
Charles Aguettant, Président de l'EBAA le 13 mai à Paris. "Notre aviation est au service des territoires, de l'industrie, de l'urgence, de la cohésion et de l'économie de notre pays". Photo : C.Hardin
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« Vous ne ferez pleurer personne. »
Cette petite phrase en forme d’admonestation prononcée par un tout récent ministre des transports à l’encontre d’un dirigeant de compagnie plaidant la cause d’une modération sur les taxes concernant l’aviation d’affaires illustre bien, à elle seule, comment, dans ce pays on considère cette activité.
C’est aussi pour tenter de donner une autre image que celle que ses détracteurs aiment mettre en avant « des milliardaires traversant la planète pour une soirée à Ibiza » que l’EBAA, (l'European Business Aviation Association), avait organisé une conférence à Paris la semaine dernière.
Dans sa prise de parole pour ouvrir l’évènement, Charles Aguettant, président EBAA France, a tenté de rétablir certaines vérités et donné des chiffres.
Il a présenté l’aviation d’affaires comme un vecteur de croissance, de réactivité, de souveraineté économique et sanitaire.
« C’est une aviation qui relie les territoires, soutient l'activité des entreprises, permet des interventions médicales ou humanitaires, dans des délais que seule elle peut offrir. »
En France l’activité représente 250 000 mouvements d’avions soit 9% de part de marché pour 500 avions basés dont 350 sous pavillon français avec plus de 100 000 emplois directs et indirects. Voilà pour les chiffres.
Aviation d'affaires : une taxe aussi chère que le prix du billet

Dans la réalité, l’activité représente pour 15 % des vols de loisirs et 85 % des vols d'affaires, dont 10 % de vols médicaux (des rapatriements sanitaires ou des transports d'organes.)
L’avantage est de pouvoir rapidement affréter un avion pour n'importe quelle destination et la capacité de se poser sur cinq fois plus d'aéroports que les compagnies aériennes classiques.
À titre d’exemple, Charles Aguettant mettait récemment en avant les vols privés de et vers Mayotte pour acheminer rapidement des secours et procéder aux premiers rapatriements.
Sur le sujet environnemental, l’aviation d’affaire rebaptisée par les militants d’Attac et d’Extinction Rébellion avec toute la nuance qui les caractérise, « le moyen de transport des milliardaires et ultrariches criminels climatiques » fait des efforts pour utiliser le plus possible de carburant alternatif issu de matières premières durables.
Elle en utilise aujourd’hui 35% soit bien plus que les 2% que la loi française exige. Mais ce carburant reste aujourd’hui très cher et les nouvelles taxes ne favoriseront pas cette dynamique.
Épargnée jusqu’à présent, la patrouille taxeuse a fini par rattraper aussi l’aviation d’affaires au grand dam de ses acteurs.
Réservée jusqu’ici pour les compagnies aériennes régulières, la TSBA frappe désormais les vols privés avec un coefficient qui augmente considérablement les couts.
Alors qu’elle représente 2% du prix d'un billet sur une compagnie régulière, dans l'aviation d'affaires, cela va de 10% à jusque 100 % avec cet exemple concret cité par le Président de l’EBAA : une entreprise qui décolle de La Roche-sur-Yon pour se rendre dans la journée à Lille, puis à Lyon, avant de rentrer à La Roche. La taxe par billet est de 420 euros et vous êtes six passagers.
À chaque décollage, vous paierez 420 euros par passager multiplié par 6, soit 5040 euros. On ne sort peut-être pas les mouchoirs, mais ça pique.
Selon des chiffres communiqués, les petits modules de six places, qui constituent l'essentiel du marché, subissent déjà une baisse d'activité comprise entre -20 et -40 %.Beaucoup de compagnies ont, par ailleurs, gelé les embauches et certaines risquent la disparition.
Précisons, n’en déplaise aux militants écologiques que ce ne sont pas les propriétaires des avions qui devront s’acquitter des taxes. « Il faut comprendre comment marche notre métier » nous explique Charles Clair, Président de Clair Group et fondateur d’ ASTONJET compagnie aérienne du groupe implantée au Bourget.
« Ce sont avant tout des propriétaires qui investissent en fait dans un avion privé parce qu'ils ont un besoin. Cependant, ils ne s’occupent pas eux-mêmes de leur avion, ils ne vont pas faire des contrats de carburant, ils ne vont pas aller embaucher des pilotes, ils passent par des sociétés de gestion d'avions qui sont tout simplement des compagnies aériennes. Dans ce secteur, on fait quasiment presque tous la même chose.
Nous proposons aux propriétaires d'avions de remettre leur avion en exploitation lorsqu'ils ne l'utilisent pas, et nous leur reversons une partie du chiffre d'affaires. C’est un peu le même métier qu'une agence immobilière, on va potentiellement vendre un avion, vendre un bien, et derrière on va le gérer pour récupérer de l'argent. 90% des compagnies aériennes ne sont pas propriétaires de leurs avions, c’est une grosse différence par rapport aux compagnies régulières. »
« Ce ne sont donc pas les propriétaires d’avion qui paieront en majorité les taxes, mais bien le chef d’entreprise qui par exemple utilise l’aviation d'affaires, parce qu'il n'a pas le choix.
Pour faire son Paris-Brest-Toulouse-Paris, avec quatre passagers à bord, il va payer, en fait, douze fois la taxe soit environ 5000 euros, ce qui est quasiment le prix du vol. C’est juste lunaire », concluait Charles Clair.
Flécher les taxes
« Justice sociale » sont aussi des mots qui ont été entendus lors de cette conférence. La contribution du secteur de l’aviation d’affaires n’est donc pas rejetée par l’association mais à condition qu'elle se fasse plus efficacement et dans des proportions plus justes.
Charles Aguettant plaide pour un fléchage des taxes au service du secteur. « À tout le moins, nous souhaiterions que les taxes que l'on nous applique soient fléchées vers le financement de la conversion aux carburants propres. Ce n'est pas le cas », regrette-t-il.
« Comme l’aviation régulière, l’aviation d’affaires s’est engagée dans la décarbonation et cela nécessite des investissements majeurs. Nous ne sommes pas des spectateurs passifs de la transition écologique, bien au contraire, mais des acteurs engagés. Nous sommes le secteur qui décarbone le plus vite et qui permettra aux autres secteurs, en partie, de se décarboner », affirme le président de l’EBAA.
« Le développement des carburants d'aviation durables, l'amélioration des performances énergétiques, la modernisation des flottes, la digitalisation des opérations permet, entre autres, de réguler les trajectoires de nos avions et donc leur empreinte carbone. Tout cela est déjà en marche, mais il nous faut accélérer et le faire collectivement avec l'aide des pouvoirs publics »
L’idée est donc de rediriger une partie des taxes vers des investissements tels que le développement plus rapide des productions de carburant d’aviation durables, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Et Charles Aguettant de rappeler les déclarations, il y a deux ans de Clément Beaune, Ministre des Transports au congrès de la FNAM : « J'assume de taxer l'aérien pour développer le train. ».
À ce sujet, les choses n’ont pas vraiment évolué depuis.
Charles Aguettant plaide pour un fléchage des taxes au service du secteur. « À tout le moins, nous souhaiterions que les taxes que l'on nous applique soient fléchées vers le financement de la conversion aux carburants propres. Ce n'est pas le cas », regrette-t-il.
« Comme l’aviation régulière, l’aviation d’affaires s’est engagée dans la décarbonation et cela nécessite des investissements majeurs. Nous ne sommes pas des spectateurs passifs de la transition écologique, bien au contraire, mais des acteurs engagés. Nous sommes le secteur qui décarbone le plus vite et qui permettra aux autres secteurs, en partie, de se décarboner », affirme le président de l’EBAA.
« Le développement des carburants d'aviation durables, l'amélioration des performances énergétiques, la modernisation des flottes, la digitalisation des opérations permet, entre autres, de réguler les trajectoires de nos avions et donc leur empreinte carbone. Tout cela est déjà en marche, mais il nous faut accélérer et le faire collectivement avec l'aide des pouvoirs publics »
L’idée est donc de rediriger une partie des taxes vers des investissements tels que le développement plus rapide des productions de carburant d’aviation durables, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Et Charles Aguettant de rappeler les déclarations, il y a deux ans de Clément Beaune, Ministre des Transports au congrès de la FNAM : « J'assume de taxer l'aérien pour développer le train. ».
À ce sujet, les choses n’ont pas vraiment évolué depuis.
Une réglementation dépassée

Jean Baptiste Djebbari, ancien ministre des transports et Charles clair, dirigeant d'ASTONJET à la conférence EBAA ce 13 mai à Paris. Photo : C.Hardin
La réglementation française a elle aussi été pointée du doigt. Figée et sans volonté de s’adapter, elle dissuade de nombreux propriétaires de faire immatriculer leur avion en France.
« Un problème culturel qui touche la France, mais pas seulement, et qui s'est construit en fait depuis une trentaine d'années », selon Charles Clair, alors qu’ailleurs on s’adapte pour attirer les pavillons.
Pour illustrer ses propos, le président, d’ASTONJET, a pointé ce qu’il considère comme une anomalie : le registre des immatriculations d’aéronefs qui reste public.
Déjà, et à ce sujet, Bertrand d'Yvoire, ancien dirigeant responsable de Dassault Falcon Service et devenu consultant, avait alerté. Quand les dirigeants se déplacent à bord de l’avion de leur entreprise, il n’est pas anormal qu’ils souhaitent souvent rester discrets vis-à-vis de la concurrence.
Que les autorités puissent elles accéder à ses informations, identifier le propriétaire de l’avion via l’immatriculation est une évidence. Pour le reste, « C'est un truc que j'ai quand même beaucoup de mal à comprendre. Vous allez sur Internet, vous tapez sur le registre des immatriculations, vous tapez n'importe quelle immatriculation et vous allez avoir le nom, avec le nom de la société qui est propriétaire de l'avion, à partir du moment où il est matriculé en FOX (immatriculé en France, NDLR).
Lunaire ! C'est comme si vous imaginez aujourd'hui, vous êtes en voiture, vous reprenez la plaque d'immatriculation de quelqu'un, vous allez sur Internet et vous savez à qui appartient la voiture. Ça ne serait pas accepté dans un monde normal.
Et pourtant, en France, c'est tout à fait accepté parce que le système n'a pas évolué. C'est-à-dire que ce qui était normal, ce qui pouvait servir peut-être dans les années 80, ce qui était peut-être intelligent, aujourd'hui, je pense, ne l'est plus du tout. Donc les propriétaires ne sont pas protégés et n’ont pas envie d’investir.»
À Malte, en Autriche et ailleurs, la règlementation a évolué et donne de meilleures garanties aux propriétaires.
« Un problème culturel qui touche la France, mais pas seulement, et qui s'est construit en fait depuis une trentaine d'années », selon Charles Clair, alors qu’ailleurs on s’adapte pour attirer les pavillons.
Pour illustrer ses propos, le président, d’ASTONJET, a pointé ce qu’il considère comme une anomalie : le registre des immatriculations d’aéronefs qui reste public.
Déjà, et à ce sujet, Bertrand d'Yvoire, ancien dirigeant responsable de Dassault Falcon Service et devenu consultant, avait alerté. Quand les dirigeants se déplacent à bord de l’avion de leur entreprise, il n’est pas anormal qu’ils souhaitent souvent rester discrets vis-à-vis de la concurrence.
Que les autorités puissent elles accéder à ses informations, identifier le propriétaire de l’avion via l’immatriculation est une évidence. Pour le reste, « C'est un truc que j'ai quand même beaucoup de mal à comprendre. Vous allez sur Internet, vous tapez sur le registre des immatriculations, vous tapez n'importe quelle immatriculation et vous allez avoir le nom, avec le nom de la société qui est propriétaire de l'avion, à partir du moment où il est matriculé en FOX (immatriculé en France, NDLR).
Lunaire ! C'est comme si vous imaginez aujourd'hui, vous êtes en voiture, vous reprenez la plaque d'immatriculation de quelqu'un, vous allez sur Internet et vous savez à qui appartient la voiture. Ça ne serait pas accepté dans un monde normal.
Et pourtant, en France, c'est tout à fait accepté parce que le système n'a pas évolué. C'est-à-dire que ce qui était normal, ce qui pouvait servir peut-être dans les années 80, ce qui était peut-être intelligent, aujourd'hui, je pense, ne l'est plus du tout. Donc les propriétaires ne sont pas protégés et n’ont pas envie d’investir.»
À Malte, en Autriche et ailleurs, la règlementation a évolué et donne de meilleures garanties aux propriétaires.
Perte d’attractivité
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L’aviation d’affaires française, on le voit à plusieurs défis à relever. Entre autres, faire évoluer son image bien trop caricaturale, faire baisser le poids des taxes et orienter une partie des recettes de celles-ci pour des investissements en matière de décarbonation et faire évoluer la réglementation.
Peut être pour le bonheur de quelques milliardaires, mais surtout pour protéger une filière qui, comme sa grande sœur de l’aviation de ligne, ne peut pas lutter à armes égales avec ses concurrentes mondiales.
Conséquence « une perte d’attractivité de la France » regrette Charles Aguettant.
« Aviation de riches, inutile, pollueuse » selon ses détracteurs, Jean-Baptiste Djebbari ancien ministre des Transports, pilote à ses heures et participant aux débats n’a pas mâché ses mots pour leur répondre :
« Ce qui s'est passé sous cette fameuse dernière taxe, c'est la quintessence de la façon dont fonctionne la France. D'abord, c'est un débat public qui est complètement biaisé, et c’est aussi un débat public qui est assez peu éclairé dans ses conséquences, c'est-à-dire que le choc récessif, il ne fallait pas être sorti d'une très grande école pour savoir qu'il existerait, et qu'à priori, comme on n'est pas sur une île, d'autres pays, d'autres opérateurs trouveraient matière à se renforcer au détriment du pavillon français, de la destination France.
C'est évidemment ce qui est arrivé. Quand vous provoquez un choc , la substance économique part ailleurs. Vous la perdez à la fois maintenant et sur le temps moyen, et c'est bien ce qu'on observe aujourd'hui.
La nature ayant horreur du vide, vous recréez ailleurs des poumons de prospérité, et vous continuez d'abîmer le discours politique, quand vous êtes écologiste politique, l'aviation est l'ennemi, la gestion d'affaires est l'ennemi et ce n'est jamais suffisant, donc ils ne s'arrêteront que lorsque le dernier avion français aura décollé du Bourget. »
Peut être pour le bonheur de quelques milliardaires, mais surtout pour protéger une filière qui, comme sa grande sœur de l’aviation de ligne, ne peut pas lutter à armes égales avec ses concurrentes mondiales.
Conséquence « une perte d’attractivité de la France » regrette Charles Aguettant.
« Aviation de riches, inutile, pollueuse » selon ses détracteurs, Jean-Baptiste Djebbari ancien ministre des Transports, pilote à ses heures et participant aux débats n’a pas mâché ses mots pour leur répondre :
« Ce qui s'est passé sous cette fameuse dernière taxe, c'est la quintessence de la façon dont fonctionne la France. D'abord, c'est un débat public qui est complètement biaisé, et c’est aussi un débat public qui est assez peu éclairé dans ses conséquences, c'est-à-dire que le choc récessif, il ne fallait pas être sorti d'une très grande école pour savoir qu'il existerait, et qu'à priori, comme on n'est pas sur une île, d'autres pays, d'autres opérateurs trouveraient matière à se renforcer au détriment du pavillon français, de la destination France.
C'est évidemment ce qui est arrivé. Quand vous provoquez un choc , la substance économique part ailleurs. Vous la perdez à la fois maintenant et sur le temps moyen, et c'est bien ce qu'on observe aujourd'hui.
La nature ayant horreur du vide, vous recréez ailleurs des poumons de prospérité, et vous continuez d'abîmer le discours politique, quand vous êtes écologiste politique, l'aviation est l'ennemi, la gestion d'affaires est l'ennemi et ce n'est jamais suffisant, donc ils ne s'arrêteront que lorsque le dernier avion français aura décollé du Bourget. »

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