé à mes parents où trouver à Barfleur les petites rues pavées avec les maisons à colombages" témoigne François Bellot, le créateur du blog Que Faire en Voyage. L'endroit n'existe pas, mais ces personnes avaient vu une photo dans un site alimenté par du contenu entièrement fabriqué par l'IA.

Au fil de mes recherches, j'ai pu constater que de nombreux sites générés par l'IA attirent une forte audience grâce à Google Discover. La multiplication de ces sites coïncide avec la chute de mon trafic",
analyse-t-il.

Une situation d'autant plus grave que ces sites trompent les visiteurs, qui viennent découvrir in situ ces cartes postales digitales, tout en éclipsant de plus en plus les vrais blogs consacrés au voyage.


IA : St Martin's Week, News of Marseille... la liste des faux sites s'allonge !

Si le web mondial ne s'est pas fait en un jour, sa transformation pourrait bien être plus rapide que prévue !

Avec l'intelligence artificielle, nous pouvons déléguer le travail rébarbatif à une machine capable d'exécuter en quelques minutes des tâches qui prenaient des heures, comme la rédaction de contenus.

Cette industrialisation de la production écrite associée à la conception de sites internet a attiré l'attention de quelques malins qui ont saisi l'opportunité de monter de juteux business à moindres coûts.

Depuis maintenant quelques mois, de nombreuses pages apparaissent dans le monde entier, conçues entièrement ou en partie grâce à l'intelligence artificielle. Ce n'est pas un problème en soi, sauf quand les visuels et les textes ne reflètent en rien la réalité.

Avec l'aide de François Bellot, TourMaG a recensé les différentes publications.


Il y a d'abord le très bankable St Martin's Week, un ancien hebdomadaire disparu en 2016 et repris pour devenir une ferme à articles sur le tourisme, avec des visuels tous plus improbables les uns que les autres.

Moins international, La Drôme Montagne est une plateforme dédiée à la promotion et à la valorisation du département. Sauf que l'IA a un peu chamboulé sa ligne éditoriale, en déversant des centaines d'articles sur des top 10 et dernièrement les très angoissants "quartiers à éviter" déclinés par destination.

Nous pourrions aussi parler de News of Marseille qui parle régulièrement de villes "Moins connue que..." ou encore de TTU, abonné aux ellipses pour ne pas citer un fabuleux village à visiter.

Le Journal Catalan, créé en 2015 pour relayer l'actualité de la même région a été repris par un entrepreneur français installé en Estonie. Il publie à la pelle des articles intégralement rédigés par l'IA, allant jusqu'à attirer l'attention de France 3.

"En parcourant certains des exemples cités, j'ai eu parfois des doutes, puisque le rédacteur utilisait la première personne. Honnêtement, je pense que des personnes non sensibilisées à ce sujet peuvent facilement se faire duper et prendre au jeu. Surtout que certains outils sont désormais extrêmement performants, souligne pour sa part, Anastasia Legendre, spécialiste en stratégie numérique dans le tourisme et hôtellerie.

Je dois bien reconnaitre que cela me fait peur. Bientôt, il ne sera plus possible de faire la différence entre un texte rédigé par un humain et un autre par une machine," analyse-t-elle.

IA : News of Marseille dépasse le million de vues mensuelles

Si les exemples sont légion, tous figurent sur... Google Discover !

Cette fonctionnalité située sous la barre de recherche de Google fait remonter du contenu personnalisé en fonction des centres d'intérêt, de l'historique de navigation et de la localisation de chaque internaute.

En août 2024, "sur les 950 millions de clics générés par les services Google vers les titres de presse, 653 millions provenaient de Discover, contre seulement 238 millions pour la recherche classique et 74 millions pour Google News," rapporte Abondance, le site spécialisé en SEO.

"Sur Discover, c'est un véritable chantier. Ceux qui ont appris à maîtriser le SEO de Discover - un référencement bien différent du SEO classique - s'en donnent à cœur joie. Ils rédigent des articles selon une trame répétitive, sont très nombreux, et gagnent énormément d’argent grâce aux publicités Google," peste François Bellot, qui a vu son trafic divisé par 10 et ses revenus par 8.

La situation est telle qu’il envisage désormais de cesser son activité.

Discover étant devenu un pilier majeur du web, de nombreux entrepreneurs ont saisi l'opportunité offerte par l'IA pour générer un maximum d'audience et donc d'argent, grâce aux publicités placés sur ces sites.

Ainsi, Le St Martin's Week a drainé 240 100 vues en avril (+84,5%) quand le Journal Catalan est à 354 000 vues, la Drome Montagne dépasse légèrement les 430 000 et News of Marseille culmine à 1,397 million de vues (+59.68%), d'après les statistiques de Similarweb.

Par ailleurs, certaines plateformes ont flairé le filon, profitant de cette production à la chaine à moindre coût, pour améliorer leur référencement. Les Pépites de France et Villages Vacances ont ainsi basculé vers des contenus produits intégralement fournis par l'intelligence artificielle.

Mais alors, comment s'y prendre pour les détecter ? Après avoir balayé d'un regard le visuel, observez le nom de l'auteur, bien souvent fictif.

Toutefois, il existe d'autres techniques. "En lisant plus attentivement, on remarque que les récits suivent toujours la même construction. C’est également le cas pour la composition des phrases. Les termes employés sont souvent pompeux, parfois grandiloquents. L’IA en fait un peu trop, c’est un de ses défauts récurrents," poursuit Anastasia Legendre.

La responsable du Carillon Digital a vu son activité pivoter depuis 2023. La rédaction de contenus se fait de moins en moins demander, au profit de l’élaboration de véritables stratégies de positionnement en ligne.

La raison à cette évolution n'est pas à chercher bien loin, puisque ChatGPT génère quotidiennement 100 milliards de mots, soit l’équivalent d’un million de romans !

Une récente étude menée par Semrush indique que, sur 20 000 articles étudiés, près de 8% sont d'ores et déjà identifiés comme générés par l’IA... A ce rythme, 90% du contenu en ligne pourrait être artificiellement produit d’ici 2026.

Le web risque alors de se vider de sa substance, à commencer par les sites de tourisme.

IA : "Les blogs dans mon genre vont disparaitre"

Alors que certaines entreprises renoncent déjà à développer leur chatbot, il convient donc de rester prudents face à l’euphorie ambiante et à l’injonction quotidienne d’adopter l’IA dans son travail.

"Cette technologie a du sens pour de grands médias, mais pas pour un blog. Des médias qui ont besoin de produire en quantité, pour vendre des produits ou offrir de la visibilité à des marques. Dans un monde normal, ces articles ne devraient pas ressortir tout en haut de Google et c'est malheureusement le cas, constate François Bellot.

À mon niveau, l’IA n’a d’utilité que pour la relecture : corriger les fautes, améliorer les tournures. Et c’est à peu près tout. Les blogs ont émergé parce que les lecteurs recherchaient des contenus personnels et authentiques. Si l’on y introduit de l’IA, on en dénature l’essence même.

D'après ce que je lis et je vis, les blogs comme le mien sont voués à disparaître. Je parle de ceux qui écrivent après avoir découvert la destination. A terme, il ne restera plus que quelques médias importants, comme Génération Voyages. Il suffit de voir l'évolution des réponses de Google à une requête pour comprendre que la bataille est perdue d'avance,
" explique le blogueur.

Pour lui, les voyageurs ou internautes en quête d’inspiration n'ont désormais plus accès qu’à des pages sponsorisées, des contenus générés en masse selon des trames identiques, publiés par des géants du web - avec très peu de fond - les mises à jour et les alertes de Google pour chasser ce mauvais contenu n'y changeant pas grand-chose. Puis, très loin, viennent... les blogs.

A lire sur le sujet : Sommet IA : Il faut "une régulation mondiale" !

IA : "Les professionnels doivent réagir"

Revenons à l’étude de Semrush : sur les 8% d’articles rédigés par l’IA, 57% apparaissent dans le top 10 des résultats Google, contre 58% pour les contenus rédigés par des humains.

La différence est minime. La sanction, quasi inexistante.

"Google ne pénalise pas les textes générés par les IA, ni les sites créés à l'aide de l'IA, mais il sanctionne les sites de mauvaise qualité. À un moment donné, une photo doit être réellement représentative de la ville, commente Jean D'Alessandro, spécialiste SEO et consultant chez FLAG-IT.

Tous les acteurs qui génèrent à la volée des contenus médiocres vont se développer. Je suis de plus en plus souvent contacté par des sociétés proposant de créer un site en un clic, agrémenté de 10 000 pages fictives. Pour moi, l’IA n’a pas provoqué de révolution dans le SEO. Je parlerais plutôt d’une pollution liée à la masse d’informations produites," estime l'expert.

C'est aussi le constat dressé par François Bellot. Depuis la fin de l’année 2022 et l’apparition de ChatGPT, l’algorithme de Google semble avoir perdu sa boussole. Contrainte d’absorber à marche forcée la masse d’écrits produits par les robots, la plateforme ne saurait plus vraiment à quel saint se vouer.

A chaque mise à jour, il se retrouve en mesure de faire chuter et disparaitre des articles pourtant conçus pour lui plaire !

"Il est compliqué de connaitre le nombre de sites Internet créés dans le monde car Google ne fait plus le décompte, mais il atteint plusieurs millions chaque jour. Avec l’IA, cette création est devenue exponentielle. On en vient à se demander si la firme de Mountain View est encore capable d’analyser l’intégralité du contenu présent sur la toile, poursuit Jean D'Alessandro.

Les sites dont on parle ont un véritable impact. Les professionnels doivent réagir, car lorsqu’un d’entre eux est déréférencé, quatre autres apparaissent aussitôt," affirme l'expert.

D'après l'enquête de la rédaction de France Info, ces initiatives s’avèrent très lucratives. Elles peuvent rapporter, grâce aux publicités placées par Google, jusqu'à 100 000 dollars pour 10 millions de visiteurs.

Par chance, ces faux sites ne restent visibles que quelques mois, avant de disparaître dans les limbes du web.

IA : "Nous allons entrer dans une phase d’éducation forcée "

Pour Jean-Jérôme Danton, fondateur de KiXiT Consulting, il n'est pas question de s'inquiéter outre mesure : nous vivons une période que nous avons déjà tous vécue, notamment sur Facebook.

"Nous allons entrer dans une phase d’éducation forcée. Je me souviens de ces posts aguicheurs - pour rester poli - sur les réseaux sociaux, qui nous incitaient à cliquer, pour finalement tomber sur un article extrêmement pauvre, voire mensonger.

Nous avons réalisé qu’ils avaient disparu non pas grâce à l’évolution de l’algorithme, mais à cause du changement de comportement des utilisateurs, qui ne cliquaient plus. Ils ont fait preuve d’esprit critique et ont remis en question ces contenus.

Je pense que nous allons vivre exactement la même chose,
" avance l'expert avec une pointe d'optimisme.

Ainsi, l'humain pourrait reprendre son destin en main, du moins celui de ses prochaines vacances. En effet, il serait dommage qu'il laisse à la machine le soin de rédiger des articles d'une activité hautement centrée sur l'émotion et la sensibilité.

Une fois que les internautes se seront massivement fait berner, ils reviendront peut-être à des pratiques qui ont fait leurs preuves, qu’il s’agisse du guide papier ou des médias dotés d’une véritable légitimité.

"Utiliser de l’IA pour une activité telle que le tourisme est triste à bien des égards. Le secteur repose sur le vécu et l’expérience. Et puis, j'ose espérer que beaucoup de personnes tiennent encore à cette touche humaine. Sinon, nous risquons de tuer notre propre créativité," conclut Anastasia Legendre.

Reste à voir si, après avoir profité d’un hiver et d’un printemps confortables, ces nombreux sites ne finiront pas sur la paille… dès l’été venu.


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