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Taxe Chirac : "la réaction du métier est réactionnaire et désuète" [ABO]

Pour François Piot, l'industrie doit devenir un acteur de la décarbonation


Sur bien des sujets, François Piot est souvent l'arbre qui cache la forêt d'une profession qui ne prend pas le temps de la réflexion sur son avenir. Alors que l'ensemble de l'industrie touristique vocifère contre le gouvernement et son projet de taxe de solidarité sur les billets d'avion, le patron de Prêt-à-Partir estime que le secteur prend le problème à l'envers.


Rédigé par le Lundi 18 Novembre 2024

Pour François Piot, l'industrie doit devenir un acteur de la décarbonation et arrêter de s'insurger contre la taxe de solidarité - DR
Pour François Piot, l'industrie doit devenir un acteur de la décarbonation et arrêter de s'insurger contre la taxe de solidarité - DR
La FNAM s'époumone, les personnels navigants manifestent, et la très polluante aviation d'affaires fait peser le poids des emplois pour contrer la hausse de la Taxe Chirac.

Les Entreprises du Voyage aussi ont décidé de suivre le mouvement. "Nous sommes dans une situation schizophrénique. Nous dénonçons la brutalité, l'importance et le manque de sophistication dans l'application," de cette solution, selon Valérie Boned.

Cette unanimité ne souffre que d'une voix discordante qui essaye de remettre l'avion au milieu de la piste.

Pour François Piot, (PAP) le secteur devrait plutôt regarder la réalité en face. Il est temps d'agir et vite. "Quand l'État a contracté de la dette, pendant le Covid, pour soutenir les entreprises du tourisme, personne ne s'est posé la question de savoir d'où venait l'argent.

Là, aujourd'hui, on nous explique que l'État a une dette et qu'il doit faire attention aux dépenses.


Je suis étonné que dans notre métier nous ne nous penchions pas davantage sur les enjeux environnementaux. Nous n'avons pas discuté de ce sujet depuis longtemps.

Cette taxe Chirac, nous la prenons en pleine tête, car des acteurs de l'industrie nous expliquaient qu'il était possible de compenser un vol Paris-New York en versant 5 euros,
" recadre le patron de Prêt-à-Partir.


"Je suis choqué que l'avion coûte moins cher que le train"

Au sujet de la compensation, les problèmes sont multiples. Tout d'abord, le prix appliqué dans le tourisme est bien trop bas.

A 5 euros la tonne, le passager ne compense rien ou presque de son vol long-courrier, Julien Etchanchu, responsable des pratiques durables chez Advito, le prix juste ne peut pas se situer sous les 20 euros.

De plus, les dernières études scientifiques ont démontré que les projets n'ont pas rempli leurs rôles.

Pire même, une enquête du Guardian dévoilait que plus de 90 % des crédits carbone de Verra pour les forêts tropicales sont probablement des "crédits fantômes" et ne représentent pas de véritables réductions de carbone.

Et au lieu d'enterrer le sujet de la décarbonation, François Piot souhaite lui le mettre au sommet des priorités.

"Je trouve la réaction du métier vraiment réactionnaire et désuète. Les compagnies aériennes sont énervées parce que cette taxe va financer les infrastructures ferroviaires, mais en tant que contribuable et agent de voyages, je suis choqué que l'avion coûte moins cher que le train.

Le problème est que la profession ne bouge pas, si demain l'Etat nous interdit de prendre l'avion, nous serons beaucoup plus embêtés que de payer une hausse de la taxe.
"

Jean-Marc Jancovici milite lui pour limiter à 4 vols dans une vie.

Et face à l'ampleur de la tâche et de la réduction drastique des émissions que devra opérer le voyage, il se pourrait que cette limitation ne soit pas seulement un fantasme des islamogauchistes ou du péril vert, elle pourrait bien devenir une réalité.

Décarbonation : "La prise de conscience n'a pas vraiment eu lieu"

L'urgence est réelle.

Le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, a dans un discours à l'occasion de l'ouverture de la COP 29 rappelé que "nous sommes dans le compte à rebours final pour limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5 degré Celsius. Et le temps ne joue pas en notre faveur."

Pour rester dans cette limite, d'un monde acceptable, mais qui permettra seulement de limiter la casse, le monde entier doit réduire ses émissions de 9 % chaque année pour atteindre 43 % des niveaux de 2019 d’ici à 2030.

L'année passée, elles ont baissé de 4,8%, nous devons faire deux fois plus.

En attendant de faire une bascule qui ne vient pas, le secteur toujours plus en croissance sur terre, préfère mettre la tête dans la terre et ne pas regarder la vérité en face.

"Il y a 10 ans on parlait de la décarbonation en se disant que 2030, c'est une vraie échéance. Nous sommes maintenant à 5 ans de cette date, il ne s'est pas passé grand-chose.

La prise de conscience n'a pas vraiment eu lieu et je ne note pas une volonté d'avancer sur le sujet.


La décarbonation nous pouvons soit la subir, soit en faire une opportunité. Ceux qui n'anticipent pas, seront perdants,
" poursuit François Piot.

Fin septembre, l'ADEME a sorti le dernier Bilan des émissions de gaz à effet de serre (BEGES) du Tourisme réalisé en 2022. Une année, où les voyages long-courriers étaient très nettement en retrait, au profit des clientèles et destinations européennes.

Malgré cet exercice biaisé et une baisse de ses émissions, l'industrie pèse au minimum (toujours) 11% des émissions carbone de la France, tout en excluant les émissions du transport international, dont l'aérien et les achats non produits sur le territoire français.

Et bien que ce poids devient de plus en plus flagrant, toute l'industrie a haussé le ton, au moment, où le gouvernement a annoncé multiplier par 3 la taxe dite Chirac.

"Si on veut que notre métier perdure, il va falloir le verdir"

Pour le patron de Prêt-à-Partir, il est encore temps d'agir.

Le tourisme ne doit pas rester les bras ballants, il doit investir dans cette décarbonation de l'activité en finançant le carburant durable, la recherche... Tout est une question de volonté politique, économique et industrielle.

Afin de faire avancer les choses, Jean-François Rial sur l'invitation de votre serviteur avait appelé à l'organisation d'une grande COP mondiale du tourisme.

A lire : "Nous devons organiser une COP mondiale du Tourisme !"

"Aujourd'hui, nous n'avons plus besoin de communication mais d'engagements et de conviction. J'aimerais organiser une telle chose (une COP du tourisme, ndlr)," me confiait, le patron de Voyages du Monde.

Nous étions en novembre 2022, la COP 27 se tenait en Egypte. Deux évènements plus tard, rien ne s'est passé.

Pour son confrère nancéien, la transition énergétique ne pourra pas se faire sans formation ni taxe. Puisque l'éducation ne sera pas suffisante pour faire intégralement pivoter l'industrie, les impôts pourront eux orienter des budgets dans l'objectif de décarboner.

"Soyons conscients déjà des enjeux. Si on veut que notre métier perdure, il va falloir le verdir.

J'ai la chance d'être dans plusieurs métiers, notamment dans le transport public. Nous sommes passés sur des biocarburants de seconde génération, du type B100 ou HVO, qui permettent de réduire l'impact de CO2 de 50 à 70%.

Le surcout est seulement 10% plus cher, pour seulement 2% du chiffre d'affaires.

On râle tous après le prix à la pompe, sauf qu' aujourd'hui, le pétrole est quasiment gratuit. Nous payons à peine le coût d'extraction. Nous vivons tout simplement la fin de l'énergie gratuite,
" recadre François Piot.

Sauf que pour l'heure personne ne prend le taureau par les cornes.

Surtout que cette transition verte, même coûteuse, n'est pas nécessairement ou toujours un problème vis-à-vis du client qui lui peut accepter de payer plus cher, afin de pérenniser le secteur.

Vers une commission environnement chez Manor ou aux EDV ?

Au-delà de la technologie qui ne pourra pas tout régler, ce n'est pas de moi, mais le consensus scientifique du GIEC.

Il sera nécessaire de revoir la façon de voyager et de consommer l'avion.

"Est-ce que c'est normal que nous prenions l'avion comme nous allons au supermarché ?

Quand vous faites votre plein avec votre voiture, vous mettez 60% de taxes dans votre réservoir. Quand vous faites le plein avec du kérosène, vous avez 0% de taxes, car à un moment donné, c'est soit on décarbone, soit on paye des taxes,
" analyse le dirigeant de Prêt-à-Partir.

Et cette taxation du kérosène ne verra sans doute jamais le jour, tant qu'aucun gouvernement n'osera briser la convention de Chicago. Celle-ci prévoit que pour démocratiser l'aérien, le secteur sera exempté de taxe sur le carburant.

Depuis 1944, personne n'a dérogé à ce principe.

"Je suis un agent de voyages, selon moi, je reste persuadé que l'activité est bénéfique pour l'humanité et un facteur de paix.

Je ne dis pas qu'il faut tuer l'avion, il y en aura toujours et ils voleront encore très longtemps au kérosène. Par contre, nous devons grandir, arrêter de faire l'autruche.

Nous avons tous nos problèmes du quotidien, des soucis RH, d'autres avec les clients, etc, nous devons prendre du recul. Je ne sais pas vraiment qui doit prendre ce sujet à bras-le-corps, les grands réseaux ou les Entreprises du Voyage.

Il serait bien qu'une commission environnement soit créée à Manor,
" et ailleurs, conclut François Piot.

Malheureusement, avec une deuxième COP présidée par un défenseur et un acteur des hydrocarbures, par sur que l'industrie comme le monde, se saisissent du sujet.


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Commentaires

1.Posté par Jean-Louis Baroux le 18/11/2024 11:06 | Alerter
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Certes il faut que le transport aérien paie pour sa décarbonation. Cela coûtera très cher, probablement plusieurs centaines de milliards d'euros. Et les taxes levées sur ce secteur d'activité sont là pour la payer. Sauf que pour le moment elles sont plutôt destinées à soutenir la concurrence ferroviaire. Voilà où le bât blesse !

2.Posté par Yves Brossard le 25/11/2024 09:50 | Alerter
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Taxe Chirac - TSBA : c’est notre attitude passive qui est condamnable, et non désuète, et le comportement de l’appareil d’État qui est archaïque !

Je rejoins Jean-Louis Baroux, sur le fond.
Je suis d’accord avec lui sur le fait que le problème n’est pas la taxe en elle-même, mais l’emploi de la taxe. C’est un travers courant, en France au moins, de parler d’une taxe, sans parler - surtout - de l’affectation des fonds collectés à travers cette taxe. Si les fonds collectés ne contribuent pas directement à la décarbonation de l’aérien, alors cette taxe est discutable.
Donc la première des choses à demander à l’État serait que la taxe Chirac -TSBA abandonne son statut de taxe et devienne une taxe affectée. Et, par voie de conséquence, que les fonds récoltés à travers cette taxe affectée soient gérés exclusivement par les compagnies d'aériennes, à travers leurs organisations professionnelles, en vue de contribuer à la décarbonation du secteur aérien. Il faut bien distinguer l’écologie punitive et l’action positive pilotée directement par les collecteurs de la taxe. Et puisque l’objectif est parfaitement identifié, la décarbonation aérienne, le recours à la taxe AFFECTÉE est le seul véhicule fiscal adapté. Ce qui induit d’ailleurs une logique de fin, propre aux taxes affectées : le jour où l’objectif sera considéré comme atteint par l’État, la taxe devra disparaître.

J’ajoute qu’au delà du fond, la forme est évidemment très critiquable : le processus de prise de décision publique sur l’augmentation de la TSBA, sans aucune concertation avec les organisations professionnelles, est scandaleux et constitue un des grands travers de la vie publique française. Si l’on considère que les organisations professionnelles représentatives sont inutiles et contre-productives, alors supprimons les ! Je crois au contraire que, si elles sont représentatives, elles peuvent être très utiles à l’intérêt général et que l’État, censé représenter l’intérêt général, et donc le citoyen, gagnerait toujours à ce que les décisions publiques fassent l’objet de débats préalables avec les organisations professionnelles représentatives.

Dernier point, ignorer, ou passer sous silence, l’inégalité de traitement entre les compagnies aériennes françaises et étrangères, génère des questionnements sur le court-termisme de certaines décisions qui pourraient s’apparenter plus à de l’opportunisme qu’à un volontarisme écologique.

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