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Vaccination : “Nous devrions avoir un semblant de normalité nationale fin 2021", estime Anne Sénéquier

Interview d'Anne Sénéquier médecin-chercheuse


La France et le gouvernement s'attendaient à une 3e vague épidémique en janvier, elle n'est pas venue. Puis février, ses basses températures et ses vacances ont débarqué. Depuis, nous sommes empêtrés dans une situation sanitaire qui ne cesse de se dégrader, avec un taux d'occupation en réanimation qui atteignait 91,6, contre 74,1%, le 10 mars 2021. La courbe se dresse, mais le gouvernement ne veut pas rompre et se plier à un énième confinement. Anne Sénéquier médecin, chercheuse et co-directrice de l’Observatoire de la santé mondiale de l'IRIS, revient sur la situation et se projette, notamment sur la campagne de vaccination...


Rédigé par le Mercredi 24 Mars 2021

"Nous devrions avoir un semblant de normalité nationale, en septembre si nous sommes optimistes et en fin d'année 2021, pour être réalistes" selon Anne Sénéquier (IRIS) - Crédit photo : Depositphotos @AlexShadyuk
"Nous devrions avoir un semblant de normalité nationale, en septembre si nous sommes optimistes et en fin d'année 2021, pour être réalistes" selon Anne Sénéquier (IRIS) - Crédit photo : Depositphotos @AlexShadyuk
TourMaG.com - Les chiffres ne sont pas bons du tout dans les hôpitaux français, avec des cas qui dépassent bien souvent le cap des 30 000 contaminations journalières, des services de réanimation au bord de l'implosion. Comment analysez-vous la situation ?

Anne Sénéquier :
Malheureusement, il se passe ce que nous prévoyons depuis début janvier, avec une augmentation du nombre de cas. Cette hausse a été lente, il est vrai, mais elle a bien eu lieu.

Nous n'avons pas eu d’augmentation drastique comme fin octobre ou au printemps 2020, mais un faux plat haussier. A côté de cela, vous avez eu l'émergence du variant anglais, avec sa contagiosité plus importante.

En Angleterre, il a fallu 2 à 3 mois pour que le variant devienne majoritaire sur les cas détectés. Ce qui s'est passé là-bas est arrivé chez nous, puisque 70% des cas positifs sont originaires du variant B1.

Concrètement, la situation n'est pas une surprise.

TourMaG.com - Pendant le même temps, le Gouvernement a voulu éviter un nouveau coup de massue sur la population française en évitant à tout prix un reconfinement...

Anne Sénéquier :
Le Gouvernement espérait que la vaccination rattrape l'épidémie. Cette stratégie était caduque en janvier, puis en février, mais il a persisté dans son idée.

Aujourd’hui on sent bien que l’idée est toujours celle ci, mais c’est le risque de voir les demi-mesures qui sont les nôtres… perdurer.


Dans le même temps, il y a eu des problèmes logistiques, sur lequel le gouvernement n’a pas le contrôle au niveau de la fabrication des vaccins, puis la perte de confiance en raison des complications rencontrées par AstraZeneca.

Tout cela fait que la vaccination n'a pas connu l'accélération souhaitée. Il faut aussi savoir que l'immunité collective pour la 1ère souche était évaluée à 60% de la population vaccinée, avec le variant anglais la vaccination devra couvrir 80% voire même 90% des Français.

En somme, pour protéger ceux qui ne peuvent pas être vaccinés, quasiment toute la population française devra être vaccinée. Sauf qu'aujourd'hui, nous avons moins de 10% de la population vaccinée et nous atteignons une dangeureuse saturation du système de santé.


Le Gouvernement a voulu préserver l'économie, l'école et la santé psychique des Français. L'idée est bonne, mais nous n'avons pas été en mesure de dérouler les outils qui auraient pu permettre une stratégie de ce style-là.

Nous poussons les murs en réanimation et montons des vaccinodromes à la va-vite, on a l’impression d’avancer à tâtons, alors que cela aurait dû être fait depuis longtemps déjà. On peut se demander également si ce ne sont des mesures du dernier espoir avant de confiner.

Confinement : "Presque rien n'a changé, dans la vie de tous les jours, avec la mise en place de cette nouvelle mesure"

TourMaG.com -Donc, la stratégie des œillères du gouvernement n'a pas été bonne ?

Anne Sénéquier :
Ce n'est pas ça, car en face nous n'avons pas eu les outils pour que la stratégie puisse être pertinente.

Il n'y a pas une bonne ou une mauvaise stratégie, nous le voyons depuis une année, quasiment tous les pays sont passés du statut de bon élève à celui de mauvais ou inversement en fonction de l'évolution de la pandémie.

Par contre quand une stratégie est choisie, il est indispensable d'avoir tous les outils pour que celle-ci soit gagnante, sauf que cela n'a pas été le cas.

Nous avons choisi en France de laisser circuler le virus dans la population, alors il était nécessaire d'avoir une politique de vaccination agressive, pour amener à ce que toutes les personnes vulnérables soient très rapidement vaccinées. Nous n'avons toujours pas 50% des personnes les plus vulnérables de plus de 75 ans à avoir reçu les 2 doses.

Dans le même temps, nous ne sommes pas montés en capacité de traçage et d’isolement des cas.

L'erreur est là. En laissant circuler le virus dans la population, nous augmentions le risque de voir émerger de nouveaux variants. Le variant 20c, originaire de Bretagne, a été identifié la semaine dernière.


TourMaG.com - Avez-vous des informations concernant ce fameux variant breton ?

Anne Sénéquier :
Nous n'avons pas assez de recul, pour le moment.

Nous sommes incapables de dire si le variant breton est plus transmissible, par contre ses mutations sont assez nombreuses et inquiétantes, pour que nous le regardions de plus près.

TourMaG.com - Après le gouvernement vient de mettre en place un confinement... hybride dans certains départements et sans doute plus large prochainement.

Anne Sénéquier :
Quand vous parlez de confinement, je vous trouve plutôt laxiste dans la sémantique.

Presque rien n'a changé, dans la vie de tous les jours, avec la mise en place de cette nouvelle mesure. Le gouvernement mise sur le fait que les entreprises se mettent massivement au télétravail... mais les entreprises conciliantes l’ont déjà faits, et les autres en l’absence de mesure restrictive ne le feront pas.

Le problème étant qu'il n'y a pas de contraintes pour les entreprises qui n'ont pas encore mis en place le télétravail.

En plus de cela, vous dites aux citoyens qu'il n'y a pas de restriction au niveau des mouvements et qu'il est nécessaire de sortir le plus possible, donc vous vous retrouvez avec une population qui en profite pour se retrouver en groupe.

Puis, dans le même temps, vous avez ailleurs un confinement décalé à 19h. C'est plutôt une épine de plus dans le pied supplémentaire. Nous aurons un premier bilan dans une semaine, ce n'est pas dit qu'il soit positif.

Nous amenons le virus, où nous allons.

"Aller en réanimation est quelque chose de très traumatisant, vous n'avez aucune certitude d'en ressortir debout"

TourMaG.com - Selon vous, cette annonce du 3e confinement pour la région parisienne est plutôt un effet d'annonce ?

Anne Sénéquier :
C'est de la communication.

Il faut que le gouvernement tape du poing sur la table pour que le télétravail soit adopté en nombre, pour diminuer le flux de population dans les transports en commun, et qu'être à l'extérieur soit compris comme des moments d'aération, plutôt que pour prendre l'apéro dans un endroit sympa de la ville au coude à coude avec votre voisin.

Rien n'est clair, il faut toujours lire entre les lignes, c'est pénible. Les mesures doivent être claires et compréhensibles de suite. Les Français ne doivent pas se poser de questions, sinon ils auront toujours une bonne raison de ne pas suivre les consignes.

Aujourd'hui, nous avons besoin de mesures pour faire diminuer les flux de population, donc la circulation du virus, car c’est par notre circulation que le virus circule.

TourMaG.com - Dans ces conditions, le retour à la vie normale n'est pas pour demain...

Anne Sénéquier :
A noter que la sortie du confinement pour les 16 départements, coïncide avec le début des vacances de Pâques.

Nous avons une situation sanitaire qui continue de se dégrader, je dirais que c'est normal, car il faut 2 semaines pour juger de l'impact d'une mesure. Concrètement, je ne vois pas quel changement d'ampleur pourrait entraîner une baisse de l'incidence venant par la suite saturer les réanimations.

D'ailleurs, à ce niveau, nous voyons qu'une population plus jeune est fortement présente.

Nous avons certes moins d'hospitalisations, mais plus d'entrées en services de réanimation, donc ce variant anglais génère des cas plus graves chez des patients plus jeunes.

TourMaG.com - La moyenne d'âge des personnes qui meurent du covid-19 est très élevée. Vous dites que les patients sont plus jeunes, cela concerne qui ?

Anne Sénéquier :
Disons qu'il y a un an, quand vous aviez 45 ans, vous étiez plutôt en sécurité, maintenant ce n'est plus le cas.

La moyenne d'âge n'est pas de 45 ans, mais elle diminue. Le débat actuel se résume à augmenter le nombre de lits en réanimation, mais un passage dans ces services, je ne le conseille à personne.

Aller en réanimation est quelque chose de très traumatisant pour le corps. Vous n'avez aucune certitude d'en ressortir debout. L'enjeu n'est pas d'augmenter les capacités en réanimation, mais d'éviter aux malades d'y aller.

Vaccination : "La stratégie en termes de logistique et en rapidité d'exécution n'a pas été bonne"

"La stratégie en termes de logistique et en rapidité d'exécution n'a pas été bonne" selon Anne Sénéquier - Capture écran
"La stratégie en termes de logistique et en rapidité d'exécution n'a pas été bonne" selon Anne Sénéquier - Capture écran
TourMaG.com - A vous écouter, entre un gouvernement qui essaye de ménager, à juste titre, l'état psychologique des Français et en parallèle un état sanitaire très délicat, la situation est alarmante. Après un an de crise, nous revenons au même point...

Anne Sénéquier :
C'est inquiétant pour les prochaines semaines et notre système de santé.

Après à moyen et long terme, nous sommes en retard sur la campagne de vaccination, mais en 2021, l'entièreté de la population française pourrait être vaccinée. Au final, le gouvernement va faire ce qu'il a dit, donc rattraper l'épidémie à l'aide de la vaccination, mais cela sera plus long que prévu.

TourMaG.com - Selon vous, la campagne de vaccination a-t-elle été en adéquation avec l'urgence sanitaire du pays ?

Anne Sénéquier :
L'idée de vacciner les personnes à risque était la bonne, mais il aurait fallu être plus rapide.

Nous avons commencé, il y a bientôt 3 mois et les plus de 75 ans ne sont toujours pas tous vaccinés, ce n'est pas normal. La stratégie en termes de logistique et en rapidité d'exécution n'a pas été bonne.

TourMaG.com - Dans le même temps, le vaccin AstraZeneca enchaine les contres publicités. Faut-il s'inquiéter de ses nombreux déboires ?

Anne Sénéquier :
En Europe plus de 20 millions de personnes ont reçu le vaccin Astrazeneca, avec quelques cas de thromboses.

Ces problèmes ont été retrouvés de manière usuelle dans les populations vaccinées, ce n'est pas un souci.

Par contre chez les femmes de moins de 55 ans, 7 cas ont été répertoriés, de coagulation intravasculaire disséminée (CIVD), c'est-à-dire que le système de coagulation s'emballe et consomme trop de plaquettes. Cela provoque également des hémorragies.

C'est un vrai souci, ce qui explique la limitation du vaccin Astrazeneca pour les patients de plus de 55 ans. Après cela fait partie de la pharmacovigilance et du processus normal de vie d'un vaccin ou d'un médicament.


La pharmacovigilance fait son job. Au lieu de nous faire peur, cela devrait nous rassurer.

Même si les laboratoires ont fait des études sur 100 000 personnes, une fois que le vaccin est utilisé massivement, des effets secondaires apparaissent.

Il ne faut pas s'inquiéter outre mesure et nous ne sommes pas allés trop vite pour sortir ce vaccin. Ce qui serait inquiétant, c'est que l’on nous dise que nous avons que des vaccins qui fonctionnent très bien, sans aucun effet secondaire, ça serait suspect.

Nous ne pouvons pas faire des tests cliniques sur 20 millions de personnes.

"Nous devrions avoir un semblant de normalité nationale, en fin d'année 2021, pour être réaliste"

TourMaG.com - Nous en savons plus sur la protection des vaccins contre les différents variants ?

Anne Sénéquier :
Pour le variant B1, soit le variant britannique, les vaccins sont efficaces, par contre pour celui Sud-Africain et les autres, l'efficacité serait moins évidente.

Le variant brésilien est à regarder avec une très grande vigilance, car nous ne sommes pas sûrs d'être immunisés malgré la vaccination, tout comme le Sud-Africain.

TourMaG.com - Pour en venir au tourisme, au regard de vos réponses, nous nous rendons compte que la reprise des voyages long-courriers ne sera sans doute pas pour cet été...

Anne Sénéquier :
Dans l'immédiat ce sera compliqué.

Après la technologie de Pfizer et des vaccins ARN messager permet d'adapter la réponse aux variants. D'ailleurs Pfizer travaille actuellement dessus. Contrairement à la grippe, nous n'avons pas vraiment de saisonnalité de la covid-19.

Les campagnes de vaccination, même au niveau mondial, peuvent être retardées par l'émergence de variants. D'autant que nous observons des problèmes de fabrication dans toute l'industrie pharmaceutique.

De fait la stratégie "vivons avec le virus" est très problématique, car en augmentant le risque d’émergence de nouveau variant, elle impacte notre stratégie de vaccination.

D'une manière ou d'une autre, en France, nous arriverons à vacciner la population. Nous devrions avoir un semblant de normalité nationale, en septembre si nous sommes optimistes et en fin d'année 2021, pour être réalistes.

Bien sûr, ce scénario ne prend pas en compte l'arrivée de potentiels variants ou problème dans la logistique de vaccination.

En 2021, nous allons devoir encore être vigilants, l'insouciance nationale interviendra peut être en 2022, et l'insouciance internationale pas avant 2023, minimum.

Quand je parle d'insouciance, cela signifie que nous pourrons aller n'importe où, comme avant.


TourMaG.com - Sous réserve de l'absence de nouveaux variants...

Anne Sénéquier :
Bien sûr, mais aussi de faire fonctionner le COVAX (une initiative ayant pour but d'assurer un accès équitable à la vaccination contre la covid-19 dans 200 pays, ndlr).

Vous savez que l'Europe, en raison des retards dans la livraison de l'AstraZeneca, menace de bloquer les exportations qui vont majoritairement alimenter le COVAX.

En somme, nous voulons garder en Europe les vaccins, sans regarder ce qu'il se passe à l'international.

Le passeport vaccinal va prendre un peu plus d'ampleur, d'ailleurs c'est une bonne chose que la question se pose au niveau institutionnel, même si c’est un débat compliqué, car cela permet d'éviter de laisser le secteur privé se saisir du sujet et de la faire de manière chaotique.

A propos d'Anne Sénéquier :

Le Dr Anne Sénéquier est chercheuse à l’IRIS, spécialisée sur les questions santé.

Elle est titulaire d’un doctorat en psychiatrie, suivi d’une spécialisation en pédopsychiatrie.

Dans le but de s’orienter vers l’humanitaire, elle double son cursus d’un master de « santé publique - épidémiologie » et d’un master « Action humanitaire : enjeux stratégiques et gestion de projet » au sein de l’IRIS Sup’ où elle enseigne désormais la santé publique dans la coopération internationale.

Elle a notamment travaillé avec Médecins sans Frontières (MSF), et Action contre la faim (ACF) comme référent médical. Aujourd’hui, elle est responsable mission chez Médecins du Monde (MdM).

Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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