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Réalité Virtuelle : "l'innovation est souvent pensée de façon gadget"

Interview de Jean-Baptiste Suquet, coordinateur pour Neoma du projet européen Vista-AR


La réalité virtuelle (VR) a déboulé dans nos smartphones il y a quelques années. Une fois l'effet "waouh" retombé, la VR n'a pas nécessairement envahi les agences de voyages, les musées ou autres lieux de visite. Coordinateur du projet européen Vista-AR, mais aussi enseignant-chercheur de Neoma Business School, Jean-Baptiste Suquet revient sur son actualité et l'état de l'art autour de la réalité virtuelle.


Rédigé par le Vendredi 18 Octobre 2019

Le projet Vista-AR veut démocratiser la réalité virtuelle et augmentée pour les petits sites culturels en Europe - Crédit photo : Depositphotos @SeventyFour
Le projet Vista-AR veut démocratiser la réalité virtuelle et augmentée pour les petits sites culturels en Europe - Crédit photo : Depositphotos @SeventyFour
TourMaG.com - Qu'est ce que le projet européen Vista-AR ?

Jean-Baptiste Suquet :
L'idée de départ est de rendre la technologie accessible à l'ensemble des sites touristiques français et européens.

Nous sommes partis du postulat suivant : l'innovation technologique est partout mais nous avons constaté que l'innovation est souvent invoquée ou pensée de façon "gadget".

Notre projet, destiné aux sites culturels, résulte de l'articulation de trois ambitions. Tout d'abord technologique, avec l'École européenne supérieure d’art de Bretagne (EESAB) dans la conception des outils numériques, puis au niveau du business afin de développer un modèle économique pérenne, et pour finir la médiation culturelle.

Nous souhaitons créer de nouvelles expériences visiteurs en adoptant des technologies numériques de pointe dans des sites culturels et patrimoniaux partenaires.

La base technologique est là. Mais il y avait l'enjeu de son accessibilité financière, c'est à ce niveau que le projet Vista-AR trouve tout son intérêt. Nous voulons aussi faire réfléchir sur l'intérêt économique que représente la réalité virtuelle pour les sites culturels.

TourMaG.com - A quoi se résume l'intégration de la VR en 2019 ?

Jean-Baptiste Suquet :
Bien souvent, c'est la volonté d'un élu qui souhaite montrer qu'il est innovant.

Il va alors chercher un financement de manière opportuniste. Bien souvent l'institution met en place l'innovation technologique mais sans coordination sur l'ensemble de la promotion du patrimoine. Nous voulons leur faire prendre conscience de l'intérêt économique de l'intégration réussie de la réalité virtuelle et augmentée.

Souvent la réflexion ne tient pas les 3 ambitions évoquées : la médiation culturelle, l'économie et la technologie.

"Dans les 3 prochaines années nous devons intégrer 150 sites à notre projet..."

TourMaG.com - Comment mener à bien cette volonté ?

Jean-Baptiste Suquet :
Le projet repose sur des partenariats avec des expertises spécifiques.

Néoma s'occupe de la partie business avec l’Université d’Exeter, en interrogeant le modèle économique des innovations. Puis nous avons des partenaires technologiques technologiques pour le développement des dispositifs et des contenus numériques, et des sites patrimoniaux expérimentant avec nous la digitalisation du parcours de visite.

C'est un projet européen, financé par le fonds Interreg, donc développement régional. Les régions concernées sont de part et d'autre de la Manche, à savoir le sud de l'Angleterre et l'ensemble du nord de la France.

Nous ne nous adressons pas au Louvre, mais aux sites plus modestes ayant des problèmes d'accessibilité aux nouvelles technologies. Nous avons le financement pour impulser la démarche et créer les premiers outils. Ensuite nous allons chercher les sites utilisateurs pour enclencher un cercle vertueux.

Dans les 3 années suivant la fin du projet nous devons en effet recruter 150 sites utilisateurs de la solution développée ce qui permettra d'amortir l'innovation autour de la réalité virtuelle et de mutualiser les contenus digitaux et les données d’utilisation.

Avant cela, nous devons penser une variété de situations, anticiper les questions et les problématiques pour les futurs sites utilisateurs, ce qui explique notre volonté d’être présents sur une pluralité de territoires, de types de patrimoine, etc.

TourMaG.com - Depuis quand le projet est déployé ?

Jean-Baptiste Suquet :
Le projet est assez ancien car tout ce qui concerne l'Europe prend énormément de temps, surtout que nous sommes sur un budget de plusieurs millions d'euros.

Les premières discussions et réflexions remontent à 5 ans. Le projet a été accepté en 2016. Entre le développement de la technologie, l'innovation économique et la médiation culturelle, toutes ces étapes prennent du temps.

Pour prendre une anecdote parlante, il ne reste que 3 colonnes et un pan de mur du logis seigneurial au Château de Fougères (Commune de Fougères, Bretagne ndlr). Nous avons voulu rendre accessible aux visiteurs ce bâtiment à l'aide de la réalité augmentée sur tablette.

Sauf que la connaissance scientifique est insuffisante sur l’état du logis seigneurial, ce qui a nécessité en plus du développement technologique, la constitution d’un comité scientifique, retardant la mise en place du projet, qui est à l’heure actuelle en version prototypique.

Dès 2020, nous espérons mettre en place une salle immersive pour faire revivre une bataille, du point de vue d'un soldat et mettre à disposition des personnes à mobilité réduite des lunettes de réalité augmentée.

"Le dialogue entre ces deux mondes n'est pas toujours évident"

TourMaG.com - Après trois ans de travail sur le projet, quels enseignements tirez-vous ?

Jean-Baptiste Suquet :
Sur le secteur patrimonial, il existe une très grande difficulté sur les ressources financières et les compétences.

D'autre part, l'approche des acteurs du patrimoine n'est souvent pas orientée sur le ludique, le commercial ou l’expérientiel, mais plus focalisée sur la transmission des connaissances. Il faut en tenir compte..

En fait, il y a un fossé important entre les concepteurs de la réalité virtuelle et les responsables des sites culturels. Les uns veulent mettre du fun, alors que les autres sont dans une logique de transmission des savoirs. Le dialogue entre ces deux mondes n'est pas toujours évident.

La tendance est aussi à se saisir de manière ponctuelle ces nouvelles technologies, sans opérer une refonte totale du parcours du visiteur.

TourMaG.com - Peut-on parler de méconnaissance ?

Jean-Baptiste Suquet :
Il n'y a pas toujours de connaissance, je suis d'accord, mais c'est surtout la complexité de l'écosystème institutionnel français.

La compréhension des enjeux est diluée dans un grand nombre de strates, allant de la promotion du territoire, la rentabilité ou les impacts technologiques.

D'ailleurs, nos partenaires anglais sont souvent surpris par la complexité institutionnelle de l'organisation du tourisme patrimonial en France. Pour digitaliser la valorisation du patrimoine, il faut réaménager cet écosystème.

"Nous allons aussi interroger la capacité d'apprentissage de la réalité virtuelle"

TourMaG.com - Où en êtes-vous dans le développement de la VR ?

Jean-Baptiste Suquet :
On a pris un peu de retard à ce niveau. Nous n'avons pas de quoi comparer une visite classique et celle avec des outils digitaux. Nous avons une année de décalage.

Par contre l’université d’Exeter travaillent sur la commercialisation du contenu digital, et étudient le prix que les visiteurs sont prêts à payer pour une visite augmentée. De plus, ils mènent une étude sur le parcours des visiteurs pour bien comprendre l'expérience visiteur, par l'eye tracking.

Actuellement, ils sont en train d'extraire les données. Le CESI continue de développer les outils pour tracer digitalement le visiteur afin de savoir comment ils utilisent les appareils numériques.

Nous aimerions aussi avec l’équipe de Neoma BS étudier le niveau narratif du dispositif digital, pour savoir s'il permet une meilleure immersion pour le visiteur qu'un audioguide ou un guide classique.

Et nous allons aussi interroger la capacité d'apprentissage de la réalité virtuelle et augmentée. Pour convaincre des sites, il nous faut un argumentaire solide.

TourMaG.com - Si nous n'avons pas le recul sur la technologie, les start-up se sont lancées trop tôt ?

Jean-Baptiste Suquet :
Le secteur est très dynamique et explore tous azimuts, mais cela vaut le coup.

En parlant avec des responsables de site on se rend compte que les besoins technologiques ne sont pas forcément très avancés. Les start-up qui se sont lancées trop tôt sont celles qui ont voulu innover pour innover mais sans être à l'écoute des musées ou autres lieux.

Le message que je peux adresser aux jeunes pousses : développez vos technologies en harmonie avec les sites, quitte à revoir à la baisse les ambitions au niveau de l'innovation technologique.

Le digital peut être une solution dans la transmission et la sauvegarde du patrimoine

TourMaG.com - Quelle est votre ambition technologique ?

Jean-Baptiste Suquet :
Clairement, nous voulons sortir du gadget que les médias mettent en avant continuellement, en développant des solutions utiles et économiquement pérennes.

D'autant que la réalité virtuelle et augmentée reste une technologie mature, pour améliorer les visites classiques. Après concernant les visites guidées, la problématique est plus complexe, pour associer le travail des guides et les outils digitaux.

Les guides ont souvent une appréhension négative sur le digital, avec la peur de se retrouver remplacés par des tablettes ou autres. Il est vrai que souvent le numérique est vu comme une façon de trancher dans les ressources humaines, de faire des économies. Sauf qu'il faut avoir une pensée globale, une vision à long terme et sortir de l'effet "waouh" en gardant en tête l’objectif de médiation culturelle et de valorisation du patrimoine. .

Prenez la ville de Flers qui s'appuie sur une association de mineurs, pour valoriser son patrimoine minier. Une fois que les derniers mineurs ne seront plus là, ce patrimoine doit-il disparaître ? Le dispositif digital qu’ils ont développé peut être une solution dans la transmission et la sauvegarde.

Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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