
"Cet arrêt illustre parfaitement b[le caractère sévère – pour ne pas dire disproportionné – de la responsabilité de plein droit" selon Chloé Rezlan - Depositphotos
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La surtransposition de la directive européenne du voyage à forfait continue de faire parler d'elle, particulièrement ces derniers jours.
Huit ans après l'ordonnance française conservant le régime de responsabilité de plein droit, les décisions de justice s'accumulent et continuent de matraquer les professionnels du tourisme.
La semaine dernière, Emmanuelle Llop relatait le cas d'un voyageur victime d'un accident en 4x4 qui avait attaqué son agence de voyages, alors qu'il n'avait pas mis sa ceinture, lors d'une sortie dans le désert.
Certes la Cour avait reconnu la cliente responsable à hauteur de 50%, mais l'agence a du supporter la moitié des dommages constatées... pour une ceinture oubliée par cette même cliente.
Et ce n'est pas le seul jugement susceptible d’alerter les professionnels du tourisme.
Après la ceinture, les lacets de chaussure ?
Chloé Rezlan, la cofondatrice du cabinet Adeona Avocats, analyse un autre dossier, clos seize ans après les faits par la cour d’appel de Versailles.
Accident à l'aéroport de Casablanca : voici le cas

Un client de Kalika Voyages, une agence spécialisée dans les séjours golfiques, achète un voyage à forfait au Maroc.
Le séjour se déroule sans problème majeur, jusqu'au moment, où le voyageur se rend à l’aéroport de Casablanca pour embarquer sur son vol retour. Dans l'enceinte de l'infrastructure, elle chute et se blesse à la cheville.
Une fracture lui est diagnostiquée.
Le voyageur exerce en tant qu'avocat au sein de CO.FE.DE, une société de conseils en affaires qui engage une procédure contre Kalika Voyages.
"Le voyageur estime que cette situation relevait de la responsabilité de l’agence. Il a poursuivi par le biais de son employeur cette dernière et son assureur afin d’obtenir réparation de son préjudice," nous résume Chloé Rezlan.
L’entreprise réclame une indemnisation pour les dommages subis par son collaborateur et met en cause la caisse primaire d'assurance maladie de la région, la mutuelle AG2R Prévoyance ainsi que la société Mondial Assistance.
Cet accident va ouvrir une véritable bataille judiciaire qui va s'éterniser... jusqu'en 2025.
Responsabilité de plein droit es-tu là ?
La première décision de justice a été rendue, le 11 octobre 2018.
Le tribunal de grande instance de Nanterre a rejeté les demandes du voyageur en déclarant que les circonstances de l'accident n'étaient pas établies et qu'il ne prouvait pas un manquement contractuel de l’agence de voyages de nature à engager sa responsabilité de plein droit sur le fondement de l'article L211-16 du code du tourisme.
Deux ans plus tard, la Cour d'appel de Versailles annule la décision initiale de justice en ce qu'elle a dit sur les circonstances de l'accident (non établies) et que le voyageur ne prouvait pas un manquement contractuel.
L'agence n'est pas reconnue coupable et CO.FE.DE doit même lui verser la somme de 5 000 euros pour des dommages en l'honneur du gagnant.
Entre-temps, cette même société a fait faillite.
La liquidation judiciaire est prononcée en septembre 2019, mais la bataille continue, puisque le liquidateur poursuit la démarche.
La première chambre civile de la Cour de cassation a ensuite été saisie.
Par arrêt du 16 février 2022, elle casse et annule la décision rendue précédemment dans toutes ses dispositions, et renvoie l'affaire devant la même cour d'appel de Versailles, mais autrement composée.
Elle estimait en effet que dès lors que la chute avait eu lieu pendant la réalisation d’une prestation incluse dans le forfait touristique, la responsabilité de l’agence était engagée. Celle-ci ne pouvait s’exonérer qu’en démontrant une faute du voyageur, le fait d’un tiers ou une force majeure.
Le litige entre alors dans le champ des circonstances exceptionnelles et inévitables.
Le tribunal de grande instance de Nanterre a rejeté les demandes du voyageur en déclarant que les circonstances de l'accident n'étaient pas établies et qu'il ne prouvait pas un manquement contractuel de l’agence de voyages de nature à engager sa responsabilité de plein droit sur le fondement de l'article L211-16 du code du tourisme.
Deux ans plus tard, la Cour d'appel de Versailles annule la décision initiale de justice en ce qu'elle a dit sur les circonstances de l'accident (non établies) et que le voyageur ne prouvait pas un manquement contractuel.
L'agence n'est pas reconnue coupable et CO.FE.DE doit même lui verser la somme de 5 000 euros pour des dommages en l'honneur du gagnant.
Entre-temps, cette même société a fait faillite.
La liquidation judiciaire est prononcée en septembre 2019, mais la bataille continue, puisque le liquidateur poursuit la démarche.
La première chambre civile de la Cour de cassation a ensuite été saisie.
Par arrêt du 16 février 2022, elle casse et annule la décision rendue précédemment dans toutes ses dispositions, et renvoie l'affaire devant la même cour d'appel de Versailles, mais autrement composée.
Elle estimait en effet que dès lors que la chute avait eu lieu pendant la réalisation d’une prestation incluse dans le forfait touristique, la responsabilité de l’agence était engagée. Celle-ci ne pouvait s’exonérer qu’en démontrant une faute du voyageur, le fait d’un tiers ou une force majeure.
Le litige entre alors dans le champ des circonstances exceptionnelles et inévitables.
Que dit la Cour d'appel de Versailles ?
"Il s’agit des événements qui créent une situation échappant au contrôle du professionnel comme du voyageur et dont les conséquences n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures avaient été prises," comme nous vous l'expliquions dans un précédent article.
Le dossier a donc été renvoyé à nouveau devant la cour d’appel de Versailles qui a rendu l’arrêt commenté le 27 mars dernier.
Elle a confirmé la responsabilité de l’agence de voyages, en s’appuyant sur une motivation composée de 4 points.
Tout d'abord, la responsabilité de plein droit se justifie en raison de la vente d'un forfait touristique qui comprenait le transport aérien.
De plus, la chute a eu lieu alors que le voyageur venait d’atterrir à l’aéroport de Casablanca pour prendre sa correspondance, pendant que l’agence exécutait une de ses prestations contractuelles.
La responsabilité est aussi évoquée à partir du moment où le voyageur peut prouver qu’un accident dommageable est survenu au cours d’une des prestations vendues.
La victime n'a pas à prouver une faute du prestataire
Pour finir l'argumentaire, la cour explique que l'accident n'est ni le fait d’un tiers, ni un cas de force majeure, de même aucune faute du voyageur n’est établie.
Le dossier a donc été renvoyé à nouveau devant la cour d’appel de Versailles qui a rendu l’arrêt commenté le 27 mars dernier.
Elle a confirmé la responsabilité de l’agence de voyages, en s’appuyant sur une motivation composée de 4 points.
Tout d'abord, la responsabilité de plein droit se justifie en raison de la vente d'un forfait touristique qui comprenait le transport aérien.
De plus, la chute a eu lieu alors que le voyageur venait d’atterrir à l’aéroport de Casablanca pour prendre sa correspondance, pendant que l’agence exécutait une de ses prestations contractuelles.
La responsabilité est aussi évoquée à partir du moment où le voyageur peut prouver qu’un accident dommageable est survenu au cours d’une des prestations vendues.
La victime n'a pas à prouver une faute du prestataire
Pour finir l'argumentaire, la cour explique que l'accident n'est ni le fait d’un tiers, ni un cas de force majeure, de même aucune faute du voyageur n’est établie.
Quelle indemnisation pour une cheville fracturée ?
Et ce n'est pas peu dire que la responsabilité de plein droit peut couter cher.
"Conformément au principe français de réparation intégrale, chaque poste de préjudice est indemnisé, notamment : le déficit fonctionnel, les cotisations de golf perdues, les souffrances endurées, le préjudice esthétique temporaire, le préjudice d’agrément.…
Le voyageur a en revanche été débouté de ses demandes concernant le préjudice sexuel et les pertes de gains professionnels" indique Chloé Rezlan.
Ainsi, 2 000 euros ont été retenus en tant que préjudice esthétique permanent, en raison d'une cicatrice à la cheville et 5 000 euros car le voyageur ne peut plus pratiquer le golf dans les mêmes conditions qu’auparavant.
Joueur régulier depuis 1992, il a dû changer de parcours pour un terrain plus plat, adapté aux séquelles de sa fracture à la cheville.
En l'espèce, Kalika Voyages a du verser 46 234,44 euros en réparation du préjudice au voyageur.
"Conformément au principe français de réparation intégrale, chaque poste de préjudice est indemnisé, notamment : le déficit fonctionnel, les cotisations de golf perdues, les souffrances endurées, le préjudice esthétique temporaire, le préjudice d’agrément.…
Le voyageur a en revanche été débouté de ses demandes concernant le préjudice sexuel et les pertes de gains professionnels" indique Chloé Rezlan.
Ainsi, 2 000 euros ont été retenus en tant que préjudice esthétique permanent, en raison d'une cicatrice à la cheville et 5 000 euros car le voyageur ne peut plus pratiquer le golf dans les mêmes conditions qu’auparavant.
Joueur régulier depuis 1992, il a dû changer de parcours pour un terrain plus plat, adapté aux séquelles de sa fracture à la cheville.
En l'espèce, Kalika Voyages a du verser 46 234,44 euros en réparation du préjudice au voyageur.
La responsabilité de plein droit sévèrement appliquée !
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Pour Chloé Rezlan, cette décision de justice est juste le résultat d'une surtransposition injuste.
"Cet arrêt illustre parfaitement le caractère sévère – pour ne pas dire disproportionné – de la responsabilité de plein droit prévue par le Code du tourisme et imposée par le législateur français.
Pour rappel, ce régime de responsabilité spécifique n’est pas issu de la directive « voyages à forfait » 2015/2302 mais résulte de sa transposition dans le droit français.
Rien ne laisse présager un changement du régime à la lumière des discussions de révision de la directive et de sa future transposition. A suivre," a conclu l'avocate du cabinet Adeona Avocats.
Et malheureusement, la responsabilité de plein droit ne devrait pas disparaitre du code du tourisme, puisque malgré les demandes des Entreprises du Voyage, les gouvernements successifs et le Conseil d'Etat se montrent inflexibles.
"Cet arrêt illustre parfaitement le caractère sévère – pour ne pas dire disproportionné – de la responsabilité de plein droit prévue par le Code du tourisme et imposée par le législateur français.
Pour rappel, ce régime de responsabilité spécifique n’est pas issu de la directive « voyages à forfait » 2015/2302 mais résulte de sa transposition dans le droit français.
Rien ne laisse présager un changement du régime à la lumière des discussions de révision de la directive et de sa future transposition. A suivre," a conclu l'avocate du cabinet Adeona Avocats.
Et malheureusement, la responsabilité de plein droit ne devrait pas disparaitre du code du tourisme, puisque malgré les demandes des Entreprises du Voyage, les gouvernements successifs et le Conseil d'Etat se montrent inflexibles.