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Ancien pilote d'Air France, Anthony Viaux a tout quitté à cause de l’éco-anxiété ! [ABO]

Anthony Viaux est l’auteur du livre "Voyage interrompu - Confidences d’un pilote de ligne éco-anxieux"


En décembre 2024, après 22 ans passés dans les cockpits à réaliser son rêve d’enfant, Anthony Viaux a décidé de tout plaquer. Alors qu’il volait sur les Airbus A320 d’Air France, la prise de conscience de l’impact environnemental de l’aérien lui a coupé les ailes, tout en le privant de continuer à exercer un métier qui lui offrait pourtant un statut social envié. Dans son ouvrage "Voyage interrompu - Confidences d’un pilote de ligne éco-anxieux", paru début octobre 2025 aux éditions de l’Aube, le commandant de bord revient sur son parcours, ses doutes et le moment charnière où il a décidé de tout arrêter. Rencontre avec un éco-anxieux lucide, mais toujours passionné par l'aérien.


Rédigé par le Mardi 28 Octobre 2025

Anthony Viaux, ancien pilote de ligne d'Air France, est l’auteur du livre "Voyage interrompu – Confidences d’un pilote de ligne éco-anxieux" - Depositphotos @SOMATUSCANI
Anthony Viaux, ancien pilote de ligne d'Air France, est l’auteur du livre "Voyage interrompu – Confidences d’un pilote de ligne éco-anxieux" - Depositphotos @SOMATUSCANI
Pendant vingt ans, il a été habitué à sillonner la France et le monde à quelques milliers de mètres au-dessus du sol.

Puis, soudainement, en décembre 2024, il a décidé de démissionner d’Air France.

Ne voulant plus participer à la pollution croissante et au dérèglement climatique,
il a préféré renoncer à son rêve de gosse, celui-là même qui lui offrait un statut social particulier et une situation financière très confortable.

Après avoir déposé sa lettre sur le bureau de la DRH de la compagnie, il publie un message sur LinkedIn pour expliquer sa décision, mais aussi pour tourner une page personnelle, lourde de sens.

Très vite, le post devient viral. Le réseau social le propulse parmi les "Top infos", les médias s’emparent du sujet, TF1 l’appelle et les demandes affluent.

Il n’accordera que deux interviews, "pour expliquer mon geste, pas pour me mettre en valeur", précise l'ancien pilote de ligne. Mais face au battage médiatique et aux centaines de commentaires reçus, pas tous bienveillants, il décide de calmer le jeu et de ne plus prendre la parole - jusqu’à ce début de mois.

Une décision lourde à prendre, qu’il ne regrette pas, et qu’il raconte dans son livre "Voyage interrompu - Confidences d’un pilote de ligne éco-anxieux", paru début octobre 2025 aux éditions de l’Aube.

De passage à Paris, "j’en ai profité pour faire la tournée des FNAC. Je suis allé au rayon des livres pour voir si je trouvais le mien. Je dois reconnaître que c’est une sensation étrange de voir son livre dans les bacs", confie avec fierté Anthony Viaux.

Mais avant de ressentir ce petit pincement de fierté, il a dû affronter de profondes luttes intérieures, mais aussi les insultes de certains de ses anciens camarades.


"J'avais honte de participer à ça et j'étais inquiet" selon Anthony Viaux

Cette prise de conscience ne s’est pas faite en un jour, elle a mûri pendant deux décennies.

Depuis le cockpit, et à force de voir les glaciers fondre, les montagnes verdir, les incendies se multiplier et les catastrophes naturelles s’enchaîner... il comprend que quelque chose ne tourne pas rond.

Un jour, il pose un avion à Lisbonne et, en sortant de l’appareil, le thermomètre sur le tarmac affiche 46 degrés. Il décide alors de se renseigner et s’interroge sur le réchauffement climatique. En parallèle, il se forme à la naturopathie.

La rédaction de l’un de ses mémoires, nécessaire à la validation de son diplôme, fait office d’électrochoc.

"J’ai pris peur et conscience de l’ampleur du problème. J’ai appris que, même après 100 ans, il en restait encore 40 % de CO₂ dans l’atmosphère, et qu’il faut des milliers d’années pour qu’il disparaisse totalement.

Chaque jour, nos activités - dont l’aérien - ajoutent un peu plus de gaz à effet de serre dans l’atmosphère
", se souvient-il.

Il rumine. Il ne le sait pas encore, mais il est en proie à un mal nouveau, apparu à la fin des années 90. Il est frappé d’éco-anxiété, un mal qui n’est ni une maladie, ni un diagnostic psychiatrique, mais plutôt une réponse rationnelle et saine face à la gravité des problématiques environnementales, comme le définit l’INSERM.

En 2020, pendant un confinement, il rédige une lettre à Benjamin Smith pour ébranler les certitudes du patron d’Air France.

Il l’enverra finalement courant 2022, sans jamais recevoir de réponse. Il évoque alors son cas de conscience auprès de ses collègues : certains partagent ses doutes, d’autres lui lancent : "De toute façon, même si tu pars, ça ne changera rien, tu seras immédiatement remplacé."

"Sauf que je n’en étais plus à me questionner sur mon emploi, je voulais me sauver, moi. Quand je rentrais chez moi, je me disais : 'Mais qu’est-ce que j’ai fait là ?' J’avais une boule au ventre, je ne me sentais pas bien. J’avais presque honte de participer à ça, et je ressentais de l’inquiétude pour les générations futures, pour le vivant sur Terre," raconte-t-il.

Frappé par ces questionnements et rongé par ce mal, il décide alors d’abandonner son rêve de gosse.

Anthony Viaux reçoit de nombreuses insultes "de traître et de lâche"

"Je ne dis pas qu’il faut arrêter l’avion, mais sa croissance !" selon Anthony Viaux - DR
"Je ne dis pas qu’il faut arrêter l’avion, mais sa croissance !" selon Anthony Viaux - DR
Il quitte Air France. Après quelques interviews accordées, il prend plusieurs mois pour rédiger un livre.

Tous les droits d’auteur de son ouvrage seront reversés à Médecins Sans Frontières, qui agit dans les pays "où il y a cette injustice climatique. Cela me permet d'avoir un impact.", témoigne Anthony Viaux.

Sauf que cette démarche a reçu un accueil pour le moins glacial de la part d’une partie de ses anciens collègues.

"Des pilotes, des PNC et des personnes du secteur aérien m’ont écrit pour me dire qu’ils me soutenaient dans ma démarche.

D’autres m’ont dit qu’ils avaient fait pareil, mais sans le dire. Et enfin, j’ai aussi reçu des insultes : traître, lâche, opportuniste - on m’a même accusé de vouloir faire de l’argent sur mon histoire. Certaines critiques ont été très dures.

Je m’attendais à ce genre d’attaques. J’ai commencé par y répondre, parce que ça me faisait mal de lire ce genre de choses, puis j’ai fini par arrêter
", confie-t-il.

Ces échanges ont ravivé chez l’ancien pilote ses doutes et ses questionnements sur une décision qu’il assume pleinement aujourd’hui, mais qui fut loin d’être anodine pour lui.

Pilote : "un métier tellement génial qu'il est extrêmement difficile à quitter"

Il se demande alors s’il n’aurait pas dû rester pour tenter de changer les choses de l’intérieur, se battre pour faire évoluer les comportements.

S’est-il précipité ? A-t-il finalement commis une erreur ? "Je n’avais aucun intérêt à quitter mon job. Ce n’était qu’une perte, dans tous les aspects de ma vie. Une perte financière, puisque j’avais un salaire très confortable, une perte de statut social. Je suis parti avec zéro euro, car j’ai démissionné.

Et puis, on parle de ma passion, de mon rêve de gamin. On porte l’uniforme dans les aéroports et les villes du monde entier, on représente la France à l’étranger.

Sauf que je ne pouvais plus me regarder dans une glace. J’avais besoin de me réaligner avec moi-même et mes convictions.

Au moment de partir, je me suis demandé si je devais tout quitter en silence ou expliquer mon geste symbolique, afin que ceux qui se retrouvent dans le même cas osent écouter leur petite voix intérieure
", analyse l'ancien commandant de bord.

Ces deux interviews accordées au Parisien et à 20 Minutes, puis l’écriture de son livre, lui permettent, en tant qu’éco-anxieux, d’éviter de ruminer et de sombrer dans les abysses de la dépression.

"Je voulais aller au bout de mon raisonnement. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, je voulais partager la magie du métier de pilote de ligne, mais aussi montrer qu’il était tellement génial qu’il est extrêmement difficile à quitter.

Je voulais que les lecteurs plongent dans mon univers. On a beau comprendre tout ce qu’il se passe comme catastrophes écologiques, c’est un métier qu’on ne quitte pas
", confie Anthony Viaux.

"Nos biais cognitifs font que nous ne voulons rien changer"

Il souhaite aussi éveiller les consciences, que chacun d’entre nous réalise que nous sommes tous les rouages de l’immense machine à laver qu’est notre vie.

Et qu’il est possible de freiner sa course, donc d’avoir un véritable impact sur le réchauffement climatique.

"Nous faisons face à des biais cognitifs qui font que nous ne voulons pas changer. Nous sommes, par nature, des conservateurs. Le réflexe de base, dans l’industrie aéronautique comme ailleurs, repose sur le biais de normalité, qui consiste à se dire que rien ne va changer. Nous restons dans le déni.

Depuis toujours, on nous apprend à être performants, à être les meilleurs, chacun dans son coin. Il ne faut pas montrer qu’on a des failles, qu’il nous arrive d’être fragiles, sinon on se fait bouffer. Nous devons sortir de ce paradigme,
" affirme Anthony Viaux.

Ces œillères imposées par le biais de normalité, ça ne vous rappelle rien ?

Les plus cinéphiles et connectés de nos lecteurs reconnaîtront peut-être le film "Don’t Look Up", dans lequel l’humanité attend une solution technologique miracle pour faire dévier une météorite tueuse de planète.

A lire : Gaz à effet de serre : le technosolutionnisme ne sauvera pas le tourisme !

Mais comme cette solution ne vient jamais, la population poursuit sa petite vie tranquille, sans se soucier de l’urgence absolue de la situation.

Le film est une métaphore parfaite de ce que nous vivons face au réchauffement climatique, malgré les alertes répétées du GIEC, des chercheurs et de l’ONU.

"Tout le monde sait que l’aérien représente environ 5% du réchauffement climatique. Si on laisse faire l’industrie, nous allons droit dans le mur. L’IATA annonce que le trafic passagers va plus que doubler d’ici 2025, passant de 4,8 milliards à 10 milliards de passagers, alors que nous ne serons même pas 9 milliards d’humains sur Terre.

Les industriels affirment qu’ils vont réduire leur impact grâce au SAF, aux outils de captation du CO₂ à la source (CCS) ou encore à la compensation carbone.

Sauf que tout cela relève du vœu pieux. On n’aura jamais assez de SAF pour tout le monde, et le CCS n’est pas du tout au point,
" lance Anthony Viaux.

"Je ne dis pas qu’il faut arrêter l’avion, mais sa croissance !"

De son côté, la compensation carbone s’est souvent révélée plus bénéfique pour les organismes chargés de planter des arbres que pour la planète.

Selon une étude publiée dans Science, "plus de 90% des crédits de compensation" émis par le plus grand organisme de certification de crédits carbone "sont probablement des 'crédits fantômes' et ne représentent pas de véritables réductions d’émissions."

Dans le même temps, les compagnies sont déjà en difficulté pour s'approvisionner en SAF, alors même que l'Europe les oblige à intégrer au minimum 2% de carburant durable.

"Les transporteurs ont fait le tour des outils dont ils disposent. Je pense que, d’ici peu, ils vont se retrouver coincés. Et alors que les catastrophes naturelles ont été multipliées par cinq en cinquante ans, elles devraient encore doubler d’ici 2050.

Un jour, les gouvernements exigeront du secteur une réduction drastique de son activité,
" prédit l’ancien commandant de bord, qui, plutôt que de cautionner cette dérive, a préféré claquer la porte d’Air France, pertes et fracas compris.

Il sait très bien que son départ n’aura aucun impact sur la compagnie nationale, et encore moins sur le réchauffement climatique, lui qui continue de regarder l'aérien avec les yeux d'un passionné... inquiet.

"Je ne suis pas du tout en train de dire qu’il faut arrêter l’avion. Le vrai problème, c’est sa croissance excessive. Cela nous conduit droit dans le mur.

L’avion, c’est très utile : pour les étudiants, les familles, ou pour aller découvrir le monde de temps en temps, c’est même formidable. Sauf que là, trop de gens le prennent juste pour aller dans un club de vacances ou passer une semaine au bord d’une piscine. Pas pour découvrir un pays. Et ça, ce n’est plus possible,
" conclut celui qui s’est reconnecté à lui-même en devenant naturopathe.


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