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Marc Rochet : "Tout seul, je n’aurais rien pu faire..." 🔑

L’interview de Marc Rochet, Président d’Aérogestion


Marc Rochet a définitivement laissé les commandes des compagnies Air Caraïbes et French Bee au sein du groupe Dubreuil à Christine Ourmières-Widener. Même s’il l’a toujours fait, Marc Rochet, comme à son habitude, parle librement et sans ambages. Dans cette première partie de notre entretien, il revient sur les débuts de sa carrière et ses différentes aventures dans le transport aérien français.


Rédigé par le Mercredi 31 Janvier 2024

Marc Rochet : "l'histoire du gars qui a des idées tout seul et qui est le génie du siècle je n’y crois pas trop, en tout cas ce n’est pas mon tempérament. Il faut au contraire avoir la capacité d'écouter ceux qui ont des idées, les trier et les mettre en œuvre" - Compte Linkedin Marc Rochet
Marc Rochet : "l'histoire du gars qui a des idées tout seul et qui est le génie du siècle je n’y crois pas trop, en tout cas ce n’est pas mon tempérament. Il faut au contraire avoir la capacité d'écouter ceux qui ont des idées, les trier et les mettre en œuvre" - Compte Linkedin Marc Rochet
À un journaliste qui, sur un plateau de télévision, parlait de la fin de l’aventure Air Caraïbes et French Bee en évoquant « un livre que l’on referme », Marc Rochet avait immédiatement rectifié : « Non, une page qui se tourne ».

Certes l’ancien patron de compagnies aériennes à largement l’âge de prétendre à une retraite, mais ce mot là, chez les gens passionnés n’existe pas vraiment.

Et c’est bien la passion qui a guidé Marc Rochet toutes ces années dans le secteur du transport aérien. Et c’est bien elle, encore, qui l’anime.

Assis au Select à Montparnasse où il a ses habitudes, nous avons pu « l’attraper au vol », dans un emploi du temps encore bien chargé pour évoquer le passé, le présent… et le futur.

En revenant sur sa carrière avec TourMaG.com, il donne un éclairage permettant de mieux comprendre 40 ans de transport aérien en France.

Il partage aussi avec nous, sa vision des choses et notamment ce qui, selon lui, devrait changer pour un transport aérien français plus compétitif… Et toujours avec des formules bien senties.


Marc Rochet : à la tête de nombreuses compagnies aériennes françaises

TourMaG.com : Vous êtes ingénieur de formation avec une carrière aéronautique qui commence chez Air Inter en 1976, d’abord à la direction du matériel puis en tant que Chef d’escale. Pourquoi avoir choisi le transport aérien ?

Marc Rochet : Par passion. D’abord une passion familiale qui m’a été insufflée par mon père à moi et mes frères.

La volonté aussi, grâce aux gens qui ont été mes patrons, René Lapautre, des cadres d’Air France comme André Vignon, d’innover, et faire sortir cette activité du dogme étatique pour en faire une activité normale. Faire un parcours différent.

J’aurais pu rester à Air Inter et faire une carrière assez correcte avec des promotions rapides qui m’avaient été proposées.

Également des opportunités de carrière chez Air France, mais je voulais être dans un monde plus libéral, plus près de la réalité des clients, et du compte de résultat.

Voilà quel a été mon fil rouge avec je crois de belles réussites.


TourMaG.com - Cette passion pour un monde de l’aérien libéral, elle vous emmène en 1988 à la direction de la compagnie Aéromaritime, filiale d’UTA puis pour résumer rapidement AOM-Minerve, TAT, l’Avion et enfin Air Caraïbes et French Bee. Lorsqu’on y regarde de plus près, on se dit que vous avez été précurseur sur certains concepts. Revenons par exemple sur la période aéromaritime en 1988. Vous aviez commercialisé des vols « loisirs» en Europe avec des Boeing 737… bien avant Easy Jet ?

Marc Rochet : Je veux rappeler qu’en fait le low cost moyen-courrier a été inventé par les Américains. Cela s’est exporté ensuite en Europe dans les pays du Nord jouissant d'une économie libérale.

À cette époque, René Lapautre, le Président d’UTA et grâce à l’ouverture des paquets de libéralisation européens a cru à cette évolution du transport aérien, contre l’avis de beaucoup de gens y compris les dirigeants d’Air France qui disaient que ça ne marcherait pas.

On a vu comment ils se sont dramatiquement trompés.

"Je ne suis pas pour le One Man Show"

TourMaG.com - On peut aussi évoquer l’idée d’une compagnie avec une cabine « tout classe affaires vers New York » avec un avion de taille moyenne et des prix moins chers que les legacy. Aujourd’hui « La Compagnie » est positionnée sur ce marché, mais vous avez dirigé « L’avion » qui a en quelque sorte inventé ce concept et c’était il y a une vingtaine d’années...

Marc Rochet : Oui, mais je dois préciser une chose. On met souvent la lumière sur "Marc Rochet, Le Président, le Patron" mais j’ai toujours attaché beaucoup d’importance au travail en équipe, à l’écoute des gens et certaines des idées n’étaient pas forcément les miennes même si c’est à moi qu’on a demandé de les mettre en œuvre.

Beaucoup de gens s’arrogent la création d’un concept, par exemple avec le fameux « bleu blanc rouge » d’Air Inter. La réalité c’est que c’est toujours un travail d’équipe. Des gens qui donnent une idée, puis deux, puis trois.

Vous me parlez de « L’avion ». Ce n’est pas mon idée, c’est celle de Frantz Yvelin qui a aussi eu la capacité de combattre pour la défendre. Nos chemins se sont croisés.

Je vous le dis franchement j’étais un peu sceptique sur ce concept, mais par honnêteté intellectuelle nous l’avons travaillé et analysé.

Un opérateur financier de poids, la compagnie financière Edmond Rothschild a alors décidé d’accompagner le projet sous réserve que je le valide et que je m’y engage ce qui signifiait une prise de risque en commun.

Je l’ai fait et ensuite cela a été un travail d’équipe avec des femmes et des hommes tels que Frantz, Jean-Charles Perrino, Muriel Assouline.

Donc l’histoire du gars qui a des idées tout seul et qui est le génie du siècle je n’y crois pas trop, en tout cas ce n’est pas mon tempérament. Il faut au contraire avoir la capacité d'écouter ceux qui ont des idées, les trier et les mettre en œuvre. C’est cela ma marque de fabrique.


TourMaG.com - L’aventure AOM c’est aussi comme cela qu’elle a démarré ?

Marc Rochet : Oui AOM c’est une belle histoire.

À l’origine, René Micaud avait créé Air Outre-Mer, une entreprise vite devenue invivable et Gilbert Trigano dont on peut dire que l’aérien n’était pas forcément dans son champ de compétences était président de la compagnie Minerve elle aussi en difficulté.

C’est à ce moment que le patron du Crédit Lyonnais m’a demandé si cela m’intéressait d’essayer de redresser cela. Là aussi, je l’ai fait en équipe en étant le porteur des idées de chacun.


TourMaG.com - Avec pour vous en 1991, après que les deux compagnies aient fusionné pour devenir AOM, une envie de conquête et de développement ?

Marc Rochet : Oui puisqu'AOM a été jusqu’à avoir dans sa flotte 15 DC10 et 15 MD83. C’est-à-dire une compagnie schématiquement deux fois plus grosse que la compagnie UTA.

Et entre parenthèses c’est aussi le cas d’Air Caraïbes et French Bee. Une petite compagnie régionale, qui, grâce à Jean-Paul Dubreuil et au travail d’équipe, j’insiste, est devenue une compagnie majeure. Je ne suis pas pour le One Man Show.


TourMaG.com - C’est cependant à vous qu'on tend souvent le micro.

Marc Rochet : Oui, j’étais un acteur un peu plus sollicité que les autres et puis il faut aussi avoir du leadership. J’en ai sans doute, mais c’est avant tout des parcours collectifs.

Des fiertés…

TourMaG.com - Dans toute cette grande aventure au sein du transport aérien quels ont été les moments qui vous ont le plus marqué. Nous évoquions AOM dont l’aventure s’est mal terminée.

Marc Rochet : Attention le drame social d’AOM ce n’est pas le mien. Il y a deux porteurs de ce drame : Monsieur Couvelaire et Monsieur Corbet.

TourMaG.com - Vous aviez d’ailleurs proposé un plan de reprise pour sauver la compagnie ?

Marc Rochet : Oui, avec un discours de vérité.
On aurait pu faire quelque chose, mais là aussi le tribunal de commerce de Créteil semblait plus préoccupé par la politique qu’autre chose.

Pour revenir à des moments qui m’ont marqué, je vais dire trois choses.

Il faut être prudent avec ce sujet, mais l’aérien c’est quand même comme priorité absolue sur tout le reste, la problématique de la sécurité des vols.

C’est une responsabilité que j’ai portée et je suis « soulagé » et fier de ce que mes équipes ont fait sur ce point.

Quand on fait presque quarante ans dans l’aérien, on a un soulagement de se dire que rien de grave n’est jamais arrivé quand cela s'arrête.

Deuxièmement des moments marquants, j’en ai vécu beaucoup.

Tout à l’heure, quelqu’un qui travaille dans un aéroport m’a rappelé qu’un beau matin il avait vu un avion avec peint en gros sur sa carlingue « je veux rester à Orly Ouest » il a été véritablement scotché.*

Là aussi ce n’est pas mon idée, mais celle d'Olivier Moracchini. C’est important de citer ceux qui sont à l’origine des idées.

Ensuite là aussi; nous avons a tous travaillé sur l’idée et c’est moi qui ai assumé de la valider et d’y aller.

Souvenirs marquants également : les missions spéciales et évacuations.

Toutes les compagnies que j’ai dirigées avaient l’immatriculation « F » pour France.
J’ai toujours considéré qu’une entreprise de transport aérien, et quand on fait ce métier, on se doit d’aller secourir les personnes. D’avoir un engagement citoyen, que l'on soit compagnie nationale ou pas.

Trois souvenirs me reviennent en tĂŞte Ă  ce sujet.
Avec Aéromaritime au moment de la guerre du Golfe où il fallait évacuer des familles bloquées à Bahreïn, avec un de nos Boeing 747 et des équipages volontaires, et là où il n’y avait pas grand monde pour accepter la mission, nous avons « fait le boulot ».

Cela m’a valu une lettre de remerciement signé du Président des États-Unis. Un plaisir que j’ai partagé avec les équipes.

Un deuxième souvenir, passionnant et intéressant lorsque je dirigeais AOM : après le drame de l’avion d’Air France détourné sur l’aéroport d’Alger, le pavillon national était exposé, mais il fallait là aussi faire le boulot c’est-à-dire maintenir une liaison aérienne avec Alger pour des besoins diplomatiques entre autres.

Avec François Hersen,Charles Pellegrini et nos équipages, nous avons repeint un de nos avions en blanc en quelques jours et nous avons, pendant un an, toutes les semaines, relié Alger avec la protection du GIGN.

Ces vols étaient indispensables, il fallait les faire et nous avons considéré que c’était notre mission et je veux encore remercier tous ceux y compris les équipages qui ont joué le jeu. Un jeu risqué, mais nous considérions qu’il fallait y aller avec cependant les mesures nécessaires. Avec le GIGN nous étions protégés et je veux aussi les saluer.

Et puis un troisième souvenir, pendant le Covid : après avoir évacué, en métropole les patients de la région Est, le professeur Lamhaut a sollicité les compagnies aériennes pour évacuer des patients en danger de mort depuis l'Outre-mer.

Notre réponse a été rapide. Nous ne nous sommes pas demandés si on allait le faire, mais quand nous pourrions le faire et le plus rapidement possible.

En seulement quelques jours nous avons préparé nos avions créer des procédures pour transporter beaucoup de malades avec des besoins constants en oxygène, protéger les accompagnants, les équipages, installer des civières.
Au final, une réussite humaine fabuleuse.

Quand on partage ces évènements, on crée des liens qui dépassent tout : le métier la rémunération.

On est là pour faire le job parce qu’on porte les couleurs de la France. Et tout ça, je le redis, en équipe. Tout seul je n’aurais rien fait.

Et des regrets

TourMaG.com - Dans cette carrière des regrets aussi ? Un particulièrement ?

Marc Rochet : Tout le monde sait que j’ai un jugement assez amer sur la politique du transport aérien. J’en ai fait en quelque sorte ma religion.

On n’a jamais été dans le registre de l’honnêteté intellectuelle ni même de l’intérêt de la France et de son transport aérien, ô combien important, dans un pays comme la France et j’en ai des regrets.

Je me suis fait débarquer d’AOM pour avoir voulu m’opposer au transfert des vols AOM d’Orly Ouest à Orly Sud et pour des raisons purement politiques et qui n’avaient rien à voir avec ce que nous avions fait avec mes équipes de cette compagnie qui je vous le rappelle a gagné de l’argent.

Une amertume donc de voir un état qui pour des prétextes politiques et de communication ne prend pas la bonne direction.

Notre pays pourrait être beaucoup plus fort sur le plan aérien malgré la pression écologique et environnementale qui est une réalité. Mais on a toujours peur de tout.


TourMaG.com - Au moins chez Air Caraïbes, groupe familial privé, vous vous sentiez plus libre ?

Marc Rochet : Oui. J'aurais pu rejoindre une entreprise publique dans le transport et j’ai toujours refusé, car je ne voulais pas avoir l’État comme actionnaire.

Je considère que dans ce domaine-là, l’État n’est pas un actionnaire digne.

Le dernier ministre des Transports, celui qui vient de sortir, n’était pas en fait le ministre des Transports, mais plutôt le directeur stratégique et financier de la SNCF. Il cherchait par tous les moyens à pomper le contribuable avec des montants colossaux dont on ne sait pas très bien à quoi ils servent.

A venir dans TourMaG la deuxième partie de l'interview de Marc Rochet.

* En 1995, AOM est contrainte de déménager (sous la pression d'Air France et des Aéroports De Paris) ses vols depuis l'aérogare d'Orly-Ouest remis à neuf vers celle d'Orly-Sud, plus vétuste. AOM résistera avec, peint sur la carlingue de ses avions, le slogan : « Je veux rester à Orly Ouest ! » En vain.


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Commentaires

1.Posté par Aymeric le 31/01/2024 08:44 | Alerter
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Un MONSIEUR de notre industrie..rencontré plusieurs fois, de nombreux échanges...visionnaire et bien entouré.
Seul regret pour moi, ne pas avoir partagé une partie de ma carrière à ses côtés.
Bon vol en double commande pour la suite..
Merci

2.Posté par Martino180 le 31/01/2024 09:02 | Alerter
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Pour Air Outre Mer : ce n'est pas René Miko mais René Micaud !!!
Un homme visionnaire pour le tourisme et l'aérien !!!

3.Posté par Bertrand BILLEREY le 31/01/2024 15:59 | Alerter
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Marc Rochet : LE maitre à penser de beaucoup de passionnés d'aviation comme moi !

MERCI pour toutes ces années de défense du pavillon Français mais également pour les sympathiques échanges ;)

4.Posté par Droumaguet Brigit le 02/02/2024 17:35 | Alerter
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Un réel plaisir d'avoir pu travailler avec Marc chez AOM. Je viens d'écrire un livre sur le sujet et j'aimerais le lui envoyer, dédicacé.

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