TourMaG.com, le média spécialiste du tourisme francophone
TourMaG.com, 1e TourMaG.com, 1e

logo TourMaG  




Voyage et tourisme : des philosophes des lumières aux sociologues de l’ombre [ABO]

L'humeur de Jean Pinard


Alors que certains sociologues dénoncent le voyage comme une norme imposée, d'autres y voient un acte d’ouverture et d’apprentissage. Entre critique sociale et quête de sens, Jean Pinard, nous expose son point de vue à la veille des vacances estivales.


Rédigé par le Vendredi 27 Juin 2025

Voyage et tourisme : des philosophes des lumières au sociologues de l’ombre - Depositphotos.com
Voyage et tourisme : des philosophes des lumières au sociologues de l’ombre - Depositphotos.com
Vous pouvez acheter cet article à l'unité pour le prix de 3,99 € en cliquant ICI ou vous abonner pour 83€ TTC par an.

Il fut un temps où voyager était considéré par les philosophes comme un moyen pédagogique pour parfaire son éducation, pour apprendre, au contact du monde, un savoir que les livres ne pouvaient délivrer.

Ces philosophes n’étaient pas tous d’accord sur les bienfaits du voyage, mais le plus grand nombre s’accordait à considérer le voyage comme « un temps utile » pour les jeunes, à condition de définir cette utilité. On ne se résout pas à ce que le voyage ne serve à rien. S'il faut encourager la jeunesse à s'aventurer sur les routes, ou du moins accompagner cette pratique, il faut lui trouver une fonction pédagogique. Toute la difficulté est de savoir laquelle...

C'est en allant à la rencontre d'autrui, en découvrant des traditions différentes et des paysages inconnus, que l'on s'enrichit. En cela, le voyage agit comme une forme de thérapie, le fait de quitter son univers entraînant avec lui un changement d'état d'esprit, une culture de l’ouverture et de la tolérance.

Mais tout ça, c’était avant !


Avant que les sociologues du XXIe siècle se penchent sur le sujet, et décrètent, je cite, « que le voyage est devenu une injonction sociale ». Cette approche n’est pas vraiment nouvelle, elle traduit une forme d’école sociologique, qui considère qu’il serait temps d’arrêter de considérer que les vacances vont de pair avec le fait de partir, et qu’il serait temps de reconsidérer l’usage du temps libre en faisant fi de cette injonction sociale.

Pourquoi pas, il y aurait des tas de choses à dire sur l’usage du temps libre, mais en ce qui me concerne, je suis beaucoup plus inquiet de la place prise par le divertissement digital dans le temps libre, que par l’injonction qui obligerait les gens à partir en vacances pour faire comme les autres. Mais dans cette vision un poil idéologique, ce qui me gêne le plus, c’est ce mélange qui confond voyages, grandes vacances, tourisme, industrie du tourisme, week-ends.

Je suis parti en vacances avec mes parents qui étaient profs, mais mon premier vrai voyage, je l’ai fait à 16 ans avec des copains en traversant les Alpes à vélo. On ne peut pas tout confondre, tout mélanger, tout juger, parce qu’à la fin on ne produit que du déterminisme social, et donc je le redis une fois encore, du mépris de classe.

A lire aussi : Voyageur contre touriste : le nouveau snobisme ?

Partir en vacances serait devenu tellement banal, qu’il s’agirait de ringardiser l’envie de voir d’autres paysages, d’autres gens aussi. L’émancipation ne passerait plus forcément par le déplacement, mais par un apprentissage qui nous permettrait d’apprécier la proximité, de redécouvrir le local. Sur le fond, oui bien sûr qu’il faut encourager une nouvelle forme de pratique des loisirs du quotidien, c’est même une évidence.

J’écris ces lignes dans mon jardin ombragé, dans ma maison auvergnate, il n’y a pas un bruit, à midi je prendrai mon canoë pour aller faire un tour sur l’Allier, et ce soir à la fraîche, j’irai marcher sur un des nombreux sentiers de randonnée qui me fera grimper en haut du Puy qui domine mon village, pour regarder le soleil se coucher sur la chaîne des Puys.

C’est sûr que dans ces conditions j’apprécie la proximité, et que mon « besoin de partir en vacances » n’est pas le même que celui qui ne bénéficie pas des mêmes conditions de vie.

On oppose à l'enthousiasme de Montaigne ou de Rousseau, qui voyaient dans le voyage à l'étranger une invitation à devenir soi-même un étranger pour les autres, un voyage qui serait devenu une forme d'injonction sociale. J'imagine que tous ceux qui sont allés à la fête de la musique samedi soir ont répondu eux aussi à une injonction sociale qui les obligeait à sortir de chez eux.

J’imagine que tous ceux qui font du sport ou mangent des fruits et des légumes tous les jours, répondent aussi à cette injonction sociale. Définir toute pratique sociale de masse par une injonction sociale, c’est poser un jugement de valeur.

A lire aussi : Qui pour croire encore à la démocratisation du tourisme ?

"Je sais bien ce que je fuis et non pas ce que je cherche", disait encore Montaigne. Eh bien, voilà une sagesse du voyage. Ce qui nous fait voyager, au fond, c'est l'ignorance. À quoi bon voyager si l'on sait déjà tout et tout ce que l'on peut trouver ? Et cette ignorance, elle m’anime encore aujourd’hui, alors que je viens de reprendre une carte Interrail pour traverser les Alpes centrales en train, et poser un autre regard sur ces paysages de montagne.

Donc on mélange sciemment dans ce qu'on appelle l'industrie touristique : des familles qui partent une semaine par an, des voyageurs inconscients adeptes d’un aller-retour à la journée, des jeunes qui prendront le train pour la première fois pour visiter quelques capitales européennes, des propriétaires de résidences secondaires qui, tous les week-ends, quittent Paris le jeudi soir pour aller télétravailler dans le Morvan.

Dans le dernier Usbek & Rica, le sociologue Rodolphe Christin écrit : « je ne crois pas que le tourisme soit un véritable vecteur d’ouverture à l’altérité, la tendance forte du tourisme est avant tout une logique de repos et de divertissement ».

Alors oui, peut-être, mais quel rapport avec le voyage ?

On peut encourager une pratique plus sobre du voyage en nombre de kilomètres, et considérer que traverser le Massif central en VTT entre potes à la sortie du bac peut être le plus beau des voyages. Et si d'autres veulent traverser l'Europe en auto-stop, ou le Canada en train, le voyage sera beau aussi et ne relèvera d'aucune injonction, juste d'une envie, qui n’a rien à voir avec la fuite d’un quotidien insupportable.

Voyager pour devenir un étranger pour les autres relève plus d’une approche humaniste que d’une injonction sociale. Voyager pour partir à la rencontre de l’autre n’est pas un marqueur de réussite, mais un marqueur d’ouverture et de curiosité, et puisque qu’il s’agit de (re)faire le débat sur l’usage du temps libre, j’ai la conviction que cette ouverture vers le monde s’oppose à l’isolement engendré par le divertissement digital.

Ce qui me gêne dans ce débat et cette critique récurrente du voyage et des vacances (et donc du tourisme), c’est de voir que des sociologues passent plus de temps à porter un jugement de valeur sur le contenu de nos vacances, alors qu’il me semble que l’injonction sociale, la vraie, c’est plutôt celle qui oblige les plus précaires à être assignés à résidence, faute de ressources pour voyager.

Bonnes vacances, avec ou sans injonction sociale.

Jean Pinard - Mini Bio

Jean Pinard - DR
Jean Pinard - DR
Président de la société de conseils Futourism :

Forestier et géographe de formation, Jean Pinard a toujours travaillé dans le secteur des sports et du tourisme.

Moniteur de kayak, chauffeur de bus, guide, gestionnaire de sites touristiques, directeur de CDT et de CRT (Auvergne et Occitanie), Jean Pinard est redevenu consultant, son premier métier à la SCET, à la fin de ses études.

Lu 491 fois

Tags : jean pinard
Notez

Commentaires

1.Posté par Martino180 le 27/06/2025 09:19 | Alerter
Utilisez le formulaire ci-dessous pour envoyer une alerte au responsable du site concernant ce commentaire :
Annuler
Il a 100% raison.
Cette culpabilité infusée sur nos pratiques sociales deviennent frustrantes pour chaque individu.
Chacun doit pourvoir faire ce qui lui plait même si bien entendu c'est la plupart du temps influencé par nos conventions sociales.
c'est comme quand on choisit le prénom d'un de nos enfants. On croit en avoir trouver un qui soit original, puis 6 ans après à la rentrée des classes on découvre qu'il y a 5 enfants qui ont le même prénom !!!!

Nouveau commentaire :

Tous les commentaires discourtois, injurieux ou diffamatoires seront aussitôt supprimés par le modérateur.
Signaler un abus









































TourMaG.com
  • Instagram
  • Twitter
  • Facebook
  • YouTube
  • LinkedIn
  • GooglePlay
  • appstore
  • Google News
  • Bing Actus
  • Actus sur WhatsApp
 
Site certifié ACPM, le tiers de confiance - la valeur des médias