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Futuroscopie : la prospective n’est pas de la prévision 🔑

Entretien avec Philippe Durance, professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers


« Regarder l’avenir le change » écrivait Gaston Berger, le père de la prospective en France, après avoir déclaré que « notre civilisation reposait essentiellement sur des études rétrospective ».
Et pourtant, malgré notre antériorité dans ce domaine, l’éclairage d’un esprit lumineux et les performances de cet exercice, la France n’a pas encore bien assimilé le parti qu’elle pouvait tirer d’une exploration de l’avenir sur du temps long. Quant au secteur touristique, bien qu’il n’ait que ce diktat à la bouche depuis la pandémie, il tarde (à quelques exceptions près) à entamer de véritables travaux. Le discours est là. Mais, les actes peinent à suivre. Les budgets aussi. Car qui dit prospective dit recherches sur les nombreux sujets transversaux au carrefour desquels se bâtit l’industrie touristique. Et qui dit recherche dit aussi et surtout action. Oui, regarder l’avenir c’est réussir à le changer avant qu’il se heurte à des crises non anticipées comme celles que nous traversons : crise sanitaire, économique, climatique.
Pour revenir sur le sujet, nous nous sommes entretenus avec Philippe Durance, économiste et professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers de Paris (Cnam). Et sachez que nous y reviendrons régulièrement. D’autant que Futuroscopie (TourMaG) est en train de créer le club de prospective Nextrip.


Rédigé par le Vendredi 30 Septembre 2022

Philippe Durance : "La prospective n’a pas pour finalité de prévoir l’avenir, ni même de se contenter d’en explorer les différentes voies possibles. Elle a été conçue dès l’origine pour nourrir la décision et l’action." - © INRIA / Photo B. Fourrier
Philippe Durance : "La prospective n’a pas pour finalité de prévoir l’avenir, ni même de se contenter d’en explorer les différentes voies possibles. Elle a été conçue dès l’origine pour nourrir la décision et l’action." - © INRIA / Photo B. Fourrier
Futuroscopie : Le secteur touristique en France parle beaucoup de prospective, mais n'en fait pas. Êtes-vous d'accord avec ce constat ?

Philippe Durance :
Je constate que certains acteurs du tourisme sont préoccupés par l’avenir et s’inscrivent dans une approche prospective. Peut-être pas tous, effectivement, et le succès de la dernière saison estivale ne facilite pas la prise en compte du long terme. Cela dit, il y a bien des manières de faire de la prospective.

Globalement, cela veut dire que l’on croit que l’avenir se construit plus qu’il ne se subit, qu’il est possible de se préparer aux changements attendus et, surtout, de provoquer les changements souhaités. Par exemple, le changement climatique entre dans les changements prévisibles et les acteurs n’ont désormais plus d’autres choix que d’en envisager les conséquences pour leurs activités à moyen et long terme.

La crise énergétique va constituer un nouveau défi à relever, notamment pour la saison d’hiver qui arrive. Plus globalement, les exigences liées au développement durable, concrétisées par les 17 objectifs (ODD), vont fondamentalement bouleverser les chaînes de valeur et les modèles d’affaires.

Rien de tel qu’une approche prospective pour en mesurer les conséquences et amorcer les transformations nécessaires.


Futuroscopie : Comment pourrait-il s'organiser et à quelles fins ?

Philippe Durance :
La prospective n’a pas pour finalité de prévoir l’avenir, ni même de se contenter d’en explorer les différentes voies possibles. Elle a été conçue dès l’origine pour nourrir la décision et l’action.

Cela veut dire qu’une réflexion prospective commence par une exploration des différents avenirs possibles, généralement sous la forme de scénarios. Puis, très vite, elle bascule dans le registre de la stratégie : les scénarios sont analysés en termes de conséquences et d’enjeux dans le présent pour les acteurs concernés et des actions sont proposées pour répondre à ses enjeux.

Ce type de démarche peut être réalisée soit à l’échelle d’une entreprise, soit d’une fédération ou de tout autre collectif d’acteurs. Quelle que soit l’échelle, il est crucial que l’ensemble des acteurs concernés soit impliqué dès le commencement, en particulier les acteurs de terrain qui sont confrontés à la réalité du contact avec le client et mettent en œuvre le changement au quotidien.


Futuroscopie : Les données quantitatives traitées par les algorithmes sont-elles suffisantes pour avancer dans le bon sens ?

Philippe Durance :
La prospective n’est pas la prévision. Elle ne se limite pas aux données quantifiables. Elle cherche à aller plus loin, en dépassant les projections plus ou moins sophistiquées proposées par l’analyse quantitative.

Elle travaille sur un autre registre : plutôt que de baser son analyse sur des données passées et de les projeter dans l’avenir, comme si rien ne devait changer, elle va rechercher dans le présent des ingrédients du futur qui pourraient dessiner un avenir possible rationnel.

D’un côté, on parle d’analyse tendancielle, basée généralement sur la projection statistique de variables quantitatives ; de l’autre, de la recherche de faits porteurs d’avenir, des éléments qualitatifs qui vont pouvoir nourrir un scénario d’évolution possible, tout en étant insignifiant quantitativement parlant. Certains proposent aujourd’hui de se baser sur l’analyse de données massives pour réaliser des prédictions ; pour moi, cela n’a pas de sens, car une telle approche revient à projeter d’une autre manière le passé - les connaissances issues de l’analyse de comportement passé, pour être plus précis - dans l’avenir, comme si l’avenir n’était que la continuité du passé.

Or, le propre de notre époque, c’est justement le caractère inédit des évènements.

Futuroscopie : Tous les acteurs du tourisme qui sont très divers trouveraient-ils leur compte dans une démarche collective nationale ?

Philippe Durance :
La prospective se nourrit de la diversité des acteurs. La réflexion sur l’avenir est construite grâce à l’apport de chacun, en fonction des expériences vécues. L’avenir n’ayant pas de réalité, il est ce que nous en disons.

Il dépend de nos perceptions, de nos croyances, de nos expériences. Explorer l’avenir, c’est partager une histoire commune construite ensemble à partir de points de vue différents.

C’est ce qui fait la richesse des démarches : permettre aux acteurs de sortir des ornières des métiers, des fonctions ou des disciplines dans lesquels ils sont souvent enfermés et leur donner la possibilité d’enrichir leurs perspectives à partir d’un échange avec les autres.


*Philippe Durance est économiste, professeur au CNAM à Paris et chercheur au Laboratoire interdisciplinaire de recherche en sciences de l’action (Lirsa). Ses enseignements et ses recherches portent sur la prospective, l’innovation et la transformation des organisations.

A lire : « La prospective stratégique ». Michel Godet. Philippe Durance. Editions Dunod.
« De la prospective » (textes réunis et présentés par Philippe Durance). Editions L’Harmattan.

Josette Sicsic - DR
Josette Sicsic - DR
Journaliste, consultante, conférencière, Josette Sicsic observe depuis plus de 25 ans, les mutations du monde afin d’en analyser les conséquences sur le secteur du tourisme.

Après avoir développé pendant plus de 20 ans le journal Touriscopie, elle est toujours sur le pont de l’actualité où elle décode le présent pour prévoir le futur. Sur le site www.tourmag.com, rubrique Futuroscopie, elle publie plusieurs fois par semaine les articles prospectifs et analytiques.

Contact : 06 14 47 99 04
Mail : touriscopie@gmail.com

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