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L'Arabie Saoudite, futur centre de gravité pour le trafic aérien au Moyen-Orient ?

La chronique d'Eric Didier


Portée par une stratégie aérienne sans précédent, l’Arabie Saoudite veut transformer son ciel en hub mondial de premier plan, capable d'accueillir 330 millions de passagers et de desservir 250 destinations d’ici 2030. Mais cette ambition, soutenue par plus de 100 milliards de dollars d’investissements, doit encore convaincre face aux défis environnementaux, à l’image du pays et à la féroce compétition entre hubs régionaux.


Rédigé par le Mardi 9 Décembre 2025

L'impact de l'offensive aérienne de l'Arabie saoudite sur l'industrie aérienne mondiale est considérable, promettant une concurrence accrue sur les routes long-courriers et une redistribution potentielle des flux de passagers entre l'Asie, l'Europe et l'Afrique - DepositPhotos.com, Boarding2Now
L'impact de l'offensive aérienne de l'Arabie saoudite sur l'industrie aérienne mondiale est considérable, promettant une concurrence accrue sur les routes long-courriers et une redistribution potentielle des flux de passagers entre l'Asie, l'Europe et l'Afrique - DepositPhotos.com, Boarding2Now
Quelle que soit l’idée que l’on s’en fait, l'Arabie Saoudite est en train de réécrire la carte du tourisme mondial avec une audace et des investissements sans précédent.

L'ère de la dépendance exclusive aux hydrocarbures touche à sa fin et le tourisme a été désigné comme l’axe majeur de la diversification économique du Royaume, sous l'égide de la Vision 2030.

Ce plan de transformation national vise à positionner le pays non seulement comme une puissance économique, mais aussi comme une destination touristique de premier plan, capable de rivaliser avec les acteurs établis.

Les objectifs fixés sont vertigineux et témoignent de l'ampleur de l'ambition saoudienne. Le Royaume vise à accueillir 150 millions de visiteurs annuels d'ici 2030, soit plus que la France aujourd’hui, première destination touristique au monde avec 100 millions de personnes.

Cette approche est censée faire passer la contribution du secteur au Produit Intérieur Brut (PIB) de moins de 3% à 10% et générer environ 1,6 million de nouveaux emplois liés au tourisme.

Pour atteindre ces cibles, la stratégie saoudienne repose sur trois piliers massivement financés et parfaitement orchestrés : la création de destinations touristiques uniques (les Giga projets), la transformation du ciel saoudien en un hub aérien mondial de premier ordre et l'évolution rapide du cadre d'accueil et de l'expérience visiteur.


Le pilier « Destinations » : les giga-projets, laboratoires du tourisme de demain

Le cœur du réacteur, moteur financier de cette transformation est le Fonds d'Investissement Public (PIF) qui injecte des centaines de milliards de dollars, après validation, dans des projets d'infrastructures et de développement touristique sans équivalent.

Ces projets pharaoniques sont conçus pour offrir des expériences touristiques diversifiées inédites, allant du futurisme urbain à l'écotourisme de luxe.

A titre d’exemple, NEOM, le projet phare, incarne cette vision futuriste.

Il comprend plusieurs composantes distinctes : The Line, initialement prévue comme une ville linéaire de 170 km, dont les ambitions ont été récemment sérieusement revues à la baisse pour la phase initiale de 2030, se concentrant sur un tronçon de quelques kilomètres ; Trojena, une station de montagne proposant des activités de ski et de plein air dans un environnement désertique ; Oxagon, une ville industrielle flottante axée sur la durabilité ; et Sindalah, une île de luxe en Mer Rouge.

Parallèlement, Red Sea Global (RSG) développe des destinations axées sur l'ultra-luxe et la régénération environnementale, notamment The Red Sea et Amaala.

Ces projets mettent l'accent sur la préservation des écosystèmes marins et côtiers, cherchant à établir un nouveau standard pour le tourisme durable.

L'Arabie Saoudite mise également sur son riche patrimoine historique et culturel. Le développement d'AlUla, avec ses sites archéologiques nabatéens (similaires à Petra), et de Diriyah, berceau historique de la famille royale, vise à ancrer l'offre touristique dans l'histoire saoudienne.

Le tableau ci-dessous montre la répartition géographique de ces principaux projets à travers le Royaume :

Projet Localisation Focus principal Objectif clé
NEOM Nord-Ouest (Mer Rouge) Futurisme, Technologie, Innovation Créer une nouvelle civilisation urbaine et touristique.
Red Sea Global Côte de la Mer Rouge Ultra-luxe, Écotourisme, Bien-être Développer une destination de luxe durable.
AlUla Nord-Ouest Culture, Archéologie, Patrimoine Mettre en valeur l'héritage historique pré-islamique.
Diriyah Riyad Histoire, Culture, Lifestyle Transformer le berceau du Royaume en destination culturelle.
Qiddiya Riyad Divertissement, Sports, Arts Devenir la capitale mondiale du divertissement.

Le Pilier « Connectivité » : la révolution aérienne saoudienne

Pour soutenir un tel afflux de visiteurs, une transformation radicale du secteur aérien est indispensable.

L'Arabie Saoudite ambitionne de devenir un hub mondial majeur, capable de concurrencer et sublimer les offres régionales des meilleurs (Qatar Airways, Emirates…).

Les objectifs aériens relèvent aussi d’une vision qui repousse toutes les frontières : desservir à terme 250 destinations, accueillir 330 millions de passagers et faire transiter 4,5 millions de tonnes de fret.

Pour y parvenir, le Royaume a annoncé un investissement de 100 milliards de dollars dans le secteur de l'aviation d'ici la fin de la décennie.

Cette stratégie passe par deux axes majeurs : les infrastructures et les compagnies aériennes.

1. Infrastructures aériennes

Le projet le plus emblématique est le nouvel Aéroport International King Salman (KSIA) à Riyad.

Conçu pour devenir l'un des plus grands aéroports du monde - 120 millions de passagers par an attendus en 2030, 185 millions en 2050, six pistes parallèles sur un site de 57 km2 - il est la pierre angulaire de la stratégie de hub, visant à capter une part significative du trafic international.

Au-delà de la taille, c’est l’expérience clients qui va être repensée pour en faire l’aéroport de référence mondial de ce milieu de 21e siècle.

D'autres aéroports, notamment à Djeddah et Dammam, font également l'objet de modernisations importantes pour soutenir cette croissance attendue.

2. Les compagnies aériennes

Le paysage aérien saoudien est en pleine mutation, structuré autour de rôles bien définis et d'une expansion coordonnée.

Parmi les compagnies déjà existantes, on retrouve :

- Riyadh Air : lancée en 2023, opérationnelle en 2025-2026, Riyadh Air est un projet sans équivalent dans l’aérien moderne depuis un quart de siècle. Cette nouvelle compagnie nationale est le fer de lance de la stratégie de hub de Riyad. Positionnée sur le segment premium international avec une expérience digitale inédite (IA, biométrie, etc.), elle vise à relier la capitale au monde et risque de sérieusement bousculer les meilleurs transporteurs du Golfe.

- Saudia : la compagnie historique se concentre sur la modernisation de sa flotte et l’expansion de son réseau pour se positionner comme la compagnie des flux touristiques et des pèlerinages.

A noter que ces deux compagnies sont commercialement dirigées par des anciens VP de chez Qatar Airways qui se connaissent bien.

- Low-cost (flynas et flyadeal) : ces transporteurs à bas coûts jouent un rôle crucial dans l'augmentation du trafic régional, domestique et religieux. Flynas a connu une croissance de capacité de 63% entre 2019 et 2024, tandis que flyadeal étend ses bases opérationnelles, notamment à Médine, pour soutenir l'afflux de pèlerins. Ces compagnies serviront aussi à alimenter en passagers (feerder) les hubs principaux de RUH (Aéroport international du roi Khaled à Riyad et JED (Aéroport international Roi-Abdelaziz à Djeddah).

Des plans pour la création de deux compagnies aériennes supplémentaires ont été récemment annoncés : une nouvelle low-cost et une compagnie dédiée spécifiquement au tourisme religieux (Hajj et Omra), soulignant la volonté de segmenter et de maximiser le marché du transport aérien.

Ce modèle est proche du « dual brand strategy » de Singapour Airlines et Scoot ou Lufthansa et Eurowings.

L'impact de cette offensive sur l'industrie aérienne mondiale est considérable, promettant une concurrence accrue sur les routes long-courriers et une redistribution potentielle des flux de passagers entre l'Asie, l'Europe et l'Afrique.

Air France a inauguré une route CDG-RUH à l’été 2025 et compte bien profiter du développement de la destination.

Le Pilier « Expérience » : créer et faciliter l'accueil et l'offre

L'attractivité d'une destination ne se mesure pas uniquement à ses infrastructures mais aussi à la facilité d'accès, à la qualité et la cohérence de l'expérience offerte et à la capacité de se doter d’une identité forte et attirante.

Le Royaume a considérablement assoupli sa politique de visas, avec l'introduction de l'e-visa et du visa à l'arrivée pour les citoyens de nombreux pays dont la France, agissant comme un catalyseur essentiel de l'afflux touristique.

L'offre hôtelière est en pleine explosion. Des partenariats stratégiques ont été noués avec les plus grandes marques internationales (Four Seasons, St. Regis, Ritz-Carlton, etc.) pour garantir une offre de luxe et de services répondant aux standards mondiaux, et des investisseurs internationaux contribuent à cet essor en espérant de juteux retours sur investissements.

La cohérence de l’offre - créer une identité attractive, singulière à la destination - est un enjeu majeur face à ses voisins qui ont plus ou moins bien réussi.

Dubaï est bien identifié pour les influenceurs et la téléréalité en devenant « the place to live » au soleil et un lieu de shopping incontournable tandis que Doha, malgré la coupe du monde de football et ses nombreux musées, n’a pas su se doter d’une identité forte.

Pour arriver à structurer cette expérience, l’Arabie Saoudite doit faire face à plusieurs défis de taille.

Tout d’abord, le capital humain. La création de 1,6 million d'emplois nécessite un effort massif de formation des professionnels saoudiens du tourisme, dans le cadre des programmes de « saudisation » visant à augmenter l'emploi national dans le secteur privé.

Aussi, l'Arabie Saoudite doit gérer l'équilibre délicat entre l'ouverture au tourisme international et la préservation de ses traditions socioculturelles. L'évolution des normes sociales, bien que progressive, est un facteur clé pour l'accueil des visiteurs occidentaux et asiatiques.

Le défi de la durabilité : entre ambition écologique et « greenwashing »

La stratégie touristique saoudienne, par son ampleur et sa nature, soulève inévitablement la question de son impact climatique et écologique.

Le Royaume a intégré la durabilité dans son discours, positionnant ses Giga projets comme des modèles de développement respectueux de l'environnement.

NEOM est présenté comme une utopie futuriste, sans émissions de carbone, alimentée à 100% par des énergies renouvelables. De même, des projets comme Red Sea Global mettent en avant une approche de tourisme régénérateur, visant à améliorer l'environnement plutôt que de simplement le préserver.

Ces initiatives incluent la protection des récifs coralliens et la création de réserves naturelles. Les promoteurs affirment que ces projets intègrent des normes vertes strictes pour résoudre des problèmes majeurs comme la consommation énergétique due à la climatisation.

Malgré ces affirmations, de nombreux experts et observateurs internationaux accusent le Royaume de « greenwashing ». Les critiques soulignent le paradoxe de construire des mégapoles dans des environnements désertiques et marins fragiles, nécessitant des quantités massives de ressources et d'énergie pour la construction et l'entretien.

Le gigantisme des projets, comme la taille initiale de The Line, est perçu comme intrinsèquement non durable.

L'expansion massive du secteur aérien représente également un défi environnemental majeur. Bien que la Saudi Aviation Strategy mentionne l'objectif de durabilité environnementale, l'augmentation du trafic aérien contredit les efforts mondiaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, plaçant le Royaume face à une contradiction entre ses ambitions touristiques et ses engagements climatiques.

L'Arabie Saoudite, futur centre de gravité pour le tourisme et l'aérien au Moyen-Orient ?

La stratégie saoudienne pour devenir une destination touristique de premier plan repose sur des forces indéniables : une volonté politique sans faille, des moyens financiers quasi illimités via le PIF, et la création de produits touristiques uniques qui n'existent nulle part ailleurs (NEOM, AlUla).

La coordination de tous les acteurs garantissant le succès semble bien fonctionner. La phase de promotion a commencé en s’appuyant, dans chaque pays, sur des agences reconnues et expérimentées.

Néanmoins, des défis majeurs persistent. L’acceptation de la destination malgré son image religieuse rigoriste et ses lois sévères (345 exécutions en 2024, dont plus d’un tiers pour trafic de stupéfiants) et la crédibilité écologique des Giga-projets face aux accusations de « greenwashing » sont des points essentiels pour rendre désirable la destination.

La compétition avec les hubs aériens établis (Dubaï, Doha, Istanbul) va être féroce, et l'Arabie Saoudite va aussi devoir prouver sa capacité à attirer et à retenir le trafic de transit.

Le pari saoudien est l'un des projets de transformation économique les plus ambitieux du XXIe siècle. Si les objectifs de 2030 sont atteints, l'Arabie Saoudite ne sera pas seulement une nouvelle destination, mais un nouveau centre de gravité pour le tourisme et l'aérien au Moyen-Orient, redéfinissant les équilibres de l'industrie mondiale du tourisme.

Souhaitons-leur bonne chance car le chemin sera long, mais déjà un « Mabrouk Habibi » pour le travail accompli.

Eric Didier - DR
Eric Didier - DR
Entrepreneur passionné et spécialiste du transport aérien, avec plus de trois décennies d'expérience, Eric Didier a coordonné le lancement de l’alliance Oneworld avant de créer et développer Qatar Airways en France et sur plusieurs marchés européens, où il a occupé des postes de direction clés, assurant la croissance et le succès de la compagnie.

Expert en gestion d'équipes et en stratégies commerciales, alliances et distribution, il a travaillé avec plusieurs grandes compagnies aériennes, contribuant à leur expansion à l'international

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Tags : eric didier
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