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Passagère oubliée sur une île : la sécurité des croisières remise en cause ? [ABO]

La chronique de Frédéric Jansen, ancien directeur de croisière


Le décès de Suzanne Rees, 80 ans, retrouvée morte sur l’île australienne de Lizard après avoir été oubliée par le Coral Adventurer, relance le débat autour de la sécurité à bord des navires de croisières. Pour Frédéric Jansen, ancien directeur de croisière, cette « erreur humaine » met en lumière les failles du contrôle d’embarquement, pourtant crucial même sur de petits navires. Dans sa chronique, il rappelle que malgré les protocoles et la technologie, la vigilance humaine demeure la clé de la safety en mer.


Rédigé par Frédéric JANSEN le Jeudi 6 Novembre 2025

« Comment est-ce possible, en 2025 et avec tous les systèmes de sécurité, d’oublier encore quelqu’un à terre comme cela ? », interroge Frédéric Jansen - DepositPhotos.com, scaliger
« Comment est-ce possible, en 2025 et avec tous les systèmes de sécurité, d’oublier encore quelqu’un à terre comme cela ? », interroge Frédéric Jansen - DepositPhotos.com, scaliger
Peut-être avez-vous entendu parler de cette passagère âgée de 80 ans, Suzanne Rees, qui a été retrouvée morte sur l'île Lizard, dans la Grande Barrière de Corail australienne, après avoir été abandonnée par le navire de croisière Coral Adventurer le 25 octobre dernier ?

Que s’est-il passé ?

Madame Rees, qui résidait à Sydney, avait commencé une randonnée vers le point de vue Cook's Look avec d'autres passagers, quand elle s'est sentie mal. Retournant seule - et sans escorte - au navire, elle n'est pas remontée à bord avant son départ.

Le bateau a quitté l'île et sa disparition n'a été signalée que vers 21h, lorsqu'elle ne s'est pas présentée pour le dîner.

Le navire est donc retourné à Lizard Island tôt le dimanche 26 octobre et une opération de recherche impliquant un hélicoptère a été lancée, ce qui a permis de découvrir son corps, à environ 50 mètres du sentier de randonnée.

Pour rappel, le Coral Adventurer, exploité par Coral Expeditions, effectuait une croisière de 60 jours autour de l'Australie, avec une escale à Lizard Island... au deuxième jour de ce voyage de deux mois !

Lire aussi : À bord d’un navire de croisière : 20 métiers méconnus mais essentiels !


Le débat sur la réglementation en matière de sécurité maritime relancé

Si les autorités ont confirmé que sa mort n'était pas suspecte, depuis, l'Autorité australienne de sécurité maritime (AMSA) ainsi qu'un organisme de surveillance de la sécurité au travail enquêtent sur ce tragique incident, notamment sur les raisons pour lesquelles la passagère n'a pas été comptabilisée lors de l'embarquement.

De son côté, Coral Expeditions a présenté ses condoléances et a confirmé qu'elle coopérait, mais n'a fait aucun autre commentaire tant que l'enquête est en cours.

Néanmoins, cet incident a relancé le débat sur la réglementation en matière de sécurité maritime, et surtout dans la zone de la Grande Barrière de Corail, après l'abandon en 1998 du couple américain Tom et Eileen Lonergan.

Comment est-ce possible, en 2025 et avec tous les systèmes de sécurité, d’oublier encore quelqu’un à terre comme cela ?

Honnêtement, je dirais que c’est un cas isolé dû à une grave erreur humaine car, oui, chaque passager est tenu de montrer sa carte de bord à la coupée du navire à un officier de sécurité (l’humain), ce dernier faisant passer la carte par un système de contrôle (l’ordinateur) qui émet en général un « bip », confirmant le retour à bord de ce pax.

En fin de journée d’escale, le navire sait s’il a, ou pas, tous ses pax à bord au moment de partir.

Alors, panne d’ordinateur ? L’enquête va démontrer ce qu'il s’est passé.

Le contrôle à la coupée d’embarquement est primordial !

Toutefois, on pourrait trouver étonnant que cela arrive à bord du Coral Adventurer, qui navigue avec un maximum 120 passagers à son bord... Encore une fois, le nombre de pax n’a pas d’importance quand l’erreur est humaine !

On pourrait aussi dire que le bateau n'en était qu'au 2e jour d'une croisière de 2 mois, et que donc peu de passagers se connaissaient. Mais ne me dites pas que personne - de l’équipage qui accompagnait et/ou des passagers présents lors de la randonnée - ne s’est soucié de savoir si cette passagère, « abandonnée » seule, était bien descendue, après, rappelons-le, avoir dit qu’elle était fatiguée et ne se sentait pas capable de suivre le groupe…

De plus, il faisait très chaud ce jour-là sur Lizard Island. C’est grave. Si elle avait été retrouvée vivante, alors tout serait différent, mais là, on parle d'un vrai drame.

Le contrôle à la coupée d’embarquement et de débarquement des navires de croisière est primordial et il en va de la sécurité de toutes et tous à bord !

Le 3 novembre 2025, le Coral Adventurer a accosté à Darwin, où l'AMSA va mener une enquête plus approfondie auprès de l'équipage. A suivre, donc…

Quelles anecdotes (un peu plus agréables à lire) au sujet de la sécurité à bord

Je l’avoue : une seule fois en vingt ans de carrière, nous sommes partis en laissant, sans le savoir, un passager à terre.

Mais dix minutes après le départ des Saintes dans les Caraïbes, l’agent nous a appelé pour nous dire que nous avions oublié un passager.

A l’époque, au début des années 2000, pas d’ordinateur à bord de ce navire, juste un tableau en bois où il fallait retourner son médaillon dès que l’on sortait, puis le retourner à nouveau en rentrant. Sauf qu'il y avait un médaillon par cabine (et pas par passager), donc si dans un couple une personne rentrait à bord plus tôt que l’autre, il ne fallait pas retourner le médaillon.

Dans le cas que je vous relate, nous pensions que tout le monde était à bord puisque tous les médaillons étaient retournés. Nous avons bien sûr fait demi-tour et avons envoyé un Zodiac (plus rapide) pour récupérer le passager oublié.

Plusieurs fois, il nous est arrivé de laisser des passagers à terre, mais dans ces cas-ci, en étant à chaque fois conscient qu’ils n’étaient pas à bord.

Après annonces, attente et recherches, le passeport était laissé à l’agent à terre afin que le passager manquant puisse rejoindre le navire à la prochaine escale. Cela m’est arrivé par exemple aux Caraïbes (Antigua) où un passager de sexe masculin manquait avant le départ. Son épouse et sa fille, à bord, étaient étonnement calmes… « Oh, he is a big boy ! ».

En soirée, l’agent nous appelle pour nous dire qu’il l’a retrouvé. Il se promenait seul dans les rues obscures en rentrant d’un bar et s’est fait attaqué. Légèrement blessé, il a couru après son voleur et s’est perdu dans les ruelles dans le noir. Le lendemain, il revient à bord avec l’arrière de son short tout déchiré (dû au vol) et avec le sourire malgré tout.

Des anecdotes comme celles-ci, je pourrais vous en raconter à la pelle. En voici trois, tirées de mon premier livre à paraître : « Journal de Bord d’un Directeur de Croisière ».

La plage et le voilier

Le voilier 4 mâts en jette dans cette région de la Thaïlande qu’est la mer d’Andaman. C’est d’ailleurs le seul navire de croisière non-asiatique à être dans ces eaux.

Un soir, on apprend via notre agent local que deux personnes, venues par bateau à moteur directement à la coupée d’embarquement, ont demandé à visiter le voilier, mais que leur demande a été rejetée et que, donc, ils sont repartis très déçus et même un peu énervés.

Le marin qui fait office d’agent de sécurité (il gère à bord les entrées et les sorties du navire) est russe, et il refuse cette visite car ces deux visiteurs n’ont pas de « visitor pass ». La règle c’est la règle. Et il ne fera pas d’exception.

Parmi ces deux personnes figure un jeune visiteur. L'autre, qui l'accompagne, insiste et aurait dit à l'agent de sécurité : « C’est une personne connue, c’est "untel" », mais le marin russe ne connaissant pas ce nom leur a répondu : « You can be father Christmas or Santa Klaus, if you don’t have visitor pass, you cannot come on board ». Traduction : « Vous pouvez être le Père noël, sans pass visiteur, vous ne monterez pas à bord ». C’est un « niet » assuré.

En effet, lorsque nous attendons un visiteur (journaliste, agent de voyages, ami de l’agent local, agent touristique, famille ou connaissances d’un membre d’équipage, etc.) et que la navire est au mouillage, les noms figurent sur une liste à terre et le « visitor pass » est donné à terre, là où les passagers embarquent les navettes qui font les allers-retours du quai au voilier.

Nous sommes en 1999 et le navire est au mouillage entre les îles Phi Phi. Plus tard, nous apprenons que le visiteur en question n’était autre que Leonardo Di Caprio, en tournage pour son film « The Beach ». Leonardo ne visitera jamais le voilier... et le marin russe dira, avec un haussement d’épaules : « I did my job ».

Embarquement refusé

Dans le même style (à cause je dirais de la « culture » du membre d’équipage), nous avons eu un refus d’embarquement d’un couple en voyage de noces par un marin.

Je vous explique l’histoire. Jour d’embarquement à la Barbade : après avoir déposé les bagages dans leur cabine, ce couple a une fête prévue le soir avec des amis à terre et n’embarquera que le lendemain, à Sainte Lucie.

Le lendemain, ce couple se présente à l’entrée du port à Sainte Lucie, et tombe sur ce marin qui ne les laisse pas passer. Il faut dire que sans les cartes de bord (perdues ?), il est plus difficile de montrer que l’on appartient à ce navire, car nous ne sommes pas le seul navire dans le port ce jour-là...

Mais bon, le marin a été prévenu qu’il y aura un couple en voyage de noces qui montera à bord pendant notre escale à Sainte Lucie. A quelle heure ? On ne sait pas… et pas d’autres visiteurs prévus.

J’entends à la radio un appel de ce marin qui contacte le Commandant ; c’est bizarre que la terre contacte ainsi le Commandant directement. Sachant que le Commandant se repose à cette heure-là, je prends donc le relais. Et je file vers le quai, car je sens (j’ai entendu des arrières bruits à la radio) que la situation est tendue à terre.

Mais pourquoi ? Je vais vite le savoir et je vais vite ne plus savoir où me mettre pour excuser ce membre d’équipage.

Nous sommes au début des années 2000, cela n’excuse rien mais voilà. On avait dit au marin qu'un couple en voyage de noces allait arriver à bord, mais personne n’a précisé que ce couple était composé de deux femmes.

Et comme elles étaient éméchées et qu’elles n’avaient pas leur carte de bord, le marin ne les a pas laissées passer. Et, énervées au possible au fur et à mesure que les minutes passaient, elles ont insisté pour que le marin appelle le Commandant.

Je me présente et je les accompagne : « Je suis vraiment désolé… Bienvenue à bord », et je les invite au bar (cela sauve pas mal de situations, le bar…).

Le G7

Nous nous préparons à bord pour accueillir la presse pour le G7 qui va se tenir plusieurs jours à Gênes en Italie. Nous sommes en juillet 2001.

Trois navires de la compagnie sont réquisitionnés et les deux plus grands accueilleront les chefs d’Etat. Dans le nôtre, le plus petit des navires (et le plus ancien), ce seront des journalistes.

Des semaines auparavant, nous avons une multitude d’exercices : drill contre le feu, mais surtout des « Bomb Threat ». Et ce drill est particulièrement pénible pour les membres d’équipage : tant que nous n’avons pas tous trouvé les 5 bombes factices, placées un peu partout dans le navire, nous n’arrêterons pas de chercher. Et cela nous « mange » les heures de repos, les heures où l’on peut sortir et aller faire un tour dans ces ports grecs si charmants.

Je me souviens de la technique pour toucher les rideaux, en plaçant la main délicatement et en tournant doucement dans le sens des aiguilles d’une montre car il ne faudrait pas faire exploser la bombe… Les radios doivent être éteintes, ainsi que le téléphone portable (des Nokia) à l’époque. Nous ne communiquons que par le bouche-à-oreille ou avec les quelques téléphones fixes placés sur les murs.

Cela fait quelques jours que nous n’avons pas fait d’exercice de sécurité. Et c’est tant mieux, car trop c’est trop. Et pas productif. Mais oui, nous (les officiers) avons tous les deux ou trois jours des meetings à la passerelle , des updates, des nouvelles instructions venant du bureau.

C’est un grand évènement le G7, mais je sens que le Commandant (grec) et mes autres collègues ne sont pas stressés, et j’aime cette ambiance sereine et cette sensation que « nous savons ce que nous faisons ».

Je suis à la passerelle lors de l’un de ces meetings, et j’entends le téléphone qui sonne. Un officier décroche et il dit tout haut ce qu’il vient d’entendre au bout du fil : « Commandant, c’est la coupée qui appelle, il y a un paquet pour vous qui vient d’arriver ».

Etant en réunion, nous sommes tous debout en cercle et le Commandant se tourne vers un marin philippin et lui dit rapidement « Tu peux aller le chercher s’il te plaît ? ». Yes Captain.

Le marin revient quelques minutes plus tard à la passerelle ; nous avons terminé le meeting et le marin tend le paquet, en souriant, au Commandant.

Le Commandant ne prend pas le paquet, regarde d’un ton sérieux le marin dans les yeux, cela dure 3 secondes. Et le Commandant dit tout bas en le regardant « Tic Tac, Tic Tac ».

Je me souviendrai toujours de la tête du marin philippin. Du sourire, son visage est passé à la stupeur, puis à la honte.
« I am sorry Captain ». « Je suis désolé Commandant. »

« You can be sorry, but we are all dead. You included. » « Vous êtes peut-être désolé mais là, nous sommes tous morts, vous compris ».

Ah, ces exercices de sécurité et de sûreté.

Je vous assure qu’ils sont tous indispensables. Et oui je le sais… si vous avez bossé à bord, vous vous êtes plaints de ces heures et heures d’exercices, à rester debout dans le silence avec ce gros gilet de sauvetage et ce soleil qui vous brûle, ou ce vent qui vous dérange ou ce froid qui vous gèle sur place...

Safety is number one. Ne l’oubliez jamais.

Le saviez-vous ?

* Les mots security et sécurité sont des faux frères !

Security : sûreté du navire = la prévention des actes de malveillance, c'est-à-dire des actions volontaires visant à nuire.

Safety : sécurité du navire = l'ensemble des moyens mis en œuvre pour prévenir les risques involontaires, tels que les accidents du travail, les incidents techniques, les risques chimiques, environnementaux ou incendies.

* Une passagère portée disparue depuis...1998 !

Avez-vous vu la série en trois épisodes sur Netflix à propos de Amy Bradley, qui a disparu d'un navire de croisière Royal Caribbean près de Curaçao le 24 mars 1998 ? Cette série, qui explore la disparition non élucidée de cette femme de 23 ans et les recherches incessantes menées par sa famille, a permis de découvrir trois nouvelles pistes importantes en octobre 2025, incitant le FBI à rouvrir l'enquête avec de nouvelles ressources. Personnellement, après l’avoir regardée, j’ai ma petite idée, mais voyons la suite...

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Frédéric Jansen - Photo Studio Digital PhotoShop
Frédéric Jansen - Photo Studio Digital PhotoShop
Frédéric Jansen est un consultant d'origine belge et avant d’avoir récemment officié à terre pendant 7 ans comme Global Brand Ambassador pour une compagnie française, il a été directeur de croisière durant 20 ans pour 9 compagnies de croisières, à bord de 20 navires différents.

Organisateur et accompagnateur de voyages extrêmes pour une clientèle haut de gamme, il a voyagé dans le monde entier avec une passion pour les langues, les rencontres avec les populations et les cultures locales.

Il est sur le point de publier son premier ouvrage « Journal de Bord d’un Directeur de Croisière » (en deux versions, française et anglaise), où il retrace ses anecdotes de voyage les plus incroyables.

Il a également participé récemment à plusieurs émissions : Héros avec Faustine Bollaert (RTL) ; Legend avec Guillaume Pley (YouTube) et NRJ Belgique avec Mike.

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Tags : jansen
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