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Biokérosène : "le sujet n'est pas de concurrencer le prix du pétrole !" 🔑

Marc Delcourt, le cofondateur et DG de Global Bioenergies


D'ici peu, l'aérien devra être neutre ou ne sera plus. Si depuis le 1er janvier 2022, les compagnies aériennes ont l'obligation d'ajouter 1% de carburant durable dans le kérosène, le secteur doit aller plus vite. Pour Marc Delcourt, le DG de Global Bioenergies, c'est un enjeu vital qu'il doit relever. Et pour réussir cette transition, le cofondateur de l'entreprise entend obtenir la certification pour les carburants aériens, avec son kérosène d'origine végétale. Après une levée de fonds de 14 millions d'euros permettant de produire quelques tonnes, Global Bioenergies s'attend à démultiplier sa production dans les années à venir. Rencontre avec Marc Delcourt.


Rédigé par le Jeudi 23 Juin 2022

Global Bioenergies est dans l'attente de la certification pour pouvoir être ajouter dans les avions de ligne - DR
Global Bioenergies est dans l'attente de la certification pour pouvoir être ajouter dans les avions de ligne - DR
TourMaG : Avant d'aborder la révolution que représente le biokérosène, pourriez-vous présenter l'entreprise Global Bioenergies ?

Marc Delcourt : Depuis maintenant 13 ans, Global Bioenergies développe un procédé unique permettant de transformer les sucres dans un sens très large, en une molécule faisant partie du cœur de la pétrochimie actuelle, l'isobutène.

Celle-ci sert à la production des plastiques, des caoutchoucs, des produits pour le cosmétique et du kérosène.

Nous pouvons obtenir cette molécule à partir de la mélasse de betterave, mais aussi des copeaux de bois ou encore des déchets agricoles comme la paille.

Notre procédé, en particulier, représente l’une des très rares technologies au monde pour fabriquer du biokérosène.


TourMaG : Quelles sont vos avancées sur ce genre de produit ?

Marc Delcourt :
Aujourd'hui nous arrivons à produire à l'échelle de la tonne.

Nous avons produit des lots pour la certification de notre biokérosène, et aussi pour réaliser des tests : en 2021, nous avons pu faire voler un avion de tourisme qui contenait 97% de carburant d’origine renouvelable produit par notre procédé.

L’avion a décollé à Sarrebruck en Allemagne et a atterri à Reims. Cet exercice a permis d'apporter la preuve que nos molécules sont tout à fait adaptées à l’utilisation pour le transport aérien.

En ce moment, nous travaillons sur la certification pour les carburants aériens et nous espérons l'avoir dès cette année.


Biokérosène : "nous divisons entre 3 et 5 fois moins la pollution des carburants d'origine fossile"

TourMaG : Comment se passe cette certification ?

Marc Delcourt :
La certification est délivrée par l’ASTM. C'est l’organe qui qualifie les biocarburants aériens à l’échelle internationale.

L'ASTM regroupe les deux principaux constructeurs, donc Airbus et Boeing, ainsi que 5 motoristes. Vous vous doutez bien qu'étant donné le sujet, la procédure est complexe et très sérieuse.

La certification est obtenue grâce à un vote à l'unanimité des 7 membres de l'ASTM.

Nous espérons l'obtenir dès cette année 2022 et donc pouvoir mélanger notre composé jusqu'à 10% dans le kérosène qui se trouvera à Roissy ou Orly.

Assez peu de technologies permettent de produire du kérosène d'origine végétale. L'intérêt 1er vous vous en doutez bien étant de produire moins de CO2.

La certification ne fait pas tout, loin de là : le sujet principal reste de réduire les coûts pour que le surcoût par rapport au kérosène fossile soit le moins important possible.


TourMaG : Justement quel est l'impact sur l'environnement ?

Marc Delcourt :
Dans le cadre du pétrole, c'est un voyage à sens unique du sous-sol vers l'atmosphère, alors que notre biokérosène permet d'instaurer un cycle plus vertueux.

Le CO2 est capté par les plantes qui sont cultivées dans le monde et dont nous réceptionnons, les reliquats et les déchets pour produire du biocarburant.

Si le cycle était parfait, la production de CO2 serait nulle.

Mais un peu de CO2 est en fait produit à chaque étape (la culture, la récolte, le traitement industriel...). Il faut faire le bilan précis des émissions de CO2 du cycle.

Lorsque le procédé sera exploité à grande échelle, on estime que le CO2 sera réduit d’un facteur 3 à 5 en comparaison à des carburants d'origine fossile.


TourMaG : Vous parliez de tonnes, quelle est votre production ?

Marc Delcourt :
Nous sommes dans des petits volumes, que nous commençons à commercialiser, mais dans un tout autre domaine que les carburants.

Nous avons démarré une unité de production sur le site de Pomacle, en France, qui a une capacité de production d’isobutène de 10 tonnes par an.

Nous allons porter cette capacité à 100 tonnes d’isobutène par an d’ici la fin de l’année. Pour l’instant, les dérivés de cet isobutène sont destinés à la cosmétique, où la naturalité représente une valeur importante.

L'Oréal est aujourd'hui notre 1er actionnaire, avec 13,5% des parts de Global Bioenergies.

Pour atteindre un coût compatible avec le transport aérien, il faudra une usine de très grande taille, et un procédé qui fonctionne à l’optimum de ses capacités.

Taxation du kérosène : "la fiscalité du transport aérien est aberrante"

"le biokérosène ne sera jamais en mesure de concurrencer le pétrole. C'est normal, car il est toujours plus facile de dilapider un héritage que de travailler" selon Marc Delcourt (Global Bioenergies)
"le biokérosène ne sera jamais en mesure de concurrencer le pétrole. C'est normal, car il est toujours plus facile de dilapider un héritage que de travailler" selon Marc Delcourt (Global Bioenergies)
TourMaG. : Le biokérosène que vous produisez implique une modification de la motorisation des avions ?

Marc Delcourt :
Absolument rien, c'est l'objectif, mais aussi une obligation.

C'est toute la beauté de cette histoire. Nous parlons beaucoup de l'avion électrique ou à hydrogène, mais cette perspective est lointaine. Elle implique de remplacer et modifier en profondeur toute la flotte existante d’avions, ainsi que les infracstructures aéroportuaires.

Nous offrons, avec le biokérosène, une perspective à court terme.

La fiscalité du transport aérien est aberrante. Le carburant est taxé à près de 100%, pour les particuliers. C’est-à-dire que sur les 2 euros que coûtent le litre d'essence, 1 euro correspond au produit et 1 euros aux taxes. A contrario, le kérosène n’est pas taxé.

Ceux qui ont besoin de leur voiture pour aller travailler sont donc taxés très fortement.

Par contre la personne qui se rend aux Canaries ou aux Etats-Unis pour ses vacances n'est pas taxée. Cette situation crée une forme d’injustice.


TourMaG : Ce déséquilibre ne devrait pas durer éternellement...

Marc Delcourt :
Je ne suis pas aussi sûr que vous.

Et cette taxation à double vitesse peut durer longtemps, car elle découle d'un traité international : le traité de Chicago de 1944. L'objectif était de promouvoir un transport aérien balbutiant.

Ce traité n'a plus lieu d'être. Le transport aérien est maintenant une industrie mature, qui n’a plus besoin de cette fiscalité spéciale. L'aérien représente entre 2 et 3% des émissions de CO2 mondial (2,4% selon le journal Le Monde) une part non négligeable, surtout si on prend en compte qu’une petite partie seulement des humains prennent l’avion.

En France 4,5% des émissions de CO2 viennent de l'aérien, l'enjeu est réel. Nous travaillons pour réduire la production de CO2 du transport aérien.

"Le biokérosène ne sera jamais en mesure de concurrencer le pétrole"

TourMaG : Comme nous l'avons vu récemment, avec l'agence de voyages taguée par Extinction Rébellion, l'enjeu de l'impact du tourisme devient vital pour le secteur...

Marc Delcourt :
Nous voyons qu'un nombre croissant de personnes ne prennent plus l'avion à titre privé. C’est mon cas : lorsqu’on veut réduire son empreinte carbone, ne plus prendre l’avion est la chose la moins difficile.

Ce mouvement qui vient de Suède surnommé "flight shame" ou "flygskam" se propage à vitesse grand V dans la société. Si l'aérien ne fait rien, il y aura une désaffection du domaine dans les prochaines années.

La 1ère chose pour réduire l'impact étant de moins voyager.


TourMaG : Avec cette certification, il sera possible de mettre le biokérosène dans tous les avions ? Quelles seront les conséquences ?

Marc Delcourt :
La certification nous donnera le droit de mettre du kérosène dans les avions de ligne, mais la question que nous allons nous poser sera celle du prix.

Le procédé coûte cher à exploiter, car nous avons une petite usine. L'équation prix ne fonctione pas encore pour l'aérien. Si nous sommes certifiés, alors nous pourrons obtenir des financements pour bâtir une usine plus importante.

Nous pourrons industrialiser la production de biokérosène.


TourMaG : D'ici combien de temps, pourrez-vous arriver à concurrencer le prix du kérosène ?

Marc Delcourt :
Dans environ un milliard d'années (rire, ndlr).

Il faut bien s'avouer une chose : le biokérosène ne sera jamais en mesure de concurrencer le pétrole. C'est normal.

Pour produire du biocarburant, il faut faire travailler. faire pousser des plantes, les récolter, les convertir en biokérosène dans des usines. Dans le cas du pétrole, il ne s’agit que de puiser dans notre héritage géologique : C’est toujours plus facile de dilapider un héritage que de travailler !

Le sujet n'est pas la concurrence directe entre les carburants et les biocarburants, mais plutôt à combien nous allons valoriser ce carbone ? Et comment organiser le marché à la réduction de CO2 dans l'atmosphère ?

Des Etats obligent l'incorporation des biocarburants, comme la Norvège, la Suède et la France avec 1% de biokérosène dans l'aérien. La France est devenue le 1er marché mondial, avec cette obligation. De fait 80% du biokérosène fabriqué dans le monde est produit en France, via Total à partir d'huiles usagées.

Cette solution est efficace au niveau environnemental, mais n’est pas réplicable à très grande échelle. La production dépend de notre capacité à manger des frites ! De nouvelles technologies, telles que la nôtre, qui fonctionnent sur la base d’autres ressources, sont donc nécessaires.

Biokérosène : "il aura un coût pour l'aérien, mais c'est une solution pérenne"

TourMaG : Que représentera le marché des biokérosènes, à l'orée 2050 ? En prenons en compte, comme vous l'avez dit qu'il sera nécessaire de multiplier la production par 500.

Marc Delcourt :
Aujourd'hui, sur un total de kérosène aviation d’environ 200 millions de tonnes, nous sommes à 100 000 tonnes de biokérosène.

C’est minuscule : moins de 1 pour mille.


Dans les scénarios de prospectives, il existe différents gisements : les biokérosènes à base de sucres, comme le notre, soit à base d'huiles et d'autres comme les déchets municipaux.

Nous espérons mettre en place une usine en dizaines de milliers de tonnes d’ici la fin de la décennie, dont une partie de la production alimentera le transport aérien.


TourMaG : Est-ce à l'Etat d'obliger les compagnies à se tourner vers des carburants plus propres et à prendre en charge cette transition ? L'aérien sera plus couteux à l'avenir.

Marc Delcourt :
Il faut une vision politique, et l’adhésion des électeurs.

C'est un enjeu vraiment vital pour l'aérien de moins polluer. S'il ne s'empare pas réellement du sujet, mon avis est que le transport aérien sera drastiquement réduit dans dix prochaines années.

Les solutions ont un coût, mais elles sont nécessaires pour que ce secteur pérennise son activité à long terme.


TourMaG : Pour produire, vous utilisez les substituts de nos productions agricoles. Ne faudra-t-il pas énormément de terres cultivables pour répondre à la demande des biocarburants ?

Marc Delcourt :
C'est un débat intéressant et complexe.

Aujourd'hui, nous gaspillons un tiers de nos ressources agricoles, et nous utilisons également une grande partie de nos ressources agricoles pour produire de la viande, avec un rendement exécrable.

Les marges de manœuvre sont donc importantes : une partie des terre agricoles, qui doit rester modérée, peut absolument être consacrée au transport. A l'avenir nous aurons probablement une utilisation différente, et plus diverse, de ces terres.

Romain Pommier Publié par Romain Pommier Journaliste - TourMaG.com
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