Aérien : pourquoi les retards vont exploser ? [ABO]

L'été pointe le bout de son nez depuis quelques semaines et pourtant le ciel européen s’assombrit déjà

Après un week-end éprouvant, marqué par l’annulation soudaine de nombreux vols par Transavia, agents de voyages et passagers redoutent les prochaines annonces des syndicats.

Les difficultés ne se résument pas aux seules revendications salariales ou sociales, elles sont aussi structurelles. C’est en tout cas l’un des thèmes abordés lors du Conseil de l’Union européenne consacré aux Transports.

Les ministres des États membres ont débattu d’un sujet épineux : celui des capacités du contrôle de l’espace aérien.

"Nous constatons avec plaisir l’augmentation du trafic depuis la fin de la crise sanitaire.Toutefois, les limites des capacités aériennes - dont nous avons déjà débattu à maintes reprises au conseil - reviennent à l'ordre du jour.

La situation pourrait encore se compliquer en raison des besoins militaires, des phénomènes météorologiques extrêmes ou des mouvements de grève.

Il est urgent d’agir," a introduit Dariusz Klimczak, le ministre des Infrastructures polonais, maitre de cérémonie de l'évènement.

Pour illustrer ces propos, le directeur général d’Eurocontrol a pris la parole… sans mâcher ses mots.

Avant son intervention, le représentant de la Commission européenne a tiré la sonnette d’alarme sur une situation jugée critique et cela dans de nombreux pays.

Le contrôle aérien y atteint ses limites.

Pour éviter un chaos annoncé, les ministres doivent agir dès maintenant. À défaut, l’écart entre la demande croissante en matière de transport aérien et les capacités de contrôle va se creuser, provoquant de lourdes perturbations pour les voyageurs.

À ce stade, les actions engagées restent insuffisantes et trop tardives.

A lire sur le sujet : Droits des passagers : le point à Bruxelles sur la réforme !

"L’aviation fait face à l’un de ses plus grands défis aujourd’hui. Pour cet été et les suivants, la situation est loin d’être idéale. Vous devez en être conscients (il s'adresse aux ministres des Transports de l'UE, ndlr) : il y aura de graves difficultés pour les passagers partout en Europe.

Pour mieux comprendre l’ampleur du problème, rappelons que l’été dernier a été le pire en 25 ans en matière de retards. La principale cause ? Nous ne disposions pas d’un nombre suffisant de contrôleurs pour faire face à la demande.

Cette carence a représenté 46 % des retards en 2024, et déjà 51 % en 2025. Cela doit nous alerter. Nous frôlons les niveaux de perturbation constatés dans les années 1990.

Durant l’été 2024, nous avons connu 21 journées noires, soit cinq fois plus que la normale.

Le 1er juin dernier, nous avons enregistré la première journée critique de l’été : les retards moyens ont atteint entre 30 et 35 minutes.

C’est totalement inacceptable," a déclaré sur un ton alarmant Raúl Medina, le directeur général d'Eurocontrol.

Le directeur général d’Eurocontrol évalue à 20 millions d’euros le coût d’une seule journée de très forte affluence pour les compagnies aériennes.

Il alerte sur la pénurie actuelle et future de contrôleurs aériens, et insiste sur l’urgence d’inciter les prestataires à atteindre les effectifs nécessaires pour assurer un contrôle efficace de l’espace aérien.

Il pointe du doigt plusieurs zones critiques, notamment tout l’Est de l’Allemagne, le Sud de la France et la Corse, le Sud et l’Est de l’Espagne, ainsi que l’ensemble du territoire grec.

En raison de la densité exceptionnelle du trafic et du nombre élevé de rotations quotidiennes, un retard de cinq minutes à Berlin peut se transformer, en fin de journée, en des dizaines de minutes, voire plusieurs heures, à Athènes.

L'effet papillon à la sauce aéronautique.

"Le nombre de contrôleurs est, dans certaines régions, de 10 à 20 % inférieur aux besoins réels.Nous avons besoin de capacités supplémentaires, car la demande augmente rapidement : +5 % cette année, et cette tendance va se poursuivre. Eurocontrol a travaillé pendant des mois pour définir des mesures. Nous sommes prêts à mettre en œuvre un plan pour que l’été se déroule dans de bonnes conditions.

Mais tout le monde doit suivre ce plan à la lettre. Or, l’année dernière, de nombreux acteurs ne l’ont pas respecté.

Vous devez vous assurer que vos fournisseurs disposent d’un nombre suffisant de contrôleurs. Ils doivent recruter davantage pour offrir une flexibilité opérationnelle, surtout pendant les périodes de pic.

Si nous ne changeons pas en profondeur les fondements du système, nous ne pourrons pas répondre à la demande future.

Il faut accélérer l’automatisation. Nous ne pouvons pas attendre 20 ans pour déployer les technologies essentielles qui rendront le système plus global et plus efficace. Sans investissements, nous allons nous heurter à des limites structurelles déjà atteintes. La technologie et la numérisation sont les seules réponses viables.

Les retards risquent d’échapper à notre contrôle si nous ne réagissons pas rapidement," a appuyé Raúl Medina.

Comme l’a expliqué le dirigeant d’Eurocontrol, le temps est venu de moderniser les installations.

La France a engagé ce processus, mais cela reste insuffisant.

A lire : Aérien : le contrôle européen au bord du chaos ?

"Sur ce sujet, nous avons pleinement conscience des efforts à fournir. D’ailleurs, nous mettons en œuvre des mesures ambitieuses.

Ces efforts doivent être poursuivis, voire même renforcés, je le sais. Pour ce faire, la mise à disposition, le cas échéant, de financements européens serait essentielle dans les années à venir," a demandé Philippe Tabarot, le Ministre français des Transports.

De son côté, l’Espagne, elle aussi pointée du doigt par Eurocontrol, a reconnu une congestion croissante de son espace aérien depuis l’été 2024.

Son ministre a appelé à une coopération européenne renforcée pour surmonter ces difficultés. Quant à l’Allemagne, principal émetteur de touristes en Europe, elle affirme avoir déjà mis en place plusieurs solutions.

"Concernant les effectifs de contrôleurs, nous pensons qu’il serait pertinent de faire appel à d’autres entités, notamment les forces aériennes.

Nous proposons également, au-delà de mesures spécifiques, une action coordonnée visant à développer une approche fondée sur l’intelligence artificielle, ainsi qu’un mécanisme renforcé de gestion des prestations, qui prévoirait des pénalités pour les fournisseurs de navigation aérienne défaillants," a suggéré le représentant du Portugal.

Bien que conscients de l’urgence et des enjeux, les ministres n’ont pas donné l'impression de vouloir s’engager davantage à ce stade.

Le président de la cession a pris bonne note de l'importance des goulets d'étranglement, "nous reviendrons probablement sur ce sujet, une fois que nous y verrons plus clair, notamment sur les solutions nécessaires pour en sortir."

Une manière diplomatique de reléguer le dossier dans les méandres bruxellois...