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Tour du monde des réceptifs : en Colombie, les danseurs de salsa ont remisé leurs chaussures...

Interview de Julien Rouyrre, directeur général d'Aventure Colombia


Face à une situation de confinement (presque) généralisée au niveau mondial, la rédaction de TourMaG.com s'adapte. Tandis que les tour-opérateurs sont sur le pont pour faire rentrer les voyageurs et que les agences de voyages tentent de convaincre leurs clients de reporter les séjours, les réceptifs se démènent pour leur survie, loin des aides de l'Etat Français. Nous avons décidé de prendre de leurs nouvelles. Aujourd'hui, direction la Colombie et Bogotá avec Julien Rouyrre, directeur général d'Aventure Colombia.


Rédigé par le Vendredi 10 Avril 2020

A Bogotá, la vie est à l’arrêt, mais dans de nombreuses villes, le confinement n'est pas suivi par la population face à l'urgence de vivre et gagner de l'argent - DR : Julien Rouyrre
A Bogotá, la vie est à l’arrêt, mais dans de nombreuses villes, le confinement n'est pas suivi par la population face à l'urgence de vivre et gagner de l'argent - DR : Julien Rouyrre
TourMaG.com - Quelle est la situation pour Aventure Colombia ?

Julien Rouyrre : Avant la crise du coronavirus, nous étions 40, avec la baisse de l'activité, nous avons dû licencier un peu.

Nous étions sur une très bonne dynamique puisque les voyageurs et notre équipe doublaient tous les deux ou trois ans.

Même si nous avons encore pas mal de projets et d'ambition, sur la clientèle individuelle nous n'avons pas eu d'autres choix de réduire notre staff.

L'activité n'est pas totalement atone car nous recevons toujours des devis pour des groupes.

Nous avions par le passé 4 bureaux, dont le principal à Bogotá, un autre à Medellín, Cali, mais avec le coronavirus, celui de Carthagène a été malheureusement fermé.

TourMaG.com - En France, nous parlons très peu de l'Amérique Latine. Comment la Colombie subit-elle cette crise ?

Julien Rouyrre :
Ce n'est pas étonnant, j'espère que nous n'allons pas faire les gros titres, cela signifierait que la situation est dramatique ici.

Par chance, la Colombie a été l'un des premiers pays de la région à réagir et à prendre des mesures assez fortes, c'est une bonne chose.

Dès le 17 mars 2020, le gouvernement a instauré l'état d'urgence, puis après la mobilité a été limitée, en fermant progressivement les frontières.

Toutefois, nous avions beaucoup de touristes partout dans le pays et d'autres en arrivée, nous avons dû faire tous les changements nécessaires et modifier les itinéraires.

C'était le branle-bas de combat pour s'occuper du rapatriement. J'ai passé deux jours complets à l'aéroport pour organiser les départs des derniers groupes et négocier avec les compagnies aériennes.

TourMaG.com - Vous êtes tous confinés ?

Julien Rouyrre :
Depuis le 24 mars, le confinement a été instauré jusqu'au 13 avril 2020.

Nous avions eu une répétition à Bogotá, car la maire avait simulé une quarantaine dans la ville du 20 au 23 mars 2020, ce qui fut une bonne chose pour préparer la population.

Le pays a enregistré 1 500 cas pour 35 morts, le bilan est très raisonnable par rapport aux chiffres européens, mais nous avons du retard.

Nous ne savons pas à quoi nous attendre, des bonnes mesures ont été prises, sauf que dans certaines parties du pays, la population les respecte plus ou moins.

"La capacité du système hospitalier à affronter la crise est une vaste question"

TourMaG.com - La Colombie possède toute une économie parallèle importante, comment la population vit-elle cette situation ?

Julien Rouyrre :
A Bogotá, le confinement est bien suivi, mais dès que vous vous éloignez, ce n'est plus la même réalité.

Le problème de la Colombie est que l'économie informelle est très importante, beaucoup de personnes vivent au jour le jour.

Ce n'est pas facile pour une grande partie de la population de s'y retrouver financièrement, même si le gouvernement a débloqué des aides.

Les montants sont très limités, des distributions de nourriture ont été mises en place, des centres d'accueil ont été ouverts, etc.

Le plus important dans cette crise étant d'appuyer les familles qui ont peu de ressources, pour maîtriser la situation et l'envolée de l'épidémie.

TourMaG.com - Vous avez la double nationalité. A aucun moment vous n'avez pensé rentrer en France, en raison du coronavirus ?

Julien Rouyrre :
La question ne s'est pas posée, ma vie est ici. Par contre je l'ai recommandé à mes salariés avant la fermeture des frontières

Nous ne savons pas combien de temps le confinement va durer, ni quelle sera l'ampleur de la catastrophe, puis tout le monde a de la famille en France, donc je préfère les savoir près de leurs proches.

Les caractéristiques de la maladie font qu'elle s'attaque aux personnes âgées et aux organismes les plus affaiblis, c'est préoccupant, car nous ne pouvons plus rentrer.

TourMaG.com - Vous n'avez pas de craintes particulières ?

Julien Rouyrre :
A l'heure actuelle, pas vraiment. Mais la capacité du système hospitalier du pays à affronter la crise est une vaste question, à laquelle je n'ai pas la réponse.

Les ratés sont déjà nombreux dans les pays industrialisés, il faut être lucide. Si l'épidémie prend la même ampleur qu'en France ou en Italie, nous allons être totalement débordés.

Nous n'avons pas les mêmes ressources, je ne vais pas cacher que l'inquiétude est palpable. Surtout que la situation dans les pays voisins est relativement alarmante, notamment en Equateur.

Pour le moment tout va bien, nous espérons que les décisions prises rapidement suffiront, nous essayons de rester optimistes.

Il n'est pas possible de faire respecter le confinement partout, même en France il y a des débordements, une partie de la population ne se rend pas vraiment compte.

TourMaG.com - Il y a beaucoup de laxisme en France, les Français ne saisissent pas toujours l'importance et l'urgence de la situation...

Julien Rouyrre :
J'ai cru comprendre, je dois reconnaître que la Colombie fait des efforts importants.

Par exemple, j'ai reçu des appels des organisations de santé pour savoir si j'avais des symptômes et des problèmes, suite à un rapide séjour en France.

A la même période, ma femme a dû rentrer de façon anticipée du Mexique, elle a donc reçu des appels pour suivre son état de santé, et même une délégation s'est rendue dans son village familial pour la contrôler.

Le coronavirus n'est pas pris à la légère.

"Je ne sais pas combien de temps l'Etat pourra tenir et la population aussi"

TourMaG.com - Les autorités ont fait l'essentiel pour rassurer et protéger la population...

Julien Rouyrre :
Il me semble que nous sommes sur les bons rails.

Toutefois, pour la suite des événements, nous sommes en pleine incertitude, car le 13 avril, le confinement total devrait laisser place à un "confinement intelligent" selon les propres mots du Président.

En résumé, la population va devoir se responsabiliser, pour permettre la reprise d'une partie de l'activité économique.

De mon point de vue, je m'attends à une prolongation du confinement, ce qui serait une décision plus saine et logique.

TourMaG.com - La situation économique du pays est très particulière. Avec toute une partie de la population qui vit d'une économie parallèle, comment cela est-il possible d'aider tout le pays ?

Julien Rouyrre :
Le danger pour la Colombie vient de là.

Le gouvernement a pris des mesures d'appui économiques pour les personnes défavorisées. De l'argent est envoyé à des millions de familles, mais les ressources sont limitées.

Je ne sais pas combien de temps l'Etat pourra tenir et la population aussi.

Nous reposons sur un modèle ultralibéral, les Colombiens vivent au jour le jour, à tel point que certains payent leur loyer quotidiennement.

S'ils ne travaillent plus, ils n'ont plus aucun salaire, ni de quoi remplir le frigo.

TourMaG.com - D'un point de vue politique, le pays semble pacifié. Que donne le changement de Président, élu en août 2018 ?

Julien Rouyrre :
En effet, le pays est plus calme avec les accords historiques signés entre le pouvoir et les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie, ndlr).

Pour en revenir à votre question, Iván Duque n'est pas le choix idéal, personnellement je ne suis pas emballé, tout comme une partie des Colombiens, après ses premiers mois à la tête du pays.

Le coronavirus représente l'occasion pour lui de prendre de bonnes mesures et pour le moment il a été à la hauteur.

Malheureusement, la crise sanitaire tombe au meilleur des moments pour Iván Duque, puisque des investigations ont été demandées par le Congrès (lien en espagnol, ndlr) sur fond de scandale d'achats de votes lors des dernières présidentielles.

TourMaG.com - Pourtant Santos, le précédent Président, jouissait d'une bonne image à l'international. Pouvez-vous nous rappeler les conditions de l'élection de Duque ?

Julien Rouyrre :
Il est vrai que la signature des processus de paix a fait pour son image, mais tous les présidents sont d'ultra-droite.

Pour situer un peu, l'éminence grise du pays n'est autre que l'ancien dirigeant Alvaro Uribe qui a lutté férocement contre les FARC.

Dans l'imaginaire colombien, il a rétabli en quelque sorte la paix et permis de circuler librement dans le pays, mais à quel prix ?

Il faut savoir qu'Alvaro Uribe traîne derrière lui d'énormes scandales, notamment celui des "falsos positivos" (faux positifs, ndlr). Pour gonfler les statistiques dans la lutte contre les FARC, et donc apparaître en héros, des jeunes paysans étaient assassinés et déguisés en guérilleros.

Depuis lors, tous les Présidents sont un peu ses marionnettes, il tire toujours les ficelles et jouit d'une énorme cote de popularité.

Ivan Duque sort un petit peu de nulle part, mais étant le candidat de l'ex-Président, il a été élu face à un adversaire de gauche dont la campagne a connu un réel succès ici.

Le tourisme, "nouveau pétrole de Colombie""

TourMaG.com - Quelle est la situation sécuritaire du pays ?

Julien Rouyrre :
Depuis que nous opérons en Colombie, nous n'avons jamais eu un seul problème de sécurité, malgré la persistance du conflit.

Avant la crise du coronavirus, le pays se positionnait comme le nouvel Eldorado du tourisme dans la région.

Avec la signature des accords de paix, l'imaginaire collectif des Européens a changé, et le bouche-à-oreille a très bien marché auprès des voyageurs.

Il y a la persistance de zones de tension du côté de la frontière avec l'Equateur, mais les touristes ne sont jamais confrontés à ces violences.

TourMaG.com - Comment jugez-vous la vie en Colombie ?

Julien Rouyrre :
La vie en ville à Bogotá est très agréable, la population est très joyeuse, une qualité sans doute liée au passé récent, marqué par une extrême violence.

Les Colombiens ont une grande culture du moment présent. Ils vivent au jour le jour. Ils aiment beaucoup faire la fête, ils sont très chaleureux, très accueillants, ce qui marque beaucoup les touristes d'ailleurs.

Si vous prenez une ville comme Bogotá ou la région du café, les habitants sont particulièrement gentils. A Medellín, la population est plus obéissante, sur la côte, c'est la "fiesta" tout le temps.

Pour vous dire, quand je rentre en France au bout de quelques jours j'ai envie de rentrer en Colombie, tellement le choc culturel est important. Tout le monde se plaint, fait la tête, tout est très différent.

TourMaG.com - Quel est l'état de l'industrie touristique avant et après le déclenchement de la crise mondiale ?

Julien Rouyrre :
Pour comprendre l'importance du tourisme, pour vous rendre compte, le Président actuel a qualifié l'activité de "nouveau pétrole de Colombie".

C'est fondamental pour l'économie avec un développement très fort. Les services touristiques sont de grande qualité, ils ne cessent de s'améliorer, les prestations hôtelières sont aussi au niveau.

Les autorités hôtelières ont fait un important travail pour encadrer et favoriser l'essor du tourisme, avec des normes de sécurité strictes, et nous avons un Office de tourisme très actif.

C'est sûr qu'avec le coronavirus, le le choc est violent. Des hôtels ont décidé de fermer jusqu'à la fin de l'année, nous espérons que tout le monde pourra se relever. L'objectif est que le tourisme reparte en août 2020.

Encaisser une saison blanche sera compliqué pour tout le monde. Nous serons toujours là après la crise, nous nous sommes réorganisés en conséquence pour durer le plus longtemps, mais je ne sais pas quel sera l'état du paysage touristique.

Nous travaillons sur le lancement d'autres destinations en parallèle, comme le Panama, l'Equateur et d'autres régions ponctuelles d'Amérique du sud.

En tant que réceptif, nous avons toujours la tête dans le guidon, c'est une véritable course contre la montre. Le coronavirus offre une pause pour travailler nos produits, réfléchir au développement et à l'après.

"Ma dernière région coup de coeur est celle du Guaviare"

Un exemple de peintures rupestres visibles dans la région du Guaviare - Crédit photo : JR
Un exemple de peintures rupestres visibles dans la région du Guaviare - Crédit photo : JR
TourMaG.com - D'autant que le gouvernement ne va pas agir pour vous aider...

Julien Rouyrre :
Personnellement, je n'y compte pas vraiment, nous sommes un peu tout seuls dans notre combat.

Si l'Etat agit pour aider des entreprises privées, ce sera en premier lieu afin pour sauver les banques et les compagnies aériennes, comme Avianca.

TourMaG.com - Ressentez-vous les effets du confinement dans votre vie de tous les jours à Bogotá ?

Julien Rouyrre :
Oui cela se ressent déjà, il y a moins de pollution, la ville est silencieuse, les rues sont désertes.

Des animaux se baladent dans les villes, il est possible de voir des fourmiliers géants, dans la région des Llanos et des renards.

Les seuls lieux animés sont les supermarchés et les épiceries, avec des files d'attente qui respectent la distanciation sociale.

A Bogotá, une personne par foyer peut sortir. Mais dans d'autres villes, les sorties se font en fonction du dernier numéro de la carte d'identité.

TourMaG.com - Quels types de touristes attire la Colombie ?

Julien Rouyrre :
Je dirais qu'il y a un peu tous les profils maintenant, nous n'attirons plus seulement les aventuriers.

Depuis deux ou trois ans, il y a une ouverture du monde et des Français à la Colombie.

Le pays est très diversifié que ce soit au niveau de la faune, de la flore, culturellement aussi, donc le tourisme peut être à la fois nature et culture, mais aussi exigeant physiquement.

C'est une destination très complète avec énormément de nouveautés et de terrains à défricher.

TourMaG.com - D'ailleurs si vous aviez un coup de cœur à partager à nos lecteurs ?

Julien Rouyrre :
Ma dernière région coup de cœur est celle du Guaviare, c'est absolument fabuleux, avec très très peu de touristes.

C'est une région qui regorge de merveilles à tous les niveaux.

Le site de Cerro Azul (la montagne bleue, ndlr) offre une forêt luxuriante, peuplée de plusieurs espèces de singes, et une falaise totalement couverte de peintures rupestres qui ont entre 1 000 et 12 000 ans, le tout dans un état de conservation incroyable.

Quand vous tombez devant, cela vous donne directement la chair de poule, c'est touchant et sublime.

Après avoir visité ce lieu, vous allez chez un ancien producteur de coca, qui vous explique tout le processus et vous raconte son ancienne vie avec les narcotrafiquants.

Toute la région vivait du trafic de drogue et se tourne progressivement vers le tourisme.

Il y a aussi un autre site pour nager avec des dauphins d'eau douce. Et à proximité, il existe le parc national du Chiribiquete, où vivent encore des tribus non contactées, qui inscrivent encore des peintures rupestres à l'heure où nous nous parlons.

Il y a énormément d'activité autour de la faune et la flore.

Il y a une petite réplique du fleuve "cano cristales" où se trouvent des plantes préhistoriques, de toutes les couleurs, c'est magnifique.

Voici quelques photos de Bogota pendant le confinement et de la région de Guaviare :


Retrouvez le "Tour du monde des réceptifs" sur la carte interactive :


Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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Commentaires

1.Posté par michael tolini le 10/04/2020 15:37 | Alerter
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Je confirme les propos de Julien Rouyrre, je partage mon temps entre Cali (500 km sud ouest of Bogota) et Los Angeles. Ici a Cali les autorites ont pris le probleme tres au serieux, arrivant de Atlanta avec le dernier vol ATL/BOG j'ai ete place en quarentaine immediatement. Concernant l'aspect economique je crois que les gens sont depuis toujours en mode survie, ils son donct armes pour se debrouiller grace a l'economie parallele.

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