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FUTUROSCOPIE - Les écrivains voyageurs : Fernando Pessoa, Lisbonne comme unique voyage

Les tendances touristiques contemporaines décryptées par les écrivains


Fernando Pessoa n’a accompli qu’un seul grand voyage : celui qui l’a ramené de Durban où il a vécu enfant jusqu’à à Lisbonne où il passera la totalité de sa vie. Agé de 17 ans à son retour, il ne quittera plus ni le Portugal ni sa capitale qu’il arpentera indéfiniment avec la curiosité, la frénésie, la passion de tant d’autres de ses confrères écrivains tels Kafka à Prague ou plus tard Henry Miller à Paris et Paul Auster à New-York. Il faut dire qu’entièrement accaparé par ses nombreux voyages intérieurs, l’écrivain portugais n’avait guère besoin de fuir pour éprouver de grandes émotions. Les émotions, il les vivait partout, au coin des rues, sur le port, dans les cafés d’une capitale au passé illustre, en plein développement dans les années d’entre-deux-guerres, mais déjà coincée dans les tourments du fascisme naissant.


Rédigé par le Mardi 27 Décembre 2022

Fernando Pessoa restait attaché à l’univers des voyages et se montrait irrémédiablement sensible à l’air du large, dont l’océan et les vents de l’embouchure du Tage lui balayaient le visage. - Depositphotos.com Auteur ifeelstock
Fernando Pessoa restait attaché à l’univers des voyages et se montrait irrémédiablement sensible à l’air du large, dont l’océan et les vents de l’embouchure du Tage lui balayaient le visage. - Depositphotos.com Auteur ifeelstock
Singulier personnage que cet écrivain que le vingtième siècle découvre tardivement avec émerveillement et reconnaît comme l’une des plus grandes plumes de son temps.

Pessoa, un nom qui signifie « personne » n’était pas « personne ». Aimant errer sur les grands espaces de l’âme et pénétrer les frontières de l’être, il s’est incarné dans des personnages créés de toutes pièces qui ont fait de lui un homme et un écrivain pluriels. Pessoa « personne » était « plusieurs » ! Qui exactement ?

Ses hétéronymes : Ricardo Reis, Alvaro de Campos, Bernardo Soares, Alberto Caeiro constituent les quatre « autres » sous les noms desquels il a écrit, et qui, à sa mort en 1935, continueront pour l’éternité́ d’incarner les « doubles » de cet écrivain ravagé par la boisson, la solitude et les tourments intérieurs, mais qui portait en lui « tous les rêves du monde ».

Où retrouvera-t-on ces écrits ? Sur les papiers jaunis d’une quantité énorme de cahiers cachés, hasard ou coïncidence, dans une malle de voyages ! Car, malgré́ son immobilité, Fernando Pessoa restait attaché à l’univers des voyages et se montrait irrémédiablement sensible à l’air du large, dont l’océan et les vents de l’embouchure du Tage lui balayaient le visage.

Voyageur statique mais citadin convaincu, accroché aux collines de Lisbonne, amarré dans un modeste bureau de gratte-papier où il gagnait fort mal sa modeste vie, le poète qui, à travers l’un de ses personnages, dit « n’être rien » n’en finissait pas d’arpenter la capitale portugaise « sa demeure ».

Il flânait surtout dans les ruelles de la Baixa où il vivait et les collines de l’Alfama tandis qu’il avait son rond de serviette dans ce café́ immense de la Praça do comercio qui est devenu aujourd’hui un lieu de mémoire. Confortable, élégante, les murs couverts de photos de l’écrivain, cette brasserie Martinho da Arcada n’est cependant que le second lieu de mémoire du poète dans cette capitale portugaise qui aujourd’hui déploie un « merchandising » exagéré́ autour de lui.

Reproduisant à l’infini son portrait sur des mugs et des tee-shirts vendus à un public dont la majorité n’a jamais lu une ligne de son œuvre, Lisbonne compte un autre café : le cafe ́ Brasileira dans le quartier du Chiado où la population lisboète a tenu à̀ honorer le génie de Fernando Pessoa. Inauguré en 1922, ce café s’est même offert une statue de bronze de l’écrivain qui le présente au repos, plongé dans sa réflexion, avant de reprendre ses promenades diurnes, dans le tapage et l’agitation de la vie quotidienne d’une grande ville, et ses promenades nocturnes dans le silence d’une métropole sombre, encore à la traîne du progrès, souvent sale et misérable « qui lui donne parfois la nausée ».


« Une cité océan, une cité navire »

Car, si Lisbonne est aujourd’hui une grande ville touristique où les avions atterrissent à la chaîne en provenance de toute l’Europe et du monde, provoquant des phénomènes de « sur tourisme » effrayant à certaines époques de l’année, ce n’était guère le cas en ces années de plomb (de 1913 à 1934) où l’écrivain très alcoolisé dérivait à travers ses rues et son ambiance inimitable : « J’aime, par les lentes soirées estivales, ]i » écrivait-il dans « Le livre de l’intranquillité , son chef d’œuvre, « ce calme de la ville basse, et plus encore le calme accru, par i[contraste, de ces quartiers plongés en pleine agitation ».

Plus que tout, ce qui retient l’écrivain en ville c’est son ciel qu’il évoque avec des mots qui le transforment en authentiques peintures : « i[Nuages, ils viennent du large vers le château Saint George [...] dans un désordre tumultueux et nu, teintés parfois de blanc, en s’effilochant pour je ne sais quelle avant-garde. D’autres plus lents sont presque noirs, [...] ils noircissent de leur passage plus que de leur ombre le faux espace que les rues prisonnières entrouvrent entre les rangées étroites des maisons ]i».

Et puis, pour l’écrivain, Lisbonne cernée par l’océan et le Tage, qui en fait la personnalité, est une « cité océan » et « une cité navire » où, c’est vrai, l’on prend le bateau comme l’on prend un tramway et d’où l’on peut voguer en revenant très vite à quai.

Anonymat garanti pour les « intranquilles »

Mais, trêve de minéralité et de matérialité. Ce qui fait le charme de Lisbonne et de bon nombre d’autres grandes villes, c’est l’anonymat qu’elles permet. Formidable labyrinthe dans lequel nul ne vous connaît et nul ne vous dérange, la grande ville est aussi cet « ailleurs » où nul ne vous juge car nul ne vous voit.

Une constante dans la littérature urbaine et l’attitude de nombreux voyageurs, surtout les plus jeunes, qui s’adonnent au tourisme urbain, à seules fins de s’y construire, souvent en transgressant leur véritable identité. En ville, on peut se transformer en un artiste bohème, changer de sexe, changer d’apparences, changer de métier, d’histoire et même devenir fou sans que personne s’en aperçoive et cherche à vous remettre dans le droit chemin. Une des raisons pour lesquelles Pessoa était « quadruple » ?

Peut-être. Enfin, sans doute ! A moins qu’il n’ait aussi cherché en permanence à fuir son « moi » originel pour s’essayer à̀ d’autres vies, sans pour autant avoir à̀ composer des « romans ». Car Fernando Pessoa a été très peu inspiré par la fiction. Il ne laisse quasiment aucune œuvre de fiction.

Pour incarner son génie, il laisse seulement une littérature intime et éminemment philosophique dans laquelle son unique sujet est l’humain. Lui qui fréquentait si peu d’hommes et encore moins de femmes. On ne lui connaîtra qu’une histoire amoureuse ! Et encore, était-ce bien une histoire ? Mais cet homme, vous l’avez compris, restera un mystère et un secret.

« Ma conversation avec la ville »

Enfin, que dire encore de ce corps à corps permanent avec la ville à laquelle s’adonne l’auteur ? Toujours dans le Livre de l’intranquillité (écrit sous le pseudonyme de Bernardo Soares), le poète déclare : « Ma promenade silencieuse est une conversation ininterrompue, et nous tous, hommes, maisons, pierres, affiches, ciel, sommes une grande foule amicale nous coudoyant de mots dans le vaste cortège du destin ».

Mieux, il précise au sujet des passants qu’il rencontre : « Certains jours, chaque être que je rencontre, et plus encore ceux qui font partie de ma routine quotidienne, assument la valeur d’un symbole et, soit en s’isolant, soit en s’unissant, forment une écriture occulte ou prophétique, image en ombres de ma vie ».

On le voit, la ville et le voyage qu’elle offre, est multifonctions, multi-visages, multi-facettes, multi-symboles. La ville se vit et se conjugue à tous les temps et à toutes les personnes. Et c’est en cela qu’elle est un voyage. Alors que si l’on prend Kafka par exemple, éternel promeneur de sa ville natale de Prague : « la ville est un lieu abstrait » que l’on regarde par une fenêtre !

En revanche, Léon Paul Fargue, autre exemple, se transforme en ce « piéton de Paris », titre de l’œuvre dans laquelle il honore les quartiers populaires dans lesquels, peu connu à l’époque, il flâne indéfiniment. Pour lui comme pour tant d’autres, « il suit son chemin à travers ses propres impressions visuelles et désordonnées ».

Car la ville est pour lui un phénomène visuel immédiat ! Sans oublier que pour tant de personnages balzaciens, elle est le territoire de la vengeance sociale, de la tentative d’accomplissement de soi, de la débauche et un formidable guide de la capitale française au dix-neuvième siècle que l’éditeur et auteur Louis Hazan a mis en lumière.

… On pourrait aussi citer les innombrables écrivains qui ont battu les trottoirs de New-York et ceux de cette « exception artistique » mondiale qu’est Venise qui, sous la plume de Casanova ou de Stendhal ou de Paul Morand n’a jamais dérogé à son pouvoir de séduction…

Retrouvez les autres articles de notre série "La contribution des écrivains voyageurs"

Josette Sicsic
Josette Sicsic
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com

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